« Quant à la psychiatrie, il est patent qu’avec l’empiètement des connaissances biologiques, elle a fait un bond en avant, les médicaments fonctionnant désormais, en partie du moins, comme de nouveaux instruments de discrimination. Ce gain se solde pourtant d’une perte, sensible au niveau de l’approche purement clinique des phénomènes. Il n’est que de comparer par exemple les Études de psychiatrie de Ey parues en 1954 — je m’en tiens là à l’interlocuteur de Lacan — et le tableau des critères de la manie dans le DSM III. Vous avez d’un côté, une richesse, une minutie et un tact de la description, qui permettent de suivre les phénomènes du sujet en dépit même de la doctrine de l’auteur, et qui rendent ces textes toujours instructifs, de l’autre, une réduction consternante dont on se demande même comment elle pourrait être réellement opératoire — puisque c’est là sa justification.
En très peu d’années nous sommes passés d’une psychiatrie qui avait des attenances avec ce que l’on appelait les "humanités", et où d’ailleurs le style de l’auteur avait encore du poids, à une psychiatrie biologique, tout entière gagnée par le discours de la science. Cette évolution rend patent qu’avec l’avancée de la science, c’est la foclusion du sujet qui gagne » (Colette SOLER, « La manie : péché mortel », dans L’inconscient à ciel ouvert de la psychose, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2002, pp. 82-83).