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Benjamin BALL

Folie puerpérale (Des folies génitales)

Leçons sur les maladie mentales : 36ème leçon (section III)

Date de mise en ligne : samedi 4 juin 2005

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Sommaire :
 Folie puerpérale. Quatre formes. Folie puerpérale proprement dite. Manie puerpérale. Mélancolie puerpérale. Troubles physiques. Folie de la grossesse. Folie de l’accouchement. Délire de la lactation. Anatomie pathologique. Traitement. Étiologie. Hérédité.

Folie puerpérale

Il nous reste à vous parler de la plus importante de toutes les folies génitales ; je veux parler de celle qui suite de la grossesse, de la parturition et de l’allaitement. Cette maladie mérite toute votre attention, tant par sa fréquence, a gravité, et, la nature de ses symptômes, que par la perturbation qu’elle jette si souvent dans les ménages, dans les moments les plus critiques de la vie de la famille. C’est donc une des questions qui intéressent le plus directement le praticien.

Permettez-moi d’abord, messieurs, de vous exposer quelques considérations préliminaires qui sont indispensables à l’intelligence du sujet.

La folie puerpérale, qui, pendant longtemps, a été considéré comme un état vague, mal défini, sans limite précises, n’a été bien étudiée pour lu première fois que par Esquirol. C’est à lui qu’on en doit la création. Cette maladie, envisagée au point de vue psychologique, ne présente aucune uniformité. On y voit régner les états psychiques les plus divers ; tantôt, c’est la manie qui prédomine ; tantôt, la mélancolie ; la stupeur se rencontre très souvent, ainsi que la folie circulaire, les délires partiels et les monomanies impulsives. Il est donc inutile, ou pour mieux dire, impossible, d’établir une division fondée sur la forme du délire.

Mais il est une autre division qui s’impose naturellement. L’état puerpéral amène dans l’organisation de la femme des modifications profondes et durables ; celle qui a enfanté une fois est bien différente de celle qui est restée stérile. Or, le cerveau participe à ces perturbations qui se manifestent dans toute l’économie, et nous savons tous combien la femme, pendant la grossesse, est irritable, difficile à vivre, sujette à des envies, qui constituent un véritable délire.

La durée de ces phénomènes se divise en quatre périodes, dont chacune peut présenter des troubles intellectuels différents. Il y a donc quatre formes de folie puerpérale : 1° la folie de la grossesse ; 2° la folie de l’accouchement, qui a lieu pendant le travail même ; 3° Ia folie puerpérale proprement dite, qui se manifeste après la naissance de l’enfant ; 4° la folie de l’allaitement. Nous aurons à passer en revue ces quatre chapitres différents.

Messieurs, la folie puerpérale proprement dite est celle qui se développe après l’accouchement et avant le retour des règles, à la fin de la première semaine ou au commencement de la seconde, et surtout du cinquième au dixième jour. Quelquefois le délire apparaît brusquement ; mais, le plus habituellement, il est précédé de prodromes, tels que de l’irritabilité, de l’insomnie, un malaise général, une angoisse excessive. Une fois le délire établi, il peut affecter les formes les plus diverses ; la plus commune est la manie ; la mélancolie est moins fréquente.

La manie puerpérale se caractérise par un bavardage incessant, incohérent et semé d’injures violentes, avec conceptions délirantes, où l’on voit poindre quelquefois un vague délire des persécutions ; mais ces conceptions sont trop fugaces et banales pour mériter une dénomination spéciale. Vous savez déjà que toutes les formes d’aliénation mentale sont modifiées par le sexe ; les vociférations, les cris, les fureurs du maniaque, sont remplacés, chez la femme, par un bavardage excessif. C’est peut-être l’exagération d’une tendance naturelle. Ce délire, si caractérisé dans sa manie puerpérale, s’accompagne, en outre, d’une perturbation des sentiments affectifs, qui se manifeste par une aversion profonde pour le mari ou l’amant et par une indifférence absolue pour l’enfant, indifférence qui peut se
changer en haine et aboutir à l’infanticide. Aussi, doit-on toujours, en pareil cas, retirer l’enfant des mains de la mère, car il y a des femmes qui, dans cet état, ont de véritables impulsions homicides. Certaines malades commettent des tentatives de suicide.

Un fait très remarquable, c’est que l’érotisme et l’obscénité accompagnent presque toujours le délire puerpéral. Marcé, Foville, et la plupart des modernes, nient la fréquence de ce phénomène, peut-être exagéré par les anciens ; ils ont raison, si par érotisme, ils entendent le désir sexuel ; mais ce qui est essentiellement particulier à la manie puerpérale, c’est le débordement d’obscénités qui vient souiller les lèvres des femmes les plus chastes et les mieux élevées. Souvent, sous l’empire de ces tendances, elles formulent les accusations les plus graves contre les hommes de leur entourage, et ces accusations sont quelquefois mieux écoutées qu’elles ne l’auraient mérité. Vous comprendrez facilement les conséquences fâcheuses qui peuvent en résulter.

La durée de la manie puerpérale est généralement de six à huit mois. Le pronostic est relativement favorable, car il y a guérison dans les deux tiers des cas. Très souvent la maladie se termine par une crise de stupeur, d’où la malade sort guérie.

Il me reste maintenant, messieurs, à vous parler de la mélancolie puerpérale, caractérisée par la dépression habituelle de la mélancolie simple. Cette formule est, dit-on, trois fois moins commune que la précédente ; elle présente deux caractères importants. Ce sont d’abord les hallucinations, surtout celles de la vue et de l’ouïe, qui se rencontrent très souvent dans cette forme de délire ; c’est ensuite une tendance fort prononcée au suicide. Aussi, toutes les fois que vous aurez affaire à une mélancolie puerpérale, prévenez la famille et entourez la malade de toutes les précautions nécessaires. Ici, la durée est plus longue et la guérison moins certaine que dans la manie.

Nous glisserons sur les autres formes de délire qui peuvent éclater dans l’état puerpéral, pour vous parler des troubles physiques qui coïncident avec l’orage intellectuel.

Je vous citerai d’abord la diminution de poids, signalée par les auteurs allemands. En pesant la femme à son entrée et à sa sortie de l’hôpital, on a pu constater une différence en moins, qui peut s’élever, dit-on, jusqu’à 29 kilogrammes. On comprend que l’expulsion du fœtus, des membranes et du liquide amniotique, ne suffit pas pour expliquer une réduction pareille, dont une large part doit être mise sur le compte de la maladie ; car, depuis Nasse, la perte de poids est signalée au début de la plupart des affections mentales. Un autre point très important, ce sont les accidents épileptiformes et la présence fréquente d’albumine dans les urines. Simpson était disposé à considérer la folie puerpérale comme un effet de l’urémie, et les crises épileptiques comme de véritables accès d’éclampsie ; mais il est certain que des cas bien authentiques de délire dans l’état puerpéral ont parcouru leur évolution complète, sans que jamais l’albumine ait apparu dans les urines. Nous pensons donc qu’il faut envisager ce phénomène comme une simple coïncidence et non comme la véritable cause du délire. Je vous rappellerai également les troubles digestifs, qui sont assez habituels, tels que la constipation, l’anorexie, l’embarras gastrique ; ce qui se voit, d’ailleurs, au début de toutes les maladies mentales.

Dans les cas où la guérison n’a pas lieu, la folie puerpérale aboutit, la plupart du temps, à la démence. Nous laissons de côté ces cas extrêmement graves qui simulent le délire aigu et se terminent dans quelques jours par la mort.

Je vais maintenant, messieurs, vous dire quelques mots sur la folie de la grossesse.

Vous connaissez tous cet état mental particulier à quelques femmes enceintes, qui arrivent à manifester des désirs, des exigences et des envies, qui ne laissent pas d’avoir une certaine influence sur le progrès de l’évolution du fœtus. Rien n’est commun comme de voir ces dépravations de l’appétit, connues sous le nom de pica et de malacia, qui poussent ces malades à rechercher des mets étranges, à se nourrir de craie, de terre, de charbon, et quelquefois même à manifester des tendances plus répugnantes encore. Il est fréquent de rencontrer des femmes fort respectables et très honnêtes qui expriment un violent désir de se nourrir de certains aliments, à la condition qu’ils soient volés. De plus, un besoin irrésistible de vol qui entraîne ces malades à satisfaire leur cupidité et à s’approprier des objets de toute nature, a été souvent observé par les aliénistes ; c’est une variété de kleptomanie. Le médecin légiste peut être appelé à se prononcer sur des cas de ce genre, et il ne doit pas ignorer que ces faits se rattachent souvent aux troubles intellectuels de la grossesse.

Chez les femmes en état de gestation, quand la folie se déclare, c’est généralement dans les trois derniers mois, et si c’est la manie qui prédomine dans l’état puerpéral, on peut dire que c’est la mélancolie qui est la forme la plus habituelle pendant la grossesse.

On s’est demandé si l’accouchement pouvait guérir la folie. La chose est possible ; mais ce que l’on voit le plus souvent, c’est que le délire, qui a débuté pendant la grossesse, se continue dans l’état puerpéral.

Quant la folie qui éclate au moment même du travail, c’est un délire passager, transitoire, qui reconnaît pour cause, soit un travail difficile, soit une parturition clandestine, soit des conditions morales fâcheuses, comme l’isolement, l’abandon, la misère. Il est caractérisé surtout par des tendances infanticides ; aussi, consulté par les tribunaux, l’expert doit-il toujours rechercher quel était l’état mental de la malade avant le crime, quelles étaient les conditions dans lesquelles elle était placée, et comment l’acte a été commis. On sait, en effet, que, dans les circonstances de l’infanticide, on peut saisir quelquefois des preuves manifestes d’aliénation mentale. Ainsi, une femme étrangle son enfant et ne prend pas la précaution de faire disparaître le lien dont elle s’est servie et qu’elle laisse autour du cou ; preuve manifeste qu’elle ne raisonnait pas au moment du crime.

En dernier, lieu, j’arrive au délire de la lactation, qui se manifeste habituellement vers le deuxième ou troisième mois de l’allaitement. Il a pour causes principales l’anémie et l’affaiblissement de la nourrice, et, pour adjuvant, la misère ; il revêt surtout le type mélancolique et présente un caractère plus grave et un pronostic moins favorable que celui de la folle puerpérale proprement dite.

Il me reste, messieurs, à vous dire quelques mots de la nature, du traitement et de l’étiologie de cette affection, et c’est par là que je terminerai.

L’anatomie pathologique n’a jamais donné ici que des renseignements contradictoires. Tantôt on a observé de la méningite avec suppuration, tantôt de la congestion ; quelquefois on a rencontré diverses lésions des parties profondes de l’encéphale ; souvent aussi il n’existait aucune altération appréciable. C’est qu’en effet les états morbides que provoque du coté de l’encéphale la puerpéralité, sont aussi nombreux que divers, et la folie puerpérale n’est une espèce morbide qu’au point de vue de son étiologie. C’est un tronc unique d’où partent des branches divergentes. Nous avons donc affaire, non pas à une maladie toujours la même, mais à une série de maladies diverses. Cela suffit pour nous rendre sceptiques quant au traitement, et pourtant les médications qui ont été successivement proposées sont multiples.

Je commencerai par vous rappeler la saignée, qui est restée en honneur dans l’aliénation mentale jusqu’à Pinel.

Je suis loin de dire que ses effets ont toujours été désastreux ; mais ils l’ont été souvent, et bien des femmes ont versé dans la démence par l’usage intempestif des émissions sanguines ; je vous recommanderai donc la plus grande prudence dans son emploi.

Je vous citerai le tartre stibié, donné par la méthode rasorienne. Les purgatifs légers seront donnés avec précaution, surtout quand il existe des phénomènes de gastricité ; dans les cas d’insomnie et d’agitation, les narcotiques, les sédatifs et les bains seront employés avec utilité, ainsi que toute la série des bromures alcalins, qui joue un rôle si important dans le traitement des affections mentales. Il est aussi une méthode qui a réussi entre les mains de M. Baillarger : c’est la diète lactée. Enfin, messieurs, s’il est une précaution capitale que je doive souligner, c’est d’interdire une seconde grossesse a toute femme qui a été folle une première fois pendant l’état puerpéral.

Je terminerai par quelques considérations sur l’étiologie. Relativement au nombre des accouchées, la folie puerpérale n’est pas une maladie fréquente, surtout dans les hôpitaux ; il est naturel de penser, d’ailleurs, qu’un acte purement physiologique ne doit pas souvent troubler les facultés de l’esprit. Mais les cas de folie puerpérale sont assez nombreux par rapport aux autres causes d’aliénation mentale, puisque la proportion varie, selon les statistiques, de trois à sept pour cent. Ce chiffre est donc assez important pour mériter, de la part des aliénistes, une sérieuse attention.

Chez la même femme, le nombre des accouchements exerce-t-il une influence sur la folie ? D’après Marcé, la prédisposition augmente avec le nombre des grossesses, tandis que les Allemands et les Anglais, au contraire, prétendent que les primipares sont plus souvent atteintes. Je crois qu’il est plus simple d’admettre qu’une femme qui, dans ses premières grossesses, a échappé à la maladie, a plus de chances d’immunité par la suite, et que la plus grave de toutes les prédispositions, ce sont les folies antérieures. Aussi, je vous le répète, dans l’intérêt de la mère, de la famille et de la postérité, devez-vous toujours conseiller à une femme qui a été folle à son premier enfant, d’éviter de devenir enceinte de nouveau. J’ai connu une dame, mère de sept enfants, qui, à chaque accouchement, a eu un accès de folie. Le septième et dernier accès s’est terminé par la démence.

Une cause que l’on ne doit pas oublier non plus, c’est l’aliénation mentale antérieure à l’accouchement. Bon nombre de jeunes filles ont été aliénées avant leur mariage, à l’époque de la puberté ; celles-là sont éminemment exposées à tomber dans la folie puerpérale.

La suppression du lait et des lochies, autrefois considérée comme une des causes les plus efficaces des troubles intellectuels de la puerpéralité, est aujourd’hui regardée par la plupart des observateurs comme un symptôme et non comme une cause de la maladie. L’opinion des anciens me paraît cependant mériter encore quelque crédit, et, s’il est rationnel d’admettre que l’excitation cérébrale fait taire les autres fonctions, il est très naturel, par contre, de penser que la brusque suppression d’une fonction très importante amène des troubles sympathiques qui retentissent immédiatement sur le fonctionnement de l’intelligence. Viennent ensuite les difficultés de l’accouchement, un travail laborieux, des douleurs atroces, des hémorragies abondantes, qui sont autant de causes de la folie puerpérale.

Je passe sous silence un grand nombre de points que le temps ne me permet pas d’aborder. Mais il me reste une dernière cause à vous signaler, et c’est de beaucoup la plus importante de toutes ; je veux parler de l’hérédité. Il est bien certain que la fille d’une mère atteinte de folle puerpérale est exposée à devenir folle quand ce sera son tour d’être mère ; de même, une femme qui possède dans sa famille des aliénés, des névropathes, des individus mal équilibrés au point de vue mental, a de grandes chances de perdre l’esprit à la suite d’un accouchement.

Il résulte de ces considérations une règle de conduite qui s’impose au médecin, surtout à une époque où les avantages matériels font souvent oublier les principes qui doivent présider à la fondation d’une famille. En présence de ces tendances, il vous appartient de veiller aux véritables intérêts de la chose publique, et d’interdire sévèrement le mariage aux filles qui ont, dans leurs antécédents, des taches, soit personnelles, soit héréditaires, au point de vue mental. C’est un devoir souvent pénible à remplir ; mais, en l’accomplissant avec fermeté, vous aurez acquis des droits à la reconnaissance de la société.

P.-S.

Texte établi par Abréactions Associations, à partir de l’ouvrage de Benjamin BALL, Leçons sur les maladies mentales, Éd. Asselin et Houzeau, (2ème édition) Paris, 1890.
 Logo d’après Nicolas Poussin, Moïse sauvé des eaux, 1638, huile sur toile, 121 cm x 94 cm (détail) / Musée du Louvre [ Aile Richelieu - Deuxième étage - Section 14 ].

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