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Roger Dupouy

Du masochisme à type chevalin

Annales médico-psychologiques (1929)

Date de mise en ligne : samedi 26 mai 2007

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Roger Dupouy, « Du masochisme », Annales médico-psychologiques, 12e série, t. II, décembre 1929, Éd. Masson et Cie, Paris, pp. 393-405.

DU MASOCHISME
par Roger DUPOUY

Le masochisme est une perversion sexuelle caractérisée essentiellement par l’idée obsédante ou bien plutôt fixe — intégrée à la personnalité même du sujet — d’être dominé physiquement, moralement, par la personne aimée, la soumission devant aller jusqu’à la douleur et l’humiliation pour atteindre au sentiment de satisfaction sexuelle.

Il ne faut pas, en effet, aller dans la conception du masochisme aussi loin que Breteille [1]. Le fait de courtiser une femme, de se plier à ses caprices et de s’incliner très bas devant elle (momentanément le plus souvent), au point de baiser sa mule ou le bas de sa robe (au temps des jupes longues), et de porter ses couleurs (au temps de la chevalerie), ne constitue pas une ébauche de masochisme. Cette « cour » et ces « galanteries » ne sauraient être considérées comme une perversion sexuelle ; elles ne déterminent pas pour celui qui s’y prête de souffrance physique ou morale et ne lui sont même pas un condiment indispensable à l’accomplissement de l’acte d’amour.

Il ne faut pas non plus étiqueter masochistes les malheureux époux, amants ou soupirants d’une virago autoritaire ou d’une beauté capricieuse, cruelle et abusant jusqu’au despotisme (nous n’osons dire jusqu’au sadisme) de la puissance souveraine de ses charmes. Samson, ni Hercule, ni Cyrus, ni Holopherne, ni Hérode, ni Socrate, ni même, pensons-nous, Aristote, ne sont des masochistes ; victimes de leur amour ou de leur mansuétude pour une femme, ils subissent à leur corps défendant, et avec plus ou moins de philosophie, leur humiliation ; ils ne la désirent ni ne la sollicitent ; ils n’en ont pas besoin, comme les masochistes, pour satisfaire leur appétit sexuel et connaître la volupté.

On a voulu établir l’existence du masochisme dans les deux sexes. Nous croyons, au contraire, que le masochisme ne peut être compris psychologiquement que chez le mâle, en qui réside la supériorité physiologique.

Certains auteurs l’ont rapproché de l’uranisme et en ont fait une variété d’inversion sexuelle (Krafft-Ebing, Ramdohr). L’on peut observer, en effet, des traits de passage de l’uranisme au masochisme, l’homme atteint d’inversion sexuelle ne se sentant pas attiré vers des pratiques homo-sexuelles et recherchant un commerce hétéro-sexuel, mais s’humiliant devant la femme, se plaisant à se faire commander par elle, à la servir, à s’imaginer être lui la femme et elle le mari. Tel nous apparaît le cas suivant d’un officier de 44 ans qui « voudrait être femme ». Il s’habille chez lui d’un corset ou d’une ceinture avec jarretelles, de bas gris-perle, d’un peignoir clair ou d’une robe généralement de couleur beige, et se pare de bracelets. En service, sous son uniforme, il se contente de mettre un soutien-gorge et un pantalon de femme. Il use de pâtes épilatoires, de fards, de crèmes, de parfums comme une femme. II renie sa virilité, s’efforce de la masquer, et tient un jour à sa femme, en allant à table, ces propos : « Je suis femme complètement aujourd’hui, passe ta main entre mes jambes, touche, tu vois, je n’ai plus rien entré les cuisses » (il avait remonté ses parties tellement haut qu’effectivement on ne les sentait plus).

Ses tendances masochistes apparaissent avec ces déclarations à sa femme : « Sois mon petit mari, tu me commanderas, tu me feras faire la cuisine, tu m’apprendras à coudre… ». Cet état était constitutionnel, manifesté depuis l’âge de 15 ans. Cet officier avait espéré et voulu être « un homme » en se mariant ; mais il n’aurait éprouvé aucune jouissance dans l’acte sexuel et n’aurait pu, en le pratiquant, parvenir à l’éjaculation. Il est curieux de noter, également, son caractère héréditaire : l’oncle de ce sujet ne pouvait pareillement avoir de satisfaction sexuelle avec sa femme et se plaisait à jouer au jacquet avec elle, habillé en femme.

De tels faits sont rares. Le masochiste reste foncièrement homme ; fuyant les invertis actifs ou passifs, il recherche la femme ; loin de renier sa sexualité, il l’affirme énergiquement, mais l’asservit à la femme devant laquelle il s’humilie. S’il garde des vêtements, ce sont des vêtements masculins et non féminins, et s’il se dénude, il ne cache pas son sexe. Il s’offre, lui, le mâle, aux coups de la femme, à la flagellation, à l’enchaînement… Et cependant l’on reconnaît encore sa virilité et son autoritarisme. Il « exige » sa souffrance, il commande qu’on le commande ; le maître ordonne qu’on le traite en esclave. En cas de résistance trop vive à déférer à son désir, il pourrait être capable de frapper la femme pour qu’elle consente à le frapper. Krafft-Ebing lui-même parle d’association possible du sadisme et du masochisme. L’inverti, au contraire (l’inverti passif, le vrai), est autrement solliciteur, câlin, doucereux, frôleur, et nullement exigeant.

Un type très spécial de masochiste est le masochiste chevalin. Sorte de masochiste fétichiste, il symbolise son asservissement à la femme en se déguisant en cheval, en s’harnachant comme tel, et en se faisant cravacher et monter par la femme.

Ce type est connu depuis longtemps. Trénel [2] a montré que certaines sculptures datant du XIIIe au XVe, siècle figuraient des scènes de masochisme : « Un homme, le mors à la bouche, marchant à quatre pattes, à chatonant, suivant la gracieuse expression du trouvère Henri d’Andeli, et sur son dos, muni d’une selle, une femme qui le mène le fouet et la bride à la main. » Ces images seraient la figuration du Lai d’Aristote, poème du XIIIe siècle.

Plus près de nous, Krafft-Ebing [3] donne l’observation d’un masochiste qui, après avoir rêvé d’être un coursier fougueux monté par une belle cavalière, chercha à réaliser les scènes qu’il s’était plu à imaginer. Il se faisait « enfourcher » par la femme qu’il appelait « sa souveraine ». Il contrefaisait alors, autant que possible, tous les mouvements d’un cheval, et aimait à être traité par elle comme une monture sans aucun égard. Il se faisait battre, piquer, gronder, cravacher, caresser, tout faire, en un mot, selon son bon plaisir.

L’observation que nous allons rapporter lui est tout à fait comparable. Elle nous paraît, cependant, plus typique encore, et surtout plus complète au point de vue psychologique.

Notre malade est masochiste depuis de longues années, dès avant son mariage. Lorsque nous sommes appelé à connaître son histoire, il est déjà âgé, mais tout aussi actif. C’est un homme doué d’exceptionnelles qualités intellectuelles, très brillant, habitué à dominer et à commander tout le monde autour de lui. On se courbe devant sa personne, on l’admire, on le vénère… Cependant, au point de vue sexuel, c’est un pauvre être, tourmenté, malheureux, harcelé par l’idée de se harnacher ou de se faire harnacher en cheval. Il s’engainait les pieds, les mains, la verge, dans des appareils de cuir, se mettait un mors dans la bouche et, autour de la tête, tout un attirail de brides, oeillères, martingale, copié de l’équipage de tête des chevaux. Ainsi harnaché, il demandait à sa femme de le cravacher, de le fouetter, et éjaculait dans la gaine en cuir ou en caoutchouc adaptée à sa verge ; ou lui proposait, ainsi accoutré, d’avoir des rapports sexuels. Il fit même confectionner, par un bourrelier, une selle spéciale qu’il ajustait à son dos et faisait monter sa femme dessus, elle tenant les rênes et le frappant à coups de cravache.

II nous fut donné, pour nous convaincre de la réalité des faits, une pleine malle contenant des mors s’adaptant effectivement à une bouche humaine et dont la partie centrale, recouverte de cuir, portait encore l’empreinte des dents ; des harnais composés de pièces diverses et construits pour s’appliquer sur un corps humain ; des brides, des croupières, des colliers, des longes, etc. ; des gaines de cuir destinées à enfermer les mains, les pieds, la verge ; des appareils en métal épousant la forme du scrotum et de la verge ; enfin une cravache dont les éraillures prouvaient qu’elle avait servi…

Il nous fut, d’autre part, remis toute une série de documents dont l’analyse nous révèle deux ordres d’idées : les unes reflètent la préoccupation, harcelante plutôt qu’obsédante, d’être harnaché, dressé, dompté comme un cheval ; les autres traduisent le principe du masochisme, à savoir la domination de l’homme par la femme, et le but qui paraît en l’espèce avoir été poursuivi à l’aide de ces pratiques, la fidélité de corps et d’âme envers la femme choisie comme la Dominatrice…

Nous en donnons ci-après les extraits les plus caractéristiques.

A. DESCRIPTION DU MASOCHISME À TYPE CHEVALIN

Programme. — Il y en a qu’on dresse par la douceur. Je suis de ceux qu’on dresse par la rigueur et la force. C’est pourquoi le mors est nécessaire. Il agit par sa force propre et aussi par l’humiliation dans laquelle il me met vis-à-vis de toi…

Encore un programme et des explications qui n’ont aucune valeur que leur mise en pratique… Ici il ne peut être question que de ramener la pensée de l’animal et de le faire vivre dans l’attente inquiète du vrai régime qui devra être le sien. Il faut parler du dressage et obliger à lire ou à dessiner des choses en rapport avec le sujet. Brider la nuit et attacher les mains plus étroitement soit au mors avec la chaîne, soit à la grande ceinture dès le retour du bain. Mettre le harnais complet sans perdre de temps, la rêne et les poucettes, attacher les poucettes au harnais. La vergé enfermée dans son étui de métal. Rêner 2 heures dans la journée, le soir à la volonté du maître.

Réclusion pendant 3 ou 4 jours, les mains toujours attachées, la rêne tendue et détendue. Le maître ne s’approchera jamais de son cheval sans sa cravache et s’en servira chaque fois. Si l’impatience ou la révolte de l’animal se manifestait, la rêne serait tendue plus fort, le maître saisirait les guides et donnerait une sévère correction à la bête.

Le temps du domptage fini, le maître ferait comprendre au cheval que l’épreuve sera renouvelée, qu’il ne doit pas s’imaginer qu’il en est débarrassé et qu’elle reprendra plus vite si l’animal n’est pas souple. Le régime qui succédera au domptage et qui devra être maintenu constamment sera, la nuit, la rêne détendue, la martingale tendue ; au réveil l’inverse. L’animal devra porter, le jour, le harnais de cuir avec de larges sous-cuisses et la verge enveloppée. Une ou deux fois par semaine, ou plus souvent, le maître mettra ses bottes et fera faire un exercice à la cravache. Cet exercice consistera dans des mouvements des bras et des jambes indiqués par un bon coup de cravache. La cravache remplacera la parole. Le maître usera de la verge, excitera son cheval, se rendra complètement maître de ses sens. Il se couchera à côté de son cheval avec ses bottes.

Quand le maître aura senti la victoire acquise et qu’il ne veut plus rendre la liberté à son cheval, il pourra s’acheter un bijou en signe de sa victoire et ce bijou, constamment porté, aura sa signification pour le cheval…

Le maître devra être exigeant, se faire servir, se faire appeler mon maître. Je rappelle encore : plus de cadeau au cheval si ce n’est des harnais, tout ce qui peut l’humilier et aider à son asservissement. Acheter les harnais avec les économies de cigares. Les harnais indispensables sont les mors, les bracelets, poucettes ou gants ; les gaines pour la vergé. Ceux qui sont utiles sont : le collier avec cadenas quand le maître, obligé de s’absenter, voudra s’assurer que le cheval ne sortira pas ; le masque, pour empêcher les distractions, les bretelles…

Régime dé dressage. — 1° Tu me feras harnacher complètement avec double mors, la rêne, les mains bien attachées, le grand harnais complet. Tu mettras tes bottes et prendras la cravache. Tu me feras faire des mouvements de bras commandés par la cravache. Tu me fatigueras la bouche. Cela pendant dix minutes environ. Tu rattacheras les mains pendant un temps d’arrêt. Tu recommenceras ainsi pendant une heure environ. Ensuite tu me mettras le masque ou s’il ne va pas tu me mettras la ceinture de caoutchouc sur les yeux et tu me laisseras méditer, attaché par la longe sur cette prise de possession, le temps que tu voudras, en me fouettant quand tu viendras me voir et aussi pour finir.

2° Tu renouvelleras cet exercice au moins une fois par semaine, mais seulement pendant une heure et en me débridant après.

3° Tu feras de même chaque fois que tu me trouveras nerveux, mais alors tu enlèveras la gaine de cuir et tu mettras l’anneau ou la gaine de caoutchouc et tu me déprimeras complètement par contrainte.

Régime ordinaire. — La nuit. Tenu comme d’habitude les mains toujours attachées, ce que j’accepte difficilement, et tenu â distance de toi. La verge dans une gaine que tu puisses facilement retirer sans défaire le harnais ; au matin, remettre la gaine fixe. Matin. Lever à la cravache et rêné pendant une heure. Quand tu restes à la maison, m’obliger à travailler avec le mors dans la chambre d’ami ou dans ta chambre, et à ta fantaisie tu me mettras les poucettes. Après le déjeuner : plus de cigare. J’irai dans la chambre d’ami ou dans ta chambre mettre le mors et les poucettes pendant une heure. Sortie : toujours avec la verge tenue. Soirée : un cigare avec les poucettes, puis le mors. Mettre la croupière pour empêcher la peau de s’abîmer. Rapports sur commande et tenu. Par exception pour le maître en liberté, mais avec le collier et la croupière qui ne te gêne pas. Il serait plus sage de me fouetter après cela et en tous cas, si tu me laisses tranquille, de me mettre les poucettes.

B. PRINCIPE ET BUT DE CE MASOCHISME

Je crois que pour qu’il y ait vraie union, il faut un maître dans le ménage et un maître qui absorbe l’autre. Cela se fait naturellement chez beaucoup ; cela se fait par la force chez d’autres, la volonté la plus forte finissant par s’imposer.

Les caractères forts sont ceux qui me plaisent. Déjà, autrefois, j’admirais les dompteuses et les écuyères. Je sentais en elles une volonté qui ne recule devant rien. J’ambitionne pour ma femme une pareille nature. Plus elle est sévère, plus elle est exigeante, plus elle s’impose à moi. Les larmes, les petits moyens flatteurs avec lesquels une femme prend les autres hommes me répugnent et amoindrissent pour moi la femme. Jamais femme semblable ne s’imposera à moi…

Le maître devra prendre plaisir à intimider son cheval par ses menaces, à l’humilier en lui montrant que, même s’il le voulait, il ne pourrait être un homme comme certains autres, qu’il lui enlèvera complètement la satisfaction de penser aux femmes. Elle le déprimera méthodiquement. J’ai dit, et je n’ai jamais varié, qu’il était indispensable au maître de briser complètement le caractère du cheval, ce qui s’appelle dompter. Je sais ce qui m’est nécessaire. On ne peut pas demander à l’animal de se dompter lui-même, ou d’accepter l’épreuve et le régime de dressage. C’est au maître de s’imposer, de savoir ce qu’il veut, un cheval soumis totalement ou non. Pour dompter il faut inspirer un sentiment de force et de crainte.

Toi, qui aimes la psychologie, cela t’intéressera peut-être, cela devrait t’intéresser d’entrer dans la mienne et de comprendre pourquoi je n’échappe pas au rapport qu’il y a entre mon dressage et celui d’un étalon. Je ferai un parallèle et tu saisiras pourquoi la lecture de certains ouvrages me fait de l’effet quand je me retrouve dépeint. Je reconnais ce que j’éprouve. C’est humiliant à un certain point de vue.

L’axiome du dressage. — « Détruire les forces instinctives pour les remplacer par les forces transmises ».

Cela est-il possible ! Violenter la nature ! la modifier ! Si cela est possible, alors nous sommes sauvés. Eh bien, rien n’est plus vrai. Ce qui arrivé pour le cheval, animal si nerveux, si ardent, et qu’on habitue à porter les harnais les plus compliqués et les plus gênants, dont on fait un être résigné, soumis, qui attend les impulsions de son maître, peut m’arriver aussi. La force instinctive, chez moi, est celle qui me donne cette inquiétude de l’esprit, une nervosité que je sais assez bien cacher, mais qui m’excite. La force instinctive agit en dehors de mon raisonnement, elle est la manifestation d’un être à côté d’un autre être.

Ainsi, souvent, je m’aperçois tout à coup que j’ai les yeux plantés dans les yeux d’une femme, ce que je déteste. C’est inconscient. Quand cela devient conscient, je m’arrache à ce regard et je cherche à distraire ma pensée. Dans certains cas c’est moins facile que dans d’autres, la pensée déshabille, elle évoque des désirs, des sensations, tout un ensemble de choses mystérieuses. C’est ici que dans ta confiance qui m’honore, il y a cependant de l’ignorance et de la naïveté. Un homme ne doit pas regarder d’une certaine manière une femme. S’il est attiré par un autre corps que celui de sa femme, celle-ci perd de son influence physique, de son attrait. C’est l’amour physique qui est en train de mourir devant l’éveil d’un autre amour physique ; et tout cela est affreusement puissant et sournois. Une femme qui sait cela ne doit pas tolérer un seul instant qu’il en soit ainsi, si elle est vraiment femme et si elle comprend son rôle de gardienne. Celles qui le comprennent sont prêtes à tout faire, et tout passe pour elles après ce devoir.

Tu ne dois pas tolérer chez moi mon tempérament, puisqu’il est possible de détruire les forces instinctives et leur substituer des forces transmises. Le procédé, c’est d’isoler, même dans la foule, l’étalon humain, de créer entre les autres et lui des obstacles, de faire de son corps et de sa pensée le siège de sensations qui s’opposent à celles qui sont dangereuses. En général le remède est à cote du. mal. La femme qui veut dominer les sens de son mari et les tenir partout, si elle est intelligente et tenace, peut y parvenir. Pour toi, tu sais un peu l’action que tu as par le dressage ; tu as remarqué que malgré lui l’étalon répond à la voix de son maître. La verge en est la preuve. C’est une preuve infaillible, contre laquelle il n’y a rien à dire, si ce n’est que tu devrais t’en féliciter. C’est le remède à côté du mal. Il faut développer cet ordre de sensations à ton profit et au détriment des autres sensations. Il faut détruire les forces instinctives et leur substituer les forces transmises ; je ferais un traité là-dessus, tant je suis averti, et je ne craindrais la contradiction sur aucun point.

Quand je t’ai dit : il ne faut pas me permettre d’avoir des rapports autrement que bien harnaché, c’est parce que je voulais que tu fasses l’éducation de mes sens et que tu les accapares dans ta main. J’ai prévu le jour, et je te l’ai dit, où ce n’est que bridé que je pourrais avoir des rapports ; et loin d’en avoir maintenant peur, je souhaite que ce jour arrive, car ce sera la réalisation de la substitution des forces transmises. Il est évident que les femmes perdent d’autant plus leur action sur moi. II n’y en aura qu’une qui tiendra la clef de ma nature et qui saura la faire marcher. Et je sais cela par expérience. J’ai déjà éprouvé la chose dans les périodes où j’étais le plus tenu et où les rapports commandés étaient un peu fréquents. Donc, pour lutter contre les sensations dangereuses, il faut mettre à part l’étalon et le vacciner par des sensations contre d’autres. Un harnais très gênant faisant sentir son action autour de la verge, a déjà son rôle. La discipline d’un régime sévère, la crainte, l’attente de ce qu’on peut redouter d’un maître, fait le reste.

Tu m’amènera ainsi à vivre partout dans l’atmosphère favorable. En dehors de mon travail je ne pourrais me distraire de ta pensée et de ma dépendance de toi. Immédiatement ton image surgira de tout devant moi. Une pareille dépendance a un côté bien rude. On ne la supporte que si elle vous est vraiment imposée, mais elle a aussi son caractère de grandeur.

Non, il ne faut pas mépriser, tu l’as dit, un pareil cadeau qu’on a reçu. Quand un homme vous dit : je veux t’appartenir, mais prends-moi, et pour cela voici le harnais, la cravache, etc., on se sert vigoureusement et joyeusement de ces instruments, et l’on ne rend jamais la liberté à son cheval. Car l’idéal n’est pas de ce monde, il faut vouloir ce qu’on ne peut pas empêcher. Et puisque d’un côté ii y a des sens qui s’émancipent, il faut que de l’autre ii y ait une main pour les tenir. Puisqu’il n’y a à choisir qu’entre deux esclavages, comme tu l’as dit toi-même, le choix à faire pour celui qui peut devenir le maître n’est pas douteux. N’hésite donc plus à ne faire parler mes sens que quand je suis en bride. J’ai beaucoup trop joui de liberté à cet égard. Fais-moi oublier cette liberté-là et les sensations qu’elle m’a procurées. Tout te pousse, hélas, à agir ainsi, l’importance qu’il y a pour toi à ne plus être enceinte te donne encore plus de force, tu n’as plus de raisons pour ne pas faire des rapports un simple exercice de discipline et d’hygiène, et je perdrai d’autant plus ma fierté d’homme, car, remarque-le toujours : il n’y a rien qui rende les hommes plus fringants que l’exercice à leur fantaisie de leur virilité. Rien qui les rende plus modestes comme quand ils sont sous la domination de leur femme. Retiens bien cela qui est l’expérience universelle.

Principes du dressage. — Le dressage ne répond pas seulement à une question de tempérament. Il ne faut pas y voir uniquement une affaire de sens. C’est un moyen, le seul que je connaisse, de supprimer une volonté et d’agir sur un caractère. Voilà pourquoi il faut me tenir en bride même quand les sens sont déprimés. S’il n’y avait qu’une question physique je ne t’aurais pas dit de ne pas me relâcher et de me tenir aussi sévèrement après les rapports qu’avant.

Il ne faut pas perdre de vue, dans le dressage, l’action morale autant que physique. Tu exerceras une action morale en cessant de plaisanter sur le dressage et en me montrant que tu es décidée à me dompter, que c’est un but que tu veux atteindre et qu’à partir de maintenant tu me considères comme ta chose. Connaissant mon tempérament et la puissance des moyens que tu as, tu t’en serviras pour arriver à ton but. Au lieu de laisser ma pensée se détourner ou se distraire du dressage, tu l’y ramèneras constamment par la parole, par les ordres, par les instruments qui me rappellent ce que je suis vis-à-vis de toi. Personne d’autre que moi ne peut te dire l’effet moral que cette méthode exerce sur moi. En ton absence, le meilleur moyen d’entretenir mes impressions est de m’obliger à lire ou à relire des ouvrages d’équitation, à copier ou à recopier ce qui concerne le dressage.

Au point de vue physique, on se trompe en croyant que je suis l’esclave de mes sens. Tu sais le contraire. Mais ces sens existent et c’est à toi de les prendre si tu veux être le maître et que ces sens soient toujours ramenés à toi. Ils sont tels qu’ils sont et impossibles à changer. Il n’y a que deux alternatives ; les laisser indépendants ou s’en servir pour assurer ton influence. Au lieu de les laisser s’exciter en dehors de toi, il faut qu’ils ne vibrent qu’à tes ordres comme un instrument dont tu jouerais et qu’ils soient déprimés vis-à-vis de toute influence du dehors…

Attitude du Maître. — Elle a une grande influence. Tu dois t’imposer à moi et savoir que l’impression de te voir avec tes bottes et ta cravache en main m’en impose. Fais de ce que je te dis ce que tu voudras, mais ces signes de ta domination sur moi m’impressionnent et me ramènent à la pensée de ce que je suis pour toi. Ma verge trahit ces impressions et tu dois la tenir en éveil, car chaque fois que tu agis sur elle, tu la détournes des autres impressions. C’est ainsi que tu arriveras, je le sais, à tenir partout ma pensée. Tu ne dois tolérer aucune discussion, ne tenir compte d’aucune préférence, d’aucune fantaisie. Je ne dis être libre que pour le devoir à accomplir. Mais, en dehors, je suis ta chose. Avant de voir les beautés on les agréments d’un pays, ma pensée doit être fixée par ce fait : voilà l’endroit où je serai tenu. Tu dois multiplier les ordres de façon à ce que je n’aie aucune initiative. Tu commanderas le moindre de mes mouvements et tu prendras plaisir à m’enlever toute liberté, jusqu’à ce que tout soit assoupli et brisé en moi. Si tu le veux tu en prendras facilement l’habitude, mais il faut y songer. Ainsi voilà des exemples. Habitude de t’appeler toujours mon maître, dans l’intimité ; de te servir ; de ne pas quitter une pièce sans ta permission ni de de faire quoi que ce soit.

Résultats à obtenir : que je sois dans l’attente continuelle de tes gestes et de tes ordres, et que peu à peu toute opposition fasse place à la fusion de ma personne avec la tienne, et qu’intérieurement j’aie une véritable crainte de toi. À cet égard il faut qu’au seul rappel de tes bottes, sans même l’avouer, j’en aie la crainte ; que tu n’aies qu’à dire « apporte-moi mes bottes » pour que je me sente humilié et craintif. De cette façon, ce ne seront plus les jambes des femmes qui me feront de l’effet, et s’il te plaît de me commander des caresses, quand tu les as et si tu me les fais sentir, tu me donneras l’empreinte de ton corps comme je ne l’ai jamais eue et comme je ne l’aurai jamais sans cela.

Cependant, réfléchis encore, car le malheur du dressage c’est qu’on ne peut revenir en arrière, ni toi, ni moi, le pouvons. Si on l’abandonne après l’avoir commencé, la situation est pire qu’avant. Le cheval lâché est plus indépendant ; le maître qui a laissé tomber sa cravache a pris des habitudes d’autoritarisme qui lui rendent insupportable l’indépendance de celui dont elle ne peut oublier qu’il a été son cheval. C’est là une profonde vérité.

C’est pourquoi celai qui a porté le mors doit être condamné à le garder, et la verge qu’on a mise sous clef ne doit jamais être rendue â la liberté.

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* *

Un masochiste de ce type ne nous apparaît point comme un pervers passif, comme un débile se laissant battre par une femme autoritaire ou sollicitant humblement ses coups. II se dessine, au contraire, comme un sujet actif, doué d’intelligence et de volonté, sachant exiger et capable de certaines violences, physiques ou morales, pour obtenir ce qu’il veut, les pratiques anormales qui satisfont son désir morbide. Il faut, tu dois, j’ai dit…, voilà comme il parle à celle qu’il veut avoir pour maître et dont il veut servir de cheval. Il n’y a pas, chez lui, d’uranisme, mais une virilité pervertie, n’abdiquant pas malgré les apparences sa supériorité masculine, usant seulement de son commandement pour une fin sexuelle, délirante, vaguement mystique et suprêmement anti-sociale.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Roger Dupouy, « Du masochisme », Annales médico-psychologiques, 12e série, t. II, décembre 1929, Éd. Masson et Cie, Paris, pp. 393-405.

Notes

[1René BRETEILLE. — Étude historique et médico-légale du masochisme. Th. Paris, 1913.

[2TRÉNEI. — Représentations figurées et jeux masochistes. Rev. Méd. de Normandie, 25 mars 1902.

[3KRAFFT-EBING. — Psychopathia sexualis. Trad. franç., 1895, p. 145.

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