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Sainte Thérèse d’Avila

Des confesseurs

Le Chemin de la perfection - Chapitre IV

Date de mise en ligne : samedi 10 septembre 2005

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La sainte exhorte ses religieuses à l’observation de leur règle. Que les religieuses doivent extrêmement s’entr’aimer. Éviter avec grand soin toutes singularité et partialité. De quelle sorte on se doit aimer. Des confesseurs. Et qu’il en faut changer lors qu’on remarque en eux de la vanité.

Vous venez de voir, mes filles, combien grande est l’entreprise que nous prétendons d’exécuter. Car quelles devons-nous être pour ne point passer pour téméraires au jugement de Dieu et des hommes ? Il est évident qu’il faut pour cela beaucoup travailler, et qu’il est besoin pour y réussir d’élever fort haut nos pensées, afin de faire de si grands efforts que nos œuvres y répondent. Car il y a sujet d’espérer que notre seigneur exaucera nos prières, pourvu que nous n’oublions rien de ce qui peut dépendre de nous pour observer exactement nos constitutions et notre règle.

Je ne vous impose rien de nouveau, mes filles. Je vous demande seulement d’observer les choses à quoi votre vocation et votre profession vous obligent, quoi qu’il y ait grande différence entre les diverses manières dont on s’en acquitte.

La première règle nous ordonne de prier sans cesse : et comme ce précepte enferme le plus important de nos devoirs, si nous l’observons exactement nous ne manquerons ni aux jeûnes, ni aux disciplines, ni au silence, auxquels notre institut nous oblige, puisque vous savez que toutes ces choses contribuent à la perfection de l’oraison, et que les délicatesses et la prière ne s’accordent point ensemble.

Vous avez désiré que je vous parle de l’oraison : et moi je vous demande pour récompense de ce que je vais vous en dire, non seulement de le lire fort souvent avec beaucoup d’attention, mais aussi de pratiquer ce que je vous ai déjà dit.

Avant que d’en venir à l’intérieur qui est l’oraison, je vous dirais certaines choses si nécessaires à ceux qui prétendent de marcher dans ce chemin, que pourvu qu’ils les pratiquent ils pourront s’avancer beaucoup dans le service de Dieu, quoi qu’ils ne soient pas fort contemplatifs : au lieu que sans cela, non seulement il est impossible qu’ils le deviennent, mais ils se trouveront trompez s’ils croient l’être.

Je prie notre seigneur de me donner l’assistance dont j’ai besoin, et de m’enseigner ce que j’ai à dire afin qu’il réussisse à sa gloire.

Ne croyez pas, mes chères sœurs, que les choses auxquelles je prétends de vous engager soient en grand nombre. Nous serons trop heureuses si nous accomplissons celles que nos saints pères ont ordonnées et pratiquées, puisqu’en marchant par ce chemin ils ont mérité le nom de saints, et que ce serait s’égarer de tenir une autre route, ou de chercher d’autres guides pour nous conduire. Je m’étendrai seulement sur trois choses portées par nos constitutions, parce qu’il nous importe extrêmement de comprendre combien il nous est avantageux de les garder pour jouir de cette paix extérieure et intérieure que Jésus-Christ nous a tant recommandée.

La première est un amour sincère des unes envers les autres. La seconde un entier détachement de toutes les choses créées. Et la troisième une véritable humilité, qui bien que je la nomme la dernière est la principale de toutes et embrasse les deux autres. Quant à la première qui est de nous entr’aimer beaucoup, elle est d’une grande conséquence, parce qu’il n’y a rien de si difficile à supporter qui ne paraisse facile à ceux qui s’aiment, et qu’il faudrait qu’une chose fut merveilleusement rude pour leur pouvoir donner de la peine. Que si ce commandement s’observait avec grand soin dans le monde ; je crois qu’il servirait beaucoup pour faire garder les autres : mais comme nous y manquons toujours en aimant trop ce qui doit être moins aimé, ou trop peu ce qui doit l’être davantage, nous ne l’accomplissons jamais parfaitement. Il y en a qui s’imaginent que parmi nous l’excès ne peut en cela être dangereux. Il est néanmoins si préjudiciable et tire tant d’imperfections après soi, que j’estime qu’il n’y a que ceux qui l’ont remarqué de leurs propres yeux qui le puissent croire. Car le démon s’en sert comme d’un piège si imperceptible à ceux qui se contentent de servir Dieu imparfaitement, que cette affection démesurée passe dans leur esprit pour une vertu. Mais ceux qui aspirent à la perfection en connaissent bien le danger, et savent que cette affection mal réglée affaiblit peu à peu la volonté, et l’empêche de s’employer entièrement à aimer Dieu. Ce défaut se rencontre encore plutôt à mon avis entre les femmes qu’entre les hommes, et apporte un dommage visible à toute la communauté, parce qu’il arrive de là que l’on n’aime pas également toutes les sœurs : que l’on sent le déplaisir qui est fait à son amie : que l’on désire d’avoir quelque chose pour lui donner : que l’on cherche l’occasion de lui parler, sans avoir le plus souvent rien à lui dire, sinon qu’on l’aime, et autres choses impertinentes, plutôt que de lui parler de l’amour que l’on doit avoir pour Dieu. Il arrive même si peu souvent que ces grandes amitiés ayant pour fin de s’entraider à l’aimer, que je crois que le démon les fait naître pour former des ligues et des factions dans les monastères. Car quand on ne s’aime que pour servir sa divine majesté, les effets le font bientôt connaître, en ce qu’au lieu que les autres s’entr’aiment pour satisfaire leur passion, celles-ci cherchent au contraire dans l’affection qu’elles se portent un remède pour vaincre leurs passions. Quant à cette dernière sorte d’amitié, je souhaiterais que dans les grands monastères il s’y en trouvât beaucoup. Car pour celui-ci où nous ne sommes et ne pouvons être que treize, toutes les sœurs doivent être amies : toutes se doivent chérir : toutes se doivent aimer : toutes se doivent assister ; et quelque saintes qu’elles soient je les conjure pour l’amour de notre seigneur de se bien garder de ces singularités où je vois si peu de profit, puis qu’entre les frères même c’est un poison d’autant plus dangereux pour eux qu’ils sont plus proches.

Croyez-moi, mes sœurs, quoi que ce que je vous dis vous semble un peu rude il conduit à une grande perfection : il produit dans l’âme une grande paix ; et fait éviter plusieurs occasions d’offenser Dieu à celles qui ne sont pas tout-à-fait fortes. Que si notre inclination nous porte à aimer plutôt une sœur que non pas une autre, ce qui ne saurait pas ne
point arriver, puis que c’est un mouvement naturel qui souvent même nous fait aimer davantage les personnes les plus imparfaites quand il se rencontre que la nature les a favorisées de plus de grâces, nous devons alors nous tenir extrêmement sur nos gardes, afin de ne nous laisser point dominer par cette affection naissante. Aimons les vertus, mes filles, et les biens intérieurs : ne négligeons aucun soin pour nous des-accoutumer de faire cas de ces biens extérieurs ; et ne souffrons point que notre volonté soit esclave, si ce n’est de celui qui l’a rachetée de son propre sang.

Que celles qui ne profiteront pas de cet avis prennent garde de se trouver sans y penser dans des liens dont elles ne pourront se dégager. Hélas ! Mon Dieu mon sauveur, qui pourrait nombrer combien de sottises et de niaiseries tirent leur origine de cette source ? Mais comme il n’est pas besoin de parler ici de ces faiblesses qui se trouvent parmi les femmes, ni de les faire connaître aux personnes qui les ignorent, je ne veux pas les rapporter par le menu.

J’avoue que j’ai quelquefois été épouvantée de les voir : je dis de les voir : car par la miséricorde de Dieu je n’y suis jamais guère tombée. Je les ai remarquées souvent, et je crains bien qu’elles ne se rencontrent dans la plupart des monastères, ainsi que je l’ai vu en plusieurs, parce que je sais que rien n’est plus capable d’empêcher les religieuses d’arriver à une grande perfection, et que dans les supérieures, comme je l’ai déjà dit, c’est une peste.

Il faut apporter un extrême soin à couper la racine de ces partialités et de ces amitiés dangereuses aussitôt qu’elles commencent à naître. Mais il le faut faire avec adresse et avec plus d’amour que de rigueur. C’est un excellent remède pour cela de n’être ensemble qu’aux heures ordonnées, et de ne se point parler, ainsi que nous le pratiquons maintenant ; mais de demeurer séparées comme la règle le commande, et nous retirer chacune dans notre cellule. Ainsi quoi que ce soit une coutume louable d’avoir une chambre commune où l’on travaille, je vous exhorte à n’en point avoir dans ce monastère, parce qu’il est beaucoup plus facile de garder le silence lors que l’on est seule : outre qu’il importe extrêmement de s’accoutumer à la solitude pour pouvoir bien faire l’oraison, qui devant être le fondement de la conduite de cette maison puis que c’est principalement pour ce sujet que nous sommes ici assemblées, nous ne saurions trop nous affectionner à ce qui peut le plus contribuer à nous l’acquérir.

Pour revenir, mes filles, à ce que je disais de nous entr’aimer, il me semble qu’il serait ridicule de vous le recommander, puisqu’il n’y a point de personnes si brutales qui demeurant et communiquant toujours ensemble, n’ayant ni ne devant point avoir de conversations, d’entretiens et de divertissements avec les personnes de dehors, et ayant sujet de croire que Dieu aime leurs sœurs et qu’elles l’aiment puisqu’elles ont tout quitté pour l’amour de lui, puissent manquer de s’aimer les unes les autres : outre que c’est le propre de la vertu de se faire aimer, et que j’espère avec la grâce de Dieu qu’elle n’abandonnera jamais ce monastère. Je n’estime donc pas qu’il soit besoin de vous recommander beaucoup de vous entr’aimer en la manière que je viens de dire. Mais je veux vous représenter quel est cet amour si louable que je désire qui soit parmi nous, et par quelles marques nous pourrons connaître que nous aurons acquis cette vertu, qui doit être bien grande puis que notre seigneur l’a recommandée si expressément à ses apôtres. C’est de quoi je vais maintenant vous entretenir un peu selon mon peu de capacité. Que si vous le trouvez mieux expliqué en d’autres livres ne vous arrêtez pas à ce que j’en écrirai. Car peut-être ne sais-je ce que je dis. Il y a deux sortes d’amour dont je vais parler. L’un est purement spirituel, ne paraissant rien en lui qui ternisse sa pureté, parce qu’il n’a rien qui tienne de la sensualité et de la tendresse de notre nature. L’autre est aussi spirituel : mais notre sensualité et notre faiblesse s’y mêlent. C’est toutefois un bon amour, et qui semble légitime : tel est celui qui se voit entre les parents et les amis. J’ai déjà dit quelque chose de ce dernier, et je veux maintenant parler de l’autre qui est purement spirituel et sans aucun mélange de passion. Car s’il s’y en rencontrait, toute la spiritualité qui y paraîtrait s’évanouirait et deviendrait sensuelle : au lieu que si nous nous conduisons dans cet autre amour, quoi que moins parfait, avec modération et avec prudence, tout y sera méritoire, et ce qui paraissait sensualité se changera en vertu. Mais cette sensualité s’y mêle quelquefois si subtilement qu’il est difficile de le discerner, principalement s’il se rencontre que ce soit avec un confesseur, parce que les personnes qui s’adonnent à l’oraison s’affectionnent extrêmement à celui qui gouverne leur conscience quand elles reconnaissent en lui beaucoup de vertu et de capacité pour les conduire. C’est ici que le démon les assiège d’un grand nombre de scrupules dans le dessein de les inquiéter et de les troubler : et surtout s’il voit que le confesseur les porte à une plus grande perfection : car alors il les presse d’une telle sorte qu’il les fait résoudre à quitter leur confesseur, et ne les laisse point en repos après même qu’elles en ont choisi un autre.

Ce que ces personnes peuvent faire en cet état est de ne s’appliquer point à discerner si elles aiment ou n’aiment pas. Que si elles aiment, qu’elles aiment. Car si nous aimons ceux de qui nous recevons des biens qui ne regardent que le corps, pourquoi n’aimerons-nous pas ceux qui travaillent sans cesse à nous procurer les biens de l’âme ? J’estime au contraire que c’est une marque que l’on commence à faire un progrès notable lors que l’on aime son confesseur quand il est saint et spirituel, et que l’on voit qu’il travaille pour nous faire avancer dans la vertu ; notre faiblesse étant telle que nous ne pourrions souvent sans son aide entreprendre de grandes choses pour le service de Dieu. Que si le confesseur n’est pas tel que je viens de dire, c’est alors qu’il y a beaucoup de péril, et qu’il peut arriver un très-grand mal de ce qu’il voit qu’on l’affectionne, principalement dans les maisons où la clôture est la plus étroite. Or d’autant qu’il est difficile de connaître si le confesseur a toutes les bonnes qualités qu’il doit avoir, on doit lui parler avec une grande retenue et une grande circonspection. Le meilleur serait sans doute de faire qu’il ne s’aperçût point qu’on l’aime beaucoup, et de ne lui en jamais parler. Mais le démon use d’un si grand artifice pour l’empêcher que l’on ne sait comment s’en défendre. Car il fait croire à ces personnes que c’est à quoi toute leur confession se réduit principalement ; et qu’ainsi elles sont obligées de s’en accuser. C’est pourquoi je voudrais qu’elles crussent que cela n’est rien, et n’en tinssent aucun compte. C’est un avis qu’elles doivent suivre si elles connaissent que tous les discours de leur confesseur ne tendent qu’à leur salut ; qu’il craint beaucoup Dieu, et n’a point de vanité : ce qui est très-facile à remarquer, à moins de se vouloir aveugler soi-même. Car en ce cas, quelques tentations que leur donne la crainte de le trop aimer au lieu de s’en inquiéter il faut qu’elles les méprisent et en détournent leur vue, puisque c’est le vrai moyen de faire que le démon se lasse de les persécuter, et se retire.

Mais si elles remarquent que le confesseur les conduise en quelque chose par un esprit de vanité, tout le reste doit alors leur être suspect : et quoiqu’il n’y ait rien que de bon dans ses entretiens il faut qu’elles se gardent bien d’entrer en discours avec lui : mais qu’elles se retirent après s’être confessées en peu de paroles. Le plus sûr dans ces rencontres sera de dire à la prieure que l’on ne se trouve pas bien de lui, et de le changer comme étant le remède le plus certain si l’on en peut user sans blesser sa réputation.

Dans ces occasions et autres semblables qui sont comme autant de pièges qui nous sont tendus par le démon et où l’on ne sait quel conseil prendre, le meilleur sera d’en parler à quelque homme savant et habile (ce que l’on ne refuse point en cas de nécessité), de se confesser à lui, et de suivre ses avis ; puisque si on ne cherchait point de remède à un si grand mal on pourrait tomber dans de grandes fautes. Car combien en commet-on dans le monde que l’on ne commettrait pas si l’on agissait avec conseil, principalement en ce qui regarde la manière de se conduire envers le prochain pour ne lui point faire de tort. Il faut donc nécessairement dans ces rencontres travailler à trouver quelque remède, puisque quand le démon commence à nous attaquer de ce coté-là il fait en peu de temps de grands progrès si l’on ne se hâte de lui fermer le passage. Ainsi cet avis de parler à un autre confesseur est sans doute le meilleur, en cas qu’il se trouve quelque commodité pour le faire, et si, comme je l’espère de la miséricorde de notre seigneur, ces âmes sont disposées à ne rien négliger de tout ce qui est en leur pouvoir, pour ne plus traiter avec le premier, quand elles devraient pour ce sujet s’exposer à perdre la vie.

Considérez, mes filles, de quelle importance vous est cet avis, puisque ce n’est pas seulement une chose périlleuse, mais une peste pour toute la communauté, mais un enfer. N’attendez donc pas que le mal soit grand, et travaillez de bonne heure à le déraciner par tous les moyens dont vous pourrez user en conscience. J’espère que notre seigneur ne permettra pas que des personnes qui font profession d’oraison puissent affectionner que de grands serviteurs de Dieu. Car autrement elles ne seraient ni des âmes d’oraison, ni des âmes qui tendissent à une perfection telle que je prétends que soit la votre ; puisque si elles voyaient qu’un confesseur n’entendit pas leur langage, et qu’il ne se portât pas avec affection à parler de Dieu, il leur serait impossible de l’aimer, parce qu’il leur serait entièrement dissemblable. Que s’il était comme elles dans la piété, il faudrait qu’il fut bien simple et peu éclairé pour croire qu’un si grand mal put entrer facilement dans une maison si resserrée, et si peu exposée aux occasions qui l’auraient pu faire naître, et pour vouloir ensuite s’inquiéter soi-même, et inquiéter des servantes de Dieu.

C’est donc là comme je l’ai dit, tout le mal, ou au moins le plus grand mal que le démon puisse faire glisser dans les maisons les plus resserrées. C’est celui qui s’y découvre le plus tard, et qui est capable d’en ruiner la perfection sans que l’on en sache la cause, parce que si le confesseur lui-même étant vain, donne quelque entrée à la vanité dans le monastère : comme il se trouve engagé dans ce défaut, il ne se met guère en peine de le corriger dans les autres. Je prie Dieu par son infinie bonté de nous délivrer d’un tel malheur. Il est si grand qu’il n’en faut pas davantage pour troubler toutes les religieuses lorsqu’elles sentent que leur conscience leur dicte le contraire de ce que leur dit leur confesseur : et que si on leur tient tant de rigueur que de leur refuser d’aller à un autre, elles ne savent que faire pour calmer le trouble de leur esprit, parce que celui qui devrait y remédier est celui-la même qui le cause. Il se rencontre sans doute en quelques maisons tant de peines de cette sorte, que vous ne devez pas vous étonner que la compassion que j’en ai m’ait fait prendre un si grand soin de vous avertir de ce péril.

P.-S.

Texte établi par Abréactions Associations d’après la traduction de M. Arnauld d’Andilly.

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