« On connaît les moeurs des mantes, insecte orthoptère assez répandu dans le midi de la France ; on sait comment la femelle, la pariade accomplie, dévore tranquillement son mari. Fabre, le grand observateur de la nature, a raconté ces noces tragiques, et j’ai cherche, après lui, à en interpréter l’horreur dans un sens logique. Maintenant, je croirais volontiers que je me suis trompé. La mante femelle ne mange pas nécessairement son époux ; ce festin n’est pas spécialement nuptial. Elle le mange, c’est un fait, mais elle le mange parce qu’elle a faim et parce que le mâle, épuisé, lui offre une proie facile. Les mantes sont les tigres du monde des insectes : elles sont merveilleusement organisées pour le carnage et, sans respect pour leurs soeurs, elles se dévorent très bien les unes les autres, au hasard des chasses et des rencontres. L’amour n’adoucit pas leurs moeurs. L’absorption du mâle par la femelle n’est pas un rite, mais une habitude. La femelle est la plus forte et, parmi les mantes c’est le plus fort qui a toujours raison. On a cru également pendant longtemps que la femelle araignée dévorait le mâle après la pariade. Le fait est maintenant très controversé. Des observations nouvelles ont montré que, s’il se produit parfois, il n’est pas général. Le sacrifice n’est pas rituel ; il l’est moins encore que chez les mantes. Si la femelle mange son époux, c’est que l’époux est tout petit et que les araignées n’ont pas coutume de montrer beaucoup de sensibilité : ayant accompli sa fonction, ce pauvre mâle n’est plus pour sa compagne affamée qu’une nourriture vivante, comme les mouches. » (Remy de Gourmont, Le Sadisme).