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Rémy de Gourmont

Le Sadisme

Promenades philosophiques (1907)

Date de mise en ligne : lundi 25 février 2008

Mots-clés :

Rémy de Gourmont, « Le Sadisme », Promenades philosophiques, vol. II, Éd. du Mercure de France, Paris, 1925-1931, pp. 269-275.

LE SADISME

Il y a des crimes devant lesquels on a beaucoup de peine à garder son sang-froid. Un monstre surgit qu’il nous répugne aussitôt de considérer comme l’un de nous. Faisant grande injure aux animaux, qui ne dévient jamais de leur loi naturelle, nous le rejetons parmi les dangereuses bêtes qu’il faut tuer sans délai. Ces monstres, cependant, du genre de Soleilland, sont des monstres tels que l’humanité peut seule en fournir. Ils sont des hasards malheureux et terribles comme l’extrême intelligence ou l’extrême bonté sont des hasards heureux et bienfaisants. Une humanité entièrement normale, d’ailleurs, ne connaîtrait pas les crimes ; elle ne connaîtrait pas davantage le génie. Mais elle ne serait pas l’humanité. L’humanité est une animalité anormale, une animalité excessive.

Pour comprendre quelque chose à ces actes, il faut faire abstraction de nos vieilles idées de liberté, de volonté, de bien et de mal. Continuons, si l’on veut, pour ne pas dérouter les esprits simples, à les appeler des crimes ; mais sachons bien que ce ne sont pas, au sens social, des crimes. C’est quelque chose de pire ; c’est aussi quelque chose de plus triste. Nous sommes dans l’inconscience, mais non dans celle de l’instinct qui suit toujours une voie droite et dont les buts, chez tous les êtres, sont parfaitement clairs et à peu près identiques. Il y a une inconscience anormale. Soleilland nous donne un bel exemple de l’inconscience anormale. M. Leydet, le juge d’instruction, qui n’a pas l’air très familier avec la psychologie morbide, l’a interrogé comme s’il eût eu devant lui un criminel ordinaire, ayant agi en pleine conscience, et il s’est étonné de dénégations qu’il a prises pour des mensonges. Or, il est visible, d’après ce que nous savons de la scène du crime, qu’à partir d’un certain moment Soleilland est tombé dans l’inconscience absolue. De cette phase, il ne se rappelle rien, et c’est tout naturel. Les confidences que sa femme a faites M Berthe Delaunay aident à comprendre cela. En de tels moments, « il devenait comme fou, ses yeux se révulsaient, il haletait et j’avais toujours bien soin d’avoir l’oeil sur ses mains, parce qu’alors il était comme une bête et il voulait toujours me serrer le cou… ». Voilà expliquée la première partie du viol et son dénouement fatal, le fou sadique ayant entre les mains le cou délicat d’une petite fille sans défense. Quant à la seconde partie de la monstrueuse scène, elle a eu lieu après le ligotage, et voilà pourquoi Soleilland ne se souvient pas d’avoir noué la corde autour de sa victime. Il était encore dans sa phase d’inconscience, c’est l’évidence même. Le coup de poignard semble avoir accompagné un autre assaut, ce qui est tout à fait conforme aux descriptions sadiques du marquis de Sade lui-même. N’essayons pas de comprendre et ne réfléchissons pas trop sur de pareils faits ; il s’en dégage une horreur triste, une horreur à rendre malades les sensibilités les plus solides.

La mimique de l’amour a des rapports très frappants avec celle de la cruauté. L’homme qui désire violemment a presque la même expression de visage que l’homme qui lève le bras pour un meurtre. Ce ne sont que des ressemblances superficielles ; elles ne permettent pas, à mon avis, de dire que l’amour physique soit nécessairement lié à des idées de cruauté. Les émotions de l’homme sont plus variées que les expressions de son visage, voilà tout. Le chagrin moral et les douleurs d’entrailles déterminent sur notre visage le même facies, et il y a pourtant là entre les deux causes quelque différence ! Il n’est pas, cependant, absolument rare que les caresses humaines, comme les caresses animales, s’entremêlent de quelques brutalités inconscientes. Les chattes reviennent souvent tout ensanglantées de leurs expéditions nocturnes ; les chats ne sont pas toujours en meilleur état. Des couples humains fort pacifiques se réveillent avec des égratignures, car nous aussi nous avons des ongles. De là au sadisme conscient ou inconscient, il y a loin, si le sadisme se définit : tirer de la souffrance d’autrui un accroissement de volupté. Les aberrations de cette sorte sont toujours personnelles, et il est vain d’aller en chercher l’explication en de lointaines et mystérieuses hérédités. Les monstres surgissent spontanément, de même que les génies. Ce sont là de parfaits exemples pour illustrer les théories nouvelles le la mutation, qui commencent à corriger les excès de l’idée évolutionniste.

Mais on trouve tout dans la nature. On y trouve des cas certains où la reproduction s’accompagne de faits qui, mal interprétés, sembleraient le dernier mot de la cruauté. J’en ai parlé avec quelque détail dans la Physique de l’Amour, livre auquel je renvoie pour ce que je ne puis dire ici qu’en peu de mots. On connaît les moeurs des mantes, insecte orthoptère assez répandu dans le midi de la France ; on sait comment la femelle, la pariade accomplie, dévore tranquillement son mari. Fabre, le grand observateur de la nature, a raconté ces noces tragiques, et j’ai cherche, après lui, à en interpréter l’horreur dans un sens logique. Maintenant, je croirais volontiers que je me suis trompé. La mante femelle ne mange pas nécessairement son époux ; ce festin n’est pas spécialement nuptial. Elle le mange, c’est un fait, mais elle le mange parce qu’elle a faim et parce que le mâle, épuisé, lui offre une proie facile. Les mantes sont les tigres du monde des insectes : elles sont merveilleusement organisées pour le carnage et, sans respect pour leurs soeurs, elles se dévorent très bien les unes les autres, au hasard des chasses et des rencontres. L’amour n’adoucit pas leurs moeurs. L’absorption du mâle par la femelle n’est pas un rite, mais une habitude. La femelle est la plus forte et, parmi les mantes c’est le plus fort qui a toujours raison [1]. On a cru également pendant longtemps que la femelle araignée dévorait le mâle après la pariade. Le fait est maintenant très controversé. Des observations nouvelles ont montré que, s’il se produit parfois, il n’est pas général. Le sacrifice n’est pas rituel ; il l’est moins encore que chez les mantes. Si la femelle mange son époux, c’est que l’époux est tout petit et que les araignées n’ont pas coutume de montrer beaucoup de sensibilité : ayant accompli sa fonction, ce pauvre mâle n’est plus pour sa compagne affamée qu’une nourriture vivante, comme les mouches. Il y a beaucoup de cruauté dans la nature, surtout parmi les insectes, mais je ne vois plus aucun exemple bien net où cette cruauté soit liée aux actes de la reproduction. La plupart des insectes meurent après leurs brèves amours, mais de leur belle mort. Le mâle tombe le premier ; la femelle survit le temps de faire sa ponte et l’espèce disparaît jusqu’au printemps suivant.

Ce qui nous choque dans les moeurs des animaux est toujours logique, toujours utile. C’est pourquoi il ne faut pas se servir, pour qualifier leurs actes, des termes dont nous usons et même dont nous abusons quand il s’agit des actes humains. Les animaux ne sont cruels que par apparence ; ils ne sont même pas méchants, toujours bornés soit à se défendre, soit, à conquérir leur nourriture et, quand le moment est venu, la femelle avec laquelle ils perpétueront leur espèce. Il n’y a jamais en eux les intentions perverses qu’on leur suppose. Nous les calomnions en leur prêtant des vices qui n’ont pu se développer en nous que grâce à l’intelligence’ et au mauvais usage que nous en faisons. J’avoue cependant que le sentiment public n’a pas tort quand il rejette de l’humanité des êtres comme celui qui a éveillé l’indignation du peuple de Paris. On peut certainement les classer à part, parmi les monstres dont les hommes, quoiqu’ils portent leur face, ne sont pas responsables.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Rémy de Gourmont, « Le Sadisme », Promenades philosophiques, vol. II, Éd. du Mercure de France, Paris, 1925-1931, pp. 269-275.

Notes

[1Elle est la plus grosse et la plus forte. Si le mâle était dans ces conditions peut-être mangerait-il sa femelle. L’élevage des écrevisses est très difficile précisément parce que les mâles ont l’habitude de manger leurs femelle qui, dans les viviers, ne trouvent pies où se dissimuler.

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