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Andrew Lang

Le Boycottage primitif

Études traditionnistes (Chapitre I)

Date de mise en ligne : samedi 21 octobre 2006

Mots-clés :

Andrew Lang, « Le Boycottage primitif », Études traditionnistes, Vol. VI, traduit par Henry Carnoy, Édition J. Maisonneuve, Paris, 1890, p. 21-32.

LE BOYCOTTAGE PRIMITIF

On ne pourrait définir l’homme comme un animal boycottant, les créatures inférieures pratiquant aussi l’art du Boycottage. Le troupeau, si l’on en croit le proverbe, boycotte le cerf chargé d’années ; les moutons, les oiseaux, les poissons eux-mêmes — pensons-nous — ont le sens et l’esprit d’éviter et de fuir les membres malades ou malheureux de leur société, et se conduisent presque comme des chrétiens. En Europe, le boycottage fleurit tout particulièrement chez les Irlandais. Mais cette institution est une des principales règles de l’homme primitif, dont on peut dire que toute la vie se passe à boycotter et à être boycotté.

L’importance du boycottage dans la loi mosaïque, est bien connue. Les lois relatives aux choses impures étaient si sévères, que la majeure partie de la communauté devait se trouver journellement marching to Coventry — en quarantaine. Chez les sauvages contemporains, une excessive répugnance pour les réunions familiales semble la principale cause de l’exclusion à la mode. Certes, il y a bien des arguments contre les réunions familiales ; les gens qui se rencontrent souvent n’ont rien de nouveau à se dire, et sont forcés d’écouter de vieilles histoires ennuyeuses, ou de raviver des discussions et des querelles passées. Se connaissant très intimement, on croit pouvoir se dispenser de la courtoisie nécessaire dans les relations. Les résultats sont connus et déplorés ; dans les pays civilisés les parents s’évitent autant qu’ils le peuvent.

Les sauvages portent le principe plus loin : la plupart des membres du cercle domestique se boycottent habituellement sous la sanction de sévères lois pénales. Parler à sa belle-mère ou à sa soeur — à n’importe quel moment, — à son beau-père ou à d’autres parents — à certains temps fixés — est presque une offense capitale. Personne ne sait exactement quelle peut être la punition spirituelle ; cela dépend de la propension à punir de la déité locale pour chaque moment donné. Les dieux des païens sont des êtres très capricieux. Bien que ceci puisse paraître une digression, nous ne pouvons oublier de mentionner la singulière conception boschimane de la moralité divine. Les Boschimans nomment leur dieu Cagn, ce que quelques personnes pédantes prononcent Ctkaggn. D’après Qing, un chasseur théologien interrogé par M. Orpen, Cagn était primitivement très très bon et gentil, mais HE GOT SPOILED BY FIGHTING SO MANY THINGS. Une divinité telle que Cagn, ou le Brewin australien, peut être bonne et gentille, ou peut être de mauvais caractère, après ses efforts pour fighting so many things, et un sauvage qui dit bonjour à sa soeur, sa femme, sa belle-mère, sera puni surnaturellement ou ne sera pas inquiété, suivant les dispositions momentanées du dieu. Mais enfreindre le boycottage domestique est une affaire bien plus dangereuse, si l’on a affaire au bras séculier des sauvages.

Afin d’expliquer le nombre et la dureté des règles du boycottage primitif, et, en même temps de la vie domestique en général chez les hommes incultes, qu’on nous laisse jeter un coup d’oeil sur un campement australien vers l’heure du dîner. Chaque individu mâle a été à la chasse et a rapporté son gibier. Les membres de la famille sont tous à leurs places propres. Le mari est assis à gauche du feu, la femme derrière lui ; les petits garçons avec elle, les petites filles avec leur père. Le grand-père est à droite — inconvénient pour la femme qui ne peut ni parler ni questionner son parent vénérable. La grand-mère est derrière le père, bien loin du feu ; mais, comme un homme peut dans la plupart des cas parler à sa propre mère, cet arrangement est comparativement agréable.

L’homme devrait toujours prendre sa belle-mère en Afrique ou en Australie ! Quand une femme cafre rencontre son beau-fils, elle se tapit derrière un buisson, tandis qu’il s’enfuit en se couvrant la figure de son bouclier. M. Loriner Fison vit une fois un homme de la tribu australienne des Wangarattas accablé d’ennui et de dégoût parce que l’ombre de sa belle-mère était passée entre ses jambes. Il se reposait au pied d’un énorme arbre à gomme qui le dissimulait à la vue de la vieille femme lorsque celle-ci s’approchait, et la catastrophe était ainsi survenue !

Chez des sauvages moins scrupuleux, les belles-mères ne sont pas absolument boycottées, mais on ne doit pas les tutoyer ; on ne leur parle respectueusement qu’au duel ou au pluriel. Et même, la présence de parents par mariage (chez certaines tribus américaines un homme doit strictement boycotter son propre beau-père) apporte toujours une sensible contrainte dans le cercle de famille. C’est un grand inconvénient, car un homme, un chasseur, par là-même, doit donner une bonne partie de son gibier à ces mêmes parents, le père et la mère de sa femme.

Le boycottage, ainsi conçu, s’éloigne considérablement du boycottage irlandais, dont le but est de priver de nourriture les propriétaires, les agents et les tenanciers payants.

Si un nègre australien marié et un autre nègre célibataire tuent ensemble un kangurou, la proie entière appartient au beau-père et à la belle-mère, à l’exception de la jambe gauche, qui revient au nègre marié, et de la jambe droite qui appartient au bachelier.

Si un homme marié a la chance de percer à coups de lance un ours du pays, ses beaux-parents prennent le côté gauche et deux pattes, lui-même obtient une partie de la tète et en donne une portion à sa femme, qui, à son tour, donne les oreilles à sa soeur. Pour toutes ces choses, c’est à la femme de faire le partage ; le chasseur s’occupe de son propre père et de sa mère. Quand un wombat (espèce d’opossum) est tué, le beau-père ne prend que l’épine dorsale, et la belle-mère qu’une partie de la peau. Il est à présumer une certaine mauvaise humeur quand un chasseur ne rapporte que des wombats, et jamais d’ours du pays ni de kangurous. Heureusement, obligée par les lois salutaires qui règlent les relations, la belle-mère ne peut faire de reproches au gagne-pain, ou plutôt au gagne-wombat, de la famille.

Telles sont les règles de préséance et les lois du ménage chez les enfants incultes des broussailles australiennes.

Le primitif boycotteur, en aucune façon, ne se confine à éviter les parents de sa femme ; il est souvent assez exclusif pour ne pas causer avec sa femme. Une coutume de cette nature semble avoir prévalu jusqu’au temps d’Hérodote à Milet. Quelques-uns des anciens colons ioniens, dit Hérodote (I, 146), n’amenèrent pas de femmes avec eux, mais prirent pour épouses des Cariennes dont ils avaient tué les père. À cause de ce massacre, les femmes firent cette loi, qu’elles enseignèrent à leurs filles, de ne jamais s’asseoir pour manger avec leurs maris, et de ne jamais appeler ceux-ci par leur nom. II est probable que cette histoire fut imaginée pour expliquer la coutume qu’avaient les hommes et les femmes de se boycotter mutuel. le ment.

Dans plusieurs des îles de l’Amirauté — îles Salomon — où les naturels continuent de tuer et de manger les équipages des chaloupes britanniques, les femmes et leurs maris sont en de tels termes, qu’on peut dire qu’ils ne se voient jamais réunis et ne se rencontrent qu’avec le plus grand secret et le plus grand mystère, dans un endroit commun où la règle ordinaire du boycottage n’a pas d’effet.

Les Spartiates, dans la première année du mariage, montraient la même réserve extra-ordinaire. L’insulaire des Aléoutiennes, dit M. Farrer citant Dali, ne connaît rien de ce que les nations civilisées appellent modestie, et cependant la timide créature rougit positivement quand elle est obligée de parler à sa femme, ou de lui demander quelque chose, en présence des étrangers. La coutume les oblige à assumer l’un devant l’autre l’attitude de parfaits inconnus. Il est grandement à désirer que cette règle, tout au moins modifiée, s’introduise en Allemagne où les fiancés se conduisent en compagnie comme s’ils étaient seuls dans un endroit désert, ou comme s’ils possédaient le secret de la graine de fougère (d’être invisibles).

Les Hottentots passaient pour avoir mauvais caractère dans leurs affections domestiques, parce qu’on ne les voyait jamais parler à leurs propres femmes. Mais les Hottentots ne sont pas réellement froids et indifférents ; ils sont tout simplement retenus, par les lois communes, à boycotter leurs femmes. La dame ne peut jamais entrer dans la chambre de son mari dans la hutte, et le mari, comme chez les Spartiates, ne doit jamais être vu dans le voisinage de sa femme. Chez les Yorubas, tribu africaine, ce boycottage domestique est porté à la plus grande rigueur. Il est défendu à une femme de parler à son mari ; elle ne peut même le voir s’il est possible d’éviter cette occurrence.

Il est bien probable qu’une coutume similaire exista chez les premiers peuples parlant sanscrit, car la femme, dans la fameuse histoire d’Urvasi et Pururavas, dit à son seigneur : Ne me laisse jamais te voir sans tes vêtements royaux, CAR TELLE EST LA COUTUME DES FEMMES. Et lorsque, par accident, cette règle est violée, Urvaci doit doucement et soudainement s’évanouir, comme les victimes qui avaient jeté un regard sur le mystérieux Boojum.

Les Circassiens sont également discrets. Un mari circassien ne doit pas voir sa femme ni vivre avec elle sans le plus grand mystère. Les naturels non convertis des îles Fidji témoignent de la plus grande détresse d’esprit quand les missionnaires aventureux tentent de leur suggérer qu’il n’y a aucun mal réel à ce qu’un homme vive sous le même toit que sa femme. Les Hos portent ce sentiment aussi loin ; leurs idées de décorum sont si opposées aux nôtres qu’il est correct pour une femme de se sauver de devant son mari. Dans ce cas, la dame boycotte son seigneur, et c’est le devoir de celui-ci d’essayer de la faire revenir à la tente familiale.

Eh bien, le boycottage domestique va encore plus loin chez les Fidjiens et les autres insulaires du Pacifique. Le jeune Kanaque avec un cri sauvage, s’ensuit dans les broussailles, si vous venez à mentionner même le nom de son aimable soeur. Dans les îles Fidji, non-seulement les frères et les soeurs, mais encore les cousins-germains de sexes différents, se boycottent les uns les autres et ne peuvent jamais manger ni parler ensemble.

Si, comme il y a d’excellentes raisons de le penser, les races civilisées ont jadis obéi à ces règles absurdes, il est difficile de voir comment la société a pu se constituer de la façon aimable que nous lui connaissons. Les premiers hommes qui invitèrent leurs belles-mères à dîner, leurs soeurs à jouer, leurs cousines à valser, durent être considérés comme des hérétiques abominables et des révolutionnaires criminels.

C’est un fait positif que, dans la vie barbare, la majeure partie des hommes et toutes les femmes, passent leur vie dans l’exclusion. Ils sont boycottés. Si dans le sud de l’Afrique, ils voient d’autres membres de la tribu, ces infortunés sont changés en pierres, absolument comme les Australiens, pétrifiés s’ils entendent le dingo, ou chien sauvage, leur parler. Il n’y a d’espoir que dans une fuite rapide. Un Australien, mentionné dans Kamilaroi and Kurnai de M. Howitt, s’empressa de fuir après avoir entendu son chien sauvage prononcer ce seul mot : bones (os). Mais il y a des exemples de Boschimans moins fortunés qui furent pétrifiés uniquement pour avoir rencontré une fille boycottée initiée aux sauvages mystères de la Bona Dea.

Dans la Nouvelle-Zélande, le boycottage, ou tabou, s’applique à la terre, l’air, le feu, l’eau, les biens, les meubles, les moissons sur pied, les hommes, les femmes et les enfants. Le Pakeha maori fut boycotté pour avoir brisé un tabou ; il ne fut délivré qu’après avoir été dépouillé de tous ses vêtements, lorsque tous les ustensiles de sa maison eurent été brisés par un homme à la médecine, son ami. La maisonnée s’établit alors plus loin. Bien des Irlandais seraient enchantés de s’en tirer à si bon marché !

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Andrew Lang, « Le Boycottage primitif », Études traditionnistes, Vol. VI, traduit par Henry Carnoy, Édition J. Maisonneuve, Paris, 1890, p. 21-32.

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