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Alexandre Cullerre

Perversions du sens génital

Les frontières de la folie (Ch. VIII, §. II)

Date de mise en ligne : mercredi 19 décembre 2007

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VIII, §. II : « Perversions du sens génital », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 264-272.

CHAPITRE VIII
SEXUELS

—  — —
II
PERVERSIONS DU SENS GENITAL

Nous renvoyons aux traités de médecine légale pour la description des dépravations sexuelles, qui se rencontrent plus encore chez les vicieux vulgaires que chez les déséquilibrés. Nous nous bornerons à étudier ici les perversions qui relèvent manifestement de la pathologie.

Les plus intéressants, à notre point de vue, sont les sexuels obsédés et impulsifs, dont l’étude mériterait, à juste titre, de prendre place dans les chapitres consacrés aux déséquilibrés avec conscience, et que seule, la nature de leurs impulsions nous a engagés à placer ici.

Une fille de 29 ans [1], observée par M. Magnan, éprouvait un penchant anormal pour un garçon de deux ans.

Cette malade dont la mère est hystéro-épileptique et dont le père mélancolique est mort à la suite d’accidents cérébraux aigus, a présenté successivement plusieurs des syndromes psychopathiques des héréditaires : elle a eu des impulsions au vol, la crainte des épingles, le doute anxieux sur l’accomplissement de certains actes ou l’existence de certaines choses, puis enfin l’anomalie sexuelle suivante.

Depuis huit ans, elle éprouve un besoin irrésistible de cohabition avec un de ses jeunes neveux. Cet enfant, âgé de treize ans a été l’objet de ses premiers désirs ; sa vue la mettait dans un état d’excitation extrême, elle éprouvait des sensations voluptueuses qu’elle était impuissante à réprimer, qui s’accompagnaient de soupirs, d’inclinations de tête, de déviation des yeux, de rougeur de la face, quelquefois de spasmes et de sécrétions vaginales ; elle se sentait poussée à le saisir et à l’approcher d’elle. Plus tard, quand il a grandi et à la naissance du second frère, c’est ce dernier qui est devenu l’objet de ses convoitises maladives, puis enfin le troisième, le quatrième et actuellement c’est le dernier venu, âgé de trois ans, dont son esprit est préoccupé. Elle se sent poussée à l’attirer prés d’elle.

Cette malade est très lucide, elle est désolée et honteuse de ces singuliers désirs ; elle est tranquille, elle travaille et s’occupe toute la journée : elle sort de temps à autre, et va dans sa famille pour essayer en quelque sorte ses forces ; mais encore la vue de son neveu l’impressionne vivement ; à table, elle se place loin de lui ; mais pendant toute la durée du repas, elle éprouve des spasmes, du malaise à l’estomac, une constriction la gorge, et la lutte devient des plus pénibles. Elle n’a jamais cédé à cette perversion instinctive ; ses désirs, sans qu’elle puisse se l’expliquer, n’ont jamais eu pour objet que ses neveux, et elle peut, avec indifférence, voir d’autres petits garçons ; toutefois, elle évite leur contact.

À côté de ces faits dont les héros, pleinement conscients de l’étrangeté de leur penchant, le combattent de toutes leurs forces, il convient de placer ces passions extraordinaires, parfois incestueuses, où se laissent entraîner sans lutte certaines personnes déséquilibrées frappées d’imbécillité morale.

C’est une jeune fille de quinze ans et demi [2], d’une constitution très robuste, déjà polysarcique, exaltée, extravagante, absurde, dépravée, mais sans délire, qui au sortir de pension à la campagne, tient à son frère, très faible d’esprit, âgé de dix-sept ans, des propos obscènes, et qui, pendant deux ans, commet avec lui les plus grands excès sexuels, jusqu’à ce que la mort enlève le jeune homme, et que, huit jours après, une tentative de parricide conduise enfin la jeune fille dans une maison d’aliénés.

Ailleurs encore, c’est une femme de trente-trois ans, mariée depuis dix ans, sans enfants, un peu obscène, jalouse, romanesque, se disant dégoûtée de la vie, peu intelligente, affublée de toilettes excentriques, emportée, impulsive, incapable de s’occuper sagement à quoi que ce soit, tendant des pièges à son mari, et le souffletant, non-hystérique, n’ayant aucune retenue dans ses paroles et dans ses actes, ouvrant sa fenêtre et se montrant volontiers, la poitrine nue ; ne délirant jamais à proprement parler, proclamant sans cesse sa complète intégrité d’esprit ; qui, après la perte pour la France de l’Alsace et de la Lorraine, reçoit tout à coup chez elle son jeune frère, âgé de dix-huit ans, le comble aussitôt de tendresses choquantes, le séduit et devient pour lui la plus tyrannique des maîtresses ; jusqu’à ce que, abreuvé de dégoût et exténué de fatigue, le jeune homme prenne la fuite et s’engage dans un régiment d’artillerie, et que, la malade, tirant vanité de ses écarts incestueux, ait fait mainte fois à son mari la description enflammée de ce qu’elle appelait « ses nuits d’amour », et qu’une séparation de corps, basée sur des griefs supposés, soit enfin intervenue.

Plus loin c’est une dame titrée, âgée de trente-neuf ans, fort jolie encore, d’une intarissable loquacité et d’un cynisme pathologique, qui déclare qu’elle a un fils unique âgé de dix-neuf ans, d’une beauté extraordinaire : et que, pour le préserver des tentations faciles, des agaceries du vice, des maladies contagieuses et de l’usage des mercuriaux, elle n’a pas trouvé d’autre moyen, depuis plusieurs années, que de l’initier elle-même progressivement et avec les ménagements voulus à tous les plaisirs sexuels ; qu’elle rationnait les élans voluptueux de l’adolescent ; qu’elle est descendue ensuite pour lui à toutes les complaisances lubriques et à tous les raffinements du libertinage le plus licencieux ; qu’elle adore « ce véritable Apollon », qu’elle est enceinte de ses oeuvres et qu’elle a cherché à se faire avorter, parce qu’elle est veuve, parce que son ventre grossit et qu’elle craint de n’avoir plus autant de charmes aux yeux de celui qui partage son lit, et qui, en cas d’infidélité, la conduirait infailliblement au suicide ! En dehors de ces épouvantables révélations, cette malheureuse femme est intelligente, gracieuse, distinguée, très versée dans les choses de la politique, de la bourse et du sport : elle a d’elle-même et de « son dévouement pour son fils » une haute opinion, déclare qu’elle sait ce qu’elle dit et ce qu’elle fait, qu’elle n’a jamais perdu la raison un seul instant, discute pied à pied avec le médecin qui lui reproche son crime avec l’énergie de l’indignation et qui finit par la plaindre avec la clémence émue qu’inspire la constatation de la folie ; puis elle repousse avec hauteur tout blâme et tout pardon, défie la médecine et la justice et déclare qu’elle se sent intérieurement absoute par Dieu, qui seul est infaillible.

Parmi les perversions sexuelles les plus remarquables, on doit placer l’inversion du sens génital, signalée pour la première fois par Westphal, et étudiée depuis par un certain nombre d’auteurs, entre autres MM. Charcot et Magnan. Cette aberration consiste en ce qu’au mépris des lois naturelles, un sexe se sent irrésistiblement attiré vers le sexe du même nom. On l’a signalée chez quelques femmes : Westphal et Gock ont observé deux jeunes filles qui, dès leur jeune âge, aimaient à s’habiller en garçon, à jouer aux jeux de garçons, rougissaient auprès des autres jeunes filles, éprouvaient le désir de leur faire la cour et de leur prodiguer des caresses. D’assez nombreuses observations de ce désordre mental ont pour sujets des hommes. Comme tous les phénomènes morbides de ce genre, il se présente rarement à l’état isolé, et n’est que l’anneau d’une chaîne constituée par une série de troubles intellectuels et moraux qui se déroule pendant toute l’existence.

Legrand du Saulle a observé un jeune homme de vingt ans, déjà licencié ès lettres, à l’esprit très orné, au caractère froid et morne, aux tendances contemplatives, misanthropiques et haineuses, qui recherchait volontiers la solitude, fuyait le monde et témoignait une répulsion frappante pour la femme en général et pour tout ce qui pouvait trahir une origine, une intervention ou une forme féminine. Il se sentait au contraire, invinciblement attiré vers l’homme, les images, les tableaux et les statues représentant des nudités masculines ; il possédait des planches d’anatomie consacrées aux organes génitaux de l’homme et aux annexes de la virilité et il cherchait à apercevoir dans la rue une partie du pénis de tout individu qui s’arrêtait pour uriner ! II fut appréhendé un jour à la place de la Bourse dans un urinoir public abrité, alors qu’un vieillard et lui, à une certaine distance l’un de l’autre, se montraient complaisamment toutes leurs parties sexuelles. Ce jeune homme, fils d’une mère hystérique, était affecté de phimosis et de microrchidie légère [3].

Nous devons à Charcot et Magnan [4] la très curieuse observation d’un professeur de faculté, présentant de l’hérédité névropathique, qui dès l’âge de six ans était obsédé par l’ardent désir de voir des garçons ou des hommes nus. Ce désir n’avait pas grand-peine à se satisfaire car ses parents demeuraient près d’une caserne et les soldats ne se gênaient pas pour laisser voir leurs parties viriles. Il se livrait à la masturbation et n’avait pour provoquer l’érection qu’à évoquer l’image d’hommes nus. L’âge, en changeant ses habitudes, ne modifia pas les dispositions de son imagination ; les hommes beaux et forts provoquent toujours chez lui une vive émotion ; une belle statue d’homme lui produit le même effet ; l’Apollon du Belvédère lui fait beaucoup d’impression. Quand il rencontre un homme jeune et beau, il est tenté de lui plaire et de lui faire des cadeaux. Souvent, la représentation soudaine d’un homme nu dans son imagination vient l’obséder et mettre obstacle à son travail. La suprême satisfaction de cette sensualité n’a jamais été que la vue de l’homme nu, surtout de la verge de l’homme ; il n’a jamais eu de désirs obscènes ou contre nature. Les femmes, si belles qu’elles soient, n’ont jamais fait naître en lui le moindre désir. Il adore la toilette féminine, y est très expert, et aimerait à s’habiller en femme. Il a des pertes spermatorrhéiques toujours provoquées par la pensée de l’homme nu, soit en rêve soit pendant la veille.

Cet homme âgé de trente ans, brun, grand, bien charpenté, très intelligent, a toujours été névropathe. Dans son enfance, il était scrupuleux, et obsédé notamment par l’impulsion au vol. Il éprouve depuis l’âge de quinze ans des crises nerveuses hystériformes avec perte de connaissance.

Cette étrange aberration du sens génital semble plus commune qu’on pourrait le supposer tout d’abord. Dans un cas, qui nous est personnel, elle coïncidait avec des impulsions sodomistiques dont le malade, d’une moralité irréprochable, se montrait honteux et désespéré. Et, en nous faisant cette confidence, il ajoutait : « Parfois, il me semble qu’on lit sur mon visage cet odieux penchant, et cela me pousse aux idées noires. » Désireux de guérir, ce jeune homme recherchait systématiquement la société des femmes, bien qu’il fût, la plupart du temps, impuissant auprès d’elles.

En dehors de cette anomalie bizarre, on constate chez les psychopathes lucides des obsessions très variées. Les uns sont irrésistiblement portés à attacher leurs regards sur les parties sexuelles des hommes, sur la région fessière des femmes, sur l’anus des enfants ; cet autre est obsédé par la recherche des clous des souliers des femmes et n’est maître de ses aptitudes génésiques qu’en évoquant l’image d’une semelle ferrée de bottine de femme ; celui-ci est obsédé par l’impulsion à voler des tabliers blancs dans lesquels il se livre à la masturbation ; tel autre, enfin, ne peut accomplir l’acte sexuel sans évoquer l’image d’un bonnet blanc.

Tel était ce déséquilibré [5], appartenant à une famille d’excentriques et d’originaux qui à l’âge de cinq ans, ayant couché pendant cinq mois dans le même lit qu’un parent âgé d’une trentaine d’années, éprouva pour la première fois un phénomène singulier : c’était une excitation génitale et l’érection, dès qu’il apercevait son compagnon de lit se coiffer d’un bonnet de nuit. Vers cette même époque, il avait l’occasion de voir se déshabiller une vielle servante, et dès que celle-ci mettait sur sa tête une coiffe de nuit, il se sentait très excité et l’érection se produisait immédiatement. Plus tard l’idée seule d’une tête de vielle femme ridée et laide, mais coiffée d’un bonnet de nuit, provoquait l’orgasme génital. La vue du bonnet de nuit seul n’exerce que peu d’influence, mais le contact d’un bonnet de nuit provoque l’érection et parfois l’éjaculation. Par contre, il se souvient qu’à sept ans il était resté absolument réfractaire aux tentatives de masturbation faites sur lui par un de ses camarades d’école. Il n’a jamais recherché les rapports anormaux ; il affirme que la vue d’un homme ou d’une femme nus le laisse absolument froid. Jusqu’à trente-deux ans, époque de son mariage, il n’aurait pas eu de relations sexuelles ; il épouse une demoiselle de vingt-quatre ans, jolie et pour laquelle il éprouvait une vive affection. La première nuit des noces, il reste impuissant à côté de sa jeune femme ; le lendemain la situation était la même lorsque, désespéré, il évoque l’image de la vieille femme ridée, couverte du bonnet de nuit ; le résultat ne se fait pas attendre, il peut immédiatement remplir ses devoirs conjugaux. Depuis cinq ans qu’il est marié, il en est réduit au même expédient il reste impuissant jusqu’au moment où le souvenir rappelle l’image favorite. Il déplore cette singulière situation qui le force, dit-il, à la profanation de sa femme. Quelquefois, mais à de très rares intervalles, il a des hallucinations la nuit ; celles-ci ont déjà fait leur apparition à l’âge de dix ans et il en a eu encore l’année dernière ; il voit le plus habituellement une bête noire qui veut le saisir au cou. Dès son enfance, il a eu également des accès passagers de profonde tristesse avec des idées de suicide, plus particulièrement de submersion et de pendaison ; il a songé aussi quelque-fois à s’empoisonner, mais il n’a pas le courage, dit-il, de le faire ; il hésite aussi à cause de l’affection qu’il éprouve pour sa femme. Il éprouve également des craintes vives quand il monte sur l’impériale d’un omnibus ; il est pris de vertiges et de nausées, il se voit très élevé, il s’imagine n’avoir rien pour se soutenir et il lui semble qu’il va tomber. II ne peut, sans de grandes appréhensions, regarder par la fenêtre d’un troisième ou d’un quatrième étage. En passant à côté d’une maison élevée, il craint qu’elle ne s’écroule sur lui.

Il semblerait que certains pédérastes offrissent un état mental voisin de l’inversion du sens génital. On trouve, chez beaucoup d’entre eux, des signes certains de trouble mental et des antécédents marqués d’hérédité morbide. Selon Ball [6], ils seraient souvent atteints d’épilepsie et leurs accès d’érotisme suivraient une marche périodique. Ils apportent en naissant une prédisposition cérébrale qui, plus tard, les rend tributaires d’un vice qui n’est chez eux que la manifestation d’une maladie. Ils présentent dès le principe des tendances efféminées, aiment la toilette, portent des bijoux, se chargent les doigts de bagues et affectent un langage singulier.

La bestialité me paraît, dans certains cas, avoir une origine impulsive. Elle n’est pas rare chez les aliénés et je possède en ce moment dans mon service trois malades qui s’y sont autrefois livrés. Le délire de l’un d’eux, dont le père est mort fou, roule en grande partie sur des obsessions de ce genre.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VIII, §. II : « Perversions du sens génital », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 264-272.

Notes

[1Annales médico-psychologiques, 1885.

[2Legrand du Saulle, Annales médico-psych., loc. cit.

[3Legrand du Saulle, Société médico-psych., 27 mars 1876.

[4Archives de neurologie, 1882.

[5Charcot et Magnan, Archives de neurologie, 1882.

[6Ball, La folie érotique. Paris, 1888, page 146.

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