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Salomon Reinach

L’histoire du folklore

L’Anthropologie (1902)

Date de mise en ligne : mercredi 1er août 2007

Salomon Reinach, « L’histoire du folklore », Cultes, mythes et religions, Tome I, Éd. Ernest Leroux, Paris, 1905, pp. 122-124.

L’histoire du folklore [1]

L’histoire du folklore, cette branche importante de l’anthropologie, n’ayant jamais été écrite dans son ensemble, l’esquisse que nous en fournit M. Lazare Sainéan doit être accueillie avec reconnaissance. L’auteur commence par rappeler comment, dans le premier tiers du XIXe siècle, le mysticisme symbolique de Creuzer fut battu en brèche par l’hellénisme d’Otfried Müller, dont les Prolégomènes à une mythologie scientifique contenaient en germe tous les progrès futurs de la science. Puis commença la période de la folie védique, l’explication des mythes par les orages, le soleil et les calembours. On appela cela la mythologie comparée, lucus a non lucendo ; en réalité, les savants de cette école ne comparaient que trois ou quatre mythologies et laissaient en dehors de leurs spéculations l’immense domaine des traditions populaires et des religions des peuples non civilisés. En 1859, le célèbre indianiste Benfey prétendit que tous les contes européens et asiatiques dérivaient d’un centre unique, qui était l’Inde ; cette théorie eut un grand succès et trouve encore en France un défenseur très bien informé dans M. Cosquin, même après avoir été battue en brèche par M. Bédier dans son célèbre ouvrage sur les Fableaux (1893), manifeste des adversaires du mirage oriental dans le domaine du folklore. D’autre part, entre 1870 et 1880, se placent les premières publications de l’école anthropologiste, dont les principaux représentants ont été et sont des Anglais, MM. Tylor, Lang, Fraser, Hartland ; en France, elle eut un propagateur zélé et original en M. Gaidoz. L’école anthropologique voit dans les mythes et les contes des produits spontanés de l’esprit humain [2] ; elle admet parfaitement les emprunts de peuple à peuple, mais, lorsqu’il n’y a pas probabilité en faveur d’un emprunt, elle se résigne aisément à reconnaître des créations parallèles et indépendantes.

Le plus doué de ces auteurs anglais et le plus universellement lu est M. Andrew Lang, dont les oeuvres ont été partiellement traduites en français par MM. Michel et Marillier. Parmi ses doctrines, il en est une que M. Sainéan a discutée avec détail et qu’il parait avoir critiquée non sans succès.

Les mythes, tant chez les sauvages que chez les Grecs, offrent des éléments souvent déraisonnables, monstrueux et obscènes. C’est, dit M. Lang, qu’ils se sont formés à une époque où l’on croyait sans hésiter à des absurdités, comme la transformation d’hommes en pierres ou en arbres, et où l’on pratiquait sans remords des actes qui nous semblent odieux, comme le parricide, l’infanticide, etc. Soit, par exemple, un conte relatif à des hommes qui tuent les vieillards comme inutiles et encombrants. Cette coutume n’a pas été inventée par l’auteur du conte ; nous savons qu’elle a existé dans l’antiquité la plus reculée et qu’elle subsiste chez de nombreux peuples barbares. Donc, il y a grand’chance qu’un conte, reflétant un état de choses qui nous parait choquant, soit un document ethnographique relatif à une haute antiquité.

Voici maintenant le point sur lequel porte la discussion de M. Sainéan. L’école anthropologique, en projetant dans un passé lointain toute la substance des contes, perd trop souvent de vue les facultés créatrices de l’imagination populaire et les conceptions morales dont elle s’inspire. Le peuple est un moraliste naïf, mais il aime à moraliser. Il est du côté des petits, des faibles, des opprimés ; il a « une tendance à donner une compensation idéale aux inégalités de la nature » en attribuant une intelligence aiguisée ou même surhumaine à un être laid, disgracié, chétif, qui finit par vaincre les monstres et les géants.

Cela posé, prenons, par exemple, le conte de Cendrillon, soeur cadette et disgraciée qui finit par l’emporter sur ses aînées et à se venger de leurs cruels dédains. Cela s’explique fort bien par la tendance populaire dont il vient d’être question à exalter les humbles et à rétablir l’équilibre à leur profit ; il est donc inutile d’alléguer, comme on l’a fait, que Cendrillon s’assied dans les cendres du foyer parce que, à une certaine époque et dans certaine législation, le plus jeune enfant, dans le partage des biens, avait le foyer pour héritage.

M. Sainéan aurait pu ajouter un exemple plus frappant. Héphaestos-Vulcain, le dieu-forgeron, est un infirme, qui compense sa disgrâce par une merveilleuse habileté. Dans les contes populaires, les forgerons sont souvent des nains en possession de secrets industriels qui assurent leur puissance. On a supposé ingénieusement que ces contes remontaient à une époque où les hommes valides s’adonnaient à la chasse et à la guerre, tandis que tes infirmes seuls devenaient des artisans. Mais cette hypothèse parait superflue dès qu’on accepte, avec M. Sainéan, la tendance de l’imagination populaire à établir des compensations, à attribuer aux nains l’adresse, l’intelligence, aux géants (ogres ou cyclopes) la lourdeur et la bêtise.

Quant à ce fait étrange que certains mythes se retrouvent chez des peuples très éloignés les uns des autres, par exemple en Afrique et en Australie, M. Sainéan croit qu’on peut l’expliquer par le petit nombre de combinaisons dont dispose, malgré son apparente fécondité, l’imagination des hommes. Toutes les légendes sont la mise en oeuvre, la combinaison d’une série relativement restreinte d’idées mères, métamorphoses, enchantements, dédoublements, défenses violées, épreuves périlleuses imposées, ingratitude des hommes, reconnaissance des animaux, etc. Il peut y avoir du vrai dans cette manière de voir qui, d’ailleurs, n’est aucunement nouvelle : mais il y a bien des coïncidences, dans l’ensemble comme dans le détail des mythes, qui semblent réclamer une explication différente — encore à trouver.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Salomon Reinach, « L’histoire du folklore », Cultes, mythes et religions, Tome I, Éd. Ernest Leroux, Paris, 1905, pp. 122-124.

Notes

[1Lazare Sainéan, L’état actuel des études de folklore, Paris, Cerf, 1902. [L’Anthropologie, 1902, p. 143].

[2C’était déjà la théorie des frères Grimm.

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