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Théodore Flournoy

Télépathie

Des Indes à la planète Mars (Chapitre X - §III)

Date de mise en ligne : mercredi 27 septembre 2006

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Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE DIX
Apparences supranormales

III. TÉLÉPATHIE

On peut presque dire que, si la télépathie n’existait pas, il faudrait l’inventer. J’entends par là qu’une action directe entre les êtres vivants, indépendamment des organes des sens, est chose tellement conforme à tout ce que nous savons de la nature qu’il est difficile de ne pas la supposer a priori, n’en eût-on aucun indice perceptible. Comment croire, en effet, que des foyers de phénomènes chimiques aussi complexes que les centres nerveux puissent se trouver en activité sans émettre des ondulations diverses, rayons X, Y ou Z, traversant le crâne comme le soleil une vitre et allant agir, à toute distance, sur leurs homologues en d’autres crânes ! C’est une simple affaire d’intensité. Le galop d’un cheval ou le saut d’une puce en Australie fait rebondir le globe terrestre du côté opposé, d’une quantité proportionnelle au poids de ces animaux comparé à celui de notre planète ; c’est peu, sans compter que ce déplacement infinitésimal risque à chaque instant d’être neutralisé par le saut des chevaux et des puces de l’autre hémisphère, de sorte qu’au total les secousses de notre monde terraqué, résultant de tout ce qui s’agite à sa surface, sont trop faibles pour nous empêcher de dormir. Peut-être en est-il de même des innombrables ondes qui viennent de tous les autres êtres vivants ébranler à chaque instant un cerveau donné : leurs effets se compensent, ou leur résultante est pratiquement trop infime pour être perçue. Mais ils n’en existent pas moins en réalité, et j’avoue ne pas comprendre ceux qui reprochent à la télépathie d’être étrange, mystique, occulte, supranormale, etc. Au fond, si on lui trouve ce caractère, c’est qu’on a commencé par le lui prêter bénévolement, en faisant de ce lien impondérable des organismes entre eux une communication purement spirituelle, d’âme à âme, indépendante de la matière et de l’espace. Qu’une telle union métaphysique existe en soi, je le veux bien, mais c’est commettre gratuitement la confusion des genres et tomber dans le sophisme de l’ignorance de la question que de substituer ce problème de haute spéculation — qui abandonne le terrain proprement scientifique et renie le principe du parallélisme psychophysique — au problème empirique de la télépathie, lequel s’accommode fort bien du parallélisme et ne contredit en rien les sciences établies.

Quant à savoir si cette télépathie théorique a des résultats accessibles à une constatation expérimentale, c’est-à-dire si ce réseau de vibrations intercérébrales dans lequel nous sommes plongés exerce une influence notable, pratiquement appréciable, sur le cours de notre vie psychique, et s’il nous arrive d’éprouver dans certains cas des émotions, des impulsions, des hallucinations, que l’état psychophysiologique de tel ou tel de nos semblables induirait directement en nous, à travers l’éther et sans l’intermédiaire ordinaire du canal des sens c’est une question de fait relevant de l’observation et de l’expérience. On sait combien cette question est débattue actuellement, et difficile à résoudre d’une façon décisive, tant à cause de toutes les sources d’erreurs et d’illusions auxquelles on est exposé en ce domaine, que parce qu’il faut probablement toujours un concours de circonstances très exceptionnel (que nous ne savons pas encore réaliser à volonté) pour que l’action particulière d’un agent déterminé vienne à l’emporter sur toutes les influences rivales et à se traduire d’une façon suffisamment marquée et distincte dans la vie psychique du percipient. Tout bien pesé, j’incline fortement du côté de l’affirmative ; la réalité des phénomènes télépathiques me paraît difficile à rejeter devant le faisceau de preuves très diverses, indépendantes les unes des autres, qui militent en sa faveur [1]. Sans doute, aucune de ces preuves n’est absolument probante prise isolément, mais leur frappante convergence vers un même résultat donne à leur ensemble un poids nouveau, considérable, qui fait pencher la balance à mes yeux — en attendant une oscillation inverse si l’on arrive un jour à détruire cette convergence ou à l’expliquer par une commune source d’erreur. Je comprends fort bien, d’ailleurs, que ceux pour qui la télépathie reste un principe mystique et hétérogène à nos conceptions scientifiques lui fassent une opiniâtre résistance ; mais, pour moi qui n’y vois rien d’étrange, je n’hésite pas à l’admettre, non — est-il besoin de le répéter ? — comme un dogme intangible, mais comme une hypothèse provisoire, correspondant mieux que toute autre à l’état actuel de mes connaissances, assurément bien incomplètes, dans ce département des recherches psychologiques.

Bien que prédisposé en faveur de la télépathie, je n’ai pas réussi à en trouver des preuves éclatantes chez Mlle Smith, et les quelques expériences que j’ai entreprises avec elle sur ce sujet n’ont rien eu d’encourageant.

J’ai essayé plusieurs fois d’impressionner Hélène à distance, de lui apparaître par exemple le soir, lorsque je pense qu’elle est rentrée à son domicile, distant du mien d’environ un kilomètre. Je n’ai pas obtenu de résultats satisfaisants, car mon seul cas de réussite frappante, perdu au milieu d’une foule d’insuccès, s’explique aussi bien par une pure coïncidence lorsqu’on tient compte de toutes les circonstances accessoires, et il ne mérite pas les longueurs où m’entraînerait sa narration.

En fait de télépathie spontanée, quelques indices donneraient à penser que Mlle Smith subit parfois mon influence involontaire. Le plus curieux est un rêve (ou une vision) qu’elle eut de nuit, à une époque où je tombai subitement malade pendant une villégiature à vingt lieues de Genève : elle entendit sonner à sa porte, puis me vit entrer tellement amaigri et paraissant si éprouvé qu’elle ne put s’empêcher, le lendemain matin, de faire part à sa mère de ses inquiétudes à mon sujet. Malheureusement, ces dames ne prirent aucune note de l’incident ni de sa date exacte, et Hélène ne le raconta que plus de trois semaines après à M. Lemaître, au moment où celui-ci venait de lui apprendre ma maladie dont le début remontait bien à l’époque approximative du rêve. Comme valeur évidentielle, c’est faible. En d’autres occasions, Mlle Smith m’annonça que je devais avoir eu tel jour un ennui inattendu, une préoccupation pénible, etc., à en juger par ses rêves ou de vagues intuitions à l’état de veille ; mais les cas où elle est tombée juste se balancent avec ceux où elle tombait à faux.

Avec d’autres personnes, il ne semble pas que les relations télépathiques d’Hélène soient plus précises qu’avec moi et, de la plupart des cas, d’ailleurs peu nombreux, dont j’ai eu connaissance, aucun ne vaut la peine d’être cité. Une exception doit toutefois être faite pour un M. Balmès (pseudonyme), qui fut employé pendant quelque temps dans la même maison de commerce que Mlle Smith, et à propos duquel elle eut plusieurs phénomènes vraiment curieux. Ce M. Balmès était lui-même « médium sensitif » d’une nature très nerveuse et vibrante ; il travaillait à l’étage au-dessus d’Hélène et s’arrêtait parfois quelques minutes à causer spiritisme avec elle. À cela se bornèrent leurs relations, qui ne s’étendirent point en dehors du bureau ; il ne semble pas y avoir jamais eu de sympathie personnelle ou d’affinité spéciale entre eux, et l’on ne sait à quoi attribuer le lien télépathique qui inspira à Hélène plus de visions véridiques, et de plus étonnantes, relativement à M. Balmès qu’à personne d’autre [2]. En voici quelques exemples.

1. M. Balmès prêta un matin à Hélène un journal où se trouvait un article sur le spiritisme. Il avait lui-même reçu ce journal d’un de ses amis, M. X. — un Français qui ne se trouvait à Genève que depuis une vingtaine de jours, et ne connaissait point Mlle Smith, pas même de nom —, lequel avait marqué au crayon rouge l’article intéressant et y avait ajouté en marge une annotation au crayon noir. Hélène lut rapidement ledit article chez elle, pendant son repas de midi, mais ne prit pas la peine de lire l’annotation au crayon noir, faute de temps. Rentrée au bureau, elle se remit au travail. Cependant, à 3 h 1/4, ses yeux tombèrent sur l’annotation du journal, et, comme elle prenait sa plume pour faire des calculs sur un bloc-notes, je ne sais, m’écrit-elle, ni comment ni pourquoi je me mis à dessiner sur le talon de ce bloc une tête d’homme tout à fait inconnue de moi. En même temps, j’entendis une voix d’homme d’un timbre assez élevé, plutôt clair et lumineux, mais, malheureusement, je n’en pus comprendre les paroles ; et je me sentis vivement portée à courir montrer ce dessin à M. Balmès, qui l’examina et parut consterné, car cette tête dessinée à la plume n’était autre que celle de l’ami qui lui avait prêté le journal marqué au crayon ; la voix, l’accent français, étaient à ce qu’il paraît tout à fait exacts… Comment se fait-il qu’à la simple vue d’une annotation, je me sois trouvée en communication avec un inconnu ? … M. Balmès, en présence de ce curieux phénomène, se hâta de faire, le soir même, une visite à son ami, et apprit qu’à l’heure où moi, tout à fait inconnue de ce dernier, je m’étais mise à dessiner son portrait, il était question de lui [M. Balmès] et qu’une discussion, sérieuse même, était engagée à son sujet [entre M. X. et d’autres personnes].

On peut, à la rigueur, réduire ce cas à des explications normales en supposant : 1°) qu’au cours du séjour que M. X. venait déjà de faire à Genève, Mlle Smith (sans d’ailleurs le remarquer ni s’en souvenir consciemment) l’aurait aperçu se promenant dans la rue avec M. Balmès ; en sorte que le journal, qu’elle savait avoir été prêté à M. Balmès par un de ses amis inconnu d’elle, aurait réveillé, grâce à une induction subconsciente, le souvenir latent de la figure et de la voix de l’inconnu déjà rencontré avec lui ; 2°) qu’il n’y a qu’une coïncidence fortuite dans le fait que M. X. parlait précisément de M. Balmès à l’heure où Hélène traçait la figure et entendait la voix dudit M. X. dans un accès d’automatisme déclenché par la vue de son annotation sur son journal.

Dans l’hypothèse télépathique, au contraire, les choses se seraient passées à peu près ainsi : La conversation de M. X. (point du tout calme, paraît-il, mais au contraire fort vive et agitée) au sujet de M. Balmès, aurait impressionné télépathiquement ce dernier [3] et réveillé subliminalement en lui le souvenir de M. X. ; à son tour, M. Balmès, sans s’en douter le moins du monde consciemment, aurait transmis ce souvenir à Smith, déjà prédisposée ce jour-là par le prêt du journal, et chez laquelle ledit souvenir jaillit dans un automatisme graphique, auditif et impulsif (le besoin de courir montrer son dessin à M. Balmès). Les couches subconscientes de M. Balmès auraient ainsi servi de chaînon entre M. X., dont elles subissent facilement l’influence, et Mlle Smith sur qui elles sont au contraire actives. Sauf, cela va sans dire, le reproche abstrait et général de supranormal qu’on peut faire à la télépathie, l’explication que je viens d’esquisser est, en somme, plus adéquate que la précédente aux circonstances concrètes du cas, et les complications de transmission subconsciente auxquelles elle fait appel n’ont rien d’inouï, mais trouvent leurs analogues dans de nombreuses observations publiées parla Society for Psychical Research.

2. Une huitaine de jours après [le cas précédent], me trouvant dans une voiture ouverte de tramway, à midi et quelques minutes, au milieu de la rue, je vis devant moi le même M. Balmès discutant avec une dame dans une chambre paraissant attenante au tramway. Le tableau n’était point très net : une sorte de brouillard s’étendait sur cet ensemble, mais point assez fort cependant pour me cacher les personnages. Lui surtout était très reconnaissable, et sa voix légèrement voilée fit entendre comme terminaison ces paroles : C’est curieux, extraordinaire ! Puis, tout d’un coup, subitement, je ressentis une commotion violente, le tableau s’effaçant au même instant. Je me trouvai alors roulant de nouveau sur la route et, d’après la distance calculée et l’avancement de la voiture, je compris que cette vision n’avait pas duré plus de trois minutes tout au plus. Il est à noter que, pendant ces quelques minutes, je n’ai point perdu un seul instant le sentiment de ma situation présente, c’est-à-dire que je savais et sentais parfaitement que je me dirigeais chez moi en voiture comme j’avais l’habitude de le faire chaque jour, et je me sentais parfaitement moi, sans trouble d’esprit aucun [4].

Deux heures plus tard, je montai chez M. Balmès, lequel se tient à l’étage supérieur du bureau. L’abordant franchement, je dirai même un peu brusquement, je lui parlai ainsi : — Avez-vous été satisfait de la petite visite que vous avez faite à midi et quelques minutes, et y aurait-il indiscrétion à vous demander ce que vous trouviez de curieux, extraordinaire ? — Il parut confondu, atterré, fit même mine de se fâcher, et eut l’air de me dire de quel droit je me permettais de contrôler ses actions ! Ce mouvement indigné se dissipa aussi vite qu’il était arrivé, pour faire place à un sentiment de curiosité très vive. Il me fit conter en détail ma vision le concernant, et m’avoua qu’en effet il était allé à midi chez une dame, et qu’il avait été question avec ladite dame du cas [précédent, du journal de M. X.]. À un moment donné, il avait en effet prononcé les paroles que j’avais entendues : C’est curieux, extraordinaire ; et, chose étonnante, j’appris également qu’à la fin de ces paroles, un violent coup de sonnette s’était fait entendre, et que la discussion entre M. Balmès et la dame en question avait été brusquement interrompue par l’arrivée d’un visiteur. La commotion ressentie par moi n’était donc autre chose que le violent coup de sonnette qui, mettant fin à l’entretien, avait sans doute mis fin à ma vision [5].

À moins de supposer — ce qui est logiquement faisable, mais ce que j’écarte par hypothèse — que Mlle Smith et M. Balmès ont machiné ensemble cette histoire, ou ont été victimes d’hallucinations de la mémoire concordantes et de suggestions mutuelles, je ne vois guère de moyens normaux d’expliquer ce cas. Qu’une hallucination spontanée (car, d’après Hélène, ce qu’elle a éprouvé en tramway n’était point une simple idée ou image mentale ordinaire) jaillisse avec un contenu complexe correspondant trait pour trait à une scène réelle qui se passe au même moment hors de toute portée des sens, ce serait là un hasard d’une bien faible probabilité et difficile à admettre [6]. Au contraire, l’incident est tout à fait dans le goût et la manière habituelle des phénomènes de ce genre chez les personnes qui y sont sujettes ; le fait qu’Hélène était l’objet de l’entretien de M. Balmès devait renforcer l’action télépathique de ce dernier sur elle, et le choc émotif qu’il a éprouvé au coup de sonnette inattendu a peut-être été l’appoint déterminant la transmission des derniers mots de la conversation.

3. Au début d’une séance, un dimanche après-midi, à 3 h 3/4, je présente à Hélène une boule de verre servant aux essais de crystal-vision. Au bout de peu d’instants, elle y aperçoit M. Balmès et son ami X., puis, au-dessus de leurs têtes, un pistolet isolé et qui semble n’avoir rien à faire avec eux ; elle nous raconte alors que M. Balmès a reçu hier, au bureau, un télégramme qui l’a mis hors de lui et l’a obligé à partir le soir même pour S. (à cinq heures de Genève en chemin de fer) ; elle a l’air de prévoir quelque malheur pour lui, mais ne tarde pas à s’assoupir. Léopold, par des dictées digitales, nous apprend qu’il l’a endormie pour lui épargner des visions pénibles aperçues dans le cristal, qu’elle a le sentiment médianimique de tout ce qui se passe à S., et que le pistolet se rapporte à M. Balmès ; impossible d’en savoir davantage, et la séance est occupée par tout autre chose.

M. Balmès, qui rentra à Genève le lundi et que je vis le même soir, fut très frappé de la vision d’Hélène, car il avait eu en effet, le dimanche après-midi, une scène qui avait failli tourner au tragique et au cours de laquelle son ami X. lui avait offert un pistolet qu’il portait toujours sur lui. Mlle Smith et M. Balmès n’hésitent point à voir dans cette coïncidence un phénomène supranormal bien caractérisé. Je ne demande pas mieux, et y ai d’autant moins d’objection en principe que la puissance de la boule de verre et de tous les autres procédés de cristalloscopie pour « externaliser » des impressions télépathiques ou autres, qui resteraient latentes et inconnues sans cela, a été bien mise en lumière par une foule d’observateurs [7]. II y a cependant une difficulté dans le cas particulier : c’est que l’incident du pistolet à S. n’eut lieu que plus de deux heures après la vision d’Hélène, et que M. Balmès affirme que rien ne le lui faisait prévoir au moment de cette dernière ; il en résulte qu’il y aurait eu là une sorte de télépathie anticipée, une prémonition ressentie par un autre que le principal intéressé, ce qui soulève la grosse question de la connaissance supranormale d’événements à venir. Je trouve plus simple d’admettre que, bien que M. Balmès ne prévît pas consciemment l’incident du pistolet, il en prévoyait subconsciemment la possibilité (lui-même n’élève pas d’objection contre cette hypothèse d’une inférence inconsciente basée sur les circonstances concrètes où il se trouvait) et que cette idée a passé télépathiquement chez Hélène.

Peut-être même pourrait-on expliquer le cas sans du tout recourir au supranormal. Mlle Smith, connaissant le caractère de M. Balmès et jusqu’à un certain point ses circonstances personnelles, ayant assisté à l’explosion émotive due au télégramme de la veille, prévoyant (comme elle le disait à la séance) la gravité de la situation, pouvait très bien imaginer l’intervention d’une arme à feu dans l’affaire ; aucun détail de sa vision n’indique d’ailleurs que le pistolet aperçu dans la boule de verre corresponde à celui de M. X. mieux qu’à un autre, et soit d’origine télépathique plutôt que d’être simplement un symbole approprié, fourni par la fantaisie subliminale pour résumer les inductions plus ou moins obscures d’Hélène sur ce que M. Balmès faisait à S. On ne sait jamais jusqu’où peut aller le sens délicat des probabilités et combien les inférences spontanées tombent parfois juste, chez les personnes d’une grande promptitude d’imagination ; nous voyons sans doute souvent une connexion supranormale là où il n’y a en réalité qu’une coïncidence exacte, due à une divination ou prévision heureuse, mais n’ayant rien que de très naturel. Je dois ajouter que cette façon d’évincer le supranormal, en ramenant la vision du pistolet à une pure création de la fantaisie subliminale, semble inadmissible à Hélène, qui reste absolument convaincue qu’il y a eu là un éclatant phénomène de télépathie.

Mlle Smith a eu, paraît-il, beaucoup d’autres intuitions télépathiques concernant les faits et gestes de M. Balmès. Celui-ci, qui quitta le bureau au bout de quelques mois, avait fini par trouver assez importune et gênante cette sorte de surveillance occulte exercée sur sa vie privée par une tierce personne, laquelle d’ailleurs n’en pouvait mais, et se serait bien passée de ces mystérieuses échappées dans une existence étrangère qui l’intéressait fort peu. — Cet ensemble de phénomènes, joint à diverses visions analogues égrenées, relatives à d’autres gens de sa connaissance, me paraît constituer une certaine présomption en faveur d’influences télépathiques réelles subies par Hélène, sans toutefois que j’aie jamais réussi à en trouver un spécimen absolument probant. L’exemple 2 ci-dessus, qui est le meilleur à mon sens, n’est point encore irréprochable. Mais on sait combien il est rare en ce domaine, surtout lorsqu’on ne joue pas soi-même le rôle de percipient ou d’agent et qu’on en est entièrement réduit aux témoignages d’autrui, de rencontrer des cas satisfaisant à toutes les exigences de la démonstration.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Notes

[1« Cent mauvaises preuves n’en font pas une bonne », a-t-on souvent objecté à la télépathie. Mais le vague même de cet aphorisme sonore lui enlève toute portée. Qu’est-ce qu’une mauvaise preuve et une bonne ? Dans les sciences de faits empiriques (et en laissant de côté la question des mathématiques), nous avons bien rarement — affaire peut-être même jamais — à une preuve absolument mauvaise ou absolument bonne, et, par conséquent, d’un poids nul ou infini. Toutes nos preuves sont relatives, d’un poids fini et variable, et chacune doit être étudiée concrètement, en elle-même et dans ses relations avec les autres. De même pour les réfutations ou preuves contraires. Nous ne sortons pas des probabilités. Et de la réunion de plusieurs preuves isolément médiocres peut fort bien jaillir une preuve nouvelle, une probabilité supérieure, une quasi-certitude — tout comme aussi, dans d’autres cas, un affaiblissement réciproque, une contradiction qui les ruine ; cela dépend de leur nature et de leurs connexions, et l’on ne peut rien dire de général là-dessus. C’est l’examen concret et détaillé des multiples arguments de faits, pour et contre la télépathie, qui, actuellement, me paraît aboutir à une forte résultante pour.

[2Ce lien n’était pas réciproque : M. Balmès n’a jamais eu d’impressions télépathiques relatives à Mlle Smith.

[3II est à noter que M. X. a une forte influence hypnotique sur M. Balmès et l’a souvent endormi avec la plus grande facilité.

[4Cette description de Mlle Smith traduit très bien l’impression d’avoir été dans un état complètement éveillé et normal, qui s’attache au souvenir de leurs « visions » chez les personnes qui y sont sujettes ; mais cela n’exclut pas un certain degré d’obnubilation de la conscience pendant la vision, comme le prouve la phrase même d’Hélène un peu plus haut : « Je me trouvai roulant de nouveau sur la route, etc. »

[5M. Balmès, après avoir lu ce récit d’Hélène ainsi que le précédent, les a apostillés d’une déclaration d’exactitude, et me les a oralement confirmés en tout ce qui le concerne dans une visite que je lui fis peu de jours après. Il y a toutefois entre Mlle Smith et lui une divergence sur laquelle, pour faire preuve de bonne volonté envers le supranormal, je ferme les yeux en la mettant au compte de notre difficulté d’apprécier le temps : Hélène fixe sa vision à midi et dix ou douze minutes, tandis que, suivant l’évaluation de M. Balmés, la phrase qu’elle a entendue télépathiquement n’a dû être prononcée qu’environ un quart d’heure plus tard.

[6Hélène affirme (et M. Balmès pense également) qu’aucun indice ne pouvait lui faire prévoir que M. Balmès ferait la visite en question et y parlerait du cas de télépathie de la semaine précédente.

[7Voir entre autres : Miss X, « On the Faculty of Crystal-Gazing », Essays in Psychical Research, p. 103 ; « Recent Experiments in Crystal-vision », Proceed. .S P. R., t. V, p. 486 ; F. Myers, id., t. VII, p. 318-319 ; A. Lang, « Crystal-Visions Savage and Civilised », Making of Religion, p. 90. Dans une tout autre direction de pensée. P. Janet, « Sur la divination par les miroirs », Névroses et idées fixes, op. cit., t. 1., p. 407 ; avec la réplique de Lang, loc. cit., p. 367.

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