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L’Inconscient et le Livre noir (III)

Les enfants d’OEdipe ne sont pas fatigués

Texte de l’intervention au Café « Lounge Bar » (15 décembre 2005)

Date de mise en ligne : samedi 28 janvier 2006

Auteur : Guy MASSAT

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Texte de l’intervention de Guy Massat au Café le « Lounge Bar » (1, bd de la Bastille), le jeudi 15 décembre 2005.

Nous aborderons ce soir, les pulsions, la scène originaire, l’inceste, la famille, l’histoire des enfants d’Œdipe et Œdipe, selon leur signification dans l’inconscient.

Avant d’être Œdipe, nous sommes les enfants d’Œdipe.

La pensée de Freud est basée sur le conflit. Jamais, dans les 7 000 pages qu’il a écrites il ne reviendra sur ce point. Cette perspective nous prouve que Freud préfère le devenir à l’être. En outre, cette position illustre, nous semble-t-il, le fragment 53 d’Héraclite qui veut que la guerre soit le père de toutes choses :
« La guerre (Polemos, le conflit) est le père de toutes choses ; de tout ce qui existe elle est le Maître. Elle porte les uns à la lumière et en fait des dieux, d’autres, elle en fait des hommes. De certains elle en fait des esclaves et d’autres des libérés. »

Il y a les conflits du corps, les conflits de l’esprit et les conflits de l’inconscient. Ces conflits se nouent et s’embrouillent les uns les autres. Polemos, le conflit, tisse notre destin comme le fait Clotho, la Moire qui de sa quenouille file le fil de la vie. Dans l’inconscient, les conflits s’appellent névroses.

Du point de vue physiologique, au moment du spermatozoïde que, d’une certaine manière, nous avons été, règne déjà le conflit. Les spécialistes nous apprennent que dans toutes giclée de sperme, les 500 millions de spermatozoïdes qui le composent se font une guerre acharnée. De cette guerre il n’en restera qu’un, le vainqueur, c’est-à-dire nous-mêmes ? Félicitations ? Bof, on ne s’en souvient même pas ! De plus, dès que le spermatozoïde a gagné, il meurt !

Pour l’esprit, les conflits, on peut les faire commencer à la naissance avec le premier cri du A qu’on a poussé à notre arrivée dans ce monde. Après, ils deviennent aussi nombreux que les atomes, de poussières, par ailleurs sécables, que nous deviendront inévitablement.

Mais tout cela n’est finalement rien d’autres que des événements physiques et mentaux comparé aux conflits beaucoup plus extraordinaires et beaucoup plus intenses de l’inconscient. Ceux-là sont si effrayants qu’on se refuse à les reconnaître ou seulement à les voir.

Ce diable de Freud a mis au jour une nouvelle dimension des conflits : l’inconscient.

Quel est l’intérêt de la chose ? C’est, notez-le, c’est qu’en éteignant les conflits de l’inconscient dus à l’Œdipe, vous résolvez du même coup les conflits de l’esprit et les conflits du corps.

Le conflit c’est aussi la source de la mythologie. « Tout d’abord fut Chaos », nous dit Hésiode dans sa Théogonie. Le chaos est conflictuel, c’est une sorte de scène originelle continuellement en devenir où les pulsions, et contre pulsions, engendrent les choses. « La théorie des pulsions, dit Freud est notre Mythologie ». Les dieux et les héros de la mythologie ne sont que les représentants représentatifs de nos pulsions. C’est dans cette perspective que nous aborderons l’Œdipe. Comme le montrera Lacan l’inconscient a son réel, son symbolique et son imaginaire propres, son RSI, son récit.

À ses débuts, jusqu’à 1897, Freud se comportait en biographe historien. Il recherchait dans la vie des patients les événements qui seraient les causes déterminantes de leur personnalité. Il pratiquait des anamnèses aussi précises, fouillées et détaillées que possible. Souvenons-nous, par exemple, de l’obstination avec laquelle il cherche, pour « L’homme aux loups », la date précise où celui-ci assista à la scène primitive. Il partait de l’hypothèse de la séduction de l’enfant par un adulte. Mais il abandonnera bientôt la méthode historique en faveur de la méthode mythologique. Avec la psychanalyse il va désormais ne s’occuper que de la construction fantasmatique de la séduction, même si elle ne correspond nullement à la réalité, même si elle est mensongère et déformée par le souvenir et les mécanismes de défense du patient. Il met au jour en quelque sorte la psychamythologie, autrement dit l’inconscient.

Tout psychanalyste ne travaille que sur les associations, les fantasmes, les rêves, les souvenirs-écran, bref la parole. Le psychanalyste n’est attentif qu’au mythe personnel du patient sans chercher à reconstruire fidèlement une histoire événementielle. C’est après coup que l’histoire événementielle du patient sera véritablement comprise, c’est à la fin qu’il se réconciliera avec sa propre histoire. Ainsi la coupure entre mythe et histoire est la spécificité de la psychanalyse. C’est elle qui met au jour les avatars de la parole et du désir. C’est par la puissance de la parole qui divise, déplace et condense ses fantasmes, que le sujet trouve enfin son véritable désir.

En abordant l’Œdipe comme conflit, conflit brutal entre le devenir et l’être, nous comprendrons plus facilement que l’Œdipe est un principe universel. En revanche si nous le réduisons à des dimensions événementielles qui auraient conditionné nos problèmes sexuels, ça ne pourra guère aller très loin. Et les auteurs du Livre noir, qui se moquent du mythe en faveur de l’objectivité du comportement, s’en donnerons à cœur joie. Réduire le mythe d’Œdipe à un événement, plus ou moins plausible, selon lequel la seule personne avec laquelle on aurait envie de coucher, c’est notre mère - et quant au père on voudrait le tuer -, est une idée qui a bien du mal, et à juste raison, à se faire accepter par une intelligence ordinaire. Comment l’Œdipe serait-il le complexe nucléaire de toutes les névroses et la base de toute culture, comme l’affirme Freud, s’il ne se déroulait pas dans l’inconscient ? Selon la clinique freudienne, c’est entre trois et cinq ans que l’Œdipe se reflète dans le vécu de l’enfant. Selon Mélanie Klein il peut s’observer dès la première année.

Mais le triangle familial est inconsciemment si plastique qu’on y observe chez les garçons des désirs féminins pour le père ; et pour les filles, des désirs masculins pour la mère, et tout cela peut s’inverser selon les discours. La clinique s’avèrerait vite incompréhensible et vaine sans l’hypothèse dynamique de l’inconscient.

C’est pourquoi, me semble-t-il, nous devons, aborder le concept de l’Œdipe d’une manière très générale, c’est-à-dire mythologique, avant d’entrer dans les subtilités cliniques de notre propre histoire ; faute de quoi nous glisserions trop facilement dans les apories du Livre noir, qui confondent l’inconscient freudien avec le conscient ou avec le subconscient.

« Le complexe d’Œdipe est la locomotive qui a traîné le char triomphal de Freud autour du globe terrestre », se moque le Livre noir dans un article de Van Rillaer (p. 194). Bien évidemment ce psychologue réduit l’Œdipe à un supposé désir de l’enfant de tuer son père et épouser sa mère. Ce réductionnisme est une mauvaise caricature. Qui se souvient dans la réalité de son histoire avoir eut seulement le projet de tuer son père et d’épouser sa mère ? En tout cas, pas moi et j’imagine que vous non plus.

Le Dr Van Rillaer devrait réfléchir sur la célèbre maxime Zen : « Le doigt qui montre la lune n’est pas la lune ». Car c’est bien stupidement que Van Rillaer regarde le doigt de Freud : « Je vous accorde, dit ce savant, que je vois sur le doigt de Freud une lunule, celle de l’ongle, mais cette lunule n’est pas la lune ». Le doigt de Freud me semble bien sourd et muet, constate ce partisan du conscient. Et Van Rillaer a en outre le courage insigne de se mettre le doigt de Freud dans l’œil pour prouver expérimentalement que la théorie psychanalytique est dangereuse.

C’est que le Livre noir n’engage pas un débat sur Freud et Lacan pour savoir dans quelle perspective tout serait ou ne serait pas du langage, si les symptômes parlent ou non. Le Livre noir affirme un révisionnisme, digne de l’inquisition, visant par des arguments spécieux et contradictoires disqualifier la psychanalyse aux yeux du public.

Comme on dit : il faut se méfier des sots car ils sont dangereux dans les conversations superficielles et pervers dans les discussions sérieuses. Il faut mieux s’en méfier, car de plus il sont contagieux.

Redisons que l’inconscient est le devenir et l’être le conscient. Faisons passer ce message. Abordons la théorie des pulsions freudiennes d’une manière générale et elle apparaîtra comme une praxis du langage évidente et pratique pour quiconque, et pas seulement pour les psychanalystes.

Les pulsions

Les pulsions devraient être notre manière ordinaire de percevoir le monde et d’imaginer l’inconscient.

Quand nous regardons les choses autour de nous, nous les voyons tranquilles, passives et stables. Elles sont ce qu’elles sont. Elles semblent être ce qu’elles sont depuis toujours et comme à jamais. Mais ce n’est qu’une apparence. Il nous est facile d’imaginer qu’elles sont constituées de molécules, c’est-à-dire de petites masses qu’on ne voit pas à l’œil nu et qui bougent, qui apparaissent, se combinent avec d’autres, qui s’usent et disparaissent. Aujourd’hui nous savons que ces petites masses sont divisibles jusqu’à d’infimes composés qu’on a qualifiés du mot grec d’atome.

Avant le XXème siècle on croyait que les atomes étaient indivisibles comme leur nom le laisse supposer, « a » c’est négatif et « tome » veut dire division. Donc nous pensions que la matière existait indépendante de nous éternellement dans sa tranquillité. Nous, et toutes choses, nous n’étions que des métamorphoses de la matière, nous n’étions qu’une certaine dialectique de la matière. Le réel était la matière. « Poussière, disait la Bible, et tu reviendras poussière ». Or, maintenant nous savons qu’il n’y a plus en toute rigueur de poussière. Le XXème siècle ne se réduit pas seulement à l’invention de l’aspirateur, mais chose plus étonnante, à la coupure, à la désintégration de la poussière qu’on appelle scientifiquement la scission de l’atome. On a découvert, même si on évite d’y penser, non seulement que les atomes, en dépit de leur nom, étaient divisibles, mais qu’ils étaient formés de particules si brèves qu’on ne pouvait plus dire qu’elles existaient . Plus elles étaient brèves plus elles produisaient d’énergie avec pour effets les atomes, les molécules, les poussières et les choses. Ainsi, l’électron n’a pas de substance. Le XXème siècle a dématérialisé l’univers. Avec lui nous avons fait l’expérience de la perte pure de la substance, la désubstantialisation. Désormais, « il n’y a plus de choses », comme le formulait si bien Bachelard, mais seulement des ondes. Les ondes ça bouge sans cesse, c’est du mouvement qui va dans tous les sens.

Puisque la substance n’est plus le référent que l’on imaginait autrefois, l’atome, nous sommes renvoyés inéluctablement au langage, réduits au langage. Il n’y a plus que du langage : langage des formes devenues éphémères comme des ondes, langage symbolique de l’écrit et langage oral ou pulsionnel, ou langage de l’inconscient.

Les ondes se refoulent les unes les autres, elles se retournent sur elles-mêmes, elles sont passives ou actives, elles s’inversent en leur contraire, ou encore elles se dépassent elles-mêmes et elles se sublimisent. Bref, dans cette nouvelle perception du monde, dans ce nouveau dynamisme immatériel, dans cette espèce de danse universelle et fantastique ne reconnaissez-vous pas la théorie freudienne des pulsions ? Les ondes ne sont pas des choses inertes comme les atomes, mais des poussées, des pulsions. Et puisqu’elles ne sont pas des choses, elles passent comme des paroles. Les ondes ça parle. Danser c’est parler puisque l’étymologie de parole c’est bal, danser. Toutes les formes dansent dans des ondes qui parlent. La théorie freudienne des pulsions est une syntaxe. En effet, nous explique Freud, les pulsions peuvent être « actives ou passives » (pensons aux verbes transitifs qui peuvent être actifs ou passifs, exemple : nous aimons, nous sommes aimés). Elles peuvent « refouler », (comme les verbes qui servent à nier, exemple : je ne veux pas, je ne dois pas, je rejette, je refuse). Elles peuvent se « retourner sur elle-même », (comme le verbe être, exemple : A est A). Elles peuvent « se renverser en leur contraire » (caractéristique du devenir : le chaud devient froid, le grand petit, le fort faible, le bien le mal, etc.). Elles peuvent se « sublimer » (comme si elles se conjuguaient au plus-que-parfait, forme correspondant à l’imparfait, im-parfait comme in-fini, comme in-conscient). La sublimation, nous l’avons vu, ne relève ni d’un processus chimique ni de l’idéalisation qui est la surestimation de quelque objet sexuel, mais de la transformation, exemple : je transforme le négatif en positif, le mauvais en bon, le bestial en divin, le sexuel en social, les difficultés en joie : plus de difficultés, plus de joie etc.

Voilà qui nous introduit, me semble-t-il, à ces formules étranges qui soutiennent que « l’inconscient ça parle » que « l’inconscient est langage ».

Ne devons-nous pas tirer les conséquences de ces propositions : L’inconscient c’est du langage ? L’inconscient c’est le langage qui danse. On pourrait le figurer par Siva, le dieu de la destruction et de la création.

L’inconscient est le langage qui précède l’existence des corps et des esprits. Nous sommes continuellement dans des ondes de paroles comme si nous baignions dans des océans sans rivages. La mythologie est composée des deux mots qui signifient parole, « muthos et logos », parole produisant de la parole, discours produisant du discours. La mythologie se révèle alors comme ce qui précède toute forme d’existence. L’empereur romain Julien l’apostat (apostat parce qu’il n’acceptait pas le christianisme) a donné, me semble-t-il, la meilleure définition de la mythologie :

« Le mythe est un événement éternellement vrai qui n’a jamais réellement eu lieu nulle part ».

Nulle part, c’est un autre nom de l’inconscient. « Le mot inconscient, nous dit Lacan, a l’inconvénient d’être négatif, ce qui permet d’y supposer n’importe quoi, sans compter le reste. À chose inaperçue, le nom de partout convient aussi bien que celui de nulle part » (Télévision).

Comme dit Freud : « la conscience loin d’être le juge implacable n’est, par ses origines, que de “l’angoisse sociale” et rien d’autre »(Essais de psychanalyse, p. 241).

Que les mots disent restent oubliés derrière ce qu’on dit quand on parle. Dans l’inconscient les mots parlent et nous n’en sommes que les effets. Dans le conscient c’est un sujet, un masque qui parle. Le Président parle en tant que président, le boulanger parle en tant que boulanger etc. Mais dans l’inconscient ce sont les mots qui parlent et le Président comme le boulanger n’en sont que les effets, un peu comme les atomes ne sont que les effet du vide.

Pour comprendre l’Œdipe, ce conflit mythologique entre le devenir et l’être, on peut se laisser guider par les paroles des grands auteurs de l’Antiquité qui jouent avec ces événements qui n’ont jamais eu lieu nulle part et qui sont pourtant éternellement vrais.

Après l’Iliade et l’Odyssée, l’Œdipe est l’histoire la plus célèbre et la plus importante de la littérature grecque.

Remarquons, au passage, le génie psychanalytique de Sophocle. Il a écrit dans un premier temps Antigone, puis après Œdipe roi, et Œdipe à Colone. C’est-à-dire qu’il a commencé par le récit des enfants d’Œdipe. Leur destin est tragique parce qu’ils sont les enfants de l’inceste, c’est-à-dire de la scène originaire.

Les enfants d’Œdipe, victimes de la scène originaire

Ce que la psychanalyse appelle la scène originelle est le coït des parents.

« Il n’est pas très important, nous dit Freud, de savoir si la scène primitive, les scènes de séduction et les menaces de castration ont vraiment eu lieu... L’enfant a une conception sadique du coït... J’ai découvert ce qui me manquait dans le problème de l’hystérie, c’était une nouvelle source d’où découle un élément de la production inconsciente. Je veux parler des fantasmes hystériques qui chaque fois, je le constate, se rapportent à des choses... » dont il n’a que longtemps après saisi le sens (La naissance de la psychanalyse).

Comme l’enfant s’identifie aux parents, la scène originaire a nécessairement une dimension fortement incestueuse. Antigone nous raconte le destin funeste des enfants d’Œdipe. Pourquoi ce destin funeste ? Parce qu’ils sont les enfants de l’inceste. Et nous sommes tous, quelque part, dans l’inconscient, les enfants de l’inceste parce que nous nous identifions aux parents, « esse est percipi », nous sommes ce que nous percevons. Dans cette scène originaire ou scène primaire, ou scène première, nous sommes simultanément et à notre convenance l’enfant, le père ou la mère.

Qu’est-ce que l’inceste ?

Dans le conscient tout le monde sait ce qu’est l’inceste. Le dictionnaire nous dit : « relations sexuelles entre un homme et une femme liés par une degré de parenté ».

Dans l’inconscient c’est beaucoup plus compliqué que ça parce que ce sont les mots qui parlent dans l’inconscient et non pas les faits.

Le mot inceste vient de castus, qui signifie « conforme aux règles et aux rites » ; non castus, incestueux, c’est être impur, sale. D’où tout ce qui est sale sera toujours d’une certaine manière, considérés comme incestueux. Le mot vient par ailleurs du mot caste, qui signifie « sans mélange ». Ce n’est pas pour rien que Jocaste, s’appelle Jocaste, qu’on peut entendre comme femme appartenant à la caste royale et comme « je castre ».

Ensuite, remarquons qu’inceste est l’anagramme d’insecte. Et qu’il y a dans l’inconscient des formes d’inceste aussi variés et innombrables que peuvent l’être les insectes dans la réalité. Alors de quel insecte pourrait-il s’agir plus spécialement ? On pourrait penser à la mite ? Mite ça sonne comme mythe, le mythe qui nous dévore comme la mite dévore nos vêtements. Mais on pourrait aussi penser au morpion parce que c’est un pou minuscule qui est capable de changer de sexe en moins d’une seconde, c’est-à-dire, vous l’avez compris, en passant du sexe d’un partenaire à l’autre en moins d’une seconde. On pourrait aussi faire d’autres choix. Au moyen-âge on racontait qu’un animal, le castor, était capable quand il était poursuivi par des chasseurs de se castrer lui même et d’offrir à ses poursuivants le témoignage de sa castration en échange de sa vie.

Nous voyons aussi que dans le mot inceste il a « ceste ». Ça c’est terrible ! Le ceste était dans l’antiquité un gantelet composé de lanières de cuir entrelacés et garnies de plomb. Elles s’attachaient autour des poignets et des mains des athlètes pratiquant le pugilat, c’est-à-dire la boxe.

Le mot ceste vient de caedo, fendre, frapper, briser, immoler, sacrifier, couper. Voilà des mots qui illustrent bien la conception sadique du coït des parents du point de vue de l’enfant, comme dit Freud.

De l’interdit, c’est-à-dire de l’inter, entre, dit, de l’entre dit, il y en a dans toute parole. Et dans cet « entre-dit » se situe la violence, le coup de ceste de l’inceste.

Dans le conscient, dans la réalité, la castration, la coupure, est une perte douloureuse, mais dans l’inconscient la castration est créatrice. Ainsi la déesse Artémis porte des testicules de taureau en sautoir. Elle témoigne que la castration est créatrice en portant son château sur la tête, à la manière d’Athéna surgissant de la tête de Zeus.

Dans l’inconscient nous sommes toujours des héros, heureux ou malheureux qu’importe. Il nous faudra comme Ulysse vaincre le Cyclope, comme Zeus le Typhon, comme Persée la Méduse, comme Hercule l’Hydre de Lerne, réaliser tous les autres travaux, et comme Œdipe vaincre la Sphinge etc.

Qu’est-ce qu’une famille ?

Dans le conscient tout le monde le sait : « Personnes apparentées vivants sous un même toit », dictionnaire dixit. Dans l’inconscient c’est beaucoup plus pittoresque que ça. Qu’est-ce qu’une famille dans l’inconscient, c’est-à-dire dans les mots qui parlent ? C’est la mafia, c’est-à-dire une organisation d’impitoyables criminels.

Famille vient de famulus, « serviteur », mot qui a désigné à l’origine l’ensemble des serviteurs vivant sous le toit et la puissance d’un paterfamilias. Ce paterfamilias avait droit de vie, de mort et du reste sur ses femmes, ses enfants et ses serviteurs. Nous observerons dans cette mafia deux facteurs : la castration symbolique à laquelle nous sommes condamnés au nom du père et le désir de meurtre du père toujours présent. Le paterfamilias fantasmatique peut en effet nous violer, nous morceler, nous castrer, nous dévorer. La pédophilie, disons le au passage, est dans l’inconscient un système de défense contre le désir d’anthropophagie. Ce qui est comestible est forcément promis à un destin excrémentiel.

Ces précautions prises abordons :

L’histoire de enfants d’Œdipe

Œdipe eut de sa mère Jocaste quatre enfants. Deux garçons, Etéocle et Polynice, et deux filles, Ismène et Antigone.

Après la découverte de l’inceste d’Œdipe, (qui était donc à la fois leur frère, puisqu’ils avaient la même mère, et leur père), Etéocle et Polynice chassèrent Œdipe de Thèbes. L’incestueux les maudit alors et leur fit en substance cette prédiction : « Mon inceste, ma scène originaire, rejaillira sur vous, et vous mourrez de la main l’un de l’autre ».

Alors, pour éviter cette malédiction les deux frères décidèrent de se partager équitablement la royauté. Il décidèrent de régner sur Thèbes alternativement chacun pendant un an. Etéocle occupa le trône le premier et Polynice s’éloigna de la ville. Mais quand il revint, au bout d’une année, et qu’il demanda d’échanger le pouvoir avec son frère, celui-ci le lui refusa. Furieux Polynice partit à Argos, ville ennemie de Thèbes, rechercher des alliés pour réparer cette ignoble injustice. Avec le roi d’Argos, il forma le fameux groupe des « Sept contre Thèbes ». C’est un peu les sept samouraï, ou les sept mercenaires, rassemblés contre une injustice. Mais dans ce combat, après bien des péripéties, tous les assaillants, malgré leur capacités guerrières et « leur taille hors du commun », nous dit-on, furent vaincus. Sur le champ de bataille il n’y eut bientôt plus qu’Etéocle et Polynice qui, dans un pathétique combat individuel comme dans les western, s’entretuèrent l’un l’autre conformément à la prédiction paternelle.

Quel enseignement psychanalytique pouvons nous tirer de la malédiction d’Œdipe sur ces enfants ? Qu’est-ce que cela peut bien avoir à faire avec notre propre histoire ?

Réfléchissons. N’avons-nous pas eu l’impression à un moment ou à un autre d’être sous le poids de quelque malédiction, comme si nos parents avaient commis quelque crime, et surtout le pire de tous, le crime d’inceste dans lequel il nous ont précipités ? C’est que la scène primitive, ou la scène originelle, comme l’appelle la psychanalyse, c’est-à-dire la scène fantasmatique où l’on voit, ou que l’on imagine, le coït des parents, est interprétée comme un acte incestueux simplement parce que l’enfant se compte dans le compte. Et de cet inceste, nous, produits fantasmés de cette transgression ignoble, subissons inexorablement la malédiction.

Le conflit Etéocle-Polynice représente la dimension virile de nos malheurs. Abordons maintenant notre dimension féminine avec Ismène et Antigone.

Ismène et Antigone sont deux sœurs très différentes. Antigone va aider son père dans son malheur. Ismène ne veut rien savoir de la guerre, de l’inceste et de tout ce qui arrive. C’est comme si ces péripéties ne la concernaient pas. Elle est amoureuse d’un jeune homme thébain et ne s’intéresse qu’à ça. Mais alors qu’elle va le rencontrer pour un rendez-vous galant elle est tuée par un des assaillants de Thèbes. Voilà encore une victime innocente de la guerre, comme on en compte tant et qu’on appelle les dommages collatéraux. Remarquons qu’Ismène n’exprime pas un désir résolu de s’exclure de la mafia, mais qu’elle est au contraire comme une jeune fille étourdie qui continue de s’amuser en oubliant de faire ses devoirs et qui, à sa surprise, s’en trouve punie.

Le cas d’Antigone, est l’inverse de celui d’Ismène. C’est le cas d’une militante d’une passionaria, donc beaucoup plus spectaculaire. Ainsi, lorsque Œdipe quitta Thèbes après s’être crevés les yeux pour se punir de son parricide et de son inceste, il erra sur les chemins en mendiant son pain. Antigone le suivit alors et se fit sa compagne. Leur route les mena jusque dans le faubourg d’Athènes, appelé Colone où Œdipe mourut. Antigone revint alors à Thèbes retrouver sa sœur. Mais la ville était en guerre. Son frère Polynice guerroyait avec les sept contre Thèbes et Etéocle défendait la cité. Comme nous l’avons vu, les deux frères s’entretuèrent. Créon, le frère de Jocaste, prit alors le pouvoir, afin, dans tous ce désordre impie, de redonner force « à l’ordre et à la loi ». Il organisa pour Etéocle, le défendeur de la ville, des funérailles solennelles et lui fit rendre tous les honneurs, tandis qu’il interdit qu’on enterra Polynice coupable d’avoir appelé des étrangers à lutter contre sa patrie. C’était clair, mais, Antigone s’opposa à cet ordre. Elle invoqua les lois non écrites, celles de la parenté, qui obligent à l’ensevelissement des morts, bien que cette parenté soit incestueuse, c’est-à-dire une parenté de mafieux. Antigone enfreignit les ordres de Créon en jetant une simple poignée de poussière sur le corps de son frère Polynice. Ce simple geste rituel suffisait à remplir les obligations funéraires, comme on le fait encore dans certains enterrements. Et pour cet acte qui contrevenait aux lois de la cité, Créon au nom de ces mêmes lois fut obligé de la condamner puisque Antigone ne se récusait pas. Plutôt que de s’excuser Antigone préférera se laisser enfermer dans le tombeau sulfurique des Labdacides, où elle finira par se pendre. Haemon, son fiancé, fils de Créon, se suicida de désespoir, et la femme de Créon, Eurydice, se tua à son tour sur le corps de son fils.

Antigone représente notre dimension hystérique : c’est le sujet divisé qui fait toujours appel à d’autres choses que les lois qu’on lui présente. Antigone, au fond d’elle-même ne veut céder à aucune autorité. Plutôt renverser le jeu d’échec que d’admettre qu’on a perdu. Quelle petite fille, quel enfant, n’a pas été mis au coin jusqu’à se qu’il demande pardon pour la bêtise qu’il a faite. Mais plutôt que de demander pardon l’enfant préfère rester au coin toute la journée et jusqu’à ce que le sommeil l’emporte. Bien qu’il en donne l’apparence, l’hystérique n’est pas sur son désir, en réalité il défend une idée, un fantasme, quelque chose d’extérieur à lui, et c’est pourquoi il échoue, incapable de s’adapter au devenir et de ne jamais trouver satisfaction.

Nous pouvons, outre les rôles des enfants d’Œdipe, être parfois dans celui de Créon. À savoir, dans une situation si difficile que, quoi que l’on fasse en faveur de l’ordre, nos tentatives d’équité déchaînent des mécontentements tragiques. Ainsi, Créon sera tué par Thésée, roi d’Athènes (et de Colone, où Œdipe décida de mourir).

Donc dans notre psychamythologie personnelle, nous sommes tous, et tour à tour, des Polynice, des Etéocle, des Ismène, des Antigone, ou des Créon. Nous pouvons prendre la position d’une de ces cinq figures, et voir que nous ne réussissons à rien dans la vie, que nous échouons toujours au dernier moment, quelles que soient nos bonnes idées, parce que nous sommes fantasmatiquement sous la malédiction de l’inceste de nos parents consommé durant la fameuse scène originaire. Nous sommes esclaves de la scène originelle. Parents incestueux, vous avez fait notre malheur et le vôtre. Telle est ce qu’on appelle « la logique du fantasme ».

Qui n’a pas été Polynice ? C’est-à-dire qui n’a pas eut un frère, un ami de toujours à qui il a prêté de l’argent, par exemple, et qui au moment de le rendre s’est traîtreusement défilé ? Qui n’a pas été ce traître d’Etéocle ? Qui n’a jamais joué les Ismène en ne voulant rien savoir de ce qui se passe dans le monde et qui fut rattrapé par les événements ? Qui n’a pas été furieux comme Antigone, butée sur des lois de mafieux insoutenables qui l’amènent à se rebeller contre tout autorité jusqu’à préférer se pendre dans son tombeau. Qui n’a pas été un Créon ?

Qui ? Personne ne lève le doigt ! C’est que nous sommes tous quelque part identiques aux malheureux enfants d’Œdipe et de Jocaste.

Non seulement nous sommes des enfants malheureux, les malheureux enfants d’Œdipe, mais de plus, et parce que l’inconscient est un mode exceptionnel de déplacement et d’ubiquité, nous sommes aussi Œdipe, Œdipe en personne, dans cette troisième partie de nous-mêmes qui est si semblable à cette matière noire qui, selon les physiciens, accélère continuellement l’univers et son expansion. Et ne croyez pas que parce que vous êtes une femme vous ne l’êtes pas.

Voyons maintenant de plus près cette histoire.

Que signifie le nom d’Œdipe ?

Certes dans le conscient, l’étymologie n’est pas spécialement un argument important. Évoquer l’étymologie pour définir le vrai sens d’un mot c’est en fait exercer un acte de pouvoir. Car dans le conscient les mots n’ont de sens qu’en synchronie, les uns aux autres, et non pas par la force de leur étymologie. Cependant dans l’inconscient c’est exactement l’inverse. Et là, dans cette dimension, les mots parlent selon leurs racines, leurs souches, leurs rhizomes, écrites et sonores.

L’étymologie du nom d’Œdipe est au moins double. C’est à la fois l’enflure (oe, comme œdème, et pous, pied), donc : « pieds enflés ». Sachant que les pieds sont ce qui permet de marcher, ils figurent le désir puisque nous ne marchons qu’au désir. « Pieds enflés », donc par le désir inconscient. D’autre part, l’étymologie nous donne aussi Oîda (le savoir) et dispous (bipède), le bipède qui sait. Le savoir est de l’ordre du conscient, le conscient a conscience d’être conscient ; « Savoir c’est toujours savoir qu’on sait », comme disait Alain. Œdipe donc est « le bipède qui sait », qui sait dans le conscient. Nous verrons ce que ça signifie avec l’épisode du Sphinx où Œdipe répond juste dans le conscient bien qu’il ignore ce que sa réponse exprime dans l’inconscient.

Comme l’Œdipe marque la sexualité de l’enfant, il traîne avec lui, fantasmatiquement, une structure préœdipienne, c’est-à-dire plus orale que génitale. L’Œdipe est bien une histoire de sexe, dans le sens de plaisir et de pouvoir, mais qui ne se réduit au génital, comme nous pourrions le croire dans le conscient. Nous comprendrons cette articulation dynamique de l’Œdipe plus facilement si nous pathétisons ce qui se passe lorsque nous mangeons.

En mangeant nous détruisons, nous tuons, pour ainsi dire, l’aliment pour en tirer du plaisir, un plaisir absolu, d’une force inouïe, puis nous constatons que l’aliment a disparu dans les flammes et les flots de la jouissance, et il ne reste plus que la perte, la disparition, nous assistons, pour ainsi dire, à la mort. Comme disait le poète Raoul Ponchon : « Il y avait là une choucroute... Maintenant il n’y en a plus. Elle a disparu. Je ne vois que Dieu de perdurable ». Le poète nous dit là de manière abrupte et drôle, mais très sûrement, ce qu’est l’Œdipe pré-oedipien.

C’est ce conflit entre le devenir et l’être qui perdure sous la forme torrentielle du désir et de ses interdits dans les névroses les plus douloureuses de l’adulte.

Lorsque Freud mit au jour l’inconscient, il mit au jour du même coup le moyen d’accéder véritablement à la Mythologie, cette parole qui parle dans la parole, de mots qui parlent dans les mots et dans leurs lettres.

Ainsi, peut-on entendre l’Œdipe : « le dit peut » ; l,e, d,i,t, p,e,u,t : le dit peut nous aliéner, nous faire rejeter de tous, ou bien nous amener à la prospérité dans tous les domaines : santé, argent et amour ; en bref, SAa. Ce qui résume l’enseignement de Lacan : S, le sujet, A l’Autre et a l’objet du désir. Le dit peut nous sortir de l’Œdipe. C’est aussi le seul diplôme en psychanalyse : « L’Œdipe l’homme ».

Si les malheurs de l’Œdipe accable tous les mortels il se manifeste pour chacun de façon différente.

Où donc commencer l’histoire d’Œdipe ?

J’ai choisi de commencer l’histoire d’Œdipe par celle d’Europe. L’invention des voyelles constitue en effet dans l’histoire de l’humanité un saut aussi important que l’invention du feu ou de la roue. C’est la princesse Europe qui fut à l’origine de la trouvaille des voyelles.

Un jour Zeus (la Vie, la pulsion de vie) vit Europe qui jouait sur la plage de Tyr. Tyr en ce temps là, était un centre culturel qui régnait sur toute la Méditerranée. Les Phéniciens avait mis au point un alphabet consonantique, c’est-à-dire sans les voyelles. Europe était princesse, fille du roi Agénor, l’âge d’or des cananéens, que les Grecs appelaient Phéniciens : de Phénix l’oiseau du bonheur capable de renaître de sa propre destruction. Enflammé d’amour par la beauté d’Europe, Zeus se transforma en un taureau d’une blancheur éclatante et aux cornes en croissant de lune. Sous cette forme, témoignage de virilité, Zeus se coucha aux pieds de la jeune princesse. Europe caressa d’abord l’animal puis bientôt l’enfourcha. Ils partirent alors tous deux dans la mer en s’éloignant de plus en plus des côtes et parvinrent jusqu’en Crète. Là les amants s’unirent sous des platanes qui en mémoire de leurs amours eurent le privilège de ne jamais perdre leurs feuilles. En jouissant Europe faisait : A, comme toutes les femmes, E, I, O, U, criait-elle. Et c’est à partir de ces cris d’amour qui envahissaient l’espace hellénique que les Grecs inventèrent le système des voyelles.

L’invention des voyelles permit à la lourde chenille de l’alphabet consonantique cananéen de se métamorphoser en la légèreté phonématique d’un papillon. L’alphabet phonématique permet en effet à n’importe quelle langue de pouvoir s’écrire aisément. Et l’ensemble des premiers pays qui en adoptèrent l’usage prirent le nom d’Europe en hommage à la princesse phénicienne.

Cependant, les Phéniciens n’étaient pas satisfaits qu’on ait enlevé leur princesse. Alors Agénor envoya ses fils à la recherche d’Europe avec ordre de ne pas revenir avant de l’avoir trouvée. Les jeunes gens partirent à la recherche de la princesse perdue. Le temps passait. Ils fondaient des villes et d’autres villes à mesure que leur quête leur paraissait vaine. Cadmos, dont la légende s’est étendue à toute la Méditerranée, continua ses recherches plus longtemps que les autres accompagné de sa mère. Mais quand celle-ci mourut, il alla interroger l’oracle de Delphes qui lui conseilla d’abandonner sa quête et de fonder, lui aussi, une ville. Cette ville fut Thèbes, qui deviendra avec Œdipe la bête de l’inceste.

Le père d’Œdipe est Laïos, qui est l’arrière petit-fils de Cadmos. Le père de Laïos est Labdacos qui mourut déchiré par les Bacchantes pour avoir combattu le culte de Dionysos.

Le nom de Laïos a donné laïus, mot désignant un discours aussi interminable que l’histoire d’Œdipe puisqu’elle se continue en chacun être humain. Laïos fut d’abord chassé du pouvoir mais à la mort de ses suppléants il fut rappelé sur le trône par les Thébains. Son désir fut alors de rétablir la royauté héréditaire de Cadmos, alors que chez les Grecs le roi était choisi pour ses mérites et non pour sa naissance. Ainsi un oracle apprit que si Laïos avait un fils celui-ci le tuerait. De plus, on reproche encore à Laïos d’avoir introduit l’homosexualité chez les mortels. Jusque là l’homosexualité était réservée aux Dieux. Certaines versions de son histoire rapportent que lui et Œdipe se disputèrent le même amant, Chrysippos, le cheval d’or. Dans la mythologie, comme dans les rêves, le temps, l’espace et les êtres ne sont pas soumis à la chronologie, à l’identité, et à la spatialités du conscient.

Dans la version qui nous intéresse, Laïos épousa Jocaste fille du Thébain Ménoecée. Pour éviter la malédiction de l’oracle le couple avaient des rapports sodomites. Mais un jour, après un banquet, ils eurent des rapports normaux dont la conséquence fut la naissance d’Œdipe.

Que faire de ce garçon ?
 Le tuer ? Ce serait aller contre son désir d’avoir un fils qui lui succéderait et poursuivrait la lignée de Cadmos et des labdacides.
 Le garder ? Ce serait enfreindre directement l’avertissement de l’oracle.

Laïos choisit alors d’abandonner son fils dans les bois les pieds liés. Liés symboliquement à son désir de roi et à la destinée de son enfant. On verra ainsi, si le désir d’un père peut ou non triompher des oracles de l’inconscient.

Les bêtes sauvages épargnèrent Œdipe. Il fut trouvé dans la forêt par un berger qui l’amena au roi de Corinthe Polybos qui le recueillit et l’éleva. Mais un jour, à son adolescence, un ivrogne dit à Œdipe qu’il n’était pas le fils du roi de Corinthe. Œdipe se mit alors à douter si fort de lui-même qu’il décida d’aller à Delphes interroger l’oracle sur sa véritable identité. À sa question : « Qui suis-je ? » l’oracle ne répondit pas sur le plan du conscient, tu es le fils de Jocaste et de Laïos, mais sur le plan de l’inconscient : « tu es ton propre désir, c’est-à-dire tu tueras ton père et épousera ta mère ». Horrifié, (et qui ne le serait pas ?) Œdipe décida de ne pas retourner à Corinthe. Il pensait ainsi éviter son destin persuadé que Polybe et la reine Péribée étaient bien ses parents.

Comme son père, Laïos, il se refusait à la voix de l’inconscient. Donc il se dirigea à l’opposé de Corinthe. Vous vous souvenez que le nom d’Oedipe peut signifier à la fois « Pieds enflés », c’est-à-dire gonflés de désir, puisque les pieds comme le désir sont ce par quoi nous agissons. Et aussi oïda, (je sais) et dipous (bipède), « le bipède qui sait ». Il sait dans le conscient mais il désire autrement dans l’inconscient.

Dans sa fuite farouche à échapper à son destin Œdipe arriva un jour à une bifurcation de routes. Certains parlent d’un triple chemin : une voie venait de Thèbes, l’autre d’Athènes et la troisième de Delphes. Là un char lui interdisait le passage. S’ensuivit une querelle au cours de laquelle Œdipe tua tous les passagers du char à l’exception d’un serviteur qui réussit à s’enfuir. Oedipe venait là d’accomplir le premier temps de la prophétie. Le chef de l’attelage n’étant autre que Laïos, son père qui se rendait à Delphes.

Œdipe continua son errance puis ses pas le conduisirent aux environs de Thèbes. Là la région était terrorisée par un sphinx, monstre féminin à la tête de femme, au corps de lion, et pourvu d’ailes comme un oiseau de proie. Le sphinx posait des questions à ceux qu’il rencontrait et s’ils n’avaient pas la bonne réponse il les dévorait. Ce monstre avait été envoyé par Héra, la femme de Zeus, pour punir Laïos de ses transgressions, et c’est donc en allant à Delphes pour savoir comment ce débarrasser du Sphinx que Laïos fut tué par Œdipe.

Œdipe rencontra la sphinge qui lui posa l’énigme suivante ! « Quel est l’animal qui a quatre pattes le matin, deux à midi et trois le soir venu ? » Œdipe répondit que c’était l’homme, puisque quand il est bébé l’homme marche à quatre pattes, puis sur deux pieds quand il est adulte et enfin, quand il est vieux, il avance sur trois pattes car ses pas sont soutenus par une canne.

On sait que les sphinx ne peuvent mourir que si l’on répond à leur question. Le sphinx étant la métaphore de la question. Si l’on vous demande combien font deux et deux, la question ne vous dévorera pas, elle est pour ainsi dire inexistante. Mais il y a d’autres questions qui peuvent vous empêcher de dormir et pour ainsi dire vous dévorer comme la sphinge de Thèbes. Néanmoins, la réponse d’Œdipe suffit pour que le sphinx puisse choisir la mort.

Nous remarquerons qu’il ne s’agit pas d’une réponse très profonde, on croirait à une devinette pour enfant. C’est qu’on peut répondre juste sans connaître la véritable dimension de notre réponse. C’est le cas de tous les jeunes gens qui passent des examens. À vingt ans on peut passer, par exemple, son agrégation de philosophie, on connaît plus ou moins tout ce qu’on dit les grands penseurs de l’histoire et ça suffit à nos examinateurs qui n’en demandent pas plus. Pourtant ce n’est qu’avec la maturité qu’on abordera vraiment à ce que disent en profondeur les philosophes. La réponse d’Œdipe est du même ordre. En surface c’est une devinette, en profondeur elle traduit l’évolution psychique de l’être humain : quatre, deux, trois.

L’être humain se confond d’abord avec ce qu’il perçoit, il se compte dans le compte, il s’ajoute au triangle familial, alors qu’il devrait s’en soustraire ; adulte, il accède à la logique binaire du conscient ; puis avec la sagesse il sait compter jusqu’à trois, parce qu’il sait introduire dans sa pensée, la scytale, le bâton dont on se servait pour la transmission des messages dans l’Antiquité et qui marque la dimension de l’inconscient.

En tout cas, les Thébains font fête au vainqueur du sphinx et lui proposent, puisqu’il est si intelligent d’être leur roi. Il lui suffit pour cela d’épouser leur reine Jocaste dont l’époux a disparu. Mais Jocaste est de caste royale tandis qu’Œdipe, comme son nom l’indique, n’est qu’un va nus pieds, si habile soit-il. C’est le mérite contre la naissance. Œdipe réussit à convaincre Jocaste de l’épouser et devint ainsi roi de Thèbes. Le deuxième temps de l’oracle vient de s’accomplir : Oedipe épouse sa mère.

Le nouveau roi géra très favorablement les affaires de Thèbes et donna à Jocaste quatre enfants. Mais un jour la peste tomba sur la ville et un oracle expliqua que cette épidémie ne disparaîtrait que lorsqu’on aura découvert qui est le meurtrier de Laïos. Œdipe se charge alors de l’enquête. C’est la première enquête policière où l’enquêteur découvre qu’il est lui-même l’assassin recherché. Apprenant qu’il a tué son père et épousé sa mère, Œdipe se crève les yeux et Jocaste se pend. Mais un oracle annonce aussitôt que là où mourra Œdipe ce sera la prospérité. Corinthe, Thèbes souhaitent alors qu’Œdipe vienne finir ses jours en leurs murs. Œdipe, rejeta Corinthe et les souvenirs de son enfance, et rejeta Thèbes où sa gloire fut si misérable ; il choisit de mourir dans les faubourg d’Athènes, à Colone. L’oracle se réalisa encore : Athènes en effet connue la prospérité que l’on sait, dans les domaines politique, scientifique, artistique et philosophique.

C’est une prospérité du même ordre qui nous attend lorsque nous aurons, d’une manière ou d’une autre, réaliser ce que Freud appelle la sortie de l’Œdipe. Lorsque nous aurons délivré Œdipe dans notre propre histoire. L’extinction de l’Œdipe nous débarrasse de nos résistances inconscientes : la culpabilité, le refoulement, les répétitions, le transfert. Si la conscience morale rejette et dénie l’inconscient, l’inconscient en revanche favorise et enrichit l’activité consciente créatrice.

Les commentaires étant l’expression expresse de la liberté. Nous passons maintenant aux questions.

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