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Prosper Jolyot de CRÉBILLON

Atrée et Thyeste (Acte 3)

Tragédie en cinq actes, représentée pour la première fois en 1707

Date de mise en ligne : samedi 21 mai 2005

ACTE 3
 Scène 1 : Atrée, Eurysthène.

Atrée.
Enfin, graces aux dieux, je tiens en ma puissance
le perfide ennemi que poursuit ma vengeance :
on l’observe en ces lieux, il ne peut échapper ;
la main qui l’a sauvé ne sert qu’à le tromper.
Vengeons-nous ; il est temps que ma colère éclate ;
profitons avec soin du moment qui la flatte,
et que l’ingrat Thyeste éprouve dans ce jour
tout ce que peut un coeur trahi dans son amour.

Eurysthène.
Eh ! Qui vous répondra que Plisthène obéisse,
que de cette vengeance il veuille être complice ?
Ne vous souvient-il plus que, prêt à la trahir,
il n’a point balancé pour vous désobéir ?

Atrée.
Il est vrai qu’au refus qu’il a fait de s’y rendre
je me suis vu contraint de n’oser l’entreprendre,
d’en différer enfin le moment malgré moi.
Mais qui l’a pu porter à me manquer de foi ?
N’avoit-il pas juré de servir ma colère ?
Tant de soins redoublés pour la fille et le père
ne sont-ils les effets que d’un cœur généreux ?
Non, non ; la source en est dans un cœur amoureux ;
tant d’ardeur à sauver cette race ennemie
me dit trop que Plisthène aime Théodamie :
je n’en puis plus douter ; il la voit chaque jour,
il a pris dans ses yeux ce détestable amour ;
et je m’étonne encor d’une ardeur si funeste !
Que pouvoit-il sortir d’Aerope et de Thyeste,
qu’un sang qui dût un jour assouvir mon courroux ?
Le crime est fait pour lui ; la vengeance, pour nous.
Livrons-le aux noirs forfaits où son penchant le guide ;
joignons à tant d’horreurs l’horreur d’un parricide.
Puis-je mieux me venger de ce sang odieux
que d’armer contre lui son forfait et les dieux ?
Heureux qu’en ce moment le crime de Plisthène
me laisse sans regret au courroux qui m’entraîne !
Qu’il vienne seul ici.

Scène 2

Atrée.
Le soldat écarté permet à ma fureur d’agir en liberté :
de son amour pour lui ma vengeance alarmée
déja loin de Chalcys a dispersé l’armée ;
tout ce que ce palais rassemble autour de moi
sont autant de sujets dévoués à leur roi.
Mais pourquoi contre un traître exercer ma puissance ?
Son amour me répond de son obéissance.
Par un coup si cruel je m’en vais l’éprouver ;
et de si près encor je m’en vais l’observer,
que, malgré tous ses soins, ma vengeance assurée
lavera par ses mains les injures d’Atrée.

Scène 3 : Atrée, Plisthène.

Atrée, bas.
Je le vois ; et pour peu qu’il ose la trahir,
je sais bien le secret de le faire obéir.
haut.
lassé des soins divers dont mon cœur est la proie,
prince, il faut à vos yeux que mon cœur se déploie.
Tout semble offrir ici l’image de la paix ;
cependant ma fureur s’accroît plus que jamais.
L’amour, qui si souvent loin de nous nous entraîne,
n’est point dans ses retours aussi prompt que la haine.
J’avais cru par vos soins mon courroux étouffé ;
mais je sens qu’ils n’en ont qu’à demi triomphé :
ma fureur désormais ne peut plus se contraindre,
ce n’est que dans le sang qu’elle pourra s’éteindre ;
et j’attends que le bras chargé de la servir,
loin d’arrêter son cours, soit prêt à l’assouvir.
Plisthène, c’est à vous que ce discours s’adresse.
J’avois cru, sur la foi d’une sainte promesse,
voir tomber le plus fier de tous mes ennemis ;
mais Plisthène tient mal ce qu’il m’avoit promis ;
et, bravant sans respect et les dieux et son père,
son coeur pour eux et lui n’a qu’une foi légère.

Plisthène.
Où sont vos ennemis ? J’avois cru que la paix
ne vous en laissait point à craindre en ce palais ;
je n’y vois que des cœurs pour vous remplis de zèle,
et qu’un fils pour son roi respectueux, fidèle,
qui n’a point mérité ces cruels traitements.
Où sont vos ennemis ? Et quels sont mes serments ?

Atrée.
Où sont mes ennemis ? Ciel ! Que viens-je d’entendre ?
Thyeste est dans ces lieux, et l’on peut s’y méprendre !
Vous deviez l’immoler à mon ressentiment :
voilà mon ennemi, voilà votre serment.

Plisthène.
Quelle que soit la foi que je vous ai jurée,
j’aurais cru que la vôtre eût été plus sacrée ;
qu’un frère, dans vos bras, à la face des dieux,
m’eût assez acquitté d’un serment odieux.
D’un pareil souvenir ma vertu me dispense ;
je ne me souviens plus que de votre clémence.
Mon devoir a ses droits, mais ma gloire a les siens,
et vos derniers serments m’ont dégagé des miens.

Atrée.
Sans vouloir dégager un serment par un autre,
veux-tu que tous les deux nous remplissions le nôtre ?
Et tu verras bientôt, si j’explique le mien,
que ce dernier serment ajoute encore au tien.
J’ai juré par les dieux, j’ai juré par Plisthène,
que ce jour qui nous luit mettroit fin à ma haine.
Fais couler tout le sang que j’exige de toi,
ta main de mes serments aura rempli la foi.
Regarde qui de nous fait au ciel une injure,
qui de nous deux enfin est ici le parjure.

Plisthène.
Ah ! Seigneur, puis-je voir votre cœur aujourd’hui
descendre à des détours si peu dignes de lui ?
Non, par de feints serments je ne crois point qu’Atrée
ait pu braver des dieux la majesté sacrée,
se jouer de la foi des crédules humains,
violer en un jour tous les droits les plus saints.
Enchanté d’une paix si longtemps attendue,
je vous louais déja de nous l’avoir rendue ;
et je m’applaudissais, dans des moments si doux,
d’avoir pu d’un héros désarmer le courroux.
J’admirais un grand cœur au milieu de l’offense,
qui, maître de punir, méprisait la vengeance.
Thyeste est criminel, voulez-vous l’être aussi ?
Sont-ce là vos serments ? Pardonnez-vous ainsi ?

Atrée.
Qui ! Moi, lui pardonner ! Les fières Euménides
du sang des malheureux sont cent fois moins avides,
et leur farouche aspect inspire moins d’horreur
que Thyeste aujourd’hui n’en inspire à mon cœur.
Quels que soient mes serments, trop de fureur m’anime.
Perfide, il te sied bien d’oser m’en faire un crime !
Laisse là ces serments ; si j’ai pu les trahir,
c’est au ciel d’en juger, à toi de m’obéir.
Dans un fils qui faisait ma plus chère espérance
je ne vois qu’un ingrat qui trahit ma vengeance.
Plisthène est un héros, son père est outragé ;
il a de la valeur, je ne suis pas vengé !
Ah ! Ne me force point, dans ma fureur extrême,
(que sais-je ? Hélas !) peut-être à t’immoler toi-même !
Car enfin, puisqu’il faut du sang à ma fureur,
malheur à qui trahit les transports de mon cœur !

Plisthène.
Versez le sang d’un fils, s’il peut vous satisfaire ;
mais n’en attendez rien à sa vertu contraire.
S’il faut voir votre affront par un crime effacé,
je ne me souviens plus qu’on vous ait offensé ;
oui, seigneur ; et ma main, loin d’être meurtrière,
défendra contre vous les jours de votre frère.
Seconder vos fureurs, ce serait vous trahir :
votre gloire m’engage à vous désobéir.

Atrée.
Enfin j’ouvre les yeux : ta lâcheté, perfide,
ne me fait que trop voir l’intérêt qui te guide.
Tu trahis pour Thyeste et les dieux et ta foi ;
ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il est connu de toi.
Ose encor me jurer que pour Théodamie
ton cœur ne brûle point d’une flamme ennemie.

Plisthène.
Ah ! Si c’est là trahir mon devoir et ma foi,
non, jamais on ne fut plus coupable que moi.
Oui, seigneur, il est vrai, la princesse m’est chère ;
jugez si c’est à moi d’assassiner son père.
Vous connaissez le feu qui dévore mon sein ;
et pour verser son sang vous choisissez ma main !

Atrée.
Ce n’est pas la vertu, c’est donc l’amour, parjure,
qui te force au refus de venger mon injure !
Voyons si cet amour, qui t’a fait me trahir,
servira maintenant à me faire obéir.
Tu n’auras pas en vain aimé Théodamie :
venge-moi dès ce jour, ou c’est fait de sa vie.

Plisthène.
Ah ! Grands dieux !

Atrée.
Tu frémis ; je t’en laisse le choix,
et te le laisse, ingrat, pour la dernière fois.

Plisthène.
Ah ! Mon choix est tout fait dans ce moment funeste ;
c’est mon sang qu’il vous faut, non le sang de Thyeste.

Atrée.
Quand l’amour de mon fils semble avoir fait le sien,
il ne m’importe plus de son sang ou du tien.
Obéis cependant, achève ma vengeance ;
l’instant fatal approche, et Thyeste s’avance :
s’il n’est mort lorsque enfin je reverrai ces lieux,
j’immole sans pitié ton amante à tes yeux.
Rappelle tes esprits ; avec lui je te laisse.
Au secours de ta main appelle ta princesse ;
le soin de la sauver doit exciter ton bras.

Plisthène.
Quoi ! Vous l’immoleriez ! Je ne vous quitte pas.
Je crois voir dans Thyeste un dieu qui m’épouvante.
Ah ! Seigneur !

Atrée.
Viens donc voir expirer ton amante ;
du moindre mouvement sa mort sera le fruit.

Scène 4

Plisthène.
Dieux ! Plongez-moi plutôt dans l’éternelle nuit.
Non, cruel, n’attends pas que ma main meurtrière
fasse couler le sang de ton malheureux frère.
Assouvis, si tu veux, ta fureur sur le mien :
mais, dussé-je en périr, je défendrai le sien.

Scène 5 : Thyeste, Plisthène.

Thyeste.
Prince, qu’un tendre soin dans mon sort intéresse,
héros dont les vertus charment toute la Grèce,
qu’il m’est doux de pouvoir embrasser aujourd’hui
de mes jours malheureux l’unique et sûr appui !

Plisthène.
Quel appui, juste ciel ! Quel coeur impitoyable
ne seroit point touché du sort qui vous accable ?
Ah ! Plût aux dieux pouvoir, aux dépens de mes jours,
d’une si chère vie éterniser le cours !
Que je verrais couler tout mon sang avec joie,
s’il terminait les maux où vous êtes en proie !
Ce n’est point la pitié qui m’attendrit, seigneur :
je sens des mouvements inconnus à mon cœur.

Thyeste.
Seigneur, soit amitié, soit raison, qui m’inspire,
tout m’est cher d’un héros que l’univers admire.
Que ne puis-je exprimer ce que je sens pour vous !
Non, l’amitié n’a point de sentiments si doux.

Plisthène.
Ah ! Si je vous suis cher, que mon respect extrême
m’acquitte bien, seigneur, de ce bonheur suprême !
On n’aima jamais plus ; le ciel m’en est témoin ;
à peine la nature iroit-elle aussi loin :
et ma tendre amitié, par vos maux consacrée,
a semblé redoubler par les rigueurs d’Atrée.
Vous m’aimez ; le ciel sait si je puis vous haïr,
ce qu’il m’en coûteroit s’il fallait obéir.

Thyeste.
Seigneur, que dites-vous ? Qui fait couler vos larmes ?
Que tout ce que je vois fait renaître d’alarmes !
Vous soupirez ; la mort est peinte dans vos yeux ;
vos regards attendris se tournent vers les cieux :
quel malheur si terrible a pu troubler Plisthène ?
Jusqu’au fond de mon coeur je ressens votre peine.
Voulez-vous dérober ce secret à ma foi ?
Quand je suis tout à vous, n’êtes-vous point à moi ?
Cher prince, ignorez-vous à quel point je vous aime ?
Ma fille ne m’est pas plus chère que vous-même.

Plisthène.
Faut-il la voir périr dans ces funestes lieux ?

Thyeste.
Quel étrange discours ! Cher prince, au nom des dieux,
au nom d’une amitié si sincère et si tendre,
daignez m’en éclaircir.

Plisthène.
Ah ! Dois-je vous l’apprendre ?
Mais, dût tomber sur moi le plus affreux courroux,
je ne puis plus trahir ce que je sens pour vous.
Fuyez, seigneur, fuyez.

Thyeste.
Quel est donc ce mystère,
cher prince ? Et qu’ai-je encore à craindre de mon frère ?

Scène 6 : Atrée, Thyeste, Plisthène.

Plisthène, apercevant Atrée.
Ah ciel !

Atrée, à Plisthène.
C’est donc ainsi que, fidèle à son roi...
mais je sais de quel prix récompenser ta foi...

Plisthène.
Ah ! Seigneur, si jamais...

Atrée.
Que voulez-vous me dire ?
Sortez : en d’autres lieux vous pourrez m’en instruire.
Votre frivole excuse exige un autre temps ;
et mon cœur est rempli de soins plus importants.

Scène 7 : Atrée, Thyeste.

Thyeste.
De ce transport, seigneur, que faut-il que je pense ?
Qui peut vous emporter à tant de violence ?
Qu’a fait ce fils ? Qui peut vous armer contre lui ?
Ou plutôt contre moi qui vous arme aujourd’hui ?
Ne m’offrez-vous la paix... ?

Atrée.
Quel est donc ce langage ?
à me l’oser tenir quel soupçon vous engage ?
Quelle indigne frayeur a troublé vos esprits ?
Quel intérêt enfin prenez-vous à mon fils ?
Ne puis-je menacer un ingrat qui m’offense,
sans aigrir de vos soins l’injuste défiance ?
Allez : de mes desseins vous serez éclairci ;
et d’autres intérêts me conduisent ici.

Scène 8

Atrée.
Quoi ! Même dans des lieux soumis à ma puissance
j’aurai tenté sans fruit une juste vengeance !
Et le lâche qui doit la servir en ce jour
trahit, pour la tromper, jusques à son amour !
Ah ! Je le punirai de l’avoir différée,
comme fils de Thyeste, ou comme fils d’Atrée.
Mériter ma vengeance est un moindre forfait
que d’oser un moment en retarder l’effet.
Perfide, malgré toi, je t’en ferai complice,
ton roi, pour tant d’affronts, n’a pas pour un supplice.
Je ne punirais point vos forfaits différents,
si je ne m’en vengeais par des forfaits plus grands.
Où Thyeste paraît, tout respire le crime ;
je me sens agité de l’esprit qui l’anime ;
je suis déja coupable, était-ce me venger
que de charger son fils du soin de l’égorger ?
Qu’il vive, ce n’est plus sa mort que je médite,
la mort n’est que la fin des tourments qu’il mérite.
Que le perfide, en proie aux horreurs de son sort,
implore comme un bien la plus affreuse mort.
Que ma triste vengeance, à tous les deux cruelle,
étonne jusqu’aux dieux qui n’ont rien fait pour elle.
Vengeons tous nos affronts, mais par un tel forfait,
que Thyeste lui-même eût voulu l’avoir fait.
Lâche et vaine pitié, que ton murmure cesse ;
dans les cœurs outragés tu n’es qu’une faiblesse ;
abandonne le mien : qu’exiges-tu d’un coeur
qui ne reconnoît plus de dieu que sa fureur ?
Courons tout préparer ; et, par un coup funeste,
surpassons, s’il se peut, les crimes de Thyeste.
Le ciel, pour le punir d’avoir pu m’outrager,
a remis à son sang le soin de m’en venger.

P.-S.

Texte établi par Abréactions Associations d’après la tragédie de Prosper Jolyot de CRÉBILLON, Atrée et Thyeste, publiée aux Éditions Didot, à Paris, en 1818.

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