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René Descartes

Règles pour la direction de l’esprit (X)

Œuvres, Tome XI, Éd. Levrault, Paris, 1826

Date de mise en ligne : samedi 7 février 2004

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René Descartes, Règles pour la direction de l’esprit (1628).
 Règle dixième.

Pour que l’esprit acquière de la facilité, il faut l’exercer à trouver les choses que d’autres ont déjà découvertes, et à parcourir avec méthode même les arts les plus communs, surtout ceux qui expliquent l’ordre ou le supposent.

J’avoue que je suis né avec un esprit tel, que le plus grand bonheur de l’étude consiste pour moi, non pas à entendre les raisons des autres, mais à les trouver moi-même [1]. Cette disposition seule m’excita jeune encore à l’étude des sciences ; aussi, toutes les fois qu’un livre quelconque me promettait par son titre une découverte nouvelle, avant d’en pousser plus loin la lecture, j’essayais si ma sagacité naturelle pouvait me conduire à quelque chose de semblable, et je prenais grand soin qu’une lecture empressée ne m’enlevât pas cet innocent plaisir. Cela me réussit tant de fois que je m’aperçus enfin que j’arrivais à la vérité, non plus comme les autres hommes après des recherches aveugles et incertaines, par un coup de fortune plutôt que par art, mais qu’une longue expérience m’avait appris des règles fixes, qui m’aidaient merveilleusement, et dont je me suis servi dans la suite pour trouver plusieurs vérités. Aussi ai-je pratiqué avec soin cette méthode, persuadé que dès le principe j’avais suivi la direction la plus utile.

Mais comme tous les esprits ne sont pas également aptes à découvrir tout seuls la vérité, cette règle nous apprend qu’il ne faut pas tout-à-coup s’occuper de choses difficiles et ardues, mais commencer par les arts les moins importants et les plus simples, ceux surtout où l’ordre règne, comme sont les métiers du tisserand, du tapissier, des femmes qui brodent ou font de la dentelle ; comme sont encore les combinaisons des nombres, et tout ce qui a rapport à l’arithmétique, tant d’autres arts semblables en un mot, qui exercent merveilleusement l’esprit, pourvu que nous n’en empruntions pas la connaissance aux autres, mais que nous les découvrions nous-mêmes. En effet, comme ils n’ont rien d’obscur, et qu’ils sont parfaitement à la portée de l’intelligence humaine, ils nous montrent distinctement des systèmes innombrables, divers entre eux, et néanmoins réguliers. Or c’est à en observer rigoureusement l’enchaînement que consiste presque toute la sagacité humaine. Aussi avons-nous averti qu’il faut examiner ces choses avec méthode ; or la méthode, dans ces arts subalternes, n’est autre que la constante observation de l’ordre qui se trouve dans la chose même, ou qu’y a mis une heureuse invention. De même, quand nous voulons lire des caractères inconnus au milieu desquels nous ne découvrons aucun ordre, nous en imaginons d’abord un, soit pour vérifier les conjectures qui se présentent à nous sur chaque signe, chaque mot ou chaque phrase, soit pour les disposer de manière que nous puissions connaître par énumération ce qu’on en peut déduire. Il faut surtout prendre garde de perdre notre temps à deviner de pareilles choses par hasard ou sans méthode. En effet, quoiqu’il fût souvent possible de les découvrir sans le secours de l’art, et même avec du bonheur plus vite que par la méthode, elles émousseraient l’esprit, et l’accoutumeraient tellement aux choses vaines et puériles, qu’il courrait risque de s’arrêter à la superficie sans jamais pénétrer plus avant. Gardons-nous cependant de tomber dans l’erreur de ceux qui n’occupent leurs pensées que de choses sérieuses et élevées, dont après beaucoup de peines ils n’acquièrent que des notions confuses, tout en en voulant de profondes. Il faut donc commencer par des choses faciles, mais avec méthode, pour nous accoutumer à pénétrer par les chemins ouverts et connus, comme en nous jouant, jusqu’à la vérité intime des choses. Par ce moyen nous deviendrons insensiblement, et en moins de temps que nous ne pourrions l’espérer, capables de déduire avec une égale facilité de principes évidents un grand nombre de propositions qui nous paraissaient très difficiles et très embarrassées.

Plusieurs personnes s’étonneront peut-être que, traitant ici des moyens de nous rendre plus propres à déduire des vérités les unes des autres, nous omettions de parler des préceptes des dialecticiens, qui croient diriger la raison humaine en lui prescrivant certaines formules de raisonnement si concluantes, que la raison qui s’y confie, encore bien qu’elle se dispense de donner à la déduction même une attention suivie, peut cependant par la vertu de la forme seule arriver à une conclusion certaine. Nous remarquons en effet que la vérité échappe souvent à ces liens, et que ceux qui s’en servent y restent enveloppés. C’est ce qui n’arrive pas si souvent à ceux qui n’en font pas usage, et notre expérience nous a démontré que les sophismes les plus subtils ne trompent que les sophistes, et presque jamais ceux qui se servent de leur seule raison.

Aussi, dans la crainte que la raison ne nous abandonne quand nous recherchons la vérité dans quelque chose, nous rejetons toutes ces formules comme contraires à notre but, et nous rassemblons seulement tous les secours qui peuvent retenir notre pensée attentive, ainsi que nous le montrerons par la suite. Or pour se convaincre plus complètement que cet art syllogistique ne sert en rien à la découverte de la vérité, il faut remarquer que les dialecticiens ne peuvent former aucun syllogisme qui conclue le vrai, sans en avoir eu avant la matière, c’est-à-dire sans avoir connu d’avance la vérité que ce syllogisme développe. De là il suit que cette forme ne leur donne rien de nouveau ; qu’ainsi la dialectique vulgaire est complètement inutile à celui qui vent découvrir la vérité, mais que seulement elle peut servir à exposer plus facilement aux autres les vérités déjà connues, et qu’ainsi il faut la renvoyer de la philosophie à la rhétorique.

P.-S.

Texte établi par Abréactions Associations d’après l’ouvrage de René Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, dans Les Œuvres de Descartes publiées par Victor Cousin, Tome XI, Éd. F. G. Levrault, Paris, 1826.

Notes

[1Cette dixième règle de Descartes n’est pas sans rappeler la règle méthodologique que Freud s’est toujours fixé et qu’il expose très clairement en 1925 : "Je ne voudrais pas donner l’impression qu’au cours de cette dernière période de mon travail, j’ai tourné le dos à l’observation patiente et me suis adonné tout entier à la spéculation. Je suis toujours resté bien plutôt en étroit contact avec le matériel analytique, et je n’ai jamais cessé de travailler des thèmes spéciaux, cliniques ou techniques. Même là où je me suis éloigné de l’observation, j’ai soigneusement évité de m’approché de la philosophie proprement dite. Une incapacité constitutionnelle m’a grandement facilité une telle abstention. […]. Les larges concordances de la psychanalyse avec la philosophie de Schopenhauer - il n’a pas seulement soutenu la thèse du primat de l’affectivité et de l’importance prépondérante de la sexualité, mais il a même eu connaissance du mécanisme du refoulement - ne peuvent se déduire de ma familiarité avec sa doctrine. Quant à Nietzsche, l’autre philosophe dont les pressentiments et les aperçus coïncident souvent de la manière la plus étonnante avec les résultats laborieux de la psychanalyse, je l’ai longtemps évité précisément pour cette raison ; la priorité dans la découverte m’importait moins que de rester sans prévention" (S. Freud, Présenté par lui-même [1925], Gallimard, Paris, 1984, p. 100). [Abréactions Associations].

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