« On sait bien que le corps ne se nourrit pas que de pain. Il avale tout, y compris des couleuvres, les arêtes au fond de la gorge, et les humiliations et les peines, les mots qu’on entend et ceux qu’en vain on attend, gifles et caresses, baisers, regards, coups de latte, compliments et punitions. De cette nourriture, que la mémoire malaxe, imprime à jamais dans le souvenir ou éparpille dans l’ombre de l’oubli, le corps fait ses gestes, ses postures, son attitude vis-à-vis du monde et d’autrui, sa force créatrice parfois, son asthénie souvent, sa fatigue, ses tremblements et ses inhibitions. Il arrive que, dans le premier âge, elle ait été de fiel, amère, empoisonnée, toute de sévices, de cris et de brimades. Alors l’enfant battu, l’enfant maltraité et mal-aimé, incapable de rejeter la violence sur ses parents, parce qu’il les aime, parce que illusions, dénis, attentes ou déceptions ne parviennent pas à relâcher l’attachement qui le lie à eux, alors l’enfant battu la laisse mûrir en lui, la dirigera sur d’autres, la fera subir aux enfants qu’à son tour il aura, la retournera sur lui-même.
Alice Miller, dont on publie Notre corps ne ment jamais, a aujourd’hui 81 ans » (Robert Maggiori, Libération.fr).
– Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, Traduit de l’allemand par Léa Marcou, Flammarion, Paris, 2004, 206 pp., 17 €.