« Si la figure d’Œdipe se voit érigée en symbole de l’artiste, ce n’est donc plus de la vie humaine qu’il est question dans l’épreuve du passage devant le Sphinx ; reste donc une autre vie, celle du travail accompli. Sous la figure idéalisée du jeune homme paisible à la tête penchée et au regard serein (un regard en coin d’ailleurs étrangement complice avec le spectateur), c’est bien le peintre arrivé à la fin de son existence qui apparaît ainsi soucieux d’affronter “l’épreuve triomphante ou fatale” qui doit décider de l’oubli ou de la survie de son œuvre. Le Sphinx serait alors comme une image de la postérité, le jugement porté sur un destin artistique après cette “grande montée” qu’est une vie et une carrière de peintre. Les artistes se partagent donc bien, aux yeux de Moreau, en faibles voués à la mort et en forts qui peuvent triompher d’elle. Il ne fait guère de doute, si l’on en juge par la sérénité de son ultime Œdipe, que le peintre était conscient d’appartenir à ces derniers.
Tout au long de son existence, Gustave Moreau aura ainsi identifié le pays où l’on peint avec les « grands rochers thébains » et le repaire du monstre, image s’il en fut de la difficulté d’œuvrer mais aussi vision pénétrante, ainsi que l’écrivait Marcel Proust, de cette âme qui n’est autre que “sa patrie véritable, mais où il ne vit que de rares moments” » (Jean-David Jumeau-Lafond, latribunedelart.com).