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Psychanalyse et mythologie

Apollon « sans nombre »

Connais-toi toi-même… Rien de trop !

Date de mise en ligne : mercredi 18 mars 2009

Auteur : Guy MASSAT

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Apollon « sans nombre »

On sait depuis Heidegger que les Grecs ne croyaient pas en leurs dieux. Ces personnages ne correspondent à aucun être. Ils figurent seulement les mots et leurs conflits qui nous animent depuis toujours inconsciemment.

On a quelque peu oublié aujourd’hui ce que voulait dire Apollon et jusqu’à la signification de son nom. Certains soutiennent encore, avec ceux qui s’acharnent à discréditer la mythologie, comme par exemple les monothéistes, et tout spécialement les premiers empereurs chrétiens, que le nom d’Apollon vient du mot péjoratif « apollumi » qui signifie « perdre ». De nos jours les passions s’étant calmées, on pourra remarquer que nom d’Apollon est composé du « a » privatif et de « polloi, η, ον » qui signifie nombreux, ce que l’on peut traduire en français par « sans nombre ». L’intérêt de cette interprétation vient de ce que chaque nombre exclue nécessairement les nombres, innombrables (polloi), qui ne sont pas lui, tandis que le « sans nombre » (a-polloi) ne rejette aucune chose. L’adverbe « sans » parce qu’il marque l’absence est du même coup disponible pour toute réception.

Pythagore, l’inventeur du mot philosophie, se disait fils d’Apollon, ce qui place le « sans nombre » à l’origine des nombres. Le « sans nombre » absorbe le principe d’identité et le principe de non identité dans le même mouvement. C’est la perspective du devenir, de l’impermanence et spécialement aujourd’hui de la physique quantique. Les savants contemporains nous disent que l’électron n’a pas de substance, qu’il est et qu’il n’est pas en même temps, qu’il est à la fois onde et particule. Ce qui relève du nihil negativum kantien c’est-à-dire du contradictoire parfait. Cela ruine le principe d’identité qui fondait depuis Aristote la pensée occidentale.

On remarquera que le principe d’identité : A est A ou A ne peut être non-A, exclut avec une certaine arrogance tout Autre comme n’étant pas lui. En revanche, a-pollon, le « sans nombre », est ce qui absorbe dans le même mouvement d’harmonie le A et le non A. C’est une dynamique qui relève de la pulsation temporelle que Lacan appelle l’inconscient. La mort est aussi vivante que la vie est mortelle. On l’appelle la vie et elle produit la mort. On l’appelle la mort et elle produit la vie (tant il est vrai que tout ce que nous mangeons pour vivre est mort, dépecé et cuit). Non seulement l’harmonie vient des contraires mais c’est le contradictoire qui la produit. La science contemporaine nous avertit : « Fin de la physique, début du temps ». Apollon conduisait justement le char du soleil qui figure le temps comme sa sœur jumelle Artémis dirigeait le char des lumières lunaires. Ces jumeaux faisaient germer la vie et rendaient les cœurs joyeux.

Les oracles et les paroles d’Apollon jouent sur l’obscurité et la clarté, c’est pourquoi ils étaient appelés « loxias » c’est-à-dire équivoques. Aujourd’hui, avec Freud et Lacan, on sait que la loxias est la particularité du discours inconscient qui privilégie les jeux phonétiques, les sens propres et les sens figurés. C’était aussi le discours des Pythies. Sans forcer l’interprétation on peut dire que les Pythies étaient en quelque sorte les psychanalystes de l’époque. Elles guérissaient et résolvaient les difficultés par la parole et l’interprétation des rêves. La loxias semble irrationnelle mais elle l’est comme l’irrationalité du nombre d’or qui chiffre la formule de la beauté et proportionne les correspondances secrètes des changements. Si Apollon diffère de Dionysos c’est en tant que la beauté se distingue du sublime. Les monothéistes et les substantialistes qui se fondent sur le principe d’identité sont désorientés quand ils constatent qu’Apollon est décrit à la fois comme étant blond et appelé « le dieu aux cheveux d’or » et comme étant brun avec de longues boucles noires aux reflets bleutés. Plus encore quand ils constatent qu’Apollon est bisexuel. Il a autant d’aventures avec les femmes qu’avec les hommes. La loxias, l’équivoque, l’ambigüité, la dualité, le contradictoire est impossible à admettre tant pour les monothéistes que pour les substantialistes. Nous vivons pourtant dans une civilisation électronique ce qui la fait dépendre de l’électron, « achose » sans substance, tel le poisson soluble de Breton qui est et il qui n’est pas au même endroit, en même temps et sous le même rapport. L’électron, nous dit-on est à la fois onde et particule. Ce qui est aussi contradictoire que la loxias apollinienne.

Sur le fronton du temple de Delphes s’inscrivait le célèbre aphorisme à double sens « Connais-toi toi-même ». Cette formule est équivoque, parce qu’elle vise aussi bien la dimension consciente que la dimension inconsciente de l’homme. Cependant si elle se réduisait au conscient elle paraîtrait plate et naïve. Car bien évidemment dans cette perspective chacun sait qui il est. Il sait son nom, son sexe, son adresse, son pays etc. Quoi qu’il en soit Socrate, « le plus sage des hommes », avait placé la philosophie dans son ensemble sous l’égide de cette sentence. C’est dans l’autre dimension de l’être humain, l’inconscient, que l’aphorisme devient la plus étonnante des mises en abîmes. Car en effet sous cet angle aucun d’entre-nous n’a jamais su qui il était.

Il en va de même pour l’autre précepte apollinien qui est arrivé jusqu’à nous : « rien de trop ». Si cet adage désignait la tempérance recommandée par la sagesse populaire, il tiendrait plus de la plus banale prudence que d’un savoir supérieur. Quiconque, en bon droit pourrait lui rétorquer « Un peu trop, c’est juste assez pour moi ! » Pourtant ce raccourci apollinien désigne une autre logique où la non-identité ne refoule pas l’identité, le non-A ne rejette pas le A. Car pour l’identité de A, le non A est de trop. Pour l’être, son « être pas » est de trop, pour le principe du tiers exclu, la troisième hypothèse est de trop. Tandis que cette dynamique de la loxias assure au contraire, comme la physique moderne et l’inconscient, que l’impossible-contradictoire n’est pas de trop.

Fils de Zeus (la vie) et de Léto, déesse de la Nuit, Apollon et Artémis sont nés sur l’île flottante d’Ortygie, car furieuse, Héra, l’épouse officielle de Zeus, avait fait en sorte que Léto, sa rivale, ne puisse accoucher sur aucun endroit de la terre ferme. L’île flottante Ortygie fut appelé par Apollon et Artémis le centre du monde et nommée l’Apparente, Délos en grec. Apollon et Artémis étaient doués d’une radieuse beauté et d’une force invincible. Leur père, Zeus, leur offrit à leur naissance un char magique attelé de cygnes et leur demi frère Héphaistos (le feu) leur forgea des arcs et des flèches qui avaient la capacité de tuer ou de donner la vie. Dans leur char magique, ils voyagèrent d’abord à la recherche d’un lieu pour établir leur culte. Leur exploration les mena au pays des Hyperboréens, pays de l’extrême nord d’où souffle Borée, le dieu du vent au double visage. Puis ils redescendirent jusqu’au pied du mont Parnasse où sévissait un dragon femelle qui massacrait bêtes et gens en prononçant des oracles. Il était surnommé Python (du verbe grec putho, pourrir, détruire). La jalouse Héra s’était assuré ses services. En apercevant les jeunes dieux, le monstre, dont la gueule crachait du feu, tenta de les anéantir. Mais de leurs flèches infaillibles Apollon et Artémis abattirent le dragon femelle métamorphosant et incluant le mal au bien et l’ombre à la lumière. Ainsi créèrent-ils sur le territoire de Python les fameux « Jeux Pythiques » des arts, des lettres et du sport. Les jeux pythiques étaient une organisation semblable aux Jeux Olympiques mais comprenant surtout, outre du sport, des concours artistiques, de théâtre, de tragédie, de comédie, de musique, de poésie, de danse etc. sous l’idéale protection des neuf muses. Ils avaient lieu tous les quatre ans, et se situaient entre les jeux olympiques.

Dès lors, le mont Parnasse fut consacré à Apollon et devint la montagne des Muses, le lieu sacré des poètes. Dans le même esprit la région de Pytho changea son nom en celui de Delphes. Delphes étymologiquement se rapporte à la fois à delphus qui signifie matrice, la matrice qui nous fait naître, et à delphis qui signifie dauphin. Il s’agit du dauphin au long nez, le poisson phallique, qui sauve les naufragés. « J’aime ceux qui ne savent vivre qu’en sombrant, nous dit Nietzsche, car ils passent par delà » (Ainsi parlait Zarathoustra). Le Dauphin est le symbole de la régénérescence par le mouvement. Il est, comme le temps qui fait passer par delà au sens propre comme au sens figuré.

Delphes fut consacré à Apollon tandis qu’Artémis fonda son temple à Ephèse, temple qui dit-on, fut la plus belle des sept merveilles du monde. Aujourd’hui il n’en reste plus qu’une seule colonne au centre d’un terrain vague.

Apollon, le « sans nombre » qui inclut les contradictoires dans le même mouvement s’affirme par là même le « dieu » suprême de la musique et des arts (représentés par les neuf muses). Il créa la lyre à sept cordes. Son frère Hermès ayant inventé la flute Apollon lui échangea contre le caducée. Car Apollon était aussi le dieu de la médecine. Il était à la fois le médecin du corps, de l’esprit et des formations inconscientes. Son fils Asclépios, dieu de la chirurgie, des remèdes et des poisons guérissait non seulement les maladies des humains mais avait réussi à faire qu’ils ne meurent plus (Zeus, la vie, désapprouva ce prodige et rétablit l’ordre des choses). On raconte que ceux qui vénéraient Apollon jouissaient toujours d’une longue vie.

Le sanctuaire d’Apollon était ouvert aux hellènes comme aux barbares. Il était le centre culturel le plus fréquenté de toute la méditerranée. L’endroit était reconnu comme le centre de l’univers, parce qu’il était le point du cercle où s’étaient rencontrés les deux aigles lâchés en même temps par Zeus, l’un vers l’Est et l’autre vers l’Ouest, pour connaître l’étendu de ses royaumes. Le temple lui-même, bâti selon le nombre d’or, était décoré de couleurs vives. Il comprenait une salle d’attente pour les consultants, devant le cabinet de la Pythie. De multiples galeries de marbres furent construites au cours des siècles pour abriter les trophées, les ex-voto et les diverses œuvres d’art offerts en hommage à Apollon.

L’oracle de Delphes exerça sur le monde grec une influence majeure, tant sur les particuliers que sur les états. Il intervenait dans les affaires et les conflits des cités, sachant s’opposer aux excès des tyrannies comme aux excès des démocraties.

Les empereurs chrétiens interdirent au nom du monothéisme les cultes païens, fermèrent toutes les écoles de philosophie, interdirent les jeux olympiques et les jeux pythiques, condamnèrent la médecine et la science grecque ainsi que les arts et la poésie exigeant de ne s’occuper que de leur Dieu unique selon le paralogisme qu’il ne peut y a voir d’autre savoir que lui. Le dernier oracle de Delphes fut prononcé à l’adresse de l’empereur chrétien Julien. Il s’intitule « L’eau a cessé de parler » :

La riche demeure est tombée,
Phébus, n’a plus de foyer,
Ni de laurier prophétique
Ni de source chantante
Car
L’eau a cessé de parler.

« L’eau qui parle » symbolise la conception du devenir opposée à la conception statique de l’être. Aujourd’hui avec la physique quantique et l’inconscient psychanalytique ne pourrait-on pas dire que, d’une certaine manière, l’eau de la source chantante, se remet à parler ?

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