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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym

Les Farfadets : Préface et discours préliminaire

Les Farfadets ou Tous les démons ne sont pas de l’autre monde

Date de mise en ligne : mercredi 15 novembre 2006

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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym, Les Farfadets ou Tous les démons ne sont pas de l’autre monde, À compte d’auteur, Paris, 1821.

LES FARFADETS
ou
Tous les démons ne sont pas de l’autre monde

Jésus-Christ fut envoyé sur la terre par Dieu le père, afin de laver le genre humain de ces péchés ; j’ai lieu de croire que je suis destiné à détruire les ennemis du Très-Haut.

À TOUS LES EMPEREURS, ROIS, PRINCES, SOUVERAINS,
DES QUATRE PARTIES DU MONDE

SIRES,

Pères des peuples, qui représentez sur la terre le Dieu de Paix et de Consolation, qui est dans le ciel, réunissez vos efforts aux miens pour détruire l’influence des Démons, Sorciers et Farfadets, qui désolent les malheureux habitants de vos États. Vous voyez à vos pieds le plus infortuné des hommes ; les tourments auxquels je suis en lutte depuis plus de vingt-trois ans sont les plus beaux titres que je puisse avoir à un de vos regards paternels.

Ah ! il y a déjà longtemps que les persécutions diaboliques des Farfadets auraient eu un terme sur la terre, si quelqu’un de vos sujets avait eu le courage de vous les dévoiler. C’est pour les démasquer que je vous dédie mon ouvrage ; vous ne serez pas insensibles à mes tourments, vous les ferez cesser dès qu’ils vous seront connus.

J’ai l’honneur d’être, avec le plus profond respect,
DE VOS MAJESTES,
SIRES,

Le très humble, très obéissant sujet et serviteur

BERBIGUIER,
De Terre-Neuve du Thym

PRÉFACE

JE VEUX FAIRE PRÉCÉDER MON OUVRAGE de quelques observations préliminaires qui mettront mes lecteurs dans le cas de lire et apprécier mes Mémoires. Ma préface ne doit pas être longue.

J’ai gardé le silence pendant bien longtemps, quoique pendant ce même temps je fusse persécuté par la race des farfadets ; je ne me suis décidé à rompre ce silence que lorsque mes ennemis ont poussé leurs travaux à leur comble. C’est lorsqu’ils ont troublé le repos public par leurs visites nocturnes ; c’est lorsqu’ils ont détruit toutes nos récoltes, suscité les tempêtes et les orages, fait agir l’influence des planètes, fait tomber la grêle, interverti l’ordre des saisons, suborné nombre de femmes et de filles, mis la désunion dans les ménages, procuré des morts secrètes, que j’aurais été coupable, si je n’avais pas dévoilé leurs criminelles entreprises. J’ai donc mis en ordre toutes mes notes, et j’en ai fait un corps d’ouvrage que je dédie aujourd’hui à tous les empereurs, rois, princes, souverains, des quatre parties du monde.

C’est dans l’intérêt du genre humain que j’agis, je veux que tous les farfadets soient mis à la raison, et mon but sera rempli.

La terre ne sera plus peuplée de ces vampires abominables, tous les ménages seront heureux, les filles ne seront plus exposées aux criminelles visites de ces monstres ; le cours des saisons sera rétabli, tous les hommes et toutes les femmes deviendront vertueux, parce qu’ils n’auront plus auprès d’eux ces instigateurs qui nous entraînent dans la route du vice ; c’est alors qu’on verra que la domination des farfadets n’a été si longue que parce que personne, avant moi, n’avait eu le courage de les attaquer avec la persévérance qui me caractérise. Mes lecteurs sauront encore de quelle manière je les traite depuis près de vingt-trois ans ; combien j’ai été de fois en butte à leurs tentations, et comment j’ai su leur résister. C’est à mon Dieu créateur que j’en suis redevable ; je ne tomberai jamais dans les pièges qui m’ont été tendus. Lorsque je donnerai à Dieu cette âme qui lui appartient, elle paraîtra devant lui pure, comme elle le fut le lendemain de mon baptême.

J’ai cru, dans l’intérêt de ma cause, devoir désigner nominativement les plus cruels de mes ennemis. Les Pinel, les Moreau, les Prieur, les Chaix, les Vandeval, et tous ceux qui m’ont fait endurer les plus cruelles souffrances, sont les premiers farfadets du royaume. Lorsqu’ils seront connus de tous les souverains, ils ne sauront plus où reposer leurs têtes criminelles. Les cruels ! ils m’ont bien persécuté ! et c’est toujours sous le prétexte de n’agir que pour mon bien qu’ils m’ont agité. Quand ils se présentaient devant moi sous leur formes humaines, on les aurait pris pour les meilleures gens du monde ; mais c’est lorsqu’ils se sont introduits invisiblement chez moi pour me faire souffrir, qu’ils ont été les dignes agents de l’infâme Belzébuth, dont ils forment le corps secret et d’élite. Ils tremblent maintenant qu’ils sont certains de ma résolution ! Ils ont voulu, par tous les moyens possibles, m’empêcher de faire imprimer mon ouvrage. Ils m’ont fait menacer, par l’infâme Chaix, de me traduire devant le Tribunal de Police Correctionnelle, comme calomniateur ; mais la preuve des faits que je cite contre eux sera pour moi bien facile à faire, ils viendront eux-mêmes l’administrer. Pendant le jugement ils s’introduiront dans les narines, dans les oreilles de mes juges ; ils leur piqueront les jambes, ils se cacheront dans les manches de leurs robes, ils se glisseront dessous leurs bonnets carrés. La connaissance que j’ai de leurs projets les détournera de la voie juridique. D’ailleurs, lorsque j’injurie mes ennemis, et que je leur donne les épithètes d’infâmes, de coquins, etc., etc., je ne prétends pas attaquer leurs qualités personnelles, comme individus, mais bien leur méchanceté comme farfadets métamorphosés. Je ne les signale pas à la justice des hommes, mais à celle de Dieu.

Ils veulent, m’a-t-on assuré, me faire passer pour fou ; ils diront à ceux qui liront mes Mémoires : Vous lisez-là les Mémoires d’un fou. Je serais fou, si je n’avais pas eu la force que j’ai eue de résister à toutes vos attaques ! Mais si j’étais fou, vous ne seriez pas tourmentés, comme vous l’êtes tous les jours, par mes lardoires, mes épingles, mon soufre, mon sel, mon tabac, mon vinaigre et mes coeurs de boeuf ; je ne serais pas un exemple de religion pour les personnes qui me connaissent ; je n’aurais pas fait les Mémoires que vous allez lire, et dans lesquels j’intervertirai souvent l’ordre des dates, pour que vos noms soient consignés depuis le commencement jusqu’à la fin de l’ouvrage ; ce qui lui donnera plus de variété. Si j’étais fou, je n’aurais pas ramassé tous les traits et anecdotes que j’ai cités dans mes écrits pour vous confondre, j’aurais fait du mal à quelqu’un, et personne ne se plaint de moi, on ne parle que de ma bonté et de ma patience.

Non, je ne suis point fou, les souverains de la terre vous l’apprendront bientôt ; ils vous puniront, et moi, je vais vous confondre. Je vous le répète, je n’intervertis l’ordre des événements qui me sont arrivés, que pour éviter la monotonie. Lisez-moi, et s’il en est temps encore corrigez-vous, n’attendez pas la punition qui vous menace, et qui vous sera infligée par les justices humaine et divine. Mes Mémoires vont retracer vos forfaits ; mon style ne sera pas toujours digne de mes lecteurs, je serai simple dans mes récits, sublime lorsque je parlerai de mon Créateur, terrible dans mes imprécations, bon et suppliant dans mes prières.

J’ai ajouté à mon nom de Berbiguier, celui de Terre-Neuve du Thym, parce que je ne veux pas qu’on me confonde avec les autres Berbiguier qui ont plaidé contre mon oncle. Je sais que je ne puis pas prendre cette qualité dans les actes publics ; j’obéirai à la loi, mais je vais me pourvoir auprès de Monseigneur le Garde des Sceaux pour pouvoir, en toute circonstance, ajouter à mon nom celui de Terre-Neuve du Thym. J’achèterai pour cela une petite terre où je cultiverai toujours cette plante aromatique.

J’ai cru nécessaire, pour rendre mon style digne de mon sujet, de décliner, conjuguer et tourner de toutes les manières le mot farfadet. Qu’on ne me fasse donc pas un reproche d’avoir dit farfadérisme, farfadériser, farfadéen, etc. J’ai voulu justifier mon titre par toutes sortes de locutions.

Lisez, lisez mon Discours préliminaire ! N’en perdez pas une syllabe.

DISCOURS PRÉLIMINAIRE

JE VAIS ÉCRIRE L’HISTOIRE DE MES MALHEURS, tant d’autres écrivent celle de leurs jouissances ! Je n’ai rien à craindre de l’envie, je ne cherche qu’à être plaint ; mais j’ai tout à craindre de mes persécuteurs. Ils n’ont cessé de me tourmenter alors que je les attaquais en silence : que ne feront-ils pas, à l’instant que je prends les hommes à témoins de mes efforts, et peut-être de mes succès, et que je viens les inviter à s’unir à ma cause en leur désignant nos ennemis communs !

Que dis-je ? j’ai un écueil bien plus grand encore à redouter, c’est l’incrédulité de mes semblables… il n’est point de fléau plus terrible pour un malheureux que de penser qu’on n’ajoute pas foi à ses souffrances.

Ô mortels ! ô mes frères ! ne vous livrez point à des jugements précipités, laissez-là le ridicule dont vous accueillez tout ce qui ne se trouve point dans le cercle de vos connaissances, tout ce qui porte le moins du monde l’idée de l’extraordinaire et du surnaturel, et n’allez pas vous imaginer, en lisant mes premières pages, que je sois plutôt digne de votre pitié que de votre compassion.

Je me suis souvent confronté avec vous-mêmes ; souvent je me suis trouvé en rapport avec le méchant et l’honnête homme, et je n’ai jamais manqué de m’assurer que je pensais aussi sainement que l’honnête homme, et que les sophismes du méchant ne pouvaient m’échapper. J’ai eu des intérêts pécuniaires à défendre ; j’ai eu des procès à soutenir, des liquidations à poursuivre, des procureurs à surveiller : ma raison ne s’est point trouvée en défaut, et ma conduite a mérité des éloges.

Ô vous donc qui me lirez, ne m’accusez point de folie ; écoutez-moi, examinez mes preuves, suivez le fil de mon récit, et puis osez me contredire.

Qu’il me soit permis, avant de commencer, de faire une profession de foi qui m’est commune avec tous ceux dont j’ambitionne le suffrage.

Il est une divinité dont la providence veille sur nous, dont la bienfaisance est inépuisable. Malheur à celui qui la méconnaîtrait ! la vie ne serait qu’une agonie épouvantable pour un tel homme, parce que son coeur serait fermé au seul sentiment qui fait l’âme de son existence et le charme de ses affections.

Tout le bien que nous ressentons vient de cette Providence ; il n’est pas en notre pouvoir d’ajouter aux plaisirs qu’elle nous dispense un grain de plaisir de plus. Si sa main nous abandonne, nous tombons livrés à nous-mêmes et à notre néant.

Voilà ce que je professe ; voilà une opinion que je partage avec tout honnête homme !

Mais si dans la nature tout concourt à nous faire connaître l’existence de cette puissance bienfaitrice, je suis persuadé qu’une foule de circonstances et d’événements établissent démonstrativement l’existence d’une puissance malfaisante qui empoisonne nos jours, nos instants, et qui combat sans cesse dans nos coeurs les consolations, le baume qu’y verse la première.

Car, enfin, si d’un côté la lumière du soleil qui se réfléchit sur une plaine riche et si féconde ; si ces beaux arbres que le printemps couronne de fleurs ; si ces fleuves, l’orgueil de la vallée, qui se dégagent au souffle du printemps, et portent sur leur route l’abondance et la fraîcheur, cette fraîcheur délicieuse qui, dans les beaux jours, semble agrandir notre âme et la mettre en présence de la Divinité, si toutes ces merveilles de la nature nous forcent à nous écrier, dans notre enthousiasme : Ô Divinité du bien ! Je t’adore, je te reconnais à ces traits. Eh bien ! Ô vous, dont l’âme sensible a ressenti une pénible horreur dans le silence de la nuit ! Ô vous, que le bruit mouvant de la forêt, que le sifflement aigu de l’aiguillon à travers des voûtes obscures a fait frissonner d’effroi ! Ô vous, qui seul au milieu des tristes sapins couronnés de neige dont se hérissent les montagnes des plages du nord, n’avez retrouvé dans le fond de votre coeur qu’un malaise déchirant et une stupeur enivrante, parlez ! parlez ! Qui vous a inspiré ces mouvements, cet effroi ? Vos préjugés, votre éducation ? Eh quoi ! Tout l’univers est donc en proie à des préjugés, aux vices de l’éducation ? Je ne vois donc partout, dans l’homme qui frissonne, qu’un homme qui n’aurait pas frissonné, si son maître ne lui avait pas appris à le faire ? Dans quelle école commune tant de peuples divers ont-ils donc puisé ce principe de frayeurs, de craintes chimériques ? Qui a donc appris à l’Africain isolé, au milieu de ses déserts brûlés et inaccessibles, à partager les craintes du Samoïede, du Lapon qui grelotte de froid sur le bord de son océan de glace ? Qui forçait le Scandinave, adorateur féroce du féroce, du sanguinaire Odin, à trembler à la chute sourde de la feuille de l’antique forêt, ainsi que tremblait le Romain civilisé, son ennemi implacable ? Quel missionnaire de frayeur a donc pu réunir en ce point et le Juif et le Chrétien, et le Musulman et l’Idolâtre, et le Derviche et le Moine, et le Prêtre et le Lama ?

Non, un si grand accord parmi des peuples différant d’intérêt, de passion, de culte et de patrie, n’est que le cri de la nature, et la nature ne ment point ; elle ne produit rien sans un but réel et raisonnable ; elle ne nous ferait point trembler à l’aspect du loup ou du tigre, si le tigre ou le loup avait la douceur de l’agneau.

Alors donc que mon coeur palpite sans objet ; que mes sens glacés frissonnent sur le bord du torrent qui mugit, dans l’antre ténébreux qui s’allonge à mon approche, dans le lit de mon insomnie et de ma douleur ; alors, dis-je, la nature m’annonce un danger ; alors cet instinct, infaillible précurseur des événements, m’avertit qu’un ennemi d’autant plus redoutable que mes sens ne peuvent le deviner, conjure autour de moi ; qu’il rôde, l’oeil brûlant de cruauté ; que je n’ai contre lui que des armes aussi invisibles que lui-même, la conscience qui se purifie par le repentir, et l’élévation de l’âme qui prend son essor vers l’Être bienfaisant qui la couvre de ses ailes.

Et, certes, les nations entières que j’ai appelées en témoignage sur l’influence de certains lieux, vont à leur tour me servir de témoins sur l’explication de ce phénomène et développer ma croyance. Ouvrez les annales des peuples anciens et modernes, de l’ancien monde, et de cet hémisphère que quatre mille ans peut-être avaient isolé du nôtre ; consultez la croyance du Grec subtil et ingénieux et celle du Mexicain, de l’Iroquois et du Topinamboux ; les écrits des sages de tous les peuples, Zoroastre, Confucius, Platon, les livres des Hébreux et l’Évangile. Quel accord parfait ! Quelle harmonie en ce seul point ! Le monde leur paraît inexplicable, s’ils n’admettent l’existence de deux génies, celui du bien et celui du mal. On voit que toutes les sectes parlent de ce principe, crainte de dégrader la Divinité, en lui attribuant le moins indirectement même la cause de ce mal qui se montre si souvent dans son ouvrage. La plupart d’entre elles, je le sais, ont exagéré leur doctrine, elles en ont tiré des conséquences absurdes et ridicules. Ainsi le nègre du Sénégal, du Niger, de la Guinée, donnant à sa crainte la physionomie de la reconnaissance, a offert des sacrifices au génie du mal pour détourner ses coups ; et il a cru pouvoir, par les mêmes offrandes, se concilier le génie du mal et le génie du bien.

D’autres chefs de sectes ont partagé l’univers entre ces deux puissances, ont admis deux Créateurs, ont fait naître deux mondes, et les deux êtres ont marché de front.

Mais que me font ces fausses conséquences ? Le principe, ils l’ont tous admis, et je ne parle que du principe. Si cet accord est une seconde fois reconnu parmi cette variété immense de peuplades et de religions, il est évident que j’ai pour moi une démonstration sans réplique, et que je puis m’écrier dans toute la force de mon zèle : Ô vous ! dont on calomnie les frayeurs, vous qui n’osez avouer votre prétendue faiblesse, rendez vous justice, vos craintes sont très fondées : les airs sont peuplés d’ennemis qui vous épient ; les abîmes de la terre et de la mer vomissent à chaque instant des monstres puissants et invisibles.

Aussi, lorsque le point noir de l’occident s’avance, se grossit, dérobe à mes yeux toute la voûte du ciel et rembrunit toute la nature ; quand ses flancs éclatent, crèvent sur la moisson naissante, sur les travaux et l’espoir du laboureur ; que la destruction et la difformité marchent sur ses traces, et qu’en un clin d’oeil disparaît l’oeuvre de toute une année ; ô laboureur ! dont la simplicité est plus sûre que les calculs de la science, je me garderai d’accueillir d’un sourire de pitié vos frayeurs et vos efforts, et quand votre main tremblante agitera dans les airs la cloche mystique, et opposera ses saintes vibrations à la marche rapide du fléau qui s’avance, non, je ne rougirai point d’applaudir à vos voeux et d’unir ma main à la vôtre.

L’habitant de la ville, toujours distrait, toujours loin de lui-même, qui combat des faits par des parodies et des jeux de mots, rira sans doute de ce tumulte, et ne pourra point s’imaginer qu’entre l’orage et moi il y ait d’autres intermédiaires. Eh bien ! laissons-le seul un instant dans cette vaste plaine, tapi dans le creux d’un rocher ou sous le feuillage d’un arbre antique et noirci par le temps ; tâchons d’éloigner de son esprit toute crainte des humains, de ses semblables, que nos bras l’aient porté sur le front d’une roche inaccessible et escarpée, et que tout à coup le ciel s’obscurcisse, que le nuage le plus noir, le silence le plus profond enveloppe la nature et confonde tous les objets ; ô homme ! si plaisant, si gai dans la société, tu frémis, tu trembles, et tu n’oses pas même soupirer ! va, ta pâleur est ta réfutation.

Je tremble, il est vrai, me diras-tu ; mais raisonnons. J’accepte le défi. Comment veux-tu que cette Divinité si bienfaisante permette qu’un génie réprouvé nous tourmente ?

Je ne réponds qu’une chose. N’as-tu jamais éprouvé que des sensations douces ? N’as-tu jamais été frappé du malheur ? Tes champs ont-ils toujours donné leurs moissons, tes coteaux leurs vendanges ? Tes enfants ont-ils toujours respecté ta vieillesse, et la faim n’a-t-elle jamais habité sous tes toits ? Tu conviens déjà que ce n’est point la Divinité bienfaisante qui t’a lancé ces maux. Sur qui donc faut-il les rejeter ? Sur la nature ? La nature (si nous entendons par là les objets créés), la nature est inerte et n’a point de volonté. — Toi-même ? Tu n’oserais le soutenir. D’où viennent donc ces fléaux ? Parle, ou plutôt garde le silence et reste convaincu.

Oh ! diras-tu, je ne puis y souscrire ; car, enfin, pourquoi la Providence permettrait-elle au génie du mal de nous faire du mal ?

Écoute : tu ne peux douter que le mal n’existe, que tu ne fasses tous les jours du mal, et que tu n’en éprouves de la part de tes semblables. Voilà ce que je sais. Le pourquoi, le comment ne m’appartient plus ; il ne m’appartient pas d’interroger la Divinité sur ses ouvrages, il ne m’est permis que de l’adorer.

Cependant je me flatte de t’expliquer la difficulté d’une manière irréfragable, si tu veux être de bonne foi.

Oserais-tu penser que cette Divinité, si bienfaisante, pût se dépouiller de sa justice ? Non sans doute. Définis-moi donc ce que tu entends par justice. Est-ce une vertu oiseuse qui se contente de détourner les yeux du mal, et ne le punisse pas ? Ce serait là la justice d’un être sans puissance et sans autorité, la justice enfin d’un particulier, qui ne se voit entouré que de semblables, et non de subordonnés. Dieu ne peut donc pas voir le mal sans exercer sa justice, sans le frapper et sans l’atteindre. Que dis-je ? Ses mains pures ne frappent point, la main de la justice est en même temps la main de sa clémence ; mais il lâche la bride au génie malfaisant, et alors les vents se déchaînent et la foudre éclate ; ou ce qui est un mal plus grand pour le sage, notre première erreur est punie par une seconde, et notre âme cédant aux suggestions du mauvais génie, pour avoir été coupable d’une faute, conçoit bientôt un crime et un forfait. Es-tu content de cette interprétation ? Si ton coeur ne la sent pas, malheureux, je te plains, mais je désespère de te convaincre !

Il me semble avoir prouvé que nous sommes environnés d’ennemis secrets et invisibles, de génies qui ne sont occupés qu’à nuire à la créature du génie du bien. Ceux qui auront trouvé ce sentiment déraisonnable, malgré son antiquité, se récrieront bien davantage, s’ils m’entendent avancer que les esprits, trouvant déjà des instruments de leur haine implacable dans les êtres inanimés, en trouvent aussi dans la classe des hommes ; ou autrement qu’il est des hommes dont la volonté se corrompant par degré, arrive enfin aux limites qui la séparaient de la perversité de ces génies ; qu’elle les franchit bientôt, et qu’elle devient leur suppôt et leur complice ; qu’une promesse, un pacte réciproque, la lie à ses nouveaux maîtres, et que dès lors l’homme, ainsi dégradé, participe aux avantages de ces substances infernales, et devient aussi invisible et aussi puissant qu’elles, par cela seul qu’il est aussi méchant. De là, les individus qui lisent dans le coeur des autres, et pour qui l’avenir semble n’avoir point de secrets, dont le doigt ramène ou chasse les orages, ruine ou enrichit, guérit ou afflige, et donnerait la mort ou la vie, si la vie et la mort étaient de leur domaine.

Avant de montrer à vos yeux cette croyance établie chez tous les peuples, permettez-moi d’insister sur le genre de preuve que j’emploie le plus fréquemment, sur le consentement des peuples.

Cette sorte d’argumentation est irrésistible, et chaque jour nous en faisons usage dans nos études, et même dans le commerce ordinaire de la vie.

N’est-ce pas d’après le témoignage unanime des peuples de l’Europe que nous croyons que César, que Cicéron, ont existé, et qu’ils nous ont laissé des ouvrages ? N’est-ce pas d’après le consentement de tous les peuples de l’Europe que le matelot novice vole vers les bancs de Terre-Neuve, et établit tous ses calculs sur la supposition d’une pêche abondante ? N’est-ce pas d’après le témoignage unanime des voyageurs passés ou contemporains, que l’on court tenter la fortune du commerce à la Martinique, à la Guadeloupe, etc. ? Sur quel axiome s’appuie donc ce raisonnement ? N’est-ce pas sur celui-ci : Il est impossible que des nations divisées d’intérêts, de langues, de préjugés, puissent se coaliser pour nous induire en erreur ? Que sera-ce donc, si au lieu de peuples que les branches de commerce peuvent mettre en rapport, je cherche des peuples que des océans entiers, des déserts aussi impénétrables que les glaces du nord, séparent de notre continent, et que je rencontre chez eux le même dogme, la même persuasion ? Alors quelle force n’acquiert pas ma démonstration ? Puis-je méconnaître en ce cas le Créateur, dont le doigt a gravé dans nos âmes certaines vérités qui triomphent des usages, des lois, des moeurs locales, du temps, et de la persécution même ?

Ô toi qui m’écoutes, pénètre-toi de ce principe, et suis-moi dans ma démonstration. Je n’ai plus qu’à te mettre sous les yeux le témoignage de tous les peuples qui ont pensé que certains hommes partageaient le triste avantage du génie du mal, et le servaient dans son oeuvre infernale. Et les conséquences, je n’aurai pas besoin de les tirer. Tu me dispenseras sans doute de te citer le peuple des Hébreux et des Chrétiens, dont chaque livre renferme un témoignage authentique en ma faveur ? Je ne te rappellerai pas les prodiges des Mages de Pharaon, qui luttaient contre la puissance de Moïse ; la magicienne qui évoqua l’ombre de Samuel, les possédés des démons qui volaient avec la rapidité de l’éclair ; ce Simon le magicien, qui s’éleva dans les airs en présence d’un peuple immense ; ces pactes avec le démon qui fourmillent dans l’histoire de l’Église, ces guérisons surprenantes, ces aveux qui font frissonner ? Mais j’ajouterai à ces livres, qu’il me faudrait citer tout entiers, des témoignages d’auteurs profanes.

Quoi de plus fréquent dans Horace, que cette Canidie qui évoque les mânes, ouvre souvent les tombeaux, remplit la campagne de chiens hurlants, de spectres épouvantables ?

N’as-tu pas lu dans la huitième églogue de Virgile la puissance des enchantements et de la magie, ce Daphnis insensible à l’amour, attiré, aveuglé par les cérémonies infernales ? N’as-tu pas lu dans le premier Livre des Géorgiques les pronostics effrayants de la mort d’un tyran de la république, ces combats aériens, ces statues qui se couvrent de sueur, ces animaux immondes qui hurlent dans le silence de la nuit, ces troupeaux qui parlent, enfin tout l’univers rempli de mauvais génies et des magiciens qui annoncent avec l’accent de la douleur la perte qu’ils vont faire ? Ouvre Tite-Live, Tacite, Suétone, etc., chaque siècle te fournira une preuve. Enfin en voici une que tu n’oseras récuser : Un prince romain, qui secoua tout ce que tu peux appeler préjugé, qui écrivit avec élégance et pensa fortement, qui ne sacrifia aux plaisirs que dans les fêtes de ses nouveaux dieux, qui eut la constance et la valeur d’un grand homme avec les faiblesses d’un esprit fort, Julien l’apostat, poussé par sa haine contre le christianisme, désira se faire initier aux mystères des païens, et descendit dans le caveau de l’initiation. Là, le prêtre ou le magicien évoque l’esprit qui le gouverne, et l’esprit apparaît aux yeux de Julien qui, saisi de frayeur, et cédant à une habitude de son enfance, traça sur sa poitrine l’emblème des Chrétiens ; l’esprit disparut à ce signe, et ne revint que lorsque Julien eut protesté de sa soumission et de sa croyance.

Que faisaient les Druides des Gaulois, les Bardes des Bretons, les prêtres des Scandinaves, dans leurs forêts impénétrables où ils offraient des victimes humaines à leur féroce Divinité ? N’entraient-ils pas en commerce avec les puissances malfaisantes ? Dans les ténèbres épaisses de ces lieux inaccessibles aux profanes, la main rougie dans le sang de la victime palpitante, aux accents des serments les plus terribles, ne transigèrent-ils pas entre eux, en se cédant tout à tour, les uns les lois de la nature, et les autres la crédulité des peuples soumis à leur ministère ?

Enfin le Hottentot et l’habitant de la Norvège, le Chinois et le Caraïbe, l’Européen, l’Asiatique, l’habitant noirci du désert de Sahara, tous les peuples de la terre ont cru et croient encore qu’il existe des hommes adonnés aux esprits infernaux. (On peut s’en assurer dans l’Histoire générale des Voyages, et dans l’ouvrage de Dom Calmet).

J’ai voulu annoncer, en général, ma preuve, afin qu’on puisse me suivre avec plus de fruit dans le développement que je vais en donner. Maintenant je vais m’occuper à transcrire les autorités qui établissent évidemment ma croyance.

Opinions des auteurs sacrés et profanes les plus recommandables, à l’effet de prouver qu’il y a des hommes adonnés aux esprits infernaux

On lit dans le LÉVITIQUE, chap. 20 [1] : « Que l’homme ou la femme, dans lesquels l’esprit pythonique, ou de la divination, aura habité, soient punis de mort ; qu’on les lapide et que leur sang retombe sur eux ».

Ibidem. « L’âme qui sera attachée aux mages et aux devins doit périr du milieu de mon peuple. »

EXODE, chap. 22 [2] : « Ne laissez pas vivre les devins. »

DEUTÉRONOME, 28, v. 64 [3] : « II y aura chez vous des hommes amollis et délicats dont l’oeil fascinera leur frère et l’épouse de leur frère. » Saint Paul aux Galates, 3, v, 1 : « Ô Galates insensés, qui vous a fascinés au point de ne pas croire à la vérité ? »

SAINT-PIERRE, Épître, etc. : « Un esprit rugit comme un lion et rôde autour de nous, cherchant à nous dévorer. »

PLINE, livre 7, de l’Histoire naturelle, assure « qu’on trouve dans l’Afrique des familles d’hommes qui enchantent ou qui fascinent, et dont les enchantements font périr les brebis, dessèchent les arbres et tuent les enfants ».

AULU-GELLE, pour confirmer ce fait, cite Aristée Proconesius, Isigone de Nicée, Cresias Onisecritus, Polystephane et Hégesias.

APULÉE assure « que les enchantements diaboliques ont assez de force pour faire non seulement des miracles par le moyen des hommes, mais encore pour bouleverser la nature, pour arrêter le cours des fleuves, changer la direction des tempêtes, obscurcir le soleil et la lune, allonger les jours et raccourcir la nuit. » (Métamorph. de l’Ane d’or.)

TIBULLE raconte, au sujet d’une femme adonnée à l’esprit malin, ce qui suit : « Je l’ai vue faire descendre les constellations du ciel, changer par ses enchantements le cours du fleuve le plus rapide, ouvrir la terre, évoquer les morts des tombeaux, et les arracher même au bûcher qui les consume ; à sa voix, la lumière du ciel s’obscurcit, et la neige tombe au milieu de la canicule. »

CICÉRON (3 offic.), et PLATON (cap. 9, 2, de Rep.) racontent « que Gygès possédait un anneau qui le rendait invisible, selon qu’il tournait le chaton en dedans ou en dehors de la main. » (Jordan de Mejer, de Divin, cap. 43.)

Le duc d’Orléans voulant exterminer toute la race royale par le plus grand des forfaits, confia ses armes et son anneau à un moine apostat pour les consacrer au diable et les enchanter par des prestiges. À ce sujet une matrone évoqua le démon dans la tour de Montjoie, près de Ligni. Ensuite le duc se servit de ses armes pour ôter la raison au roi Charles, son frère, si subtilement, qu’on ne s’en aperçut pas d’abord. Le premier enchantement se fit près de Beauvais ; il fut si violent que les ongles et les cheveux en tombaient au roi. Le second enchantement eut lieu dans le Maine, et fut plus violent encore : personne ne pouvait assurer si le roi vivait ou non. II ne donnait aucun signe de vie et de respiration. Aussitôt qu’il revint à lui, je vous en supplie, dit-il, enlevez-moi cette épée qui me perce le corps par le pouvoir de mon frère d’Orléans.

PLATINA, NAUCLER, PIERRE de Prémontré, le cardinal de BENON, la Chronique du frère Martin, dominicain.

Histoire du Pape Silvestre II, qui s’appela d’abord Gilbert.

« Gilbert, français de nation, obtint, dit-on, le pontificat par des moyens magiques. Dans sa jeunesse il fut reçu moine dans un monastère d’Orléans ; il le quitta bientôt pour suivre le diable, à qui il s’était entièrement livré. Arrivé à Séville, en Espagne, pour y achever ses études, il s’insinue dans la société d’un philosophe sarrazin, habile dans la magie. Il aperçut un jour sous sa table un livre de nécromancie, qu’il forma le projet d’enlever ; mais comme le livre était gardé avec le plus grand soin, il pria la servante du philosophe, dans les bonnes grâces de laquelle il était déjà, de le lui confier. Gilbert, à la faveur de ce livre, obtint bientôt l’archevêché de Reims, ensuite de Ravennes, et enfin le pontificat, l’an 997, à la condition pourtant qu’après sa mort il appartiendrait au diable. Quoique pendant son pontificat il dissimulât sa science de la magie, il n’en conservait pas moins dans ses appartements une tête d’airain qu’il interrogeait assez souvent. Un jour Gilbert lui ayant demandé combien de temps il serait encore souverain pontife, le diable lui répondit avec son amphibologie accoutumée : Vous vivrez longtemps si vous ne touchez pas à Jérusalem. Mais le premier mois de la quatrième année de son pontificat, et le dix de ce mois, disant la messe à Rome, dans la basilique de la Sainte-Croix de Jérusalem, il fut saisi tout à coup d’une fièvre violente, et comprit que sa mort approchait, au hurlement des démons comme le rapporte Pierre le prémontré. Mais le pontife, touché de repentir, fit une confession publique de sa magie, supplia les assistants de lui arracher la langue et les mains dont il s’était servi pour sacrifier au démon, et mourut dans la pénitence. »

THYRÆUS, part. 3, Disp. de Doemoniacis, cap. 45, I. ex Molant. « L’an 1568, le prince d’Orange ayant tenté de se jeter dans le Brabant à la tête d’une nombreuse armée, fit prisonnier un espagnol dans le diocèse de Juliers, près du passage de la Meuse, et le condamna à mourir. Les soldats l’attachèrent à un arbre, et s’efforcèrent de le tuer à coups de fusils et d’arquebuses ; mais toutes leurs balles n’en vinrent pas à bout. Étonnés de ce prodige, les soldats le mirent à nu pour s’assurer si cet homme n’avait pas sur la chair des armes qui amortissent le coup ; ils trouvèrent simplement sur lui une amulette portant la figure d’un agneau, qu’ils lui enlevèrent, et au premier coup de fusil l’homme expira. » (Remigius, lib. 10, cap. 10.)

« Jean de Ban voyant Bernard Bloquet se promener dans la campagne, dans un char à deux chevaux, se souvint d’une foule d’affronts qu’il en avait reçus, et lui jeta un sort. À peine achevait-il, que Bernard tomba de sa voiture et mourut, sans que son corps eût reçu la moindre blessure, la moindre contusion, la moindre dislocation ; de sorte qu’il est probable que le démon lui intercepta la respiration. »

JACOB CUJAS, in paratit. Cod. de Malef et Math. « Ils piquent avec des aiguilles, ou ils font fondre au feu une image d’un homme, et sans aucun retard ceux qui représentent les images sont attaqués de consomption ou sont frappés de mort. »

CARICHTERUS in Cardiluci, tom. I, p. 487 : « Ils forment une figure de cire qu’ils piquent avec une épine de buisson ou un morceau de chêne taillé en pointe ; ils la lardent même de ces piquants, et la déposent sur le seuil de la porte où doit passer l’homme dont la figure est l’image ; et celui-ci sent les douleurs les plus vives, et il sent sortir de son corps des clous, des aiguilles, des épines, accompagnés de pus. » (Carichterus, qui l’a vu de ses propres yeux.)

JACOB SPRENGER, dominicain, Mall. Malef. p. 1, quæst. 7 : « Nous connaissons une vieille, qui, comme le rapportent tous les frères du couvent, a non seulement maléficié trois abbés consécutivement, mais les a même fait mourir. Elle a enlevé la raison au quatrième ; elle l’avoue à qui veut l’entendre : ils ne pourront, dit-elle, jamais s’empêcher de m’aimer, parce qu’ils ont mangé autant de ma fiente que je vous en montre à présent. Nous n’avons pas encore le droit d’opérer sur elle. »

SAINT-JÉRÔME rapporte l’histoire d’une vierge, consacrée à Dieu, qu’un jeune homme était venu à bout de gagner par des moyens magiques. (Vita Hilarionis.)

EUSÈBE de Césarée raconte « que le poète Lucrèce ayant pris un filtre amoureux, en conçut une telle rage qu’il se donna la mort ».

JEAN WIER GRAVIANUS, médecin du duc de Clèves, lib. 3, cap. 3, de Proestig. dæm. : « Une jeune fille, âgée d’environ seize ans, que je traitais, un instant après que je l’eus touchée, parut vomir aux yeux de son père et d’une autre personne qui était accoutumée à son caractère ; ayant examiné sa bouche avec soin, je découvris tout à coup un lambeau noir et grossier étendu sur sa langue ; j’y portai incontinent la main, et je tirai de la membrane du palais des objets extraordinaires que je voulus presser, pour prouver qu’ils ne venaient pas réellement de l’estomac. Car le père m’avait raconté qu’elle avait rendu souvent des tas de matières semblables. Je leur montrai donc la preuve de la vérité, c’est-à-dire un lambeau noir grossier, lardé de quelques épingles et aiguilles enfilées, et des fragments de clous de fer ; le lambeau était à peine humecté d’un peu de salive. II était pourtant trois heures après-midi ; elle avait dîné à son ordinaire. Si ce chiffon était sorti de l’estomac il eût été imbibé de salive et de chyle. La jeune fille tomba dans des convulsions affreuses, et le père nous assura que le seul signe de croix pouvait les terminer. »

VINCENT DE GUILLERIN, Spec. Hist., lib. 26 : « Vers le onzième siècle, dans une ville d’Angleterre, une femme adonnée à la magie, étant un jour à dîner, une corneille qu’elle aimait beaucoup lui croassa je ne sais quoi de plus clair qu’à l’ordinaire. À ce bruit la dame pâlit, le couteau lui tomba des mains ; et après avoir longtemps poussé de profonds soupirs, elle éclata en ces termes : J’apprendrai aujourd’hui le plus grand malheur. À peine achevait-elle, qu’on vînt lui annoncer que son fils et toute sa famille étaient morts de mort subite. Pénétrée alors de la plus vive douleur, elle fit venir les enfants qui lui restaient encore, avec un moine et une religieuse, en présence desquels elle dit en gémissant : Jusqu’à ce jour je me suis livrée au démon par un destin digne de compassion et par des arts magiques. Je suis un monstre, une femme remplie de toutes sortes de vices, je n’ai d’autre espoir que dans notre religion ; je sais que les démons doivent me posséder pour me punir de mes crimes ; je vous prie, au nom des entrailles d’une mère, d’essayer de soulager les tourments que j’endure, car ma perte me paraît assurée. Renfermez mon corps enveloppé d’une peau de cerf, dans une bière de pierre recouverte de plomb, que vous lierez par trois tours de chaînes ; si pendant trois nuits je reste tranquille, vous m’ensevelirez le quatrième, quoique je craigne que la terre ne veuille point recevoir mon corps ; que pendant cinquante nuits on chante des psaumes pour moi, et pendant cinquante jours on dise des messes. Ses enfants exécutèrent ses ordres, mais sans succès ; car les deux premières nuits, tandis que les clercs chantaient des psaumes, les démons enlevèrent comme la paille les portes immenses du temple, et emportèrent les deux chaînes qui enveloppaient la caisse. La troisième nuit, vers le chant du coq, tout le monastère semblait être ébranlé par le démon qui entourait l’édifice. L’un d’entre eux, le plus terrible, et d’une taille colossale, mit en poudre les portes et réclama hautement la bière ; il appela la morte par son nom, lui ordonna de sortir. Je ne le puis, répondit le cadavre, je suis liée. Tu vas être déliée, lui dit Satan ; et aussitôt il brisa comme une ficelle la chaîne de fer qui restait autour de sa bière, découvrit d’un coup de pied le couvercle, et la prenant par la main, il l’entraîna vers les portes du temple, en présence de tous les assistants. Là se trouvait un cheval noir, hennissant fièrement, couvert de crochets de fer : on plaça la malheureuse sur son dos, et elle disparut aux yeux des assistants ; on entendait seulement dans le lointain les cris qu’elle poussait. »

DAVID MEDERUS, p. 63, dit : « Dans le duché de Wirtemberg, une sorcière, qui devait bientôt subir la peine de ses enchantements avec ses complices, et sur le point de dire le dernier adieu à son mari, voulant lui laisser un souvenir gravé dans le dos, le frappe sur le dos, lorsqu’il sortait, en lui disant quelques mots en allemand. Le mari reçut ce coup comme un signe d’amour : mais il ne tarda pas à éprouver que c’était un signe de fascination : le coup enfla en lui occasionnant les douleurs les plus atroces, douleurs qui se faisaient surtout ressentir au changement de la lune. »

DELRIO, lib. 2, D. M., quæt. 11, raconte le fait suivant : « Dans le diocèse de Trèves, un paysan qui plantait des choux dans son jardin avec sa fille, âgée de huit ans, donnait des éloges à cet enfant sur son adresse à s’acquitter de sa petite fonction. Oh ! répondit l’enfant, avec le babil naturel à son âge et à son sexe, j’en sais bien d’autres plus étonnantes que celle-là. Le père lui demande ce que c’est. — Retirez-vous un peu, lui dit-elle, et je vous ferai descendre la pluie sur telle partie du jardin que vous me désignerez. — Fais, reprend le paysan surpris, je vais me retirer. —Alors la petite fille creuse un trou dans la terre, y répand de son urine, la mêle avec la terre par le moyen de son bâton, prononce quelques mots, et la pluie tombe par torrents sur le jardin. — Qui t’a donc appris cela ? s’écrie le paysan étourdi. — C’est ma mère, qui est très habile dans cette science. Le paysan, plein de zèle, fit monter sa fille et sa femme sur la charrette, les amena à la ville et les livra toutes les deux à la justice. »

KORNMANN, de Mirac. mort., p. 5, cap. 22 : « Quant à ce que les magiciens et les enchanteurs font avec l’aiguille dont on a cousu le suaire d’un cadavre, aiguille au moyen de laquelle ils peuvent rendre impuissants les nouveaux mariés, cela ne doit pas s’écrire, crainte de faire naître la pensée d’un pareil expédient. »

ANTONIUS BENIVENTUS, de abditis morborum Causis, cap. 8 : « Une femme âgée de seize ans, souffrant du bas-ventre, se déchirait de ses propres mains ; elle poussait des cris horribles, son ventre se gonflait tout à coup, et l’on aurait dit qu’elle était enceinte de huit mois. Lorsqu’elle venait à perdre la voix, elle se renversait sur son lit, et touchait ses pieds avec sa tête ; elle se remettait tout à coup sur son séant, tombait et se relevait encore, et cela jusqu’à ce qu’elle fût revenue à elle-même. Si on lui demandait ce qu’elle avait fait, elle n’en savait rien.

Pour nous, en recherchant les causes de sa maladie, nous pensions que le mal provenait de la suffocation de l’estomac, et des vapeurs qui montaient vers le coeur et vers la tête. Mais comme les remèdes n’aboutissaient à rien, la malade, devenue plus intraitable, et nous regardant d’un oeil hagard, finit par vomir des clous longs et recourbés, des aiguilles de cuivre, de la cire et des flocons de cheveux, et enfin, après son déjeuner, un morceau d’une grosseur si énorme, que nul gosier n’aurait pu l’avaler. Comme elle recommença plusieurs fois le même vomissement sous mes yeux, je pensai qu’elle était possédée du démon, qui nous faisait illusion sur la nature des matières qu’elle vomissait ; ce qui devint de la dernière évidence dès qu’on eut confié la malade aux médecins ecclésiastiques, car nous l’entendîmes alors prophétiser et faire des actions qui étaient au-dessus de tout ce que peut produire la maladie et l’intelligence humaine. »

JEAN WIER GRAVIANUS, médecin du duc de Clèves, de Proest. doem., lib. 3, cap. 6 : « Meirner Glati, gentilhomme de Hontembrouch, dans le duché de Juliers, avait un domestique nommé Guillaume ; cet homme, possédé du démon depuis quatorze ans, était regardé d’abord comme attaqué d’une maladie, et il demanda par la suggestion du diable, pour confesseur, un pasteur de Gerac, nommé Bartholomée Panen, homme qui se faisait payer pour chasser le diable, et qui, dans cette circonstance, ne put pas tout à fait jouer l’hypocrite. Comme le démoniaque pâlissait, que son gosier enflait, et qu’on craignait qu’il ne fût suffoqué entièrement, l’épouse du seigneur Clatz, dame pieuse, ainsi que toute sa famille, se mit à réciter la prière de Judith. Aussitôt Guillaume se mit à vomir, entr’autres débris, la ceinture du bouvier, des pierres, des pelotons de fils, des coiffes de filles, des aiguilles, des lambeaux de l’habit d’un enfant, des plumes de paon que Guillaume, huit jours auparavant, avait arrachées de la queue du paon même. On lui demanda la cause de ce mai. Il répondit que, passant sur un chemin, il rencontra une femme inconnue qui lui souffla au visage, et que tout son mal datait de ce moment. Cependant, lorsqu’il fut rétabli, il nia le fait, et ajouta que le démon l’avait forcé à faire cet aveu, et que toutes ces matières n’étaient pas dans son corps ; mais qu’à mesure qu’il vomissait, le démon changeait ce qui sortait de sa bouche. »

Idem, lib. 5, cap. 10 : « De notre temps un juge avait fait brûler une foule de femmes, qu’un magicien lui avait désignées comme sorcières. Ce même magicien vint un jour le trouver, pour lui déclarer une autre coupable, s’il voulait toutefois, disait-il, l’entendre sans se fâcher. Le juge lui assurant que oui, il lui désigna sa propre femme, et pour lui en donner des preuves certaines, il lui assigna une heure, afin d’assister lui-même au sabbat des sorcières, où il ne manquerait pas de trouver son épouse. Le juge y consentit, et il invita ses amis et ses parents à souper avec lui et son épouse, sans leur exposer les motifs de cette réunion.

À l’heure désignée par le magicien, il quitte la table, prie les convives de rester à table avec son épouse, et de ne sortir qu’à son retour. Arrivé au lieu où voulait le conduire le magicien, il vit un choeur de sorcières, et je ne sais quelles orgies auxquelles assistait son épouse, et qu’elle partageait même. Le juge retourna à sa maison et y trouva ses amis encore à table, ainsi que son épouse. Ayant demandé si sa femme n’était point sortie de sa place, tout le monde lui assura qu’elle était restée au même lieu. Le juge, alors, ouvrit les yeux sur tant de femmes innocentes qu’il avait fait mourir, et punit de mort le magicien dénonciateur. »

Idem, lib. 3, cap. 8 : « Dans le comté de Horn, des religieuses se trouvaient un jour tourmentées par l’esprit malin. On dit qu’elles avaient été ensorcelées par une pauvre femme qui, dans le carême, leur avait emprunté trois livres de sel, et leur en avait rendu le double le jour de Pâques. Depuis ce temps on trouva dans le dortoir des globules blancs, ressemblant à des graines incrustées dans du sucre, et dont la saveur se rapprochait de celle du sel. On ne pouvait deviner comment ces objets étaient arrivés dans ces lieux. On sentait quelquefois marcher comme une personne qui gémissait, l’on entendait le plus souvent une voix qui appelait une foule de soeurs, et qui les suppliait de l’accompagner auprès du feu, et lorsque les soeurs se portaient sur les lieux, elles ne trouvaient personne. Quelquefois elles se sentaient arrachées de leur lit et porter à quelques pas de là, où on les chatouillait si fort sous la plante des pieds, qu’elles craignaient de mourir à force de rire. À d’autres on arrachait des lambeaux de chair, on leur tordait les jambes, les bras et le visage. D’autres, ainsi mutilées, et n’ayant pris pendant cinquante jours que du jus de betteraves en place de pain, vomissaient pourtant une quantité énorme de liqueur noire comme de l’encre, et dont la saveur était si amère qu’elle leur emportait la membrane du palais.

Un jour que treize amies du couvent vinrent les visiter pour les consoler, elles tombèrent sans voix et sans connaissance, et la plupart restèrent étendues, les bras et les jambes contournés. Une autre se sentait élever en l’air, et quoique les assistants s’efforçassent de la soutenir, elle n’en passait pas moins par-dessus leur tête et retombait encore comme morte. Quelques-unes d’entre elles marchaient sur le bout de l’os tibia, sans faire usage de leurs pieds ; elles grimpaient sur les arbres comme des chats, et elles en descendaient sans changer de position.

La femme qui les avait ensorcelées fut livrée à la justice, et ne voulut jamais faire un seul aveu, même au sein des tourments les plus affreux. »

SAINT-AUGUSTIN, lib. 1, de Doct. Christ. : « Tous les arts qui ont rapport à la magie tirent leur origine d’un pacte horrible fait entre les hommes et les démons. »

SAINT-THOMAS, in Sen., 2, dist., art. 4, assure « que les enfants qui sont le produit du commerce d’une femme et des démons sont plus puissants que les autres hommes. »

SPRENGER, Malleus Malefic., part. 1, quæst. 15 : « Un de nos inquisiteurs ayant rencontré une ville devenue presque déserte par une mortalité d’hommes, apprit qu’on attribuait ce fléau au pouvoir d’une femme ensevelie, et qui avalait peu à peu le drap mortuaire dont elle était enveloppée. On lui dit encore que le fléau de la mortalité ne cesserait que lorsque la morte aurait avalé tout le drap. L’inquisition ayant assemblé tout le conseil, fit creuser la tombe, de concert avec le maire de la ville, et l’on trouva que la moitié du suaire était déjà avalé et digéré. À ce spectacle l’un d’entre eux tira son sabre, coupa la tête au cadavre, la jeta hors de la tombe, et la peste cessa. Après une enquête exacte on découvrit que cette femme avait été adonnée pendant une grande partie de sa vie à la magie et aux sortilèges. »

Idem, part. II, quæst. 13 : « Un homme s’étant aperçu, aux couches de sa femme, que, contre la coutume des autres femmes, elle n’avait pas voulu d’accoucheuse, et qu’elle n’avait admis dans sa chambre que sa fille qui lui en tenait lieu, voulut en connaître le motif et se cacha dans sa maison. II lui fut facile de juger de tout le sacrilège, et du pacte que cette femme contractait avec le diable, au nom de son fils. L’enfant, suspendu à une crémaillère, était soutenu en l’air sans le secours humain, et par l’intervention seule du diable qui le promenait invisiblement. Le père, effrayé de ce tableau, et aux paroles terribles qu’il avait entendu prononcer, insista vivement pour que l’enfant fût aussitôt baptisé ; et comme il fallait le transporter dans le village voisin, où se trouvait la paroisse, et qu’on avait un pont à traverser, le père tira son sabre sur sa fille, qui portait l’enfant, à l’entrée du pont, en lui disant : Ou l’enfant traversera seul le pont, ou tu descendras dans la rivière. Tous les assistants, à l’exception de deux hommes qu’il avait avec lui, crurent qu’il perdait la raison ; mais lui reprit encore : Monstre, tu n’as pu suspendre cet enfant que par ton art magique ; fais maintenant qu’il traverse seul le pont, ou je te noie. Forcée par ces paroles, elle place l’enfant sur le pont, invoque le diable, et tout à coup l’enfant se trouve sur l’autre bord. Le père ayant convaincu ainsi sa fille de sortilège, la livra au bras séculier. »

Idem, part. 2, qæst. 1, cap. 12 : « Une femme mariée, d’honnête famille, vint déposer un jour ce qui suit, après avoir rempli les formalités de la justice :

J’ai derrière ma maison, dit-elle, un carré de verdure contigu à la propriété de ma voisine. Un jour que je passais de son jardin dans mon parterre, elle me poursuivit en m’accablant d’insultes et de malédictions. Elle me reprochait d’avoir fait des dégâts dans son parterre. Effrayée, parce que je la connaissais, je me contentai de lui répondre que les traces de mes pieds devaient lui faire voir le dégât que j’avais pu faire. Alors cette femme voyant que je ne voulais pas me quereller avec elle s’en alla en murmurant quelques mots que je n’entendis pas. Mais peu de jours après, je fus saisie d’une douleur des plus vives, on aurait dit que mes reins étaient traversés par des couteaux ; la nuit et le jour j’importunais les voisins de mes cris. Un potier du voisinage, l’amant de cette mauvaise femme, vint me voir, et me dit qu’il présumait que ma douleur était l’effet d’un sort ; qu’il parviendrait à le découvrir. Le lendemain, il se hâta de revenir, fit fondre du plomb, le versa dans une soucoupe placée au-dessus de mon corps, et d’après certaines figures il me dit que le sort était sous ma porte. Mon mari et le potier n’eurent rien de plus empressé que de courir à la porte de la maison, et y trouvèrent, en creusant, des images de cire, traversées de deux aiguilles, des grains, des semences et tant d’autres objets qu’ils jetèrent au feu, et je recouvrai aussitôt la santé. »

Idem, part. II, quæst. 1, chap. 15 : « On dit qu’un sorcier ayant été conduit devant le juge, celui-ci lui demanda comment ils pouvaient amener les orages et les tempêtes ; il répondit : il nous est facile de faire tomber la grêle, mais nous ne pouvons pas la rendre nuisible comme nous le voudrions, à cause des bons anges ; nous ne pouvons affliger que ceux qui sont privés des secours du ciel, et non ceux qui se garantissent par le signe de la croix. Voici comment nous nous y prenons. Nous implorons le prince des démons pour qu’il nous envoie un des siens à l’effet de frapper celui que nous lui aurons désigné. Nous immolons après un poulet noir dans l’embranchement de deux routes, nous le jetons en l’air, et le démon qui accepte le sacrifice, excite l’air, fait tomber la grêle, mais pas toujours sur les lieux désignés, parce que la puissance du Très-Haut très souvent s’y oppose. »

VINCENTIUS BELVACENUS, lib. 26 : « Du temps de l’empereur Henri III, il y avait à Rome un jeune homme riche et de noble naissance, qui venait de se marier, et qui donnait à ses amis le festin de noces. Après le repas les amis se réunissent pour jouer à la paume. Le jeune époux détache son anneau, crainte de le perdre en jouant, le place au doigt d’une statue de Vénus qui se trouvait là. Lorsque la fatigue le força d’abandonner le jeu, il va pour reprendre son anneau ; mais il trouva la main de la statue fermée, et ne put le retirer. Il n’en parla à personne et revint auprès de ses amis. Au milieu de la nuit il y retourna avec un de ses domestiques, et voit le doigt redressé comme auparavant, et l’anneau n’y était plus. Dissimulant sa perte, il vient se placer auprès de sa nouvelle épouse ; cependant ayant voulu la prendre dans ses bras, il ne sentit plus qu’un nuage, et ne pouvait pas même la voir ; il entendit une voix qui lui disait : Viens avec moi, tu m’as donné ton anneau, je suis Vénus. Effrayé du prodige, il n’osait ou ne pouvait rien répondre : il ne dormit pas de la nuit, roulant mille pensées dans son âme. Pendant plusieurs jours le même fait lui arriva, toutes les fois qu’il voulait coucher avec sa femme. Du reste, il se portait bien, et il avait toute sa force pour vaquer aux fonctions civiles et pour aller à la guerre. Enfin, cédant aux instances de son épouse, il rapporta tout à ses parents ; ceux-ci le rapportèrent à un certain prêtre, qui était adonné à la nécromancie et puissant dans la magie, et qui, se laissant gagner à leurs promesses, compose une lettre qu’il donne au jeune époux, en lui enjoignant d’aller à cette heure de la nuit auprès d’un embranchement de quatre chemins, et de considérer autour de lui ; il lui observa qu’il verrait passer devant lui des figures des deux sexes, de tout âge et de toute condition, quelques-unes tristes, d’autres joyeuses ; cette foule serait suivie d’un jeune homme, plus grand que les autres, assis sur un char ; c’est à lui qu’il devait remettre la lettre pour obtenir l’objet de ses voeux. Le jeune époux remplit toutes ces conditions, et lorsque toute la foule des figures désignées eut passé, il aperçut le jeune homme et lui remit la lettre. Le jeune homme, reconnaissant le cachet, l’ouvrit, et levant les mains au ciel : Dieu tout puissant, s’écria-t-il, jusques à quand souffrirez-vous que le prêtre Palumbus jouisse de la vie ! et aussitôt il dépêche des satellites pour détacher l’anneau du doigt de Vénus, qui hésita longtemps et ne le rendit qu’avec peine. Ainsi le jeune époux put jouir des chastes plaisirs de l’hymen. Mais le prêtre Palumbus ayant appris l’invocation du démon, sentit que sa fin approchait, fit pénitence, se donna la torture, et confessa, en présence du peuple romain, des crimes inouïs. »

BODIN, Doemon., lib. 2, cap. 3, p. 185 : « J’ai entendu raconter à un abbé, et à un noble polonais, nommé Pricinski, ambassadeur en France, qu’un des plus grands rois du monde chrétien voulant connaître sa fin, fit venir un jacobite adonné à la nécromancie. Après la messe et la consécration de l’hostie, ce prêtre fit trancher la tête à un enfant de dix ans, préparé tout exprès. Il plaça sur son front l’hostie, prononça quelques mots, employa des caractères qu’il n’est pas convenable de rapporter, et lui demanda ce qu’elle voulait. La tête répondit : on me fait violence. Aussitôt le roi, furieux, s’écria : Enlevez-moi cette tête, et il expira dans un accès de rage. Cette histoire est regardée comme certaine dans le royaume où elle eut lieu. »

CAMERARIUS, de Natur. et Effect. Doemon. in proemio, Joannes Christ. FROMMANN, de Fascinatione, lib. 3, p. 5, cap. 3, §. 8 : « Dans une ville un juif vint chez une vieille femme, et lui demanda du lait de femme ; il lui promit une récompense, si elle lui en apportait. La vieille raconte le fait à une de ses amies, et lui communique un moyen qui lui était venu dans l’esprit pour tromper le juif. Elle avait une truie qui allaitait : elle la trait, et en porte le lait au juif. Celui-ci commençant à opérer entendit un grognement et s’aperçut de la ruse. Cependant tous les cochons du voisinage en périrent. »

SPRENGER, part. I, qumst. 1, cap. 9 : « Un laboureur, occupé un jour à fendre du bois, frappa un chat d’une moyenne grosseur, et à mesure qu’il le pourchassait, un autre plus gros vint avec le premier lui mordre les jambes. Il eut toute la peine du monde à les mettre en fuite à coups de morceau de bois. Une heure après le juge fit mander le laboureur, et le mit en prison, pour avoir, disait-il, maltraité trois dames de la ville. Le laboureur étonné assure qu’il n’avait maltraité que des chats, et en donna les preuves les plus évidentes. On le relâcha, parce qu’on vit que le diable seul était coupable en cette affaire. »

MAJOL, colloq. 3, p. 213 : « L’an 1549, sept magiciens de la ville de Nantes ayant promis de faire connaître, avant une heure, tout ce qui se passait aux environs de la ville, à un espace de dix mille pas à la ronde, tombèrent morts sur le champ et restèrent trois heures dans un état léthargique. Lorsqu’ils se relevèrent, ils révélèrent tout ce qui s’était fait dans la ville de Nantes et plus loin, et tout ce qu’ils avaient observé en fait d’actions et de localité. »

BOETHIUS, lib. 8, Hist. Scot. ; CARDANUS, lib. 16, De Rer. Varietate, cap. 93 : « Nous avons appris des témoins oculaires, que naguère une fille noble, et d’une rare beauté, ayant un grand dégoût pour l’hyménée, fut trouvée enceinte. Les parents recherchèrent l’infâme qui pouvait avoir violé leur fille. Celle-ci leur apprit que la nuit et le jour un beau jeune homme venait coucher avec elle, et qu’elle ne le voyait jamais entrer. Quoique les parents n’ajoutassent pas foi à une telle explication, cependant, un jour avertis par la servante, de l’arrivée du jeune homme, ils s’arment de torches et de flambeaux, entrent tout à coup dans l’appartement, et aperçoivent dans les bras de leur fille un monstre horrible et épouvantable. Les voisins accoururent à ce hideux spectacle, et en même temps un prêtre d’une conduite irréprochable et instruit dans les saintes Écritures ; celui-ci fit la lecture de l’Évangile de saint Jean, et lorsqu’il fut à ces paroles, Et Verbum caro factum est, le démon enlevant le toit de la chambre, brûlant le mobilier, s’enfuit en poussant des cris horribles.

Trois jours après la jeune fille accoucha d’un monstre hideux, et tel que jamais l’Écosse n’en avait vu de semblable. Les sages-femmes le brûlèrent pour l’honneur de la famille. »

D.N. NAUPPIUS, Biblioth. portat. pract. , loc. 4, p. 454, ann. 1565 : « Dans le bourg de Schmin, qui dépend de la juridiction du seigneur Vratislas de Berstem, une femme accoucha d’un enfant du démon, qui, n’ayant ni pieds ni tête, avait une espèce de bouche sur la poitrine, du côté de l’épaule gauche, et une espèce d’oreille du côté droit ; au lieu de doigts il avait des pelotes visqueuses comme certains crapauds nommés rainettes ; tout son corps était de la couleur du foie, et tremblait comme de la gélatine. Quand l’accoucheuse voulut le lever il poussa un cri horrible. Une foule d’habitants avaient aperçu ce monstre quelques jours auparavant. On l’enterra dans la partie du cimetière où l’on met les enfants morts sans baptême. Cependant la mère ne cessa de demander que cet horrible produit fût arraché aux entrailles de la terre, et fût brûlé, afin qu’il n’en restât pas la moindre trace. Elle avoua que le démon, prenant la forme de son mari, avait souvent eu commerce avec elle, et qu’en conséquence il fallait rendre au démon son propre ouvrage. Comme elle était agitée violemment par le démon, elle demanda encore d’être accompagnée de gardes et d’amis de la maison. Enfin, par ordre du seigneur Vratislas, on déterra le monstre, on le mit sur la roue, et on le donna au bourreau pour le brûler hors des murs du bourg. Le bourreau consuma une grande quantité de bois sans pouvoir entamer ce corps ; les langes même dont il était enveloppé, quoique jetés au feu le plus violent, restèrent mouillés jusqu’à ce que le bourreau l’ayant mis en pièces, parvînt à le brûler le vendredi, après la fête de l’Ascension. »

DELRIO, lib. 2, qæst. 2 : « Pendant que j’étais à Mayence, on punit du dernier supplice, à Trèves, une sorcière très connue qui faisait venir le lait de toutes les vaches du voisinage dans un vase placé dans le mur. »

SPRENGER, part. 2, quæst. 1, chap. 14 : « Quelques-unes d’entre elles se placent la nuit dans un coin de leur maison, tenant un vase entre leurs jambes ; elles plantent un couteau, ou tout autre instrument, dans le mur et dans la colonne, en même temps qu’elles tendent la main pour traire ; aussitôt elles invoquent le diable qui travaille avec elles et l’invitent à traire telle ou telle vache qui paraît la plus grasse et la mieux fournie de lait. Le démon s’empresse de presser les mamelles de la vache et de porter le lait dans l’endroit où se trouve la sorcière. »

RONDELET, médecin très célèbre, aperçut à Montpellier un magicien étendu sur le tombeau d’une femme, enterrée de la veille, qui lui coupa une jambe et la dévora de ses propres dents.

SENNER, lib. 3, de Prax. Med., p. 84 : « On ne peut nier que les hommes possédés du démon ne puissent endurer un jeûne très long, le démon leur fournissant en secret de la nourriture, ou leur conservant les forces de toute autre manière. »

TRENDIUS, quæst. 134, ex Boissard de Magios., cap. 6 : « Un comte allemand n’avait qu’à regarder la bouche du canon d’un fusil ou d’un mortier pour arrêter l’effet de la poudre. »

JORDANUS, de Divin., cap. 23 : « L’an 1389, un jeune homme ayant envoyé et reçu une foule de cadeaux et de lettres amoureuses, tomba dans une espèce de langueur, et vomit toutes sortes d’ordures, des cheveux de femme, de la laine, du lin, de la soie, des aiguilles à perruque et des aiguilles à coudre, des rognures d’ongles, des débris d’os, de fer, et du sang. Une voix secrète lui ayant fait connaître que les assistants cherchaient le coffre où étaient renfermées les lettres de son amante, il en demanda la clé à grands cris, la saisit, et l’aurait dévorée, s’il n’en eût été empêché. Il la mit ensuite en secret dans son traversin, et perdit l’usage de la vue. Sa mère eut beau l’avertir de rendre la clé qui faisait tout son mal, on n’obtint pas davantage, et l’on crut qu’on l’avait enfin volée. On força la serrure de l’armoire, et l’on y trouva deux lettres d’amour, qu’on jeta au feu. Aussitôt le malade recouvra l’usage de ses sens, et la clé parut aux yeux de ceux qui la cherchaient, au grand étonnement de tout le monde. Le malade se porta de mieux en mieux et fut rendu à la vie. »

CASP. SCHOTTUS, Mag. univ., lib. 4, p. 407, raconte le fait suivant dont il a été témoin dans son enfance, et qu’il a entendu raconter à des témoins plus âgés que lui.

« Deux compagnons sortaient d’une ville, armés d’une épée, et portant leur bagage pour aller travailler dans une autre. L’un d’entre eux, qui avait trop bu, attaque l’autre, qui refuse de se battre avec un homme ivre. Mais ayant reçu un coup sur la tête, et voyant couler son sang, il riposta et perça de part en part le malheureux ivrogne. On accourt aussitôt de la porte voisine de la ville, et parmi les assistants se trouve la femme même du mort. Dans le moment qu’elle donne des soins à son époux, le meurtrier, qui continuait sa route, se sentit saisi par une main invisible et fut entraîné auprès du magistrat. »

D. N. D. CARPZOVIUS, part. I, Prax. Crim., quæst. 50, Senten. 25, p. 448 : « Un croque-mort, instruit par le démon, trancha la tête d’un cadavre qui n’était pas encore en putréfaction, et la suspendit entre deux fenêtres dans sa maison. Il en ouvrit le crâne et y versa de la bière, et du sang tiré de la jambe d’un cadavre disséqué exprès, du lait de femme qu’il avait exprimé des mamelles de deux femmes relevées de couche ; il mêla le tout au nom du diable. Lorsqu’il eut besoin de funérailles et d’enterrement, il échauffa la tête du cadavre jusqu’à la transpiration, et l’agita en la tournant comme une fronde. Toutes les gouttes qui tombèrent furent autant d’enterrements qu’il eut, et autant de vivants qui trépassèrent. »

DELRIO, lib. 3, quæst. 3 : « Dans une petite ville de la juridiction de Laon, deux hommes vinrent pendant la nuit à l’auberge, se disant très fatigués. Après le souper ils refusèrent d’aller se coucher, et pressèrent tant l’aubergiste, qu’ils en obtinrent la permission de dormir dans la cuisine. Cependant la servante du cabaret, qui ne voyait pas avec trop de plaisir ces visages étrangers, se cacha près de là pour épier à travers le trou de la serrure ce qu’ils feraient. Au milieu de la nuit elle les voit tirer d’une espèce de sac la main d’un cadavre, en oindre les doigts avec du suif, et les allumer au feu. Tous les doigts s’enflammèrent, à l’exception d’un seul. Les voleurs magiciens ne savaient comment expliquer ce prodige dans un moyen qui leur avait toujours si bien réussi. Ils eurent beau tenter d’allumer le cinquième doigt, ils n’en vinrent jamais à bout. Qu’importe, dit l’un d’entre eux, si dans toute la maison il n’y a qu’un seul homme éveillé ? Et aussitôt plantant cette main sur la cheminée, comme une chandelle à quatre branches, ils sortent du logis et appellent leurs camarades par un coup de sifflet ; la servante s’élance de sa cachette, ferme la porte sur eux, court au lit de ses maîtres, et les trouve profondément endormis, de sorte qu’elle ne peut parvenir à les éveiller. Cependant les voleurs allaient entrer dans la maison par une fenêtre ; la servante accourt et renverse les échelles ; ils ne se découragent pas, et tentent l’assaut sur un autre point ; lorsqu’enfin la servante se souvenant de la chandelle à quatre doigts, et craignant que la cause du sommeil de ses maîtres ne vînt de la lumière, l’éteignit entièrement. Ses maîtres s’éveillent sur le champ, accourent à ses cris et pourchassent les voleurs. Quelques jours après ils furent pris et confessèrent le crime. »

SAINT-AUGUSTIN, lib. 15, de C. D. , cap. 23 : « Rien n’est plus connu, et plusieurs personnes bien dignes de foi l’ont éprouvé et l’ont appris des personnes qui l’ont éprouvé elles-mêmes, les Sylvains et les Innuens, qu’on appelle ordinairement incubes, sont dangereux pour les femmes et recherchent avec avidité leur lit ; et certains démons, que les Gaulois appellent Dresiens, sentent et produisent si souvent cette impureté, qu’il y aurait de l’impudence à le nier. »

REMIGIUS, lib. 2, Doemon., cap. 3. : « Marie, femme d’un cordonnier, nommé Jean, demeurant à Metzer-Esch, nous a raconté que Jeannette, femme de Sonnius Mathieu, ayant avorté, cacha le foetus qu’elle venait de produire dans un coin de sa maison. Mais certaines sorcières l’ayant reconnu à l’odeur, le déterrèrent aussitôt et en firent un onguent. Cette femme y ayant trempé un jour son balai, sans le savoir, se sentit aussitôt élevée dans les airs et fut transportée à Bruch. Les sorcières, livrées au juge, confessèrent même l’événement. »

SPRENGER (Mall. Malef.), t. I, part. 2, quæst. 2, cap. 2, p. 241 : « Une sorcière ayant été interrogée sur la manière dont elle tuait les enfants, répondit en ces termes : Nous recherchons les enfants non baptisés, et surtout les baptisés, quand on ne les garantit pas par le signe de la croix. Nous les tuons au berceau par l’effet de nos cérémonies. Lorsque nous les croyons morts et enterrés, nous les tirons du tombeau et nous les faisons bouillir dans la chaudière, et nous en faisons une liqueur dont on ne peut pas boire sans s’attacher à notre secte. »

On rapporte dans le Dictionnaire des Matières Médicales, imprimé de nos jours, à l’article Cauchemare, un événement arrivé à tout un régiment français, pendant les guerres d’Italie, et attesté par des chirurgiens et officiers de santé encore existants. On caserna dans une église abandonnée tout un régiment. Les paysans les avaient avertis que la nuit, sur les minuit, on se sentait presque suffoqué dans ces lieux, et que l’on voyait passer un gros chien sur sa poitrine ; les soldats en riaient, et se couchèrent après mille plaisanteries. Minuit arrive, tous les soldats se sentent oppressés, ne respirent plus, et voient chacun sur leur poitrine un chien qui disparut, et ils reprirent leurs sens. Ils rapportèrent les faits à leurs officiers, qui vinrent y coucher eux-mêmes, et le même fantôme se présenta la nuit suivante.

SALGUE, Essai sur les Préjugés, dit « qu’un berger adonné aux sortilèges, et dont la vie était attachée à un sort, fut pris. Traîné devant les tribunaux, on s’occupa longtemps à chercher les instruments de sa magie. Le berger, qui avait paru tranquille jusqu’alors, s’écria tout à coup : Ah ! je vais mourir, on découvre dans l’écurie un pot auquel sont attachés mes jours. Il expira aussitôt. Observez qu’il était à une distance de quelques lieues de l’étable où il faisait ses sortilèges. On confronta l’instant de sa mort avec l’instant de la découverte de ce vase, et l’on trouva que les deux événements étaient arrivés à la même heure. L’auteur qui rapporte ce fait, malgré son incrédulité à l’égard des événements des sorciers, est forcé de convenir que celui-ci est appuyé des procès-verbaux les plus authentiques. »

Ceux qui désireraient des citations plus nombreuses peuvent lire l’Enchiridion du pape Léon X, le grimoire du pape Honorius, l’ouvrage du savant père Dom Calmet sur les sorciers, etc., etc., et tant d’autres auteurs que nous nous dispenserons de citer pour ne point grossir le Discours préliminaire, et parce que chacun peut se les procurer facilement. Je me suis contenté de rapporter les faits les moins connus, et j’ai omis l’événement des religieuses de Loudun, du prêtre Gauffredi d’Aix, etc.

Qu’on ne s’étonne pas du désordre qui règne dans la compilation, et de la simplicité du style des traductions ; je n’ai pas voulu que l’art influât en rien sur l’opinion de mes lecteurs, et que tout autre moyen que la vérité vînt éclairer leur jugement et mettre ma croyance à l’abri des railleries et du dédain.

Après des preuves aussi évidentes, je ne laisse pas que de m’attendre à un déluge de plaisanteries. Je ne dis pas à un déluge de sarcasmes. La plupart de mes lecteurs feront semblant de ne pas m’en croire digne, et ils auront la charité de ne me vouer qu’au mépris. Hommes de ce monde, je vous pardonne ; il vous a été donné des yeux pour ne point voir, et un esprit pour ne pas comprendre. Ne craignez point que vos dédains aillent se réunir aux nombreux tourments qui affligent ma débile existence : plût au ciel que je ne fusse exposé qu’à de tels contretemps ! Vous me permettrez sans doute de m’en consoler en silence et de rire de mes propres rieurs. Gardez, gardez vos superbes suffrages, allez sur les bancs du parterre frissonner aux cris funèbres de Sémiramis, aux accents d’effroi de Macbeth et d’Hamlet, et venez, après, livrer mes justes épouvantes au ridicule ! Je vous attends sans vous désirer ni vous craindre, et je soutiendrai votre choc, vos combats, avec cette constance que le ciel m’a donné pour un plus noble usage. Il est, il est sur la terre une autre classe de mortels dont j’ambitionne le suffrage et dont je recherche le bonheur. Ce ne sont point ces hommes qui, à force de connaissances, font bientôt l’aveu qu’ils ne savent plus rien ; ce ne sont point ces hommes qui n’adoptent un fait que lorsqu’il sort d’une chaire des lettres, et qu’il est accueilli par un auditoire, quelque dénué de preuves qu’il puisse être d’ailleurs ; ce ne sont point ces hommes qui ne voient la vérité que dans la mode, et le courage que dans une prétendue force d’esprit, et qui méprisent comme des préjugés tout ce que leur faible imagination ne saurait comprendre. Ce sont les esprits simples et favorisés de la providence, dont le coeur dirige la croyance et la foi, dont l’éducation (si souvent mal entendue) n’a point corrompu la morale ; qui prisent trop la paix de l’âme, pour ne pas trembler à la vue des dangers qui l’assiègent, et qui n’ont pas encore servi l’esprit de ténèbres et d’erreurs pour n’avoir rien à craindre de sa malice. Voilà, voilà les hommes, les frères, les amis qui compatiront à mes souffrances, qui sauront y ajouter foi ! Voilà les frères que je recherche, que j’affectionne, et pour la sûreté desquels je fais monter au ciel, avec l’encens de mes prières, les saintes fumigations qui purifient les airs, et qui chassent loin de notre couche pacifique les suppôts de l’esprit infernal. Heureux, mille fois heureux, s’il m’a été donné d’en haut, pour prix des persécutions que j’ai endurées, de pouvoir triompher des efforts de ces ennemis du genre humain, de leur rendre guerre pour guerre, et de venger l’univers ! Ah ! pour atteindre un but si beau, qu’est-ce que le sacrifice de la vie et de la fortune ? Quels obstacles, quels fleuves, quel océan pourraient arrêter les pas de celui dont l’âme, guidée par un instinct sacré, n’annonce que la paix, la tranquillité et le calme et qui veut devenir l’apôtre de l’exorcisme ? Aussi je me sens embrasé d’un zèle délicieux, mon courage redouble avec mes succès ; il me semble qu’une rosée céleste enivre mon âme, toutes les fois que je puis me flatter d’avoir contribué à la fuite d’un seul de ces ennemis que j’attaque, que je surprends dans tous les lieux où je me trouve, et que je porte quelquefois en triomphe, attachés à ma personne et enchaînés à l’étoffe qui défend mon corps. Que sera-ce lorsque mes semblables, dociles à la voix de ma simplicité, s’armeront comme moi et combattront sous les étendards de la croix ? Que sera-ce, quand, leurs yeux se dessillant, ils pourront par eux-mêmes distinguer ces hordes de génies infernaux qui se pressent autour de nous, et ces escadrons lumineux d’esprits angéliques, ministres de la force de Jéhovah, qui voguent dans les airs pour préserver les vrais croyants des coups empoisonnés de l’esprit de ténèbres ? Ô ciel ! hâtez pour moi ce jour de triomphe ; que mes yeux, avant de mourir, soient témoins de votre victoire, et ma tâche aura été remplie !!!

Mais au moins qu’il me soit permis, en attendant ce jour de gloire, d’instruire mes frères et d’achever de dissiper les doutes qui pourraient encore affliger les esprits.

D’après les exemples multipliés que j’ai cités, et une multitude d’autres qu’ils pourront lire, il est démontré pour tout esprit raisonnable, non seulement qu’il y a un esprit de ténèbres, mais encore 1° que cet esprit, pour mieux arriver à son but désiré, et pour contrebalancer l’ouvrage du Très-Haut, parvient à lier à ses volontés des hommes et des femmes par un pacte, soit secret, soit implicite. 2° Que c’est surtout aux femmes âgées qu’il s’adresse, parce qu’à l’abri des passions du jeune âge, elles n’ont à redouter dans leurs entreprises diaboliques, ni les obstacles que la beauté et l’amour pourraient opposer à leurs bras, ni les cris d’une conscience encore novice. 3° Qu’il se sert de ces vieilles pour séduire les jeunes ; mais que les jeunes, encore innocentes et étrangères au mal systématique, au lieu de devenir sorcières et magiciennes, ne deviennent que des démoniaques et des frénétiques, parce que l’esprit ayant sans cesse à lutter dans leurs coeurs avec la pureté de leurs moeurs et la simplicité de leur conscience, ne peut manquer, dans cette lutte, de produire des chocs violents et d’ébranler leur corps par des convulsions d’autant plus terribles que la résistance est plus forte. 4° Que la puissance de ces sorcières est limitée en raison de celle de l’esprit qui les gouverne ; que la Divinité lie leur puissance, arrête les progrès de leurs ravages et interrompt le cours et l’effet de leurs prestiges ; sans quoi tout serait bientôt bouleversé dans la nature ces lois si simples, si belles, si fécondes, ne tiendraient pas un instant devant le génie du désordre et du chaos, l’univers croulerait sur la tête de l’innocente et du sage, et n’offrirait plus que le spectacle des victimes de la fureur diabolique ou des esclaves lâches et perfides de son pouvoir. 5° Qu’ils ne peuvent que nous inviter au mal, nous y engager en nous offrant le tableau séduisant de leurs jouissances, mais jamais nous y forcer ; que nous avons toujours le moyen d’échapper à leurs prestiges ; que l’asile de la miséricorde divine nous est toujours ouvert, et qu’un ange de paix, comme le dit le psalmiste, est attaché à nos pas pour préserver nos pieds de heurter contre les bords de l’abîme. 6° Que les hommes animés du démon peuvent appeler les tempêtes à leur secours, soulever les entrailles de la terre, et produire les tremblements, enflammer le sommet des montagnes, faire descendre la pluie et la grêle ; enfin, qu’ils ont à leurs dispositions quelques-unes des lois physiques pendant quelques instants, et que leur pouvoir en cela est très limité par la puissance divine. 7° Qu’ils attachent leurs pouvoirs quelquefois à des êtres inanimés ; que ces êtres inanimés exercent leur influence à des grandes distances, comme certains corps odoriférants dont les corpuscules viennent chatouiller de loin notre odorat. 8° Enfin, qu’il est permis à l’homme juste de détruire le charme et conjurer leurs efforts par ses prières et ses bonnes oeuvres ; que l’âme pieuse, qui ne se console des difficultés de la vie que par un bienfait, peut se rendre utile à ses semblables et obtenir cette consolation chère à son coeur ; qu’il lui est donné d’en-haut d’opposer volonté à volonté, efforts à efforts, puissance à puissance, moyens à moyens ; que la nature semble s’empresser de fournir des secours à son courage ; que tous les règnes de cette belle nature deviennent en ses mains des armes d’espérance et de salut. C’est là la dernière idée que je vais développer, parce qu’elle est la base de tous mes procédés.

Il serait indigne d’un homme raisonnable de penser que la Divinité, bienfaisante par essence, nous exposât à des dangers inévitables, et que, lorsqu’elle nous place en présence de nos ennemis, elle n’armât point nos bras des armes propres à la victoire ; elle n’a semé la carrière de notre vie de tant de dangers et de tant d’écueils, que pour ménager de plus beaux traits au mérite ; et sur le bord de l’abîme le plus noir, sa main n’a jamais cessé de placer une pierre de salut et d’espérance. Ainsi donc, quand nous voyons qu’il a été donné à l’esprit de ténèbres de commander aux éléments et à la nature ; que les minéraux et les végétaux sont mis à sa disposition ; que tout enfin devient entre ses mains parricides un moyen d’attaque et de combat, il est tout naturel de penser que dans cette même nature il existe pour nous des moyens de défense et de succès ; que les mêmes éléments, les mêmes êtres dont il se sert contre nous, peuvent nous servir contre lui et lui rendre ses blessures. Une telle vérité ne peut être niée qu’au détriment de la gloire du Très-Haut.

Mais où trouver ces armes ? Dans quel lieu de la terre la nature a-t-elle caché cet arsenal de salut ? dans quel pays fortuné, dans quelle enceinte sacrée le chercher ? Qui pourra nous en enseigner la route ? — Qui le pourra ? — Ton propre coeur. Apprends seulement à l’entendre.

Au milieu de tes angoisses et de tes afflictions, n’as-tu pas senti un baume délicieux couler dans ton être, à la seule invocation du nom du Tout-Puissant ? L’orage de l’infortune, les menaces des méchants, les embûches de tes ennemis, le malaise de la mélancolie, tout enfin ne s’est-il pas dissipé lorsque tes yeux se sont fixés vers la demeure de l’Etre-Suprême ? Si une voix secrète t’avait dit dans ce moment : Les cieux sont ouverts sur ta tête, le ciel a reçu ton regard affligé, un ange de paix descend pour te défendre, et le malheur va fuir devant toi, aurais-tu hésité de le croire ? N’aurais-tu pas reconnu dans ces accents inconnus l’interprétation de ce qu’éprouvait ton coeur ? Ô mon ami ! tu priais dans ce moment ; oui, les soupirs de la souffrance sont la plus pure prière qui monte jusqu’au trône de l’Éternel ; tu priais, quand tes regards exprimaient au ciel les besoins de ton âme ; et les anges dans leurs coupes d’or portaient ta prière aux pieds de celui qui protège l’infortuné. Eh bien ! aie recours à cette prière toute puissante, quand l’ennemi de tes jours vient à toi ; élève tes mains pures vers le ciel, écrie-toi dans de saints transports : Grand Dieu ! la nature se soulève contre moi ; cette nature que tu avais créée pour mon usage, semble avoir oublié l’ordre de son Créateur. Si c’est ta main qui l’agite contre mes jours, je recevrai tes coups avec respect et en silence : tu ne veux m’abattre que pour m’élever davantage, et tu ne frappes que pour m’épurer ; mais si c’est mon ennemi, si c’est celui de ta gloire, ne lui permets point de prévaloir sur ma faiblesse et combats à mes côtés. Montre-moi l’arme que mes mains peuvent supporter ; montre-moi l’être qui doit servir à ma défense, je n’hésiterai point à m’en saisir, et en invoquant ton nom je serai invincible.

Ô toi qui m’écoutes, n’en doute point, le ciel sourira à ta prière, et ses secours, comme une douce rosée, descendront dans ton coeur.

C’est cet instinct, qui est dans quelques circonstances l’oracle du ciel, c’est lui qui te désignera autour de ta personne les objets dont tes mains doivent faire usage, les êtres qui doivent servir d’instruments à la force d’en-haut ; et si Dieu est pour toi, qui sera contre toi ? D’abord, n’as-tu pas observé quel malaise on éprouvait dans des lieux incultes et flétris ? Une nature sauvage, des déserts semés de rocs, jaunis par le sable et coupés par des ravins, ont-ils jamais ramené dans ton âme la paix et le repos ? N’as-tu pas trouvé ton coeur plus juste et plus compatissant dans une campagne riante et fleurie ? L’imagination des poètes, qui devine si souvent la nature, n’a-t-elle pas placé la demeure du père du mal dans les plages desséchées ? Le génie de Raphaël n’a-t-il pas choisi pour le champ de bataille des anges révoltés une scène vaste hérissée de roches aiguës et uniforme dans sa couleur fanée ? N’as-tu pas enfin éprouvé, en flairant la première rose des beaux jours, la violette du vallon, la primevère de la prairie, n’as-tu pas éprouvé la volupté de la vertu ? T’aurait-il été possible d’être méchant au milieu d’un beau paysage ? Et si ton implacable ennemi s’était alors offert à tes yeux, n’aurais-tu pas volé dans ses bras, en lui criant : Peut-on se haïr quand la nature est si belle ! Il est donc des lieux qui inspirent plutôt la vertu que le crime ; il est donc des lieux, des objets, que l’esprit du mal abhorre, et où il ne retrouve plus sa sécheresse, son aridité et la puanteur de son poison. Quand le démon, dit Jésus-Christ, est entré dans une âme, il la promène dans des lieux arides et raboteux. Voilà ce que je voulais t’apprendre, ou plutôt voilà le principe que tu savais déjà, et dont je voulais tirer une conséquence.

Ô mes amis ! volons dans ces lieux, à l’approche de l’ennemi ; arrachons à la nature les fleurs odoriférantes sur le calice desquelles Dieu semble avoir gravé le sceau de sa bonté puissante. Prenons le laurier si fertile dans notre patrie, l’emblème de toutes les victoires et la plante chérie des Français, le thym qui féconde nos brebis et qui fait couler de leurs mamelles des fleuves d’un lait pur et délicieux ; la palme de l’Idumée, l’olivier de l’Occitanie, deux rameaux foulés par les pieds du Sauveur de l’univers et du vainqueur des ténèbres ; la sauge, le romarin qui parfume nos plaine, l’encens qui a acquis le privilège de fumer sur nos autels. Non, le démon ne peut manier ces plantes salutaires, il fuit à leur approche, crainte de souffrir à leur contact. Croyez-en mon expérience, je l’ai vu quand sa main gigantesque allait frapper mes jours, quand ses bataillons, amis de l’obscurité, s’avançaient silencieusement vers la couche de mon insomnie ; je l’ai vu, à la lueur des éclairs, les ministres de sa rage, pâlir, s’enfuir épouvanté à la présence du bouquet qui frappait ses sens ; je l’ai vu, poursuivi par mes mains, cerné de tous côtés par mes saintes fumigations et mes fleurs, trembler, s’agiter au milieu des roses qu’il ne pouvait aimer, comme un malheureux qui se roule sur des buissons et des épines ; et alors le coeur poussé par la vengeance, qui devient une vertu contre les démons, j’ai pu le punir de ses outrages, de ses embûches, et racheter enfin quelques jours de calme en lui laissant la liberté.

J’entends déjà qu’on m’objecte que le démon s’est servi de bouquets d’odeur et de roses pour fasciner, pour ensorceler et pour corrompre l’innocence. Et comment, me dira-t-on, la rose, la fleur dont il se sert contre moi, deviendra-t-elle efficace contre lui ? Écoutez-moi : je n’ai point prétendu que le démon, qui prend quelquefois le masque de la vertu, n’ait pu donner aux instruments dont il fait usage, le coloris, la grâce des objets les plus sacrés ; mais ces objets sont imposteurs chez lui ; il n’a pas le droit de les cueillir dans la plaine, il ne peut que les imiter. La preuve en est que l’odeur de la rose sur la plante qui l’a produite n’a jamais fasciné les coeurs, c’est plutôt un bouquet flétri, abandonné, souillé dans la fange, que la main téméraire a ramassé ; c’est une fleur offerte de la main à la main. Mais la fleur que tu cueilleras toi-même ne peut-être que la fleur pure et sans tache, le talisman du salut, parce qu’elle est la fille de la nature.

Au reste, s’il lui est permis quelquefois d’imiter les contours et la ressemblance des objets qui nous servent, s’il nous combat quelquefois revêtu de nos propres armes, il nous est donné aussi de l’attaquer avec les siennes, de lui payer ruse pour ruse.

Ce soufre qui brûle dans ses abîmes, ce soufre qui a remplacé aujourd’hui les lieux où furent jadis et Gomorrhe et Sodome, et dont les esprits infernaux alimentent leurs torches, eh bien ! ce soufre les fait fuir, quand c’est un enfant de Dieu qui le brûle ; et le foie tiré du corps d’un monstre des eaux devient, entre les mains du juste Tobie, le palladium des droits de l’hymen : la vertu sanctifie tous les moyens, et prête de la force à tous les traits qu’elle lance.

Enfants des hommes, devenez enfants de Dieu, et le grand livre de la nature sera le livre de l’exorcisme ; les êtres sembleront accourir à votre défense ; la plante aromatique se décèlera par une odeur céleste, et vos pas seront marqués par des découvertes et des succès.

Eh ! qui hésiterait d’adopter ce système ? Qui oserait raisonnablement se refuser à cette opinion ? Sans elle tout n’est que contradiction, qu’obscurité dans le monde ; avec elle tout s’explique, tout s’accorde, et l’harmonie renaît comme la lumière naquit dans le chaos.

Car, enfin, rappelez-vous comment les plus grands génies, ceux qui tant de fois ont surpris la nature et lui ont arraché ses secrets, comment, dis-je, ces génies privilégiés, faute d’avoir trouvé le fil du labyrinthe, ont divagué dans leur supposition et se sont égarés dans leurs pensées. Qu’ils eussent été grands et sublimes, armés de ces puissantes vérités ! que d’absurdités ils auraient épargnées à leur plume, et que de vains tourments ils auraient épargnés à leur esprit ! Ils ont lutté contre la vérité, ils ont bâti sur des mensonges, et le temps, dont la faux est le glaive de la vérité même, a renversé leur fragile édifice.

Voyez comme tout se suit dans le livre des Hébreux et dans l’Évangile, comme les faits expliquent les faits, comme la nature marche conséquente, comme les sciences et cette histoire se prêtent un mutuel secours ! Si le mal entre dans le monde, si la première des femmes, si la première des amantes, encore ivre des plus chastes voluptés, elle, dont l’Eternel lui-même de ses regards chastes et purs daignait fixer les suaves jouissances ; si cette beauté douce et timide, parée de tous les charmes de la nature, et l’oeil toujours humide d’amour ; si la tendre Eva conçoit cet orgueil qui ne sied qu’à la laideur, et écoute la voix du mal qui l’entraîne et qui la perd, ah ! ce livre sublime me montre sous le feuillage mystérieux le reptile des enfers qui souille de son poison les fruits dorés de l’arbre, et le coeur de la femme, aussi beau que ces fruits.

Je vois alors comment le mal est entré dans le monde ; l’Éternel tonne et me l’explique. Je vois pourquoi la terre, devenue ingrate, nous paie d’un grain de blé mille gouttes de sueur ; pourquoi la rose s’arme d’épines, et le lion de fureur ; pourquoi la rosée se change en orage, les montagnes en volcans, les rayons consolants de l’astre du jour en vapeur brûlantes et rapides ; pourquoi l’amour, le plus beau des sacrifices offert à la nature, n’est plus qu’un mouvement brutal et honteux ; pourquoi je rougis encore plus d’aimer que de haïr, et pourquoi je recherche les antres et la nuit pour assouvir cette passion aveugle et humiliante, qui n’était dans Ève et Adam qu’un épanchement simple et exquis auquel souriait la nature entière.

Caïn donne le premier l’exemple du fratricide, il lève son bras et l’innocent succombe. C’est le démon de la jalousie qui a pénétré dans son coeur, qui le presse, qui l’aiguillonne, qui le dessèche, qui l’étourdit. Dès ce moment son âme sacrifie tout à sa vengeance, il ne voit plus qu’un objet qui le gêne, et les douceurs de la fraternité et le bonheur de vivre sous le même chaume, dans les mêmes vallons qui nous ont vu naître, et la puissance des lieux qui ont été témoins de nos premiers jeux, de nos premières caresses ; le regard d’un père, regard consolateur au milieu des champs, et qui semble se ternir dans les villes, rien enfin ne calme son âme effarouchée : un démon cruel l’agite ; il obéit, et l’âme d’Abel, et sa patrie, et ses coteaux, et la chaumière maternelle, tout s’enfuit loin de lui ; il erre comme l’esprit qui le gouverne ; ses mains encore sanglantes élèvent la première ville, et l’assassin de son propre père fonde le premier trône de l’univers.

Les enfants de Dieu s’allient aux enfants des hommes, c’est-à-dire aux enfants animés du souffle de Satan. Tout à coup la colère du Tout-Puissant s’allume, le ciel se couvre de nuages, l’obscurité profonde enveloppe le globe, les cavernes rendent leurs eaux, et les cataractes du ciel ouvrent leurs réservoirs immenses, et l’univers est submergé, et l’onde purifiante lave la terre de ses souillures et détruit l’oeuvre des démons.

Les enfants du plus juste des hommes voient leur père dans une ivresse mystérieuse ; l’un d’eux en rit et oublie le respect qu’il doit à un père : c’est l’esprit de rébellion qui l’a entraîné dans le crime, c’est l’esprit de rébellion qui le possédera, et la malédiction s’étend sur sa race. En voulez-vous la preuve ? Dans le partage l’Afrique lui échoit, l’Afrique, pays maudit par le ciel, où l’œil du voyageur n’aperçoit qu’un océan de sables et ne rencontre, après avoir longtemps erré, que quelques îles insuffisantes dont la surface se hérisse de quelques arbustes desséchés que le ciel n’arrose que de quelques larmes ; désespéré, seul au milieu du monde, étendu sur l’arène, les regards détournés d’un ciel qu’il ne saurait fixer, il le prie sans le voir, et attend la mort ou la rosée ; c’est là que les côtes sont inhospitalières et les habitants inhumains ; c’est là que l’homme se confond avec la bête, que les mêmes arbres abritent le mortel et l’orang-outang, que l’homme regarde comme son frère et qu’il honore d’une commune origine ; c’est là que les caïmans cuirassés, voguant entre deux eaux ou s’élançant comme un trait sur le rivage, poursuivent les troupeaux et les bergers, et infestent la contrée ; c’est là que l’énorme serpent foule les forêts et les moissons dans sa rapide marche, élève son front large au-dessus des palmiers, ne redoute ni le fer, ni la foudre de nos bronzes, et, seul, se voit attaqué comme une citadelle ; c’est là que l’habitant stupide a fléchi le genou devant le crocodile qui le poursuit et devant le serpent qui le dévore ; c’est là que l’esprit est sans conception et les doigts sans adresse, que la nature s’est montrée vraiment marâtre, et qu’elle ne fait naître que pour tourmenter. Voilà le pays que le ciel assigne à celui qu’a maudit son père et que possède le démon. Aussi, il n’est point de pays où les magiciens, les farfadets et les sorciers abondent davantage ; les Psylles, dont la main était à l’abri de la morsure des serpents ; ces familles entières qui ont le droit héréditaire de fasciner les moissons et les mortels ; ces hommes incendiaires qui errent la nuit dans les champs, précédés de larges sillons de flammes, et qui forcent les habitants désespérés des villages d’abandonner le toit de leurs aïeux, etc., etc. ; rien, enfin, n’y est plus commun que ces monstres, et rien n’y est plus terrible. La main du Seigneur s’appesantit sur la race d’un fils ingrat et imprime partout le sceau de sa vengeance.

Saül, l’oint du Seigneur, dont le trône était consacré par le choix du prophète, se laisse entraîner par la jalousie ; des fureurs l’agitent sans cesse, de ses mains tremblantes de dépit il lance plusieurs fois le javelot qui doit satisfaire sa vengeance ; au lieu d’avoir recours à ces explications de la science, de nous parler d’ébranlement, de crispation de nerfs, etc., l’Écriture nous montre le génie du mal, et le phénomène s’explique.

Et l’Évangile ! et l’Évangile ! n’explique-t-il pas encore la nature d’une manière sublime ? Jésus-Christ ne nous montre-t-il pas partout le génie méchant empressé à mal faire, séduisant, corrompant les hommes, soulevant les éléments, se précipitant dans le corps immonde de ces animaux que la loi interdisait à la table du Juif ? Ne vous dit-il pas : Il viendra des faux prophètes qui vous tromperont par de faux miracles ? Et comment ces faux prophètes pourront-ils faire des miracles sans le secours de cet esprit caché qui travaille d’une manière invisible, et qui nous trouble si souvent parce qu’il connaît mieux la nature que nous ?

Ô vous ! qui tentez d’expliquer les grandes révolutions des empires, qui allez chercher dans les intérêts des cours, dans les manoeuvres des mécontents, dans la tyrannie des princes, dans les abus du pouvoir, dans la vétusté du trône et dans la lassitude des sujets, les causes de ces commotions terribles qui jettent les rois dans la foule et livrent les peuples à ses vengeances et à ses propres fureurs, ouvrez, ouvrez l’Apocalypse, lorsque vous aurez assez bâti système sur système, et reconnaissez la simplicité victorieuse de la voix de Dieu : Il est des temps, vous dit-elle, où l’abîme s’ouvre, et sa fumée épaisse et fétide se répandant sur la surface de la terre, aveugle les esprits, souille les coeurs. Ces temps sont alors marqués par les vertiges des têtes, l’imprudence des projets et la malice de ces suppôts de l’abîme, qui poussent le peuple vers sa perte et s’applaudissent en secret au milieu des décombres et des ruines sanglants des trônes renversés. Je le répète, tout s’explique avec cette opinion, et tout est délire sans elle. Oui, sans elle, je vois les philosophes les plus célèbres de l’antiquité se débattre parmi les difficultés, forger et reforger leurs opinions ; nous donner un monde qui est Dieu, dont toutes les parties sont parties divines ; tout informe et insultant à la divinité, où l’ordure dégoûtante vient s’associer à l’or et à la lumière, où la pensée gît dans la fange, où le mal et le bien ne sont que relatifs et arbitraires, où enfin tout est Dieu hors celui qui mérite de l’être. Sans notre opinion, Descartes s’enfonce dans ses tourbillons, dans ses mondes, il crée une nouvelle nature au lieu de deviner la nôtre, et il ne laisse à son siècle que ses mensonges, après avoir le premier indiqué la route de la vérité. Heureux génie, génie privilégié, qui, pour avoir ignoré un seul chaînon de la nature, en a brouillé tous les anneaux.

Ô science humaine ! qui n’est qu’une ignorance plus opiniâtre, tes calculs échouent à chaque pas, tous tes échafaudages s’écroulent en les construisant, et plus tu t’enfonces dans les ténèbres, plus tu nous vantes ta clarté ! Deviens enfin plus raisonnable, écoute la simplicité de ceux que tu traites d’ignorants, et souviens-toi qu’il a été donné à des malheureux pécheurs de convaincre le monde !

Car enfin, en persiflant leurs devanciers, ces docteurs honorés expliquent-ils mieux les lois de la physique ? Ils rient de ces savants vieillis qui répondaient sur le ton des oracles : La nature a horreur du vide. Et eux, qui nous parlent sans cesse d’affinité des corps entre eux, d’attraction de la matière, ont-ils vu ce pacte d’affinité, ces chaînes, ces cordages qui attirent la matière vers la matière ? Ils nous disent que la tempête est un air agité ! l’air est toujours agité : pourquoi n’avons-nous pas toujours des tempêtes ? quelle est la force qui l’agite ? Si c’est la force émanée d’un corps, ce corps étant sans volonté, son action sera toujours constante et uniforme, et nous aurons ainsi toujours la gelée ou la chaleur, l’orage ou le calme ; car je ne vois pas pourquoi aujourd’hui le corps agirait plus puissamment que demain. Ah ! qu’ils nous montrent chaque jour évidemment l’insuffisance de leurs règles ! Le baromètre marque beau temps, et nous avons la pluie par ondées ; le thermomètre est à dix degrés au-dessus de la glace, et je transpire. Rien de certain, rien de fixe dans leurs calculs et leur système ; et si jamais j’avais l’audace de m’endormir d’après leurs règles, je risquerais de m’endormir pour toujours. Le médecin m’ordonne un remède pour une indisposition, et mon mal empire : je ne veux point redire tous les reproches ; toutes les railleries dont on a chargé leur science ; mais ne conviennent-ils pas eux-mêmes de son insuffisance en se réunissant par troupes, par assemblées, dans leurs consultations ? Ne conviennent-ils pas tous les jours que la maladie leur est inconnue, et que les remèdes sont nuisibles ; que leur science est encore dans le chaos, et qu’elle y restera peut-être encore des siècles ? Eh bien ! pourquoi veulent-ils payer un bienfait par des insultes, et m’accuser de monomanie quand je tâche de leur expliquer la nature, et que le succès couronne mes efforts ? Non, non, si l’on veut être de bonne foi, on ne pourra se refuser à l’évidence ; on confessera hautement ce que je confesse ; au lieu de me dénigrer on me consolera de mes dangers et de mes fatigues, en acceptant mes bienfaits.

Alors on conviendra que lorsque la maladie afflige nos corps, c’est cet esprit infernal, ou ses enfants, qui nous frappe ; que lorsqu’après une fortune brillante le malheur nous accable et nous humilie, c’est Satan qui nous renverse sur le fumier, de dépit de n’avoir pu nous faire accepter ses infernales complaisances. Quand la tempête froisse nos moissons, renverse nos édifices, inonde nos guérets ; quand la foudre du ciel frappe, brûle, dévore et l’homme et la plante, souvenons-nous que l’esprit de ténèbres peut faire tous ces maux, et nous arriverons bien mieux à des explications satisfaisantes, qu’en admettant les fluides électriques, les courants de l’air, que chaque jour nous trouvons en défaut. N’en doutez pas, il n’est pas un fait, une circonstance de la journée où ma règle ne puisse s’appliquer, et qu’elle n’explique d’une manière victorieuse. Rappelez-vous ces changements subits d’humeur et d’impression ; rappelez-vous que toujours inconstants dans vos pensées, inconstants dans vos plaisirs, il serait presque impossible de vous trouver les mêmes dans les instants qui se suivent. Vous ne savez comment expliquer ces variations. Il est vrai que sans mon système on ne saurait en trouver une solution raisonnable ; car enfin, où la trouver ? Dans la température ? Mais c’est auprès du même feu, c’est dans le même appartement, c’est sous le même feuillage que ce tourbillon de pensées et de sentiments s’empare successivement de notre âme. Est-ce dans la providence de la divinité ? Mais la divinité, dont l’essence est d’être immuable, et qui a imprimé son image sur nos fronts, serait-elle la cause d’une inconstance qui dément une telle origine ? Est-ce dans le changement des circonstances ? Mais c’est le même rayon d’espérance, c’est la même veine de bonheur, qui nous voit changer de la sorte, et l’objet que nous avions appelé de tous nos voeux semble fuir notre coeur dès qu’il tombe entre nos mains. Rien de sûr, rien de fixe, rien de conséquent dans tous les instants de notre vie ; heureux encore quand cette inconstance et ces variations continuelles nous rendent plutôt malheureux que coupables. Eh bien ! Ne cherchez pas si loin les causes de ces phénomènes journaliers, n’allez point bâtir des systèmes ; la vérité est là, elle qui ne change jamais, elle vous crie : la véritable cause des mouvements qui l’agitent est autour de toi ; mais elle est invisible. Ce sont des esprits infernaux qui te tourmentent, ce sont des farfadets secrets qui les servent dans l’oeuvre de ta tribulation.

Non, non, n’en doutons plus, pourquoi lutter contre la vérité et contre l’expérience ? Point de faux ménagement !… Point de ces considérations puériles, de ce qu’en dira-t-on, qui n’est une règle que dans les moeurs. Voyons partout l’esprit de ténèbres ou ses ministres ; et quand leurs faits diaboliques décèleront leur présence, ayons recours à la prière, aux moyens sacrés, aux fumigations puissantes et à l’invocation du Très-Haut.

Ma tâche est remplie ; j’ai démontré, je pense, avec l’accent de la conviction, l’existence, les moyens des esprits infernaux, et les armes dont on peut les combattre. Je me hâte de commencer le récit de mes espérances, de mes malheurs. Mon style sera simple, parce que j’ai eu à noter des détails ; si quelquefois il offre des plaisanteries échappées à mes angoisses, ou des longueurs dans le récit, qu’on pardonne à un persécuté de n’oublier aucune circonstance de la torture, et de se livrer, après la victoire, à des ébats, quelqu’enfantins qu’ils puissent être, et aux amusements innocents de l’allégresse et de la joie.

Ô vous ! esprit de la paix, qui veillez sur ma vie ; ministres de la bonté du ciel, qui consolez la nature après l’orage, et l’âme de l’homme après la douleur ; vous qui tant de fois avez soutenu mon bras fatigué, et rendu les forces à mon âme défaillante ! ô vous, qui puisez dans le sein de la divinité le feu sacré qui vous dévore ! Esprits guerriers, dont le cri de guerre est toujours qui est semblable à Dieu ? venez sur un nuage aromatique, venez guider ma plume novice encore, et soignez un ouvrage que je vous consacre ; je vais décrire vos bienfaits. L’enfer aura beau faire naître des obstacles, entraver ma carrière et appesantir ma main : non, je ne me découragerai pas : anges de salut, je vous aurai près de moi, et mes craintes seront évanouies.

Mais quel doux frémissement s’empare de mon coeur ? Quel mouvement, présage de félicité, me transporte et m’enivre ? D’où viennent les nouvelles forces qui raniment mon âme et provoquent ma sainte impatience ? Anges du Seigneur, je reconnais votre présence et votre voix, je vous suis ; rien n’arrête plus mes efforts, désormais je finirai mon ouvrage : un feu pur comme la vertu m’enflamme ; je ne résiste plus, anges du seigneur, vous l’ordonnez, je commence.

Voir en ligne : Les Farfadets. — Chapitre I à X : Description du Jugement dernier

Notes

[1Lévitique, un des cinq livres de Moïse.

[2L’Exode, autre livre du Pentateuque de Moïse.

[3Livre de Moïse.

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