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Berbiguier de Terre-Neuve du Thym

Effets des conseils et de la baguette magique de M. Nicolas

Les Farfadets (Chapitre XI à XX)

Date de mise en ligne : mercredi 29 novembre 2006

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CHAPITRE XI
Entrevue avec les deux Sibylles

JE NE POUVAIS CONCEVOIR que deux misérables femmes à qui j’avais eu la faiblesse de me confier dans l’espoir qu’elles devineraient le passé, le présent et mon avenir, préparaient à loisir le tourment de ma vie ; mais le sort en était jeté ; j’allai leur faire part de ce que j’avais vu, de l’effet que ce tableau avait produit sur mon âme, et leur demander quels moyens salutaires elles devaient employer ; elles me promirent de consulter leur magie et de détruire les impressions qu’avaient produites sur moi ces apparitions ; mais bien loin d’en diminuer les effets, elles ne s’occupèrent qu’à prolonger et augmenter mes souffrances. Je ne fus pas longtemps à m’apercevoir de leur duplicité. Le découragement s’était emparé de moi, lorsque j’avais conçu l’horrible projet de terminer ma pénible existence ; mais en me rappelant des promesses qui m’avaient été faites par de prétendus amis avec les deux sibylles, elles me firent concevoir des espérances flatteuses et détruisirent ma résolution. Je rendis grâce à la Providence de cette sainte inspiration. Le séjour de la campagne me devint nécessaire pour ne m’occuper que de l’avenir, et éloigner de ma pensée les moyens que j’avais conçus pour me délivrer de mes persécuteurs. Vains efforts ! ils poursuivirent leur victime dans les lieux les plus solitaires. Il convenait à ma position d’employer tous les moyens pour diminuer mes souffrances : je supposai qu’en m’éloignant du lieu que j’habitais, le pouvoir de mes ennemis s’affaiblirait, puisqu’alors ils emploieraient leur art sur quelques autres malheureux ; mais je ne pouvais échapper à leur surveillance. Je parcourus divers bourgs et villages, distants de cinq à six lieues de la ville que j’habitais : la puissance des scélérats s’étend bien plus loin que je ne le pensais, mes espérances devinrent inutiles.

CHAPITRE XII
Nouveau Jubilé annoncé à toute la France

UN NOUVEAU JUBILÉ fut annoncé dans toute la France, j’en conçus les plus grandes espérances, dans la conviction que les ministres d’un Dieu miséricordieux déjoueraient les farfadets et porteraient le calme dans mon âme accablée par les persécutions. Les habitants d’Avignon, dont je faisais partie depuis ma sortie de Carpentras, s’empressèrent de suivre avec ferveur les exhortations religieuses de nos respectables missionnaires. J’allai trouver celui qui m’avait inspiré le plus de confiance, et lui fis ma confession générale, en lui parlant des maux que me faisaient éprouver depuis trop longtemps mes ennemis, et dont je ne pouvais connaître la cause. Il fortifia mon courage et prit le plus grand intérêt à ma position. Il me conseilla de ne point cesser d’implorer la puissance divine, et ajouta que, pour parvenir à un avenir heureux, il fallait bien supporter de pareilles épreuves ; qu’elles étaient toujours proportionnées aux fautes commises. Après ce consolant entretien, le missionnaire monta en chaire, et à la fin de l’exorde de son premier point il fit une pause et s’écria d’une voix tonnante : Mes frères, vous le croirez à peine ! Oui, des hommes pervers, sans foi, méconnaissant les lois de la nature, de la société, foulant aux pieds tous les préjugés, livrés à la débauche la plus effrénée, et cherchant par tous les moyens de satisfaire leurs luxurieux plaisirs, invoquent les démons et méconnaissent l’auguste divinité. À peine eut-il fini cette dernière phrase, qu’un bruit horrible se répandit dans toute l’église. Des froissements de chaînes se prolongèrent longtemps sur les têtes de l’auditoire ; tous les coeurs étaient glacés d’effroi. Rassurez-vous, dit le prédicateur, ce que vous venez d’entendre n’est que l’effet de la colère de notre Dieu, terrible pour les méchants, miséricordieux pour les bons, et il continua son sermon, qui produisit tout l’effet qu’on devait en attendre, mais bien plus particulièrement sur moi, pour qui le tableau que ce prédicateur venait de tracer sur les réprouvés de Dieu avait tant d’analogie avec ce que j’avais communiqué à mon digne confesseur. Je me rendis chez moi, pénétré de la saine morale que je venais d’entendre. Je fis une légère collation, je me mis ensuite au lit, et réfléchis à ce que je devais faire le lendemain. À l’apparition du jour, j’offris à Dieu ma première pensée, et je m’acheminai vers l’église, où j’entendis la messe et reçus la sainte hostie à la communion des prêtres : d’autres personnes pieuses la reçurent aussi. Je me retirai chez moi tout recueilli de la grâce que je venais de recevoir. J’y pris un léger déjeuner, à la fin duquel il me revint un goût délicieux que je n’attribuai qu’à celui de la sainte hostie, et qui prolongea la joie que me procura la réception de Jésus-Christ. Je me rendis, peu de temps après, à la grand’messe, et me retirai ensuite pour dîner, conservant constamment ce goût délicieux, que je ne puis définir. J’assistai également aux offices divins qui eurent lieu l’après-midi, et je rentrai chez moi pour y prendre un repas frugal, toujours jouissant de ce goût délectable. Je me mis après au lit pour y chercher le sommeil, tout en énumérant mes actions de la journée. Ce fut encore en vain que je demandais le repos, il devait me fuir pour longtemps encore.

CHAPITRE XIII
Description de ma sortie d’Avignon pour me rendre à Lagnes

JE NE DEVAIS PAS M’ATTENDRE, le lendemain que les deux malheureuses sorcières continueraient à exercer sur moi leur pouvoir et me feraient éprouver de nouvelles persécutions. Peu de temps après, j’eus le bonheur de faire la connaissance d’un vénérable prêtre à Avignon, qui attendait sa nomination à la cure de Lagnes, située à trois lieues sud-est de la ville, près de la fontaine de Vaucluse, site que la nature a orné des charmes les plus séduisants, et que les poètes les plus renommés décrivent dans leurs ouvrages. Dès l’instant que M. le curé eut obtenu l’ordre de se rendre à sa cure, il me le communiqua avec invitation réitérée de le suivre, persuadé que l’éloignement de ma résidence et ses bons conseils me feraient trouver du soulagement à mes maux. J’adhérai à sa proposition. Nous quittâmes la ville et fûmes nous établir en pension chez un de mes anciens amis, en attendant que le presbytère fût réparé et en état de nous loger. Je reçus de l’un et de l’autre tous les égards dus au malheur, ce qui n’est pas toujours mis en pratique ; mais ces douces consolations devaient nécessairement faire le désespoir de mes persécutrices : aussi mirent-elles en jeu toute leur magie pour redoubler mes douleurs, ce qui me rendait sombre et mélancolique. Le bon père, ainsi que mon ami, employaient tous les moyens de me distraire. Ils me demandaient sans cesse les motifs de mon silence, mes réponses n’étaient pas satisfaisantes mais l’intérêt que le prêtre prenait à ma position m’inspira une confiance entière. Je lui fis part de ce qui me tourmentait, il me répondit : Mon ami (c’est la qualification qu’il me donna, qualification assez banale dans ce bas monde, et dont on rencontre très rarement la véritable application), nous allons habiter le presbytère, et j’espère que le changement de domicile, le genre d’occupation auquel nous allons nous livrer, apporteront un changement à votre position. Les prévenances, les promenades, les conversations amusantes, mais toujours morales, ainsi que beaucoup d’autres agréments, tout fut employé par ce bienheureux prêtre pour me distraire et diminuer mes souffrances ! Hélas, vains efforts ! l’opiniâtreté du pouvoir diabolique qui, par le travail des deux sibylles, continuait de me persécuter plus particulièrement la nuit, où j’avais le plus besoin de repos, les fit frapper sur mon lit, sur tous les meubles de mon appartement ; elles mirent tout en désordre ; ce qui me jeta dans la consternation. Je ne puis décrire mes souffrances. M. le curé, convaincu que les moyens employés jusqu’alors n’avaient produit aucun effet, me donna une lettre pour M. le grand-vicaire, qui, aussitôt que je la lui eus remise, en prit connaissance, et me donna la réponse que j’apportai de suite au presbytère de Lagnes. Le digne curé, après l’avoir lue, me témoigna sa satisfaction sur l’activité que j’avais mise dans l’exécution de cette dernière démarche ; et le lendemain, après avoir entendu la messe, nous entrâmes dans la sacristie, nous nous enfermâmes seuls ; il ôta sa chasuble, me fit mettre à genoux, et fit les prières et les cérémonies d’usage à l’exorcisme. Cela fait, il m’assura qu’aucun malin esprit ne s’était introduit en moi ; mais que les deux femmes dont nous avons déjà parlé, ayant le pouvoir de se rendre invisibles, pouvaient seules prolonger mes tourments. Nous nous quittâmes quelques jours après, et je rentrai à Avignon, en promettant à mon protecteur de revenir le voir aussi souvent que je le pourrais : ce que je fis.

CHAPITRE XIV
Description de mon retour de Lagnes à Avignon

DE RETOUR À AVIGNON, je trouvai l’occasion d’être employé dans un bureau de loterie, dans lequel je passai plusieurs années, espérant que ce nouveau genre de travail pourrait influer sur mon repos et diminuer mes inquiétudes. Mes ennemis mirent tout en oeuvre pour me procurer des distractions, afin de rendre mon travail imparfait et m’attirer par là de justes reproches. Les sibylles employèrent des métamorphoses de différentes espèces, elles me firent apparaître un grand nombre de chiens et de chats, des oiseaux d’une forme effrayante qui voltigeaient dans les airs et venaient s’abattre sur mes croisées, en poussant des coassements et des cris sinistres. L’économe de l’hospice civil et militaire de Sainte-Marthe-d’Avignon étant dans l’intention de quitter cette place, quelques-uns de mes amis en furent instruits et vinrent m’engager à la demander, croyant que je l’obtiendrais facilement, et que ce changement d’occupation pourrait devenir utile à mon repos. Après quelques réflexions je me présentai à l’administration, j’en fis la demande, et elle fut accueillie avec les formes les plus honnêtes. Je priai les administrateurs de vouloir bien attendre que le directeur du bureau dans lequel j’étais occupé, se fût procuré un remplaçant. Je n’eus pas de peine à l’obtenir. Je reçus de MM. les médecins, chirurgiens, pharmaciens et receveur de cet hospice, la lettre la plus flatteuse. Ils se félicitaient de me compter au nombre de leurs collègues, et m’invitaient à les joindre au plus tôt. Cette conduite de leur part me détermina à leur rendre une visite ; j’en reçus le baiser amical, et fus présenté à M. le directeur, ainsi qu’à celui que je devais remplacer, et je reçus mêmes honnêtetés dans l’emploi que j’occupais au bureau de loterie, je fis porter à l’hospice, dans l’appartement qui m’était destiné, une partie de mes meubles, et me mis en fonction. L’individu qui devait en sortir, resta huit jours et plus pour me diriger et m’indiquer la marche que j’avais à suivre. Il ne me fallut que très peu de temps pour mériter l’éloge de mes chefs. La partie dont j’étais chargé était extrêmement pénible, elle employait tout mon temps, mais ne me préservait pas des persécutions de tout genre. J’étais constamment taciturne et rêveur. L’on ne tarda pas à s’en apercevoir. J’avais inspiré de l’intérêt à tous mes chefs par la sévérité de ma conduite. Chacun me demandait d’où pouvait provenir cette mélancolie. Je n’étais pas assez familier avec eux pour leur en communiquer les motifs. Cependant, M. Bernard, chirurgien, élève d’un de mes parents, m’inspira une entière confiance. Je me livrai à lui, je lui fis part du motif de mes inquiétudes, je lui dis qu’elles n’étaient occasionnées que par les deux méchantes femmes que j’ai déjà plusieurs fois désignées. Il fut étrangement surpris et indigné de leur conduite, m’engagea à prendre du courage et à ne pas trop m’abandonner à moi-même ; il devait voir M. Guérin, médecin de l’hospice, le lendemain à sa visite, et lui parler de moi ; ce qu’il fit. M. Guérin le chargea de me dire qu’après la visite du soir il désirait s’entretenir avec moi seul dans mon appartement. Le soir nous nous y rendîmes. Il me fit plusieurs demandes auxquelles je répondis, elles étaient toutes relatives à mon état et à son origine. Je lui donnai même les noms de mes persécutrices. Janneton la Valette et la Mançot, soeur du nommé Mançot, maçon à Avignon. Cette dernière fit son apprentissage sur moi, d’après ce que m’en a dit un
physicien dont j’ai déjà parlé. D’autres renseignements que je ferai connaître lorsqu’il en sera temps, prouveront jusqu’à l’évidence qu’elle a été élevée et immiscée dans les pouvoirs des esprits infernaux. Le docteur me témoigna le plus vif intérêt, me rassura dans l’espoir d’une guérison radicale. Je lui témoignai combien j’étais sensible à l’intérêt qu’il prenait à ma position, et j’attendais les plus grands effets de ses salutaires conseils. Après nous être séparés, je repris mes occupations ordinaires, jusqu’à l’heure de mon coucher. Je passai une nuit beaucoup plus tranquille que je n’avais fait depuis bien longtemps, quoique les malheureuses femmes missent en jeu des exercices qui m’avaient été jusqu’alors inconnus. Le lendemain je lui fis part du mieux que j’avais éprouvé, et il me persuada qu’il se prolongerait. J’ai toujours ignoré les moyens qu’il employa pour y parvenir ; mais pendant huit jours il ne s’occupa que de cela. Il fit un temps affreux et un vent si impétueux, que les habitants craignaient pour leurs maisons. Je repris la gaieté que j’avais perdue depuis très longtemps, j’exerçai ma place avec bien plus de plaisir. Je procurais aux malades les aliments que je croyais leur être les plus agréables et les plus nécessaires au genre de leurs maladies. J’exerçai pendant quatorze mois, à la grande satisfaction de mes supérieurs, l’emploi qu’on m’avait confié.

M. Castagne, directeur de cet hospice, en l’an 2 (1791), jaloux peut-être des témoignages d’estime que me prodiguaient MM. les officiers ainsi que les employés subalternes, conçut injustement le projet de me contrarier dans l’exercice de mes fonctions et de m’engager par là à donner ma démission ; flatté d’une part, dénigré sans motif de l’autre, je me déterminai à abandonner mon poste, dans le seul espoir de trouver plus de repos. Je ne fus pas longtemps à m’apercevoir de l’effet contraire ; j’en fis part à M. Guérin : celui-ci me promit de voir M. Nicolas, médecin de l’Hôtel des Invalides à Avignon, afin de se concerter sur les moyens à employer pour trouver un soulagement à mes maux ; il me fut indiqué un rendez-vous chez M. Guérin, où les deux docteurs devaient se trouver. Je m’y rendis à l’heure. M. Nicolas me fit différentes questions sur ma maladie, son principe et sa cause. Je me hâtai de répondre : il me fit asseoir au milieu du salon, pied contre pied ; il se mit devant moi, sortit de la poche de sa culotte une petite baguette d’acier qu’il passa en tous sens autour de mon corps sans me toucher, en prononçant ces mots : Ah ! je vous tiens maintenant, vous n’y rentrerez plus. Et s’adressant à moi : Je viens de les extraire de votre corps, vous ne serez plus inquiété par elles, vous allez sous peu recouvrer la santé. Il pria M. Guérin de me conduire au Jardin des Plantes pour me placer près d’un arbre utile à de nouvelles opérations et à ma guérison. J’acceptai volontiers sa proposition, et me rendis le lendemain chez lui. J’y trouvai M. Bouge père, qui m’y attendait. Nous nous rendîmes au lieu désigné nous trouvâmes M. Guérin, qui y était déjà arrivé. On chercha du côté du nord un arbre qui fût bien à découvert et susceptible d’être magnétisé. Ce que fit M. Nicolas, en prononçant quelques mots et agitant sa baguette. Cette opération finie, il me dit de prendre un verre d’eau, de m’asseoir sur un banc de bois qui était placé au pied de cet arbre, qui servait aux élèves de M. Guérin ; il me fit étendre mes jambes sur ce banc et appuyer le dos et la tête fortement contre cet arbre. Il trempa la baguette dans le verre d’eau et l’y laissa environ dix minutes, la retira, et m’engagea à boire l’eau qu’il contenait, et qui venait de recevoir la vertu de la baguette ; à peine fut-elle dans mon estomac que je vomis extraordinairement. Les docteurs n’en furent pas surpris, ils s’attendaient que les moyens qu’ils venaient d’employer devaient nécessairement produire cet effet.

CHAPITRE XV
Effets des conseils et de la baguette magique de M. Nicolas

MM. BOUGE ET GUÉRIN prirent congé de moi pour vaquer à leurs affaires, et je restai seul avec M. Nicolas, à peu près trois quarts d’heure. La conversation roula sur différentes choses, ensuite sur la baguette : il me la présenta, et me demanda si je n’apercevais pas un petit point blanc à une des extrémités. Je lui dis que oui, quoique cela ne fût pas. Il me dit, avant de nous séparer, de faire faire une baguette semblable à la sienne et en acier, que je tiendrais renfermée dans un étui en fer blanc. M. Nicolas me fit promettre de me trouver le lendemain, avant le lever du soleil, sur le même lieu : il devait s’y trouver également. Je me rendis exactement au lieu indiqué, et peu d’instants après M. Nicolas vint me joindre ; il me fit asseoir où je l’étais la veille. Je repris la même position. Il prépara un verre d’eau ; et après y avoir trempé sa baguette, il m’invita de prendre le spécifique ; un quart d’heure après, il me demanda si je ne voyais pas tomber quelques gouttes d’eau des feuilles de l’arbre auprès duquel nous étions. Je lui répondis que oui. Comment vous trouvez-vous maintenant ? Je me sens une envie de vomir. Bientôt j’en ressentis les effets. Peu de temps après arriva M. Bouge, il demanda à M. Nicolas si les moyens qu’il avait employés avaient produit de bons effets ? — Mais oui, répondit le docteur. La conversation s’engagea sur différentes choses, et particulièrement sur ces deux misérables femmes dont l’artifice diabolique, joint à celui d’autres esprits infernaux, fait le tourment de ma vie. Nous causâmes ainsi à peu près trois heures, et nous nous séparâmes après nous être promis de revenir le lendemain. J’allais chercher la baguette que M. Nicolas m’avait dit de me procurer. Je me retirai chez moi. À l’entrée de la nuit, je me mis au lit, où je reposai assez tranquillement. Le lendemain je me rendis au lieu indiqué, porteur de ma baguette et d’un verre. M. Nicolas vint me joindre peu de temps après, et me trouva dans la même attitude que celle qu’on m’avait indiquée les jours précédents. Je lui présentai ma baguette, il la trouva fort bien, et la magnétisa avec la sienne. Il m’invita de m’en servir. Je la plongeai dans mon verre d’eau, et un quart d’heure après je bus l’eau qu’il contenait.

Nous nous sommes entretenus pendant quelque temps de l’agrément qu’offrait le jardin, de la variation des arbres et des plantes, et de leurs vertus ; il me demanda si le remède avait agi efficacement. Je lui répondis qu’il avait agi au-delà de mes espérances, et que j’avais recouvré ma gaieté ordinaire. C’était le plus bel éloge que je pouvais faire de son talent. Il me dit de frapper avec la pointe de ma baguette, aussi longtemps que je le voudrais, l’arbre sur lequel je m’étais appuyé plusieurs fois, et de continuer tous les jours jusqu’à parfaite guérison. Il magnétisa également ma canne, et me recommanda expressément d’en frapper avec la pointe la terre partout où je passerais, en prononçant ces mots : Coquines, vous souffrez maintenant !… Il en fit de même avec sa baguette et sa canne, en proférant les mêmes mots ; il m’invita de venir souvent visiter ce séjour délicieux où la nature déployait ses charmes. Il me fit part que sous peu je serais surpris d’un événement extraordinaire, et que pour cela je devais mettre sur ma table une écritoire et du papier sur lequel j’écrirais ces mots : Au nom de Jésus-Christ vivant, que demandes-tu ? Plusieurs jours se passèrent sans que rien se manifestât, j’aperçus seulement un objet que je ne puis définir, et qui se fit entendre dans mon appartement par un léger bourdonnement. Je soupçonnais que MM. Nicolas et Bouge étaient auteurs de cet événement. Des circonstances qui n’ont été connues que de moi et que personne ne pouvait leur avoir communiquées, m’en ont donné par la suite l’assurance. J’allai me promener au jardin. Une partie de mes concitoyens avait été instruits de la magnétisation qui avait eu lieu dans le jardin, beaucoup s’y rendirent pour examiner l’arbre magnétisé, auprès duquel j’étais pour continuer les opérations que les médecins m’avaient ordonné de faire. Ma position excitait le plus vif intérêt. Plusieurs questions me furent adressées par les différentes personnes qui se promenaient dans ce jardin, lorsqu’on me vit faire usage de la baguette et de ma canne. Au milieu de nos colloques, arriva M. Guérin, accompagné de ses élèves, pour apprendre à ces derniers le nom des plantes, leur vertu, et le moyen de s’en servir dans les différentes maladies.

CHAPITRE XVI
Consultation et changement de jardin

EN ME VOYANT, M. Guérin parut surpris de mes exercices, il m’engagea à les abandonner, en me disant qu’ils me seraient plutôt nuisibles que salutaires, et que le conseil qu’il me donnait, était celui d’un homme qui s’intéresse au malheur. Je fus extraordinairement surpris de cette diversité dans les opinions des deux docteurs : l’un ordonne, et l’autre défend ; quelle conduite devais-je donc tenir ? Je fus alors chez quelques amis dans le courant de la journée et les jours suivants. Plusieurs d’entre eux, instruits déjà que je m’étais fait magnétiser dans l’espoir de trouver quelque soulagement à mes maux, me persuadèrent, au contraire, que ces moyens tenaient du sortilège et devaient nécessairement les augmenter. L’on vous abuse, prenez-y garde, me dirent-ils. Ces observations de leur part me jetèrent dans des réflexions plus cruelles les unes que les autres. Cependant je persistai et me rendis dans le jardin, à l’effet de continuer mes exercices, toujours dans cette aveugle confiance qu’ils seraient efficaces. Un dimanche, vers les deux heures de l’après-midi, étant assis près de l’arbre magnétisé, je sentis sur ma tête un poids qui augmentait par gradation et qui me devint insupportable. Je levai la tête pour en connaître la cause, rien ne me l’indiqua : j’entendis seulement un bruit qui sortait du corps de l’arbre. Cet événement inattendu m’indigna et me fit changer de résolution. Je pris mon chapeau, ma canne, ma baguette et mon verre, et me rendis de suite chez M. Nicolas ; je lui témoignai mon mécontentement sur les moyens absurdes et diaboliques qu’il m’avait fait employer jusqu’alors pour parvenir à une entière guérison. Je lui fis part de l’événement extraordinaire qui venait de se passer auprès de l’arbre magnétisé, de l’effet qu’il avait produit sur moi, et de la résolution où j’étais de ne plus revenir à ce jardin. Il parut prendre quelque intérêt à mon récit, quoiqu’il feignit de ne pas y croire. Le ton pathétique qu’il employa pour me persuader du contraire, son sourire malin et sa figure hypocrite, réveillèrent mes soupçons je lui en donnai la preuve ; mais craignant que les habitants d’Avignon fussent instruits de l’effet de cette magie infernale, il tâcha de me rassurer, et me promit de chercher un autre jardin dans lequel on ferait tout ce qui serait nécessaire pour y magnétiser un arbre, avec promesse qu’il ne m’arriverait rien, et nous nous séparâmes. Quelques jours après, je rencontrai M. Nicolas, il me donna l’assurance qu’il avait trouvé un jardin convenable. Je vis également M. Bouge : ce dernier me demanda si l’on s’était occupé de trouver un nouveau local ; sur l’assurance que je lui en donnai, il m’assigna le jour et l’heure à laquelle je devais me rendre chez M. Nicolas, où il se trouverait. Nous fûmes exacts l’un et l’autre au rendez-vous. Nous allâmes (autant que je puis m’en souvenir), chez M. Jouvin, dont la maison est située près du jardin, rue de l’Hospice, vis-à-vis de l’église des Pénitents bleus ou violets. Rendus à ce jardin, nous le parcourûmes. M. Nicolas choisit l’arbre le plus exposé au nord, et le magnétisa. L’on fit apporter des chaises, sur l’une desquelles on me fit prendre la même position que celle que j’avais prise à l’autre jardin, je restai dans cette attitude une partie de la matinée. Je causai avec les personnes qui faisaient partie de notre société, mais plus particulièrement avec M. Nicolas et le propriétaire du jardin. Celui-ci me demanda comment je me trouvais. Je lui répondis : Assez bien. Mais il n’y avait pas assez de temps que le remède opérait, pour en ressentir l’efficacité ou la nullité. Il me témoigna le plus grand intérêt, et m’invita à venir me promener dans son jardin toutes les fois que cela pourrait me faire plaisir et que je le croirais utile à ma santé. Je lui en témoignai toute ma reconnaissance. Je laissai là ma société, mes grandes occupations m’appelaient ailleurs.

CHAPITRE XVII
Nouvelles consultations.
Conduite perfide des docteurs Bouge et Nicolas

LE LENDEMAIN MATIN je me rendis au jardin que j’avais quitté la veille, et j’y pris la position indiquée. MM. Nicolas et Bouge ne tardèrent pas à me joindre. La conversation s’engagea bientôt sur divers objets. Plusieurs personnes qui se promenaient dans le jardin, s’approchèrent de nous et se mêlèrent dans nos discussions. Quelques-unes me demandèrent comment je me trouvais, et me témoignèrent le désir qu’elles auraient à voir terminer ma pénible maladie. Je leur répondis qu’il y avait du mieux, mais qu’il n’y avait pas encore assez de temps pour que le remède ait pu opérer. Les deux docteurs prirent congé de moi pour aller visiter leurs malades. je restai encore trois quarts d’heure. J’allai remercier le propriétaire des bontés qu’il avait pour moi et je sortis pour me rendre chez M. Nicolas, auprès duquel je trouvai M. Bouge. Je demandai à ce dernier si je devais continuer les mêmes exercices : il me répondit qu’il le fallait encore pendant quelque temps, en ce qu’ils ne pouvaient qu’améliorer ma position. L’un d’eux avoua qu’il avait chez lui un cercle de dames magnétisées, l’autre lui répondit qu’il en avait magnétisé considérablement, et que cette application physique avait produit les plus grands effets. M. Nicolas dit à M. Bouge, en me regardant et en riant : J’ai envie de le faire danser avec l’ourse ou avec la grande ourse. M. Bouge fut surpris de cette proposition et lui en demanda le motif. Je le veux bien, répondit le docteur, c’est qu’il faut l’amuser. Ils continuèrent ainsi leurs différentes plaisanteries sur les effets physiques auxquels mes connaissances ne me permettaient pas de prendre part. Je pris congé d’eux, et me retirai pour me rendre chez moi. De là, j’allai faire quelques visites à mes anciennes connaissances, où j’étais toujours bien accueilli. Chacun s’empressait de s’informer de l’état de ma santé et de l’effet que produisaient sur moi les exercices magnétiques que les deux docteurs m’avaient ordonnés. Le vif intérêt qu’ils prenaient à moi, les égards que je croyais devoir à mes deux esculapes, tout m’engageait à répondre que j’allais de mieux en mieux, quoiqu’il n’y eût pas de changement et que mes persécutions fussent à peu près les mêmes.

CHAPITRE XVIII
Plusieurs autres maléfices employés par mes ennemis

JE QUITTAI AVIGNON pour me rendre à Carpentras, où des affaires de famille me retinrent pendant l’espace d’un an. Mes ennemis employèrent pendant ce temps tous leurs moyens pour me rendre la vie insupportable ; ils imaginèrent de nouvelles épreuves. Des apparitions plus extraordinaires les unes que les autres se succédèrent : mes lecteurs vont être surpris, ils peuvent y ajouter la plus grande foi ; ce que je vais leur dire est un faible aperçu des tourments qu’on éprouve quand on est poursuivi par les esprits diaboliques. J’avais dans ma chambre à coucher un violon et une guitare ; dès l’instant que je fus au lit pour chercher le repos si nécessaire à une pénible existence, l’on pinça les cordes du violon ainsi que celles de la guitare, assez fort pour me priver du sommeil ; mais je n’osai m’en plaindre, dans la crainte de troubler le repos des personnes qui n’étaient séparées de mon appartement que par une légère cloison. Quelques jours après, en me promenant à la campagne avec quelques amis, je me séparai d’eux un moment, pour jouir tranquillement de la beauté que m’offrait une vaste prairie au milieu de laquelle je m’étais placé pour admirer le coloris des fleurs produites par la simple nature, et dont l’éblouissant émail, qui me ravissait, produisait des effets magnifiques. À ce tableau se mêlait le doux ramage du rossignol et de la plaintive tourterelle, dont le roucoulement était en harmonie avec ma triste position : tout me faisait faire des réflexions sur la beauté de la nature et le pouvoir suprême du Tout-Puissant.

Il n’entrait point dans le plan des esprits infernaux, de laisser leur victime jouir du repos plus longtemps. Ils inventèrent de nouvelles persécutions. Les belles idées morales et religieuses qui m’avaient occupé un moment, n’étaient pas de leur goût. Tout à coup j’entends, à six pas de moi, une voix effrayante qui, semblable à celle d’une bête féroce, se dirige de mon côté. Ne sachant ce que tout cela m’annonçait, je jette partout mes regards ; mais cette voix était enveloppée de l’ombre du mystère. L’effroi s’étant emparé de mon âme, je cherche vainement à rejoindre ma compagnie. Un souffle impétueux m’arrêtait de tous côtés et rendait mes pas incertains. Je cherchai des armes pour une légitime défense, lorsque je vis devant moi deux pierres dont j’armai mes deux mains. Tout à coup le souffle cessa, et je m’empressai de rejoindre mes amis auxquels je me gardai bien de faire part de ce qui venait de m’arriver, persuadé qu’ils n’y auraient pas ajouté foi. Malgré cet événement imprévu, je passai le reste de la journée dans la plus grande gaieté. De retour à Carpentras, je n’eus rien de plus empressé que d’écrire à M. Bouge, pour lui faire part de ce qui venait de m’arriver. Il m’exhorta, dans sa réponse, à la patience, et surtout au courage, en me disant qu’il fallait tout attendre du temps. Peu de jours après, je tombai malade. Dans cet intervalle, j’appris que mon oncle Berbiguier, résidant à Paris, était en procès avec une partie de sa famille. Je formai le dessein de venir l’y trouver, quoique je ne fusse pas entièrement remis, et malgré les instances réitérées de mon médecin et de ma famille, de ne pas me mettre en route dans l’état où je me trouvais ; mais je bravai tous les dangers, et je volai auprès d’un oncle que je chérissais ; il m’importait de prendre connaissance du procès, afin de le seconder dans les démarches qu’il avait à faire.

CHAPITRE XIX
Mon voyage à Paris. Procès de mon Oncle.
Mes soins pour en assurer le succès

LES FATIGUES DU VOYAGE, ou ma convalescence, me procurèrent des enflures aux jambes, qui me mirent dans l’impossibilité de me présenter à mon oncle avant le deuxième jour de mon arrivée dans cette immense capitale. Je me présentai à lui, il me fit l’accueil le plus flatteur et me combla d’amitié. Je fus également bien reçu de madame son épouse ; l’un et l’autre me firent promettre de venir dîner le lendemain avec eux. Après avoir accepté leur invitation, je me retirai dans mon hôtel. Je ne manquai point de me rendre chez mon oncle à l’heure qu’il m’avait indiquée ; il me donna les plus grands détails sur son procès ainsi que sur les ridicules prétentions d’une partie de sa famille. Je ne fus pas longtemps à me convaincre combien elles étaient injustes. Je lui témoignai la part que je prenais à une attaque aussi scandaleuse. Je lui offris mes conseils et mes services. Mon inviolable attachement pour lui n’était pas équivoque : il ne fut pas longtemps à s’en apercevoir, et bientôt il m’en donna des preuves. Il voulut savoir où était mon appartement, je le lui indiquai : il le trouva beaucoup trop éloigné ; et désirant me rapprocher de lui, il me fit part qu’il était lié d’amitié avec M. Rigal, tenant alors l’hôtel Mazarin, rue Mazarine, n° 54, lequel devait venir passer la veillée chez lui, et avec qui il voulait que je fisse connaissance. En effet, M. Rigal ne manqua pas de s’y rendre ; et, lorsque la conversation fut entamée, mon oncle lui demanda s’il n’avait pas un logement pour moi dans son hôtel, vu que celui que j’occupais était beaucoup trop éloigné de lui, et qu’il était bien aise de me voir souvent. M. Rigal s’empressa de satisfaire à son désir, et il resta convenu avec ce dernier, qu’en nous retirant tous les deux, je prendrais connaissance du logement qu’il se proposait de me donner, pour savoir s’il me conviendrait. Nous prîmes congé de mon oncle et de son épouse. J’allai voir le logement de M. Rigal, et nous restâmes d’accord que je viendrais l’occuper le lendemain. Après avoir rempli cette promesse, j’allai en faire part à mon oncle, il m’en témoigna sa satisfaction. Son air rêveur et mélancolique m’affligea et me fit craindre pour ses jours. J’employai tous les moyens pour le distraire des chagrins que lui causait son injuste procès ; il faisait le tourment de sa vie. Mes prévenances, mes conseils, calmèrent sa position. Il me pria d’écrire à ceux de ses parents qui n’avaient pris aucune part à l’attaque. Deux seulement daignèrent répondre ; mais les expressions outrageantes que contenaient leurs lettres étaient faites pour exciter mon courroux. Cette conduite de leur part me détermina, à l’insu de mon oncle, à faire un mémoire que j’adressai au gouvernement, en 1813, pour l’instruire des imputations calomnieuses que des parents avides avaient dirigées contre lui. Ce mémoire produisit tout l’effet que j’avais lieu d’en attendre. Peu de temps après un jugement fut rendu en sa faveur. Cette cause avait attiré beaucoup de monde au tribunal : on était impatient d’en connaître le résultat, le public fut bientôt satisfait. M. le procureur-impérial, ainsi qu’on le nommait alors, fit son réquisitoire, il donnait gain de cause à mon oncle ; et M. le président, dans un résumé éloquent, rempli de la plus saine morale, fit ressortir les vertus du respectable vieillard, âgé de quatre-vingt-cinq ans, que des parents impatients de jouir de sa fortune voulaient faire déclarer en démence et frapper de nullité, pour pouvoir, avant sa mort, se partager ses dépouilles. Il rappela avec une grande force d’éloquence, le devoir des parents envers ceux dont ils attendent le bien : ils doivent, dit-il, l’attendre de la reconnaissance, plutôt que de montrer une impatience criminelle pour en jouir. Ce discours produisit une impression vive et touchante sur tout l’auditoire. Chacun désirait de connaître ce respectable vieillard et le féliciter de sa victoire. (Le discours de cet éloquent magistrat, ainsi que celui du procureur-impérial, se trouveront au nombre des pièces justificatives, s’il est possible de se les procurer.)

CHAPITRE XX
Mort de mon oncle

LE LENDEMAIN, j’étais encore à midi dans mon appartement, et je me disposais à me rendre chez mon oncle, lorsque je vis entrer la nièce de son épouse, qui me dit d’un ton alarmant de me rendre de suite chez lui. Vite, vite, me dit-elle.

Tout me faisait craindre quelque funeste événement, je sortis aussitôt. Arrivé chez mon oncle, Madame Berbiguier me fit monter dans son appartement, où je le trouvai dans un état désespérant : je lui fis plusieurs questions, qui restèrent sans réponse. J’en fus d’autant plus étonné, que la veille il m’avait fait des protestations d’amitié, et que je l’avais laissé en bonne santé. J’interrogeai Madame ; elle me répondit qu’à son lever elle avait été dans l’appartement de son époux, et qu’elle l’avait trouvé dans cette situation ; qu’elle avait fait de suite appeler son médecin, et que les remèdes qu’il avait ordonnés lui avaient été administrés sans qu’ils eussent produit aucun effet ; que sa respiration devenait de plus en plus pénible et provoquait une toux qui ne lui permettait pas d’articuler un seul mot. Le docteur, qui connaissait mieux que nous sa position, ne tarda pas à revenir auprès de lui. Je m’empressai de lui faire plusieurs questions auxquelles il répondit d’une manière peu satisfaisante ; il se contenta de dire que c’était sa maladie ordinaire, mais qu’elle prenait un caractère alarmant. II fallait redoubler de soins : mon devoir était de ne plus quitter mon oncle, je devais le servir jusqu’à son dernier moment. Le docteur fut bientôt convaincu de tout mon attachement pour lui : il employa tout son art pour diminuer mon affliction ; mais, vaines espérances ! après avoir usé des remèdes temporels, il fallut en venir aux spirituels. Je n’étais pas connu des ministres de l’église paroissiale de Saint-Sulpice, dont mon oncle était un des fidèles, je priai M. le docteur de m’y accompagner pour réclamer les secours spirituels. Un des vicaires ne tarda pas à venir le voir. Il lui parla, mais inutilement ; il n’était plus en son pouvoir d’articuler un seul mot : il lui administra les secours que sa situation permettait de lui donner, et il se retira.

Madame Comaille, sa nièce, ainsi qu’une autre dame, qui ne venaient pas ordinairement chez mon oncle, se présentèrent pour demander des nouvelles de son état, qui ne donnait pas beaucoup d’espérance ; elles m’offrirent leurs services, elles lui prodiguèrent tous leurs soins, mais inutilement. L’arrêt du grand Juge était prononcé, et rien ne pouvait en retarder l’exécution. Le jour de cette cruelle séparation arriva. Ce tableau est sans cesse dans mon souvenir. Oncle respectable que je chérissais, tu faisais le bonheur de ma vie ! Puisse le ciel, la religion que tu servais si bien, t’avoir conduit au bonheur éternel !…

Vingt-quatre heures après son décès, le cortège funéraire vint enlever le corps. Je l’accompagnai jusqu’au cimetière. La Providence me réserva le plaisir de pouvoir contempler pendant vingt-quatre heures la caisse qui renfermait le corps inanimé de cet oncle chéri. La fosse qui devait le recevoir n’était pas faite, elle ne le fut que le lendemain. Je me rendis sur le lieu, et je fis déclouer cette caisse pour m’assurer si c’était bien le corps de mon oncle qu’elle renfermait. Je lui fis mes derniers adieux. Je me prosternai avec toute la ferveur que m’inspirait cette douloureuse et pénible séparation, et j’implorai pour lui la grâce du Tout-Puissant.

Je me rendis ensuite chez la veuve, je lui fis part de ce que je venais de faire, et du dernier devoir que j’avais rendu à mon digne protecteur : mon affliction lui était un sûr garant de mon sincère regret. Je pris congé d’elle pour me rendre chez moi : j’avais un besoin pressant de prendre du repos, toujours en réfléchissant à la perte que je venais de faire.

Voir en ligne : Lire la suite : Les Farfadets (Chapitre XXI à XXX)

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