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SOPHOCLE

Œdipe Roi (Scènes I à V)

Vers 1 à 648

Date de mise en ligne : samedi 6 décembre 2003

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Personnages
 ŒDIPE, roi de Thèbes.
 JOCASTE, sa femme.
 CRÉON, frère de Jocaste.
 LE SACRIFICATEUR, prêtre de Zeus.
 Le devin TIRÉSIAS.
 Le MESSAGER de Corinthe.
 LE SERVITEUR de Laïos.
 LE DOMESTIQUE du palais (second messager).
 LE CHŒUR des vieillards de Thèbes.
 ANTIGONE et ISMÈNE, filles d’Œdipe (enfants, personnages muets).
 Les suppliants (figurants).

La scène est à Thèbes devant le palais royal.

SCÈNE I
 vers 1 à 150.

ŒDIPE.
 Ô enfants, race nouvelle de l’antique Cadmos, pourquoi vous tenez-vous ainsi devant moi avec ces rameaux suppliants ? Toute la Ville est pleine de l’encens qui brûle et du retentissement des péans et des lamentations. Je n’ai point pensé que je dusse apprendre ceci par d’autres, ô enfants ! Et je suis venu moi-même, moi, Œdipe, célèbre parmi tous les hommes. Allons ! parle, vieillard, car il convient que tu parles pour eux. Qu’est-ce ? Quelle est votre pensée ? Redoutez-vous quelque danger ? Désirez-vous être secourus dans une calamité présente ? Certes, je vous viendrai en aide. Je serais sans pitié si je n’étais touché de votre morne attitude.

LE SACRIFICATEUR.
 Œdipe, ô toi qui commandes à la terre de ma patrie, tu nous vois tous prosternés devant tes autels : ceux-ci qui ne peuvent encore beaucoup marcher, ces sacrificateurs lourds d’années, et moi-même serviteur de Zeus et cette élite de nos jeunes hommes. Le reste de la multitude, portant les rameaux suppliants est assis dans l’Agora, devant les deux temples de Pallas et le foyer fatidique d’Isménos. En effet, comme tu le vois, la Ville, battue par la tempête, ne peut plus lever sa tête submergée par l’écume sanglante. Les fruits de la terre périssent, encore enfermés dans les bourgeons, les troupeaux de bœufs languissent, et les germes conçus par les femmes ne naissent pas. Brandissant sa torche la plus odieuse des Déesses, la Peste s’est ruée sur la Ville et a dévasté la demeure de Cadmos. Le noir Hadès s’enrichit de nos gémissements et de nos lamentations. Et voici que ces enfants et moi nous nous sommes rendus à ton seuil, non que tu nous sembles égal aux Dieux, mais parce que, dans les maux qu’amène la vie ou dans ceux qu’infligent les Démons irrités, tu es pour nous le premier des hommes, toi qui, à ton arrivée dans la ville de Cadmos, nous affranchis du tribut payé à la cruelle Divinatrice, n’étant averti de rien, ni renseigné par nous. En effet, c’est à l’aide d’un Dieu que tu as sauvé notre vie. Tous le pensent et le croient. Or, maintenant, Œdipe, le plus puissant des hommes, nous sommes venus vers toi en suppliants, afin que tu trouves quelque remède pour nous, soit qu’un oracle divin t’instruise, soit qu’un homme te conseille, car je sais que les sages conseils amènent les événements heureux. Allons, ô le meilleur des hommes, remets cette ville en son ancienne gloire, et prends souci de la tienne ! Cette terre, se souvenant de ton premier service, te nomme encore son sauveur. Plaise aux Dieux que, songeant aux jours de ta puissance, nous ne disions pas que, relevés par toi, nous sommes tombés de nouveau ! Restaure donc et tranquillise cette ville. Déjà par une heureuse destinée, tu nous as rétablis. Sois aujourd’hui égal à toi-même. Car, si tu commandes encore sur cette terre, mieux vaut qu’elle soit pleine d’hommes que déserte. Une tour ou une nef, en effet, si vaste qu’elle soit, n’est rien, vide d’hommes.

ŒDIPE.
 Ô lamentables enfants ! Je sais, je n’ignore pas ce que vous venez implorer. Je sais de quel mal vous souffrez tous. Mais quelles que soient les douleurs qui vous affligent, elles ne valent pas les miennes ; car chacun de vous souffre pour soi, sans éprouver le mal d’autrui, et moi, je gémis à la fois sur la Ville, sur vous et sur moi. Certes, vous ne m’avez point éveillé tandis que je dormais ; mais, plutôt, sachez que j’ai beaucoup pleuré et agité dans mon esprit bien des inquiétudes et des pensées ; de sorte que le seul remède trouvé en réfléchissant, je l’ai tenté. C’est pourquoi j’ai envoyé à Pythô, aux demeures de Phébus, le fils de Ménécée, Créon, mon beau-frère, afin d’apprendre par quelle action ou par quelle parole je puis sauver cette ville. Déjà, comptant les jours depuis son départ, je suis inquiet de ce qu’il fait ; car il y a fort longtemps qu’il est absent, et au delà de ce qui est vraisemblable. Quand il sera revenu, que je sois tenu pour un mauvais homme, si je ne fais ce qu’aura prescrit le Dieu !

LE SACRIFICATEUR.
 Tu parles à propos, certes ; car ceux-ci m’annoncent que Créon est arrivé.

ŒDIPE.
 Ô Roi Apollon ! puisse-t-il revenir avec un oracle aussi propice que son visage est joyeux !

LE SACRIFICATEUR.
 Comme il est permis de le penser, il est joyeux. Sinon, il n’arriverait pas la tête ceinte d’un laurier chargé de fruits.

ŒDIPE.
 Nous le saurons promptement, car il est assez près pour être entendu (Créon entre). Ô Roi, mon parent, fils de Ménécée, quelle réponse du Dieu nous apportes-tu ?

CRÉON.
 Une excellente ; car quelques difficiles à faire que soient les choses, je dis qu’elles sont bonnes si elles mènent à une heureuse fin.

ŒDIPE.
 Quel est l’oracle ? Tes paroles, en effet, ne me donnent ni confiance, ni crainte.

CRÉON.
 Si tu veux que ceux-ci entendent, je suis prêt à parler. Sinon, entrons dans la demeure.

ŒDIPE.
 Parle devant tous. Je suis plus affligé de leurs maux que je n’ai souci de ma propre vie.

CRÉON.
 Je dirai ce que je tiens du Dieu. Le roi Apollon nous ordonne d’effacer la souillure qui a grandi dans ce pays, de l’extirper, loin de l’y entretenir, de peur qu’elle soit inexpiable.

ŒDIPE.
 Quelle est la nature de ce mal ? Par quelle expiation ?

CRÉON.
 En chassant un homme hors des frontières, ou en vengeant le meurtre par le meurtre, car c’est ce meurtre qui ruine la Ville.

ŒDIPE.
 Quel est l’homme dont l’oracle rappelle le meurtre ?

CRÉON.
 Ô roi, Laïos commanda autrefois sur notre terre, avant que tu fusses le chef de cette ville.

ŒDIPE.
 Je l’ai entendu dire, car je ne l’ai jamais vu.

CRÉON.
 L’oracle ordonne clairement de punir ceux qui ont tué cet homme qui est mort.

ŒDIPE.
 Sur quelle terre sont-ils ? Comment retrouver quelque trace d’un crime ancien ?

CRÉON.
 L’oracle dit que cette trace est dans la Ville. On trouve ce qu’on cherche, et ce qu’on néglige nous fuit.

ŒDIPE.
 Mais, dis-moi : est-ce dans les champs, ici, ou sur une terre étrangère que Laïos a été tué ?

CRÉON.
 On dit qu’étant parti pour consulter l’oracle, il n’est plus jamais revenu dans sa demeure.

ŒDIPE.
 Aucun messager, aucun compagnon de route n’a-t-il vu et ne peut-il raconter comment les choses se sont passées ?

CRÉON.
 Ils ont tous péri, à l’exception d’un seul qui s’est enfui de terreur et n’a dit qu’une seule chose de tout ce qu’il a vu.

ŒDIPE.
 Quelle chose ? Un seul fait permettrait d’en découvrir un plus grand nombre, si nous avions un faible commencement d’espoir.

CRÉON.
 Il dit que des voleurs ont assailli Laïos, et qu’il a été tué non par un seul, mais par un grand nombre à la fois.

ŒDIPE.
 Mais un voleur, s’il n’avait été payé ici pour cela, aurait-il eut une telle audace ?

CRÉON.
 Ceci fut soupçonné ; mais nul, au milieu de nos maux, ne se leva pour venger Laïos mort.

ŒDIPE.
 Quel mal empêcha de rechercher comment le roi était mort ?

CRÉON.
 La Sphinx, pleine de paroles rusées, nous contraignit de laisser là les choses incertaines pour les choses présentes.

ŒDIPE.
 Je porterai la lumière sur l’origine de ceci. Il est digne de Phébus et digne de toi aussi d’avoir pris souci du roi mort. C’est pourquoi vous me verrez vous aider justement et venger le Dieu et la Ville. En effet, ce n’est pas en faveur d’un ami éloigné, c’est pour ma propre cause que je punirai ce crime. Quiconque a tué Laïos pourrait me frapper avec la même audace. En le servant, je me sers moi-même. Donc, enfants, levez-vous du seuil et emportez ces rameaux suppliants. Qu’un autre appelle à l’Agora le peuple de Cadmos, car je vais tout tenter ! Ou nous serons heureux avec l’aide du Dieu, ou nous sommes perdus (Œdipe et Créon sortent).

LE SACRIFICATEUR.
 Levons-nous, enfants, puisqu’il nous promet les choses pour lesquelles nous sommes venus. Que Phébus, qui nous a envoyé cet oracle, soit notre sauveur et nous délivre de nos maux ! (Tous sortent, entre le Chœur des vieillards de Thèbains).

SCÈNE II
 vers 151-215.

LE CHŒUR.
Strophe 1
 Ô harmonieuse parole de Zeus, venue de la riche Pythô dans l’illustre Thèbes ! Mon cœur tremble et bat de crainte, ô Péan Délien ! J’ai peur de savoir ce que tu dois accomplir pour moi, dès aujourd’hui, ou dans le retour des saisons. Dis-le moi, ô fille de l’Espérance d’or, Voix ambroisienne !

Antistrophe 1
 Je t’invoque la première, fille de Zeus, ambroisienne Athéna, avec ta sœur Artémis qui protége cette terre, qui s’assied sur un trône glorieux au milieu de l’Agora, et avec Phébus qui lance au loin les traits. Oh ! venez à moi tous trois, guérisseurs des maux ! Si déjà, quand le malheur se rua sur la Ville, vous avez étouffé le feu terrible, venez aussi maintenant !

Strophe 2
 Ô Dieux ! Je subis des maux innombrables ; mon peuple tout entier dépérit, et l’action de la pensée ne peut le guérir. Les fruits de cette terre illustre ne mûrissent pas ; les femmes n’enfantent point et souffrent des douleurs lamentables ; et l’on voit, l’un après l’autre, tels que des oiseaux rapides, avec plus d’ardeur que le feu indompté, tous les hommes se ruer vers le rivage du Dieu occidental !

Antistrophe 2
 La Ville est épuisée par les funérailles sans nombre ; la multitude non pleurée et qui donne la mort gît sur la terre ; et les jeunes mariées et les mères aux cheveux blancs, prosternées çà et là sur les marches de chaque autel, demandent par des hurlements et des gémissements la fin de leurs maux déplorables. Le Péan et le bruit plaintif des lamentations éclatent et redoublent. Ô fille d’or de Zeus, envoie-nous un puissant secours !

Strophe 3
 Contrains-le de fuir, cet Arès le Pestiféré qui, sans ses armes d’airain, nous brûle maintenant en se jetant sur nous avec de grandes clameurs. Chasse-le hors de la patrie, soit dans le large lit d’Amphitrite, soit vers le rivage inhospitalier de la mer Thracienne ; car ce que la nuit n’a point terminé le jour l’achève. Ô Père Zeus, maître des splendides éclairs, consume-le de ta foudre !

Antistrophe 3
 Roi Lycien ! puisses-tu, pour nous venir en aide, lancer de ton arc d’or tes traits invincibles ! puissent éclater les torches flambantes avec lesquelles Artémis parcourt les monts Lyciens ! Et j’invoque le Dieu éponyme de cette terre, à la mitre d’or, Bacchus le dieu de l’évohé, le Pourpré, le compagnon des Ménades, afin qu’il vienne, secouant une torche ardente contre ce Dieu méprisé entre tous les Dieux ! (Œdipe entre).

SCÈNE III
 vers 216 à 462.

ŒDIPE.
 Tu pries, et il te sera accordé ce que tu désires, un remède et un apaisement pour tes maux, si tu veux m’écouter et agir contre cette calamité. Je parlerai comme étranger à l’oracle et à la chose faite ; car je n’avancerai pas beaucoup dans ma recherche, si je n’ai quelque indice. Maintenant, je vous dis ceci, à vous tous, citoyens Cadméens, moi le dernier venu ici après l’événement. Quiconque d’entre vous sait par quel homme a été tué Laïos Labdacide, j’ordonne que celui-là me révèle tout. S’il craint ou s’il refuse de s’accuser, qu’il sorte sain et sauf de ce pays ! Il ne subira aucun autre châtiment de ma part. Si quelqu’un sait qu’un étranger a commis ce meurtre, qu’il ne taise pas son nom, car je le récompenserai et lui serai par surcroît reconnaissant ! Mais si vous vous taisez, si quelqu’un d’entre vous, craignant pour soi ou pour un ami, rejette mes paroles, sachez ce que je ferai. J’ordonne que cet homme ne soit accueilli par aucun habitant de cette terre où je possède la puissance et le trône ; que nul ne soit son hôte, ne l’admette aux supplications et aux sacrifices divins et ne le baigne d’eau lustrale ; que tous le repoussent de leurs demeures, et qu’il soit pour nous comme une souillure, ainsi que l’oracle du Dieu Pythique me l’a déclaré. De cette façon, je viens en aide au Dieu et à l’homme tué. Je maudis le meurtrier inconnu, qu’il ait commis seul ce crime ou que plusieurs l’aient aidé. Que le malheur consume sa vie ! Que je souffre moi-même les maux que mes imprécations appellent sur lui, si je le reçois volontairement dans mes demeures ! Or, je vous commande d’agir ainsi, pour moi, pour le Dieu, pour ce pays frappé de stérilité et d’abandon. Même quand l’oracle ne l’eût pas ordonné, il ne convenait pas de laisser inexpié le meurtre de ce très vaillant homme, de ce roi mort ; mais il eût fallu s’en inquiéter. Maintenant, puisque je possède la puissance qu’il avait avant moi ; puisque j’ai épousé sa propre femme pour procréer d’elle, et que s’il avait eu des enfants, ceux-ci seraient devenus les miens ; puisque la destinée mauvaise s’est abattue sur sa tête, j’agirai pour lui comme s’il était mon père, et je tenterai tout pour saisir le tueur de Labdacos, du descendant de Polydore, de Cadmos et de l’antique Agénor. Pour ceux qui n’obéiront point à mes ordres, je supplie les Dieux qu’ils n’aient ni moissons de la terre, ni enfants de leurs femmes, et qu’ils meurent du mal qui nous accable ou d’un plus terrible encore. Mais, pour vous, Cadméens, qui m’approuvez, je prie que la Justice et tous les Dieux propices vous soient en aide !

LE CORYPHÉE
 Puisque tu m’y contrains par ton imprécation, ô Roi, je parlerai. Je n’ai point tué et je ne puis dire qui a tué. C’est à Phébus qui a rendu cet oracle de dire qui a commis le crime.

ŒDIPE.
 Tu dis une chose juste, mais aucun homme ne peut contraindre les Dieux de faire ce qu’ils ne veulent pas faire.

LE CORYPHÉE.
 J’ajouterai une seconde pensée à celle que j’ai dite.

ŒDIPE.
 Même une troisième, si tu l’as. N’hésite pas.

LE CORYPHÉE.
 Je sais, ô Roi, que le roi Tirésias, autant que le roi Phébus, découvre avec certitude ce qu’on cherche à qui l’interroge.

ŒDIPE.
 Je n’ai pas manqué de m’en inquiéter. Averti par Créon, je lui ai envoyé deux messagers. Je suis même étonné qu’il ne soit pas arrivé.

LE CORYPHÉE.
 À la vérité, toutes les autres rumeurs sont anciennes et fausses.

ŒDIPE.
 Quelles sont-elles ? Tout ce qui s’est dit doit être su.

LE CORYPHÉE.
 On rapporte que Laïos a été tué par quelques voyageurs.

ŒDIPE.
 Je l’ai entendu dire aussi, mais personne n’a vu ce qui est arrivé.

LE CORYPHÉE.
 Si le meurtrier ressent quelque crainte, dès qu’il apprendra tes imprécations terribles, il ne les supportera pas.

ŒDIPE.
 Qui ne craint pas de commettre un crime n’est pas épouvanté par des paroles.

LE CORYPHÉE.
 Voici celui qui le découvrira. Ils conduisent ici le divin prophète qui, seul de tous les hommes, possède la vérité. (Entre Tirésias guidé par un enfant).

ŒDIPE.
 Ô Tirésias, qui comprends toutes choses, permises ou défendues, du Ciel et de la Terre, bien que tu ne voies pas, tu sais cependant de quel mal cette ville est accablée, et nous n’avons trouvé que toi, ô Roi, pour protecteur et pour sauveur. Phébus, en effet, si tu ne l’as appris déjà de ceux-ci, nous a répondu par nos envoyés que l’unique façon de nous délivrer de cette contagion était de donner la mort aux meurtriers découverts de Laïos, ou de les chasser en exil. Ne nous refuse donc ni les augures par les oiseaux, ni les autres divinations ; délivre la Ville et toi-même et moi ; efface cette souillure due au meurtre de l’homme qu’on a tué. Notre salut dépend de toi. Il n’est pas de tâche plus illustre pour un homme que de mettre sa science et son pouvoir au service des autres hommes.

TIRÉSIAS.
 Hélas ! hélas ! qu’il est dur de savoir, quand savoir est inutile ! Ceci m’était bien connu, et je l’ai oublié, car je ne serais point venu ici.

ŒDIPE.
 Qu’est-ce ? Tu sembles plein de tristesse.

TIRÉSIAS.
 Renvoie-moi dans ma demeure. Si tu m’obéis, ce sera, certes, au mieux pour toi et pour moi.

ŒDIPE.
 Ce que tu dis n’est ni juste en soi, ni bon pour cette ville qui t’a nourri, si tu refuses de révéler ce que tu sais.

TIRÉSIAS.
 Je sais que tu parles contre toi-même, et je crains le même danger pour moi.

ŒDIPE.
 Je t’adjure par les Dieux ! ne cache pas ce que tu sais. Tous, tant que nous sommes, nous nous prosternons en te suppliant.

TIRÉSIAS.
 Vous délirez tous ! Mais je ne ferai pas mon malheur, en même temps que le tien !

ŒDIPE.
 Que dis-tu ? Sachant tout, tu ne parleras pas ? Mais tu as donc dessein de nous trahir et de perdre la Ville ?

TIRÉSIAS.
 Je n’accablerai de douleur ni moi, ni toi. Pourquoi m’interroges-tu en vain ? Tu n’apprendras rien de moi.

ŒDIPE.
 Rien ! ô le pire des mauvais, tu ne diras rien ! Certes, tu mettrais la fureur dans un cœur de pierre. Ainsi tu resteras inflexible et intraitable ?

TIRÉSIAS.
 Tu me reproches la colère que j’excite, et tu ignores celle que tu dois exciter chez les autres. Et cependant tu me blâmes !

ŒDIPE.
 Qui ne s’irriterait, en effet, en entendant de telles paroles par lesquelles tu méprises cette ville ?

TIRÉSIAS.
 Les choses s’accompliront d’elles-mêmes, quoique je les taise.

ŒDIPE.
 Puisque ces choses futures s’accompliront, tu peux me les dire.

TIRÉSIAS.
 Je ne dirai rien de plus. Laisse-toi entraîner comme il te plaira, à la plus violente des colères.

ŒDIPE.
 Certes, enflammé de fureur comme je le suis, je ne tairai rien de ce que je soupçonne. Sache donc que tu me sembles avoir pris part au meurtre, que tu l’as même commis, bien que tu n’aies pas tué de ta main. Si tu n’étais pas aveugle, je t’accuserais seul de ce crime.

TIRÉSIAS.
 En vérité ? Et moi je t’ordonne d’obéir au décret que tu as rendu, et, dès ce jour, de ne plus parler à aucun de ces hommes, ni à moi, car tu es l’impie qui souille cette terre.

ŒDIPE.
 Oses-tu parler avec cette impudence, et penses-tu, par hasard, sortir de là impuni ?

TIRÉSIAS.
 J’en suis sorti, car j’ai en moi la force de la vérité.

ŒDIPE.
 Qui t’en a instruit ? Ce n’est point ta science.

TIRÉSIAS.
 C’est toi, toi qui m’as contraint de parler.

ŒDIPE.
 Qu’est-ce ? Dis encore, afin que je comprenne mieux.

TIRÉSIAS.
 N’as-tu pas compris déjà ? Me tentes-tu, afin que j’en dise davantage ?

ŒDIPE.
 Je ne comprends pas assez ce que tu as dit. Répète.

TIRÉSIAS.
 Je dis que ce meurtrier que tu cherches, c’est toi !

ŒDIPE.
 Tu ne m’auras pas impunément outragé deux fois !

TIRÉSIAS.
 Parlerai-je encore, afin de t’irriter plus encore ?

ŒDIPE.
 Autant que tu le voudras, car ce sera en vain.

TIRÉSIAS.
 Je dis que tu t’es uni très honteusement, sans le savoir, à ceux qui te sont les plus chers et que tu ne vois pas en quels maux tu es !

ŒDIPE.
 Penses-tu toujours parler impunément ?

TIRÉSIAS.
 Certes ! S’il est quelque force dans la vérité.

ŒDIPE.
 Elle en a sans doute, mais non par toi. Elle n’en a aucune par toi, aveugle des oreilles, de l’esprit et des yeux !

TIRÉSIAS.
 Malheureux que tu es ! Tu m’outrages par les paroles mêmes dont chacun de ceux-ci t’outragera bientôt !

ŒDIPE.
 Perdu dans une nuit éternelle, tu ne peux blesser ni moi, ni aucun de ceux qui voient la lumière.

TIRÉSIAS.
 Ta destinée n’est point de succomber par moi. Apollon y suffira. C’est lui que ce soin regarde.

ŒDIPE.
 Ceci est-il inventé par toi ou par Créon ?

TIRÉSIAS.
 Créon n’est point cause de ton mal. Toi seul es ton propre ennemi.

ŒDIPE.
 Ô richesse, ô puissance, ô gloire d’une vie illustre par la science et par tant de travaux, combien vous excitez d’envie ! puisque, pour cette même puissance que la Ville a remise en mes mains sans que je l’aie demandée, Créon, cet ami fidèle dès l’origine, ourdit secrètement des ruses contre moi et s’efforce de me renverser, ayant séduit ce menteur, cet artisan de fraudes, cet imposteur qui ne voit que le gain, et n’est aveugle que dans sa science ! Allons ! dis-moi, où t’es-tu montré un sûr divinateur ? Pourquoi, quand elle était là, la Chienne aux paroles obscures, n’as-tu pas trouvé quelque moyen de sauver les citoyens ? Était-ce au premier homme venu d’expliquer l’énigme, plutôt qu’aux divinateurs ? Tu n’as rien fait ni par les augures des oiseaux, ni par une révélation des Dieux. Et moi, Œdipe, qui arrivais ne sachant rien, je fis taire la Sphinx par la force de mon esprit et sans l’aide des oiseaux augurals. Et c’est là l’homme que tu tentes de renverser, espérant t’asseoir auprès de Créon sur le même trône ! Mais je pense qu’il vous en arrivera malheur à toi et à celui qui a ourdi le dessein de me chasser de la Ville comme une souillure. Si je ne croyais que la vieillesse t’a rendu insensé, tu saurais bientôt ce que coûtent de tels desseins.

LE CORYPHÉE.
 Autant que nous en jugions, ses paroles et les tiennes, Œdipe, nous semblent pleines d’une chaude colère. Il ne faut point s’en occuper, mais rechercher comment nous accomplirons pour le mieux l’oracle du Dieu.

TIRÉSIAS.
 Si tu possèdes la puissance royale, il m’appartient cependant de te répondre en égal. J’ai ce droit en effet. Je ne te suis nullement soumis, mais à Loxias ; et je ne serai jamais inscrit comme client de Créon. Puisque tu m’as reproché d’être aveugle, je te dis que tu ne vois point de tes yeux au milieu de quels maux tu es plongé, ni avec qui tu habites, ni dans quelles demeures. Connais-tu ceux dont tu es né ? Tu ne sais pas que tu es l’ennemi des tiens, de ceux qui sont sous la terre et de ceux qui sont sur la terre. Les horribles exécrations maternelles et paternelles, s’abattant à la fois sur toi, te chasseront un jour de cette ville. Maintenant tu vois, mais alors tu seras aveugle. Où ne gémiras-tu pas ? Quel endroit du Cithéron ne retentira-t-il pas de tes lamentations, quand tu connaîtras tes noces accomplies et dans quel port fatal tu as été poussé après une navigation heureuse ? Tu ne vois pas ces misères sans nombre qui te feront l’égal de toi-même et de tes enfants. Maintenant, accable-nous d’outrages, Créon et moi, car aucun des mortels ne succombera plus que toi sous de plus cruelles misères.

ŒDIPE.
 Qui pourrait endurer de telles paroles ? Va-t’en, abominable ! hâte-toi ! sors de ces demeures, et sans retour !

TIRÉSIAS.
 Certes, je ne serais point venu, si tu ne m’avais appelé.

ŒDIPE.
 Je ne savais pas que tu parlerais en insensé ; car, le sachant, je ne t’eusse point pressé de venir dans ma demeure.

TIRÉSIAS.
 Je te semble insensé, mais ceux qui t’ont engendré me tenaient pour sage.

ŒDIPE.
 Qui sont-ils ? Arrête ! Qui, parmi les mortels m’a engendré ?

TIRÉSIAS.
 Ce même jour te fera naître et te fera mourir.

ŒDIPE.
 Toutes tes paroles sont obscures et incompréhensibles.

TIRÉSIAS.
 N’excelles-tu pas à comprendre de telles obscurités ?

ŒDIPE.
 Tu me reproches ce qui me fera grand.

TIRÉSIAS.
 C’est cela même qui t’a perdu.

ŒDIPE.
 J’ai délivré cette ville et je ne le regrette pas.

TIRÉSIAS.
 Je m’en vais donc. Toi, enfant, emmène-moi.

ŒDIPE.
 Certes, qu’il t’emmène, car, étant présent, tu me troubles et tu m’empêches ! Loin d’ici, tu ne me pèseras plus.

TIRÉSIAS.
 Je m’en irai, mais je dirai d’abord pourquoi je suis venu ici sans peur de ton visage, car tu es impuissant à me perdre jamais. Cet homme que tu cherches, le menaçant de tes décrets à cause du meurtre de Laïos, il est ici. On le dit étranger, mais il sera bientôt reconnu pour un Thébain indigène, et il ne s’en réjouira pas. De voyant il deviendra aveugle, de riche pauvre, et il partira pour une terre étrangère. Il sera en face de tous le frère de son propre enfant, le fils et l’époux de celle de qui il est né, celui qui partagera le lit paternel et qui aura tué son père. Entre dans ta demeure, songe à ces choses, et si tu me prends à mentir, dis alors que je suis un mauvais divinateur. (Tirésias et Œdipe sortent).

SCÈNE IV
 vers 463 à 512.

LE CHŒUR.
Strophe 1
 Quel est-il celui que le rocher fatidique de Delphes déclare avoir commis de ses mains ensanglantées le plus abominable des crimes ? Il est temps qu’il prenne la fuite, plus prompt que les chevaux rapides comme le vent, car le fils de Zeus, armé du feu et des éclairs, va se ruer sur lui, suivi des déesses de la mort terribles et inévitables.

Antistrophe 1
 En effet, voici qu’une illustre Voix, partie du neigeux Parnasse, dit de rechercher cet homme qui se cache. Il est errant dans les forêts sauvages, sous les antres, parmi les rochers, comme un taureau, et il vagabonde, malheureux et d’un pied misérable, solitaire, afin d’échapper à l’oracle sorti du Nombril de la terre. Mais l’Oracle toujours vivace vole autour de lui.

Strophe 2
 Il me trouble horriblement, le Divinateur augural, et je ne puis ni affirmer, ni nier ce qu’il dit. J’hésite, ne sachant comment parler, et je reste en suspens, et je ne vois rien de certain, ni dans le présent, ni dans le passé. Je n’ai jamais entendu dire qu’il y ait eu aucune dissension entre les Labdacides et le fils de Polybe, et je n’ai jamais douté de l’excellente renommée d’Œdipe parmi tous les hommes, et qu’il puisse exister un vengeur du meurtre ignoré du Labdacide.

Antistrophe 2
 Si Zeus et Apollon sont sages et connaissent les actions des hommes, je ne suis pas certain que ce Divinateur, entre tous, sache plus que moi. Certes, un homme peut en savoir plus qu’un autre homme ; mais, avant que ses paroles soient prouvées par le fait, je ne serai pas de ceux qui condamnent Œdipe. Autrefois, quand parut la Vierge ailée, il a manifesté sa sagesse et sa bienveillance pour la Ville, et c’est pourquoi, jamais, par mon propre jugement, je ne le tiendrai pour coupable. (Créon entre).

SCÈNE V
 vers 513 à 648.

CRÉON.
 Hommes citoyens, sachant que le roi Œdipe m’adressait les plus odieuses accusations, je viens, pénétré d’une douleur intolérable. Si, dans la calamité présente, il pense que, par mes paroles ou mes actions, je lui ai causé quelque mal, accusé d’un tel crime, je n’ai pas le désir d’une plus longue vie. Ce ne serait pas peu, en effet, qu’une telle injure ; mais ce serait pour moi un très grand malheur que d’être repoussé par la Ville, par vous et par mes amis.

LE CORYPHÉE.
 Je pense que sa colère a exprimé cet outrage, plutôt que la réflexion de son esprit.

CRÉON.
 Comment est-il avéré que le Divinateur a menti par mes conseils ?

LE CORYPHÉE.
 Il l’a dit en effet, mais je ne sais sur quelle preuve.

CRÉON
 Ses yeux étaient-ils assurés, son esprit était-il calme quand il m’a accusé de ce crime ?

LE CORYPHÉE.
 Je ne sais, ne regardant point ce que font les Princes. Mais le voici lui-même qui sort des demeures. (Œdipe entre).

ŒDIPE.
 Holà ! toi ! que fais-tu ici ? Ton audace et ton impudence sont-elles si grandes que tu oses approcher de mes demeures, toi qui me tues ouvertement, toi, le voleur avéré de ma puissance ! Allons, parle ! Je t’en adjure par les Dieux ! As-tu vu en moi de la lâcheté ou de la démence, pour avoir entrepris cela ? As-tu espéré que je ne découvrirais pas ton dessein ourdi avec ruse, ou que, l’ayant découvert, je ne me vengerais pas ? Tes efforts ne sont-ils pas insensés de vouloir saisir, sans le secours du peuple et sans amis, la puissance royale qu’on ne peut obtenir que par les richesses et par la faveur du peuple ?

CRÉON.
 Comment faire ? Le sais-tu ? Il faut que je réponde à tes paroles. Quand tu sauras, tu jugeras.

ŒDIPE.
 Tu es un habile parleur, mais je suis un mauvais écouteur, car je te sais injurieux et malveillant pour moi.

CRÉON.
 Sur ceci, écoute d’abord ce que j’ai à te dire.

ŒDIPE.
 Va ! ne me dis pas que tu n’es point mauvais.

CRÉON.
 Si tu penses qu’une obstination insensée est bonne, tu te trompes.

ŒDIPE.
 Et toi, si tu penses que tu outrageras un parent sans en être châtié, tu te trompes aussi.

CRÉON.
 Ce que tu dis est juste, je l’avoue ; mais apprends-moi quel outrage je t’ai fait.

ŒDIPE.
 M’as-tu persuadé, ou non, d’envoyer un messager à ce vénérable Divinateur ?

CRÉON.
 Telle est encore ma pensée.

ŒDIPE.
 Depuis combien de temps Laïos...

CRÉON.
 Qu’a-t-il fait ? Je ne comprends pas.

ŒDIPE.
 A-t-il été enlevé par un coup mortel ?

CRÉON.
 Il y a de cela une longue suite d’années.

ŒDIPE.
 Ce Divinateur exerçait-il alors sa science ?

CRÉON.
 Il était alors également savant et honoré.

ŒDIPE.
 M’a-t-il nommé dans ce temps-là ?

CRÉON.
 Jamais, moi présent du moins.

ŒDIPE.
 Et vous n’avez point fait de recherches au sujet du mort ?

CRÉON.
 Nous en avons fait sans doute. Nous n’avons rien appris.

ŒDIPE.
 Et pourquoi ce savant Divinateur ne disait-il pas alors les mêmes choses ?

CRÉON.
 Je ne sais. J’ai coutume de me taire sur ce que je ne sais pas.

ŒDIPE.
 Il en est une du moins que tu sais et que tu diras, si tu es sage.

CRÉON.
 Laquelle ? Si je la sais, je ne la nierai pas.

ŒDIPE.
 Si le Divinateur ne s’était pas concerté avec toi, il ne m’accuserait pas d’avoir tué Laïos.

CRÉON.
 S’il a dit cela, tu le sais. Mais je veux t’interroger de même que tu m’interroges.

ŒDIPE.
 Interroge. Tu ne prouveras jamais que je suis le tueur de Laïos.

CRÉON.
 Dis : n’as-tu point ma sœur pour femme ?

ŒDIPE.
 Je ne puis nier ce que tu demandes là.

CRÉON.
 Et tu commandes avec elle, ayant une part égale de puissance ?

ŒDIPE.
 Je lui accorde toutes les choses qu’elle veut.

CRÉON.
 Ne suis-je pas, moi troisième, votre égal à tous deux ?

ŒDIPE.
 Et c’est pour cela que tu te montres mauvais ami.

CRÉON.
 Tu ne diras point cela, si tu veux, comme moi, penser sagement. Songe à ceci d’abord : penses-tu qu’on puisse aimer mieux commander au milieu des terreurs que dormir tranquille en possédant la même puissance ? Pour moi, certes, j’aime mieux faire ce que font les rois qu’être roi, et tout homme sage pense ainsi. En effet, maintenant j’obtiens tout de toi sans crainte, et, si j’étais roi moi-même, je ferais un grand nombre de choses contre mon gré. Comment donc me serait-il plus doux de régner que d’être puissant et tranquille ? Je ne suis pas insensé au point de désirer autre chose que les biens qui me profitent. Maintenant tous m’honorent, chacun m’embrasse. Ceux qui souhaitent quelque chose de toi me flattent, car l’accomplissement de leurs vœux est dans ma main. Pourquoi, je te prie, perdrais-je ces avantages pour régner ? Un esprit pervers nourrirait là des desseins insensés. Je n’ai nullement les désirs que tu me prêtes et je ne voudrais jamais les satisfaire avec l’aide d’un autre. Voici la preuve de ceci. Va demander à Pythô si je t’ai rapporté fidèlement l’oracle. Alors, si tu me convaincs de m’être concerté avec le Divinateur, tue-moi, non par un seul suffrage, mais par deux, le mien et le tien. Mais ne m’accuse pas sans preuve, car il n’est pas juste de décider témérairement que les bons sont mauvais et que les mauvais sont bons. Qui rejette un ami fidèle agit plus mal, je le dis, que s’il rejetait sa propre vie qui est le bien qu’on aime le plus. Avec le temps tu te convaincras de tout ceci, car le temps seul montre quel est l’homme irréprochable, tandis qu’en un seul jour tu reconnaîtras un pervers.

LE CORYPHÉE.
 Tu avoueras qu’il a bien parlé, ô Roi, si tu crains de faillir, car ceux qui jugent en hâte ne sont sûrs de rien.

ŒDIPE.
 Là où quelqu’un est prompt à me tendre des piéges, il importe que je sois prompt à me décider. Si je reste tranquille, il accomplira ses desseins, et les miens seront vains.

CRÉON.
 Que veux-tu donc ? Me chasser de la Ville ?

ŒDIPE.
 Non. Je veux que tu meures, non que tu sois exilé.

CRÉON.
 Soit, mais après que tu auras prouvé en quoi je te porte envie.

ŒDIPE.
 Résisteras-tu, et me désobéiras-tu ?

CRÉON.
 Je vois que tu es insensé.

ŒDIPE.
 Je suis sage en ce qui me concerne.

CRÉON.
 Tu dois être sage aussi en ce qui me regarde.

ŒDIPE.
 Tu es mauvais.

CRÉON.
 Quoi ! si tu pensais mal ?

ŒDIPE.
 Tu n’en dois pas moins obéir.

CRÉON.
Mais non à un mauvais maître.

ŒDIPE.
 Ô Ville ! ô Ville !

CRÉON.
 Et moi aussi je suis de cette ville. Elle n’est pas à toi seul.

LE CORYPHÉE.
 Cessez, ô Rois. Je vois en effet Jocaste qui sort à propos des demeures. Il importe qu’elle apaise cette querelle. (Jocaste entre).

JOCASTE.
 Ô malheureux, pourquoi engagez-vous cette mêlée insensée de paroles ? Ne rougissez-vous pas, cette terre étant si éprouvée, de soulever des dissensions privées ? Toi, rentre dans la demeure ; et toi, Créon, va vers la tienne. Craignez de faire une grande querelle de ce qui n’est rien.

CRÉON.
 Sœur, Œdipe, ton mari, se prépare à me traiter très cruellement, me donnant à choisir de deux maux, soit qu’il me chasse de la Ville, soit qu’il me tue.

ŒDIPE.
 Je l’avoue, car je l’ai saisi, femme, ourdissant contre moi un dessein plein de ruses perfides.

CRÉON.
 Que je ne goûte plus aucune joie, que je meure voué aux exécrations, si j’ai fait ce dont tu m’accuses !

JOCASTE.
 Par les Dieux, Œdipe, crois ce qu’il jure et atteste au nom des Dieux, par respect pour moi autant que pour ceux qui sont ici.

Voir en ligne : Œdipe Roi (Scènes VI à X)

P.-S.

 Texte établi par Abréactions Associations d’après la traduction nouvelle de Sophocle par Leconte de Lisle, publiée aux éditions Alphonse Lemerre à Paris en 1877 (503 pages) [1].

Notes

[1Leconte de Lisle avait lui-même effectué sa traduction de l’œuvre de Sophocle à partir de la traduction latine de L. Benloew publiée en 1842 aux éditions A. F. Didot.

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