Nous sommes donc enfin en Mars. Nous avons enfin quitté ce mois de février, durant lequel, cette année - ce n’était pas comme ça les années précédentes... Jusqu’à ce qu’une patiente me donne le fin mot de l’histoire, dans un rêve où, un peu à la Fliess, elle manie allégrement les 28 et les 29. Ce sur quoi je lui demande, bien entendu, ce que ça lui évoque ces chiffres-là. C’est le mois de février ! Mais cette année, c’est... Il est... Le mois de février... Il est... Et là rien ne vient ! Car en effet, c’est une année... Bissextile !
Je ne sais pas si Fliess avait noté ça, avait noté un a-folement général les années bissextiles. C’est dire, tout de même, que ça ne va pas sans effets cette théorie de la bisexualité reprise par Freud à Fliess.
Alors l’année du singe - l’année du « Q », nous disait Guy Massat -, combinée avec un mois de février bissextile : ça a un double effet, un peu comme dans la publicité ! Bon, mais enfin, on entre dans Mars, on entre enfin dans la guerre !
Quelle est, finalement, la question que je me pose ?
La question que je me pose - mais c’est la question que l’on se pose tous, puisque vous êtes là - la question que je me pose tout de même, c’est la suivante, c’est :
– Qu’est-ce que LA folie ?
C’est un symptôme, à n’en pas douter ! Qu’est-ce que LA folie, c’est-à-dire, qu’est-ce que LA paranoïa ? Alors ça nous rappelle quand même ce fameux « qu’est-ce que LA femme », bien entendu. LA femme n’existe pas... Mais Guy Massat de préciser, la dernière fois : « dans l’Inconscient », avec - vous le savez - cette scansion qui lui est propre, en quatre temps : « dans-l’in-con-scient » ! Et ce, vous le savez aussi, sur un ton légèrement chantant, lequel nous laisse parfois espérer... Espérer qu’au moins il doit s’y connaître... Qu’il doit s’y connaître en Langue d’Oc !
Alors qu’est-ce que LA folie, qu’est-ce que LA paranoïa, qu’est-ce LA femme, qu’est-ce LE Réel... (Je ne sais pas si ça a des effets avec "LE" ce petit jeu, cette petite jouissance d’écrire "la" en capitale - ou avec le "L" apostrophe)... C’est-à-dire qu’est-ce que L’Inconscient ? Car nous sommes tous bien là pour ça, n’est-ce pas, savoir enfin ce que sait que L’In-con-scient !
Hé bien, ce « dans l’inconscient », à le suivre à la lettre - Guy Massat, à la lettre de son séminaire -, il faudrait plutôt l’écrire comme ça : DENT L’INCONSCIENT. Et si vous trouvez - tant pis pour vous -, que c’est une DENT creuse - un peu comme l’aiguille d’Arsène Lupin - c’est justement pour que chacun puisse y entrer, ne serait-ce que pour aller y chercher sa propre carie - n’est-ce pas ? - sa propre carence ! (« Avec de l’offre, comme le disait Lacan, je crée ma propre demande »).
Alors ma question, on peut la poser encore plus simplement, on peut dire : « Qu’est-ce que ça fait d’être fou ? » Ce sur quoi, si on se la pose sérieusement cette question, on ne peut pas manquer d’observer qu’en fait, hé bien elle est biaisée dès le départ cette question ! Pourquoi ? Par ce que « Qu’est-ce que ça fait ? » (d’être fou ou autre chose), ça veut dire qu’on s’interroge de manière imaginaire, autrement dit qu’on entend par-là interroger le corps.
Comment le corps résonne-t-il lorsque la corde (le signifiant) de la folie vibre ?
Cette question est biaisée parce que, justement, le paranoïaque il a tout de même une drôle de rapport au corps. C’est en effet toute une topologie, le rapport au corps du paranoïaque ! La question du rapport au corps du paranoïaque (la psychose et ses rapports avec le corps) vient à l’instant d’être posée sur le forum du site par un étudiant en « licence de patho » comme il dit (licence de « pas-tout », ce serait quand même mieux, non ?) Je n’avais pas le temps, ou plutôt c’est lui qui n’avait pas le temps de venir, si je lui avais répondu : « Venez tout de suite ! » Le don d’ubiquité, ce n’est pas donné à tout le monde, n’est-ce pas, juste au paranoïaque. Il n’y a qu’un Schreber qui peut se retrouver en même temps à l’asile - à la clinique du docteur Pierson ou au Sonnenstein - et en Alsace (ou au Palatinat, je ne me souviens plus exactement), et ce au moment précis où Fleschig se suicide.
Alors effectivement, le rapport au corps du paranoïaque, c’est tout de même une topologie particulière (ce qui est un truisme).
Voilà un homme, Schreber, qui mange l’âme et qui ne la digère pas, qui voit l’âme - c’est-à-dire ce que tout le monde s’entend à considérer comme immatériel, comme L’Immatériel par définition - voilà un homme, Schreber, qui voit lui, l’âme de Flechsig (pas la sienne) comme une gigantesque balle de coton. Voilà un homme qui donne un corps à ce que tout le monde, tout le commun des mortels, s’accorde à définir comme immatériel et, à l’inverse, voilà un homme qui peut vivre sans organe ! Je ne vous ferai pas l’énumération de tous les organes qui manque à Schreber (je ne vous ferai pas, oui, l’énumération des « sans » comme dit Paul), mais il y en a un bon paquet, et pas des moindres, ceux que l’on qualifie généralement de fondamentaux : poumons, foie, etc. Des organes, remarquez-le, qui sont tous situés dans ce que l’on appelle le tronc. C’est ça qui lui manque. Pas ceux des extrémités. Ceux-là, apparemment, ne l’intéressent pas. Ils sont simplement soumis à des miracles, ou effets de malices, j’y reviendrai la prochaine fois certainement.
Donc se poser la question : « Qu’est-ce que ça fait d’être fou ? », c’est un symptôme, pourquoi pas ?
Mais qu’est-ce qu’un symptôme ? Un symptôme, ce n’est pas la névrose. Il ne faut pas confondre symptôme et névrose, même si les deux ne sont pas sans rapports. Parce que la névrose, c’est un certain rapport au symptôme, un certain rapport qui nous le fait prendre - le symptôme - pour ce qu’il n’est pas. Ce qui implique - ce que cette formule, cette formulation implique -, que l’on sache ce qu’est un symptôme. Ce qu’il est, on le sait, c’est une métaphore, c’est-à-dire une copule. Alors dans la névrose, on le prend - le symptôme - pour ce qu’il n’est pas.
La névrose obsessionnelle, par exemple - vous le savez -, c’est prendre le réel du symptôme pour du symbolique. Ça, c’est la névrose obsessionnelle. Alors, on peut faire ici série :
– La névrose obsessionnelle, c’est prendre le réel du symptôme pour du symbolique.
– L’hystérie, c’est prendre le réel du symptôme pour du corps, de l’imaginaire.
– La paranoïa, c’est prendre le réel du symptôme pour du réel.
Alors j’ai dit que le symptôme, c’est une copule, une copulation, mais le problème c’est que c’est une copulation dans un faux trou.
Qu’est-ce qu’un faux trou ? Un faux trou, pour Lacan, c’est ça :
C’est-à-dire que ça ne tient pas, sauf à y faire passer une droite infinie - ou un borroméen -, alors là ça tient. Ça tient pour l’obsessionnel, ça tient pour l’hystérique, ça tient pour le paranoïaque.
Mais qu’est-ce que ça veut dire, pour le paranoïaque, que de prendre le réel du symptôme pour du réel ? Ce serait quelque chose comme le réel du réel. Or, vous allez me dire, ça ressemble à quelque chose du genre « l’Autre de l’Autre ». Or, il semble qu’il n’y ait pas d’Autre de l’Autre. Sauf pour le paranoïaque, peut-être. Pour le paranoïaque, il y a toujours Dieu (Dieu, c’est du Réel pour le paranoïaque) et ce que le paranoïaque appelle « La mère de Dieu ». Un paranoïaque célèbre, Robespierre, en savait quelque chose !
Là où l’obsessionnel lutte pour savoir si oui ou non, Dieu existe - il lutte dans le symbolique, lui - le paranoïaque ne se pose plus la question : il existe, c’est sûr, mais il se demande qui l’a engendré ! C’est comme ça un paranoïaque. « Marie, mère de Dieu »... Enfin vous voyez que nous aussi, on est un peu paranoïaque. Qu’on doit pouvoir l’éprouver quelque part, qu’on doit bien savoir qu’est-ce que ça fait d’être fou quand même !
Paranoïa, Nœud de Trèfle et Nœud du Fantasme
La psychose paranoïaque, dit Lacan, consiste dans un nœud de trèfle. Dans un nœud de trèfle, l’imaginaire, le symbolique et le réel ne présente qu’une seule et même consistance. « C’est en cela que consiste la psychose paranoïaque » (Le Sinthome, p. 51).
Mais cela « n’est pas un privilège » précise Lacan, « s’il est vrai que chez la plupart, le Symbolique, l’Imaginaire et le Réel sont embrouillé au point de se continuer l’un dans l’autre, s’il n’y a pas d’opération qui les distingue dans une chaîne ».
S’il n’y a pas d’opération ! Alors Guy Massat nous disait la dernière fois, qu’une psychose harmonisée par l’expérience de l’analyse, ça devient un borroméen. Il a raison et il a même doublement raison. Il a doublement raison parce qu’il y a un risque, comme dans toute opération il y a un risque. Il y a un risque que cette opération, elle rate, et de tomber ainsi sur le nœud, et pas n’importe quel nœud, le nœud du fantasme.
Si l’on ne fait que des coupures et épissures sur l’Imaginaire et le Symbolique, on tombe sur le nœud du fantasme.
Alors voilà, Guy Massat a raison, parce que si vous tombez sur un analyste bien comme il faut, cultivé et tout et tout, ayant bien appris sa leçon sur le stade du miroir, l’idéal du moi et le moi idéal, etc., hé bien vous risquez de sortir de la cure, de votre névrose - de votre nœud de trèfle - par le nœud du fantasme. Le fantasme de LA psychanalyse ou le fantasme DU psychanalyste.
Je vais vous montrer ça.
Ce n’est pas que cette sorte d’analyse n’a pas de sens, c’est même ça, le comble du sens, c’est l’épissure (la copulation, dit Lacan) du Symbolique et de l’Imaginaire, c’est en quoi consiste le sens. Or si la religion, c’est le comble du sens, comme le précisera également Lacan un peu plus tard, pourquoi les réunions psychanalytiques ne prendraient-elles pas tout de même parfois des allures de grand-messe ?
Remarquez bien, qu’on peut également illustrer avec ces coupures épissures au nœud de trèfle, ce qu’il en est de la thérapie. Vous faîtes une coupure dans l’imaginaire (vous avez bien appris votre stade du miroir) et puis une épissure à... Hé bien, si vous ne faîtes qu’une seule coupure, vous ne pouvez faire qu’une seule épissure.
En outre, remarquez que vous obtenez la même chose, si vous n’opérez qu’avec le symbolique (si vous arrivez à faire prier quelqu’un, tous les matins, par exemple)...
... Ou si vous n’opérez qu’avec le Réel (si vous foutez un bon coup de pied au cul à votre gars qui commence à vous les gonfler sérieux)...
Si vous n’opérez qu’à une seule coupure / épissure, vous obtenez exactement le même nœud de trèfle, la même névrose qu’auparavant.
Cependant, pour ce qui nous intéresse de plus près, si vous ne touchez qu’au symbolique et à l’imaginaire, si la cure forclot le Réel, vous sortez de la cure, au mieux, par le nœud du fantasme.
Ça peut avoir l’air comme ça, d’être un borroméen, le nœud du fantasme, ça a l’air de tenir comme un borroméen, mais ce n’est que du Canada Dry ! Le Canada dry, vous savez ce que c’est ? Enfin, c’est plutôt, LA Canada dry (La Canaille). LACAN-NADA-Draille. Ou plutôt : LACAN-NADA-braille... Pour désigner ici ceux qui parlent le plus fort... Ceux qui sont le plus effervescents : Les Meneurs de Pet-psy (et ici vous pouvez rajouter le : colle-a). Ou Les Meneurs de Pschitt ! Nous savons tous, que cela tient du nœud du Fanta !
Alors puisque nous avons quitté le mois de février et son « a » follement général, on peut se poser la question de qu’est-ce que L’« a »-folie ?
Qu’est-ce que LA Folie... Ne serait-ce pas : Qu’est-ce que LA Jouissance ?
Un patient, qui souhaite raconter un rêve et le comparer d’emblée avec celui de l’injection faîtes à Irma, l’annonce de cette manière. Le rêve n’est pas sans rapport avec celui de... « L’INJONCTION faîtes à Irma ».
Voilà, un sublime lapsus, n’est-ce pas, qui vient tout de même nous dire quelque chose de la jouissance et de son ratage.
Car enfin, c’est là le problème - la jouissance -, elle se manifeste tout de même comme une « INJONCTION ».
C’est le fameux « Joui ! » de Lacan, le fameux « Luder ! » de Schreber, c’est la jouissance du Surmoi, la jouissance du symbolique [« La gourmandise dont dénote le surmoi est structurale, non pas effet de la civilisation, mais “malaise” (symptôme) dans la civilisation » (J. Lacan, Télévision)].
Alors, le signifiant représente la jouissance pour un autre signifiant, peut-être... Pourquoi pas ? C’est une formule de Jacques-Alain Miller qui posait problème à Paul la dernière fois. Mais à la passer à la moulinette du borroméen, on doit tout de même pouvoir l’éclairer. Pourquoi pas une jouissance dans le symbolique, une jouissance dans le réel et une jouissance dans l’imaginaire ? Le signifiant représente la jouissance pour une autre signifiant dans le réel, dans l’imaginaire et dans le symbolique.
Qu’est-ce qu’un signifiant dans le symbolique, si ce n’est une formule, justement.
– Dans le symbolique, une formule qui représente la jouissance... Pour une autre formule : je dirai que c’est-là, une Injonction de jouissance.
– Dans l’imaginaire, un chiffre qui représente la jouissance... Pour un autre chiffre, pour autant que dans l’imaginaire - les rêves le prouvent -, il n’y a pas de calcul mathématique qui tienne : c’est la libre association, la libre condensation des chiffres, je dirai que c’est une Conjonction de jouissance. C’est-là le fameux 28, la fameuse bisexualité de Fliess.
– Enfin - celle qui nous intéresse au plus près - la lettre représente la jouissance... Pour une autre lettre, dans le réel : c’est là l’injection faîte à Irma, l’injection de jouissance, mais on pourrait également dire, du point de vue d’où Ça sort : la d’éjection de jouissance. Ou encore la D’éjaculation de jouissance, à écrire comme vous le voulez. La jaculation du D (de l’œdipe) ou des Dés de Mireille Martini ou de Mallarmé. La D-JA-CUL-Ah ! si on... C’est le fameux « pôor(d)j’e-li » du Rêve à la Licorne.
C’est la Gorge - le gamma, la lettre - d’IRM-a (sachant que le M n’est jamais qu’un sigma couché, c’est-à-dire le S du Symbolique). Si bien que la fameuse IRM-a, on peut l’écrire IRS-a. C’est notre RSI.
La gorge, c’est-à-dire l’objet vocal, la corde. Tenez bien la corde du RSI !
Alors dans le rêve de l’injection faîtes à Irma, on voit comment, si je puis dire : la formule parasite la lettre, chez Freud.
« Joui ! » lui dit son surmoi. Autrement dit : « Trouves la formule des rêves ! ». C’est là l’entrepreneur du rêve, le capitaliste se contente, lui, comme on sait d’injecter... D’injecter du capital - de l’argent frais comme on dit - dans le circuit... Dans le circuit économique, le circuit de la pulsion, c’est-à-dire dans le circuit de la jouissance, telle que Freud la concevait sur un mode quelque peu imaginaire : la libido.
Le capital en question, vous savez ce que c’est ? c’est le CAP, la tête, (la pointe : le Cap Orne - Le langage, tel qu’on l’entend d’ordinaire, (dans la réalité) « n’est qu’une ornure », nous disait la dernière fois Guy Massat), c’est-à-dire le Phallus. Avec ce corollaire, bien entendu, que :
– Quand il n’y a plus de capital, et bien ça veut dire qu’on est : DÉ-CAPITÉ !
C’est là un temps, chez Freud, celui du rêve d’Irma, un temps d’analyse pour Freud. C’est un temps névrotique, c’est un temps d’injonction, effectivement : « Connais-toi toi-même ! »
Mais il va en sortir, il va en sortir comme on en sort habituellement, c’est-à-dire en décapitant son capitaliste à lui : Breuer, et en envoyant rouler-bouler Fliess (cf. le rêve dit de Gœthe). Et comment en témoigne-t-il qu’il en est sorti de sa copule entre l’imaginaire et le symbolique ? Hé bien il en témoigne, comme a son habitude, par un bout...
SIG-NOR-ELLI
« Nous ne pouvons atteindre que des bouts de Réel », dit Lacan (Le Sinthome)... « Le Réel est toujours un bout, un trognon, un trognon certes autour duquel la pensée brode... Mais c’est de là qu’il faut partir, c’est le signe même de ce qu’on, de ce qu’on a atteint le trognon ». Hé bien Freud, il va atteindre le trognon, et il va en témoigner par un bout... Par un bout-qu’un... Par un bouquin dont il faut croire qu’il était urgent. Urgent puisque, à peine après avoir fini son œuvre, du moins le croyait-il, sa Somme (le sigma, comme on écrit la somme de i=1 à n, par exemple), sa Traumdeutung, ce livre énorme, hé bien il sort - à peine plus d’un an après ! rendez-vous compte -, non pas une Somme, mais un bout... Un autre bouquin. Et cet autre bouquin, hé bien il est tout aussi énorme - au niveau du volume déjà -, volume à prendre ici au sens où Guy Massat nous l’a présenté, c’est-à-dire au sens d’une « Chaîne-Nœud » comme le dit Lacan dans le séminaire le Sinthome.
Et dans ce Volume, ce qui est caractéristique, cette fois-ci, ce qui le distingue radicalement du précédent, c’est que Freud, « il n’y va pas par quatre chemins » comme on dit. Autant avec la « Traumdeutung », il nous épuise tout d’abord avec une première partie universitaire et interminable sur « le rêve avant lui, etc., etc. » Autant, avec la Psychopathologie de la vie quotidienne - puisque c’est son titre -, il attaque bille en tête : il n’y a pas d’introduction, on entre de suite dans le vif du sujet. Il n’y va plus par « quatre » chemins, c’est-à-dire qu’il n’y va plus par « quatre » ronds, c’est-à-dire, si l’on veut le dire comme ça, le rond du symptôme est tombé.
Par quoi commence-t-il qui était si urgent ? Hé bien il commence, d’emblée, sans introduction, par le SIG-norelli, par le SIG-ma du symptôme, il commence, dans une perspective de « double moulinette » papahagienne, si l’on peut dire, par faire consister le réel du symptôme. Il commence par le SIG de son prénom, et ce, en clamant haut et fort qu’il a oublié le nom propre. C’est ça qui était si urgent !
Alors bien sûr, n’est-ce pas, vous me direz, il ne fait que reprendre ici un matériel psychique déjà mis à jour dans un article de 1898 : « Sur le mécanisme psychique de l’oubliance », publié dans le « Monatsschrift für Psychiatrie und Neurologie » [1].
Oui, mais Freud ne se contente pas de le reprendre. Il en oublie, là encore un bout ! Dans ce premier chapitre, dans lequel il traite de l’oubli de nom propre - et je vous fais remarquer qu’il n’y aura jamais, dans la suite du livre, aucun chapitre sur l’oubli de nom « commun » -, il laisse tombé un acte manqué... Un acte manqué qui se trouvait dans l’article de 1898, et qui ne s’y trouve plus, ici (on verra peut-être ça la prochaine fois)... Alors c’est ça la fin de l’analyse, c’est ça la fin de l’analyse de Freud en tout cas : c’est l’oubli de nom.
Y-P(r)othèse
Alors la question que je me suis posée aujourd’hui - au milieu de la grande question qu’est-ce que LA folie - c’est à savoir, si ce qui se passe dans la tête d’un paranoïaque, nous ne pourrions pas en avoir un aperçu - comme en miniature en quelque sorte - dans ce que Freud appelle l’oubli de nom ! Ce qui nous permettrait peut-être, chemin faisant, d’éprouver ce que Lacan en qualifie de forclusion (mais ça aussi, ce sera sûrement pour la pro-chaîne fois, peut-être...).
Alors vous connaissez, n’est-ce pas l’histoire de l’oubli du nom Signorelli ? Je vous la rappelle brièvement quand même. Voilà le contexte. Freud est en train de faire un voyage en train avec un ami à lui, il s’agit d’un avocat.
– Ils parlent de chose et d’autre et, au premier temps, il vient à l’esprit de Freud, au cours d’une conversation sur les habitants des pays qu’ils traversent (des Turcs qui habitent le coin)... Il lui vient à l’esprit une pensée qu’il refoule, qu’il refoule au sens conscient. C’est le suicide d’un de ses patients qui souffrait d’un trouble sexuel incurable, dit-il. C’est une pensée à laquelle il ne veut pas penser précisément. Alors même qu’ils évoquent les mœurs des Turcs... Les mœurs, la Mort et la Sexualité des Turcs.
– Mais pourquoi dit-il qu’il ne veut pas y penser - qu’il la refoule - puisque précisément, il y pense ? Hé bien ce qu’il refoule, justement, c’est cet impossible à penser de cette pensée qui lui vient à l’esprit, au sujet du suicide de son patient. Il y a quelque chose là-dedans, qu’il ne veut pas penser, mais il ne sait pas quoi : c’est ça qui est refoulé.
– Mais le problème, c’est que ça le perturbe quand même, cet impossible à penser. De sorte qu’au deuxième temps, dans l’après-coup, ça fait retour. Car souhaitant parler d’autre chose, d’autre chose que ce qui lui vient à l’esprit, n’est-ce pas, hé bien en parlant d’où ils viennent et d’où ils vont, nos deux bons amis - à savoir de Raguse, en Dalmatie, à une station d’Herzégovine... Hé bien la conversation tombe sur l’Italie. C’est chouette l’Italie ! (Vous savez, ce genre de conversation : il fait beau ! à part ça ?, etc.)... Et ce qui lui vient, c’est que : à propos... À Orvieto, il y a les fameuses fresques-là, vous savez les fresques peintes par...
– Et voilà, le trou ! Le trou parce que Freud, il est toujours dans la conversation précédente - sa propre conversation - il est toujours aux prises avec l’impossible -, il a la tête ailleurs comme on dit. Et il ne retrouve pas le nom du peintre, alors qu’il ne connaît que lui ! Il ne connaît que lui, parce qu’il y était allé avec son frère, à Orvieto, dans les mois qui suivirent la mort de son père...
Ça, ça évoque des questions un peu difficiles à traiter comme ça dans le train, surtout en présence d’un avocat, n’est-ce pas ?
– À n’en pas douter, c’est un faux trou. Alors, il n’est pas totalement stupide Freud. En 1898, il trouve la formule : ce qui vient à la place, et même surtout le plus stupide de ce qui vient à la place (parce que dans ce qui vient à la place, il y a des choses dont on peut dire que ce n’est pas si stupide que ça, comme Boticelli, c’est quand même un peintre)... Le plus stupide de ce qui vient à la place, à savoir Boltraffio, c’est ça la formule qui représente la jouissance pour une autre formule : Traffoï. Voilà ce qu’il nous dit en 1898.
C’est bien un faux trou, cette formule ! Seulement, en 1901, il sait que c’est un faux trou, une dent creuse si vous voulez. Mais il en fait quelque chose, il crée de l’offre avec sa propre demande.
Car c’est déjà une interprétation, et c’est déjà trop - trop pour le paranoïaque. Parce qu’à y regarder de plus près, ce que découvre Freud, c’est que la conversation de remplacement, le discours courant, n’est là que pour refouler. La parole refoule. La parole, d’abord, est là pour refouler. C’est cela qu’il découvre et qui le laisse baba. C’est-à-dire qu’il en perd ses mots.
« Le langage trouve dans son infléchissement, vers la copule, la preuve qu’il est une voie de détour, tout à fait vessie [refoulement], c’est-à-dire obscur, et obscur n’est là que métaphore, parce que si nous avions un bout de Réel, nous saurions que la lumière n’est pas plus obscure que les ténèbres, et inversement [Ça, ça doit vous rappeler l’article du Monde].
La métaphore copule n’est pas une preuve en soi. C’est la façon qu’a l’Inconscient de procéder. Il ne donna que des traces et des traces, non seulement qui s’effacent toutes seules, mais que tout usage de discours tend à effacer, le discours analytique comme les autres. [...] [Dans ce tournage en rond] il n’y a de progrès que marqué de la mort.
Ce que Freud souligne de cette mort, si je puis m’exprimer ainsi - la Triebe -, d’en faire un Trieb ; ce qu’on a traduit en français par, je ne sais pas pourquoi, la pulsion, la pulsion de mort, on n’a pas trouvé une meílleure traduction, alors qu’il y avait le mot dérive, la pulsion de mort, c’est le Réel en tant qu’il ne peut être pensé que comme impossible, c’est-à-dire que chaque fois qu’il montre le bout de son nez, il est impensable. Aborder à cet Impossible ne saurait constituer un espoir, puisque cet impensable, c’est la mort, dont c’est le fondement de Réel qu’elle ne puisse être pensée ».
Alors la Parole refoule, comme la Lumière, puisque à lire Saint Jean, la Lumière est équivalente à la Parole. Alors c’est pour cela qu’un Freud qui continue, qui ne veut rien en savoir, qui continue sa conversation, qui continue sa dia-Trieb... C’est là qu’il rencontre le court-circuit : il est produit par le faux trou. Le trou de l’oubli du nom propre.
Bien sûr, Freud, c’est un nom qu’il « oubli », qui ne vient pas. Ça ne vient pas parce que c’est le signifiant que la parole est avant tout là pour refouler. Et ça, c’est intolérable. C’est intolérable, parce qu’on aimerait bien tout de même, parler pour quelque chose, comme le souligne Wittgenstein. Wittgenstein le psychotique pourrait-on dire. Le psychotique, il est baigné dans le flux, dans l’eau d’un même fleuve (nœud de trèfle) : il est traumatisé par le fait d’avoir entraperçu que la parole n’est là que pour refouler. Et ça, il n’arrive pas à s’y faire. Il n’arrive pas à le refouler. D’où la position du psychotique sur le borroméen, au conjoint, à la jonction du symbolique et du réel. Il est traumatisé par ce qu’il a ou n’a pas découvert, disons par ce qui le laisse en suspend, c’est-à-dire que comme nous le disait Guy Massat la dernière fois, qu’il n’est « pas né, pas formé, pas créé ». Il ne veut pas admettre qu’il n’est personne. Il ne veut pas admettre sa trouvaille.
C’est cela même, ces fameuses phrases interrompues par les voix, et qu’il devrait compléter. Ça pose d’abord la question de la parole : mais à quoi ça sert ? C’est là les hallucinations verbales, les voix : qu’est-ce qu’elle disent les voix, sinon, n’entends-tu pas que la parole n’est là pour refouler. Tu te fais entuber par la parole, lui disent les voix !
La forclusion du Nom-du-Père, c’est que la voix de la mère, on n’y croit pas, on ne croit pas qu’elle serve à autre chose que refouler. Elle ne dit pas autre chose que dors mon enfant... Dors mon Bébé... « Dors mon vieux Boby ! », comme dans la chanson de Pierre Mac Orlan, « La fille de Londres » :
Un rat est venu dans ma chambre
Il a rongé la souricière
Il a arrêté la pendule
Et renversé le pot à bière
Je l’ai pris entre mes bras blancs
Il était chaud comme un enfant
Je l’ai bercé bien tendrement
Et je lui chantait doucement
Dors mon rat, mon flic, dors mon vieux boby
Ne siffle pas sur les quais endormis
Quand je tiendrai la main de mon chéri
Traduction borroméenne
– Une parole (rat-râ-soleil-lumière-parole) est venue pour refouler (dans ma chambre)
– Elle a rongé mon inconscient-borroméen (Sous-RIS-SIR)
– Elle a arrêté la pendule (elle a arrêté le Temps)
– Et renversé le pot à bière (elle a renversé la Mort)
– Je l’ai pris dans la copule de l’imaginaire (bras) et du symbolique (blanc du sein)
– Elle m’a confronté à mon enfant phallique (l’enfant qui brûle : père, ne vois-tu pas... ?)
– Je l’ai refoulé par une autre parole (bercer)
– Et j’ai entendu des voix (chanter)
– Dors ma parole (rat), mon surmoi (flic), mon bébé (boby) (dors mon enfant phallique)
– Ne fais pas de bruit (sifflement) laisse-moi m’endormir
– Quand je suis sur mon symptôme, ma copule du symbolique (tenir) et de l’imaginaire (main)
Dans la stupeur hallucinatoire, Schreber est stupéfait... Stupéfait par le bruit, le bruit que fait la parole quand elle refoule : le bruit du rat ! C’est ça qui le traumatise. Le bruit, c’est son seul ancrage dans le réel qu’est le refoulement du sexuel par la parole. C’est ça qui laisse Freud baba. C’est cet impossible à penser, que la parole ne fait que refouler. Ce qui le renvoie à la mort, à Orvieto, à Sig-(is)mund Freud (à la mise entre parenthèse d’une syllabe, d’une syllabe de son prénom) : Signorelli. Nous sommes déjà morts, parce que nous parlons. Voilà ce qui vient se refouler dans cet oubli de nom. Voilà ce qui est inacceptable dans une conversation en train, où l’on veut briller avec l’avocat, l’avocat dont le métier, n’est-ce pas, est de nous défendre, de nous défendre du jugement dernier.
Tout ce que je dis, ça ne veut rien dire, se dit Freud, et pour se le rappeler, l’inconscient lui rappelle, se rappelle à son bon souvenir, et lui fait une croix, un nœud à son mouchoir, il lui fait une entaille, un trou : et ce trou c’est l’oubli de Signorelli.
Voilà, je voulais terminé là-dessus, sur « La fille de Londres », parce que c’est comme ça que ça a commencé pour Schreber : il n’est plus jamais arrivé à s’endormir, à partir du jour où - un soir d’octobre 1894 - : un rat et venu dans sa chambre !