Quiconque a pu avoir l’occasion d’observer le développement mental de l’enfant - soit directement, soit indirectement par l’entremise de parents, et pour peu que son regard ait été quelque peu aiguisé par la psychologie -, peut aisément confirmer les remarques du Dr. Beaurain [1] sur les manières par lesquelles l’enfant arrive à la formation de ses premières notions générales. Il ne fait aucun doute que l’enfant (comme l’inconscient) identifie deux choses différentes sur la base de la plus faible similitude, et à partir de là, leurs attribue un même nom et déplace librement ses affects de l’une à l’autre chose avec une facilité déconcertante. Un tel nom devient par conséquent le représentant extrêmement condensé [2] d’un grand nombre de choses qui, bien que fondamentalement différentes (excepté cette similitude particulière) n’en sont pas moins identifiées entre elles. Ce n’est qu’ensuite et lorsque se prononce la reconnaissance de la réalité (l’intelligence), que l’enfant apprend à distinguer comme différentes ces choses qu’il considérait jusqu’alors comme semblables, et à dissoudre ainsi progressivement en ses éléments de tels produits de condensation. Bon nombre d’entre-nous ont déjà saisi et décrit correctement ce processus ; à ce sujet, les communications de Silberer et de Beaurain ont apporté d’autres confirmations, tout en approfondissant les détails de ce processus de développement mental.
Les deux auteurs voient dans l’insuffisance infantile de la capacité de distinction la condition principale de la réalisation phylo- et ontogénétiques des stades préliminaires des processus cognitifs [3].
La seule objection que je voudrais ici élever va à l’encontre de la dénomination de « Symbole » appliquée à tous ces stades préliminaires de la connaissance ; car à aller dans ce sens, les allégories, les métaphores, les paraboles, les emblèmes, et plus généralement toute représentation indirecte, quelque soit son type, pourrait en quelque sorte venir se ranger sous une telle définition somme toute diffuse du terme de symbole, mais ne s’en distinguerait pas moins du symbole au sens psychanalytique du terme.
Ne sont en effet symboles dans le sens psychanalytique du terme, que les choses (représentations) dont l’élément affectif est sur-investi et présente ainsi une logique inexplicable et non fondé pour le conscient, et dont il échoit par conséquent à l’analyse de constater à quelles autres choses (représentations) elle vient s’identifier dans l’inconscient auquel cet élément affectif appartient réellement.
Toute équivalence ne constitue donc pas pour autant un symbole, mais seulement celles pour lesquelles un membre de l’équation est refoulé dans l’inconscient [4]. Les travaux de Rank et de Sachs se rangent également sous la même conception de la notion de symbole [5] : « Nous entendons par symbole », disent ces auteurs, « un type particulier de représentation indirecte, qui se distingue par une certaine comparaison intime, telle la métaphore, l’allégorie, ou d’autres formes de représentation allusive du matériel de pensée (à la manière d’un rébus) », « une expression apparemment claire qui s’adjoint à quelque chose de dissimuler. »
D’une manière générale, il serait donc plus prudent de ne pas présupposer une équivalence entre les conditions d’émergence du symbole et celles des formations comparatives, et de rechercher les conditions de production spécifiques de ces dernières.
Bien qu’il soit indéniable que l’insuffisance intellectuelle est une condition nécessaire à la formation des symboles, celle-ci n’est pas suffisante, puisque l’expérience analytique prouve que la véritable nature et donc condition principale de la formation des symboles vrais, n’est pas tant intellectuelle qu’affective. Je souhaiterais illustrer cela par quelques exemples particuliers que j’ai déjà évoqué ailleurs, et qui se rattachent tous à la symbolique sexuelle.
Tant que l’urgence de la vie ne les force pas à l’adaptation et donc à prendre en compte la réalité, les enfants ne s’inquiètent à l’origine que de la satisfaction de leurs pulsions, c’est-à-dire que leurs intérêts se portent sur les parties de leurs corps autour desquelles cette satisfaction a lieu, sur les objets appropriés susceptibles de la provoquer, et sur les actes qui provoquent en effet cette satisfaction. Ce qui l’intéresse tout particulièrement, ce sont les parties du corps tout à fait excitables sexuellement (zones érogènes), comme par exemple la bouche, l’anus et l’organe génital.
« Rien d’étonnant à ce qu’il ne prêtent attention et ne retiennent des choses et processus du monde extérieur encore si éloignés d’eux, que celles qui leur rappelle déjà leurs expériences les plus chères, et sur la base même de cette similitude » [6].
Il en va ainsi de la « sexualisation du monde » [7]. À ce stade, les petits garçons désignent tous les objets longs ou anguleux par la manière puérile avec laquelle ils ont pris l’habitude de nommer leur organe génital, dans chaque trou ils voient volontiers un anus, dans chaque liquide de l’urine et dans chaque matière molle de la matière fécale. Par exemple, lorsque pour la première fois on a montré le cours du Danube à un petit garçon d’environ un an et demi, il s’est écrié : « C’est comme beaucoup de salive ! » Un garçon de deux ans appelait tout ce qui pouvait être ouvert, une porte, et entre autres les jambes de ses parents, puisqu’il pouvait également les ouvrir et les fermer (abduction, adduction). Une équivalence semblable s’effectue également entre les organes du corps : sont ainsi équivalents le pénis et la dent, ou l’anus et la bouche ; l’enfant peut également trouver un équivalent au niveau supérieur du corps pour chaque partie affectivement importante de la moitié inférieure du corps (et tout particulièrement la tête et le visage).
Cette équivalence n’est toutefois pas encore un symbole. Car ce n’est qu’à partir du moment où, suite à l’éducation culturelle, un membre de l’équation (le plus important) est refoulé, que l’autre membre de l’équation (le moins important), gagne en affectif et devient ainsi un symbole du refoulé. À l’origine, le pénis et l’arbre, ou le pénis et le clocher sont consciemment assimilés ; mais c’est seulement avec le refoulement de l’intérêt pour le pénis, que celui pour l’arbre ou pour le clocher s’accroît d’une manière inexplicable et apparemment non fondée ; ils sont devenus des symbole du pénis.
C’est ainsi que les yeux sont également devenus des symboles des organes génitaux, avec lesquels ils ont déjà une fois été identifiés sur la base d’une similitude extérieure ; d’une manière générale, c’est donc ainsi que se réalise effectivement et symboliquement un surinvestissement général de la moitié supérieure du corps, après que l’intérêt pour les parties inférieures ait été refoulé, et c’est ainsi que se constituent, sur un mode ontogénétique, tous les symboles génitaux que l’on rencontre dans les rêves (cravate, serpent, extraction dentaire, boîte, escalier, etc.). Cela ne m’étonnerait pas non plus, si dans la rêverie du petit garçon que j’ai mentionnée plus haut, la porte nous revienne justement comme symbole du giron parental et que dans la rêverie de l’autre, le cours du Danube se présente comme le symbole des liquides organiques.
Avec ces exemples, je souhaitais faire remarquer l’importance prépondérante des moments affectifs pour la réalisation des véritables symboles. Ceux-ci doivent être principalement pris en considération, afin de clairement les différencier d’autres produits psychiques qui relèvent également de la condensation (métaphores, comparaisons, etc.). La seule prise en considération de conditions uniquement formelles et rationnelles lors de l’explication de processus psychiques peut facilement nous induire en erreur.
Autrefois, par exemple, on était plutot enclin à penser, que l’on confondait les choses, parce qu’elles étaient semblables ; aujourd’hui, nous savons que si l’on confond une chose avec une autre, c’est parce que certains motifs profonds existent et la similitude ne crée que l’occasion à ces motifs de se manifester. Aussi doit-on dire que sans la prise en considération des motifs sous-jacents à la formation des comparaisons, l’insuffisance perceptive seule n’explique pas la formation des symboles.