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Séminaire « RSI »

La corde du borroméen... C’est l’écriture de l’inconscient

Résumé de la quatrième séance

Date de mise en ligne : samedi 7 février 2004

Auteur : Guy MASSAT

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Tenez bien la corde du borroméen parce que c’est l’écriture de l’inconscient !

C’est quoi « symptôme » ?

Lacan nous disait la dernière fois, dans la leçon II, que la trilogie freudienne Symptôme, Inhibition, Angoisse [1], correspondait à celle de Réel, Imaginaire et Symbolique (p. 19). Pour saisir les différents sens d’un concept, par exemple celui de symptôme, le borroméen est utile puisque, comme on l’a vu, chacun peut l’utiliser, pour ainsi dire, à sa manière. On peut par exemple dire qu’il figure, le corps, l’esprit et l’inconscient, ou tout autre idée, notion ou pensée, qu’on pourra ainsi diviser en trois pour mieux en saisir les nuances. Après quoi, on saura bien mieux, je vous l’assure, s’en servir comme topologie spécifique de l’inconscient.

Donc, concernant le concept de symptôme nous pouvons distinguer par le borroméen, les symptômes physiques, ceux du corps que nous référerons à l’Imaginaire ; les symptômes de l’esprit (par exemple les idéologies totalitaires) que nous référerons au Symbolique (le Big-Brother) ; et le symptôme de l’inconscient qui est retour du refoulé (l’incontrôlable inattendu).

L’inconscient est un temps extérieur à celui de la conscience, et l’espace n’est jamais que l’ombre du temps. Cela relève du sentir, ça doit être senti comme une odeur, une émanation volatile pour ainsi dire. Le temps réel est impossible à dire, puisqu’il ne se manifeste que comme ce qui nous échappe. Il ne parle pas au sens où il serait une voix qui nous interpellerait : le phonème, le signifiant, n’est pas son unité fonctionnelle. Il n’y a pas, on n’entend pas de voix dans l’inconscient, la voix y est un objet perdue. La voix, c’est dans le corps et dans l’esprit qu’elle se trouve. Dans l’inconscient, il n’y a que des lettres. La lettre, c’est étymologiquement ce qui est envoyé, envoyé de l’autre côté, laissé aller de l’autre côté.

S’il n’y a que des lettres dans l’inconscient c’est dire, en quelque sorte, qu’il n’y a que des cordes, les cordes du temps avec ses chaînes et ses nœuds, ses drisses et ses écoutes, pour employer des termes maritimes qui désignent ce qui sert à manœuvrer la voile.

Nous pouvons aussi imaginer le borroméen comme constitué de trois fleuves impassibles qui ne se perdent jamais les uns dans les autres, comme savait le faire le fleuve Alphée dans la mythologie et dont Roger Caillois nous raconte qu’il tenait ce prodige de la force de son amour pour une source qu’il alla rejoindre en traversant les mers sans jamais s’y mélanger, pour finalement ne mêler ses eaux qu’à elle, la source de son amour, Aréthuse ; de la même manière que les nœuds ne se raboutent et ne se fondent qu’à eux-mêmes.

Les océans dans les conceptions helléniques primitives entouraient le monde tel un vaste fleuve qui se rejoignait lui-même. C’est que le temps refoule le temps, il se refoule lui-même comme pour mieux se rabouter à lui-même dans le retour de son refoulé. Le symptôme est donc un nœud-langage de l’inconscient, parole si l’on veut mais parole au sens de pas, mouvement, et de role, roue.

Rappelons que sumptoma signifie coïncidence. Le mot dérive du verbe grec sumpiptein "tomber ensemble", "survenir en même temps", "se rencontrer", se croiser comme se croisent le refoulé et son retour, comme les dessus-dessous dans les nœuds. Le mot symptôme est composé de sun "ensemble" et piptein "survenir" qui se rattache à une racine indo-européenne "pet", "tomber", comme un pet tombe de l’anneau de l’anus. Tomber en symptômes, c’était autrefois "être stupéfait". On ne peut penser, on ne peut analyser, si on n’est pas "stupéfait", stupéfait par quoi ? par l’ek-sistence comme l’écrit Lacan à la suite d’Heidegger, pour désigner ce qui se tient toujours hors de ce qui est, ou plus rigoureusement de ce qui passe hors de ce qui se passe. C’est donc ce qui à la fois provoque et participe d’une intense émotion. Il signifie "révélateur". D’où les formules lacaniennes : "le symptôme est la vérité" (Écrits, p. 235) ou "le symptôme est le langage dont la parole doit être délivrée" (Écrits, p. 269), ou encore "le langage du symptôme a le caractère universel d’une langue qui serait entendue dans toutes les autres langues" (Écrits, p. 293). Le langage n’étant pas la langue.

Enfin pour référer le sens de symptôme à l’inconscient il y a le séminaire "Le sinthome" (75-76) qui succède justement à ce séminaire RSI. Il commence ainsi :

« J’ai annoncé sur l’affiche “Le Sinthome”. C’est une façon ancienne d’écrire ce qui a été ultérieurement écrit symptôme. Si je me suis permis cette modification d’orthographe qui marque évidemment une date, une date qui se trouve être l’injection dans le français, ce que j’appelle lalangue (ici l’article défini est lié au substantif langue)... du grec, de cette langue dont Joyce... dans Ulysse dit qu’il s’agit d’hellenize", c’est-à-dire "d’injecter la langue hellène, on ne sait pas à quoi », comme si l’inconscient s’écrivait en grec, mais en grec mythologique.

Hellenize ça sonne comme Erlebnis, l’expérience vécue. "Référez-vous, poursuit Lacan, au Bloch et Wartburg, dictionnaire étymologique qui est d’une assiette solide, vous y lisez que le symptôme s’est d’abord écrit sinthome. Le sinthome fait homophonie avec sainteté", dit-il. En conclusion qu’est-ce que le symptôme dans le Réel sinon la créativité même de l’inconscient. Saint, sein (objet a) tome (coupé), c’est notre caractère, notre lettre plutôt que notre être, notre a petit, notre appétit, notre petit a, à comprendre comme notre lettre venant de l’inconscient, cette "lettre détournée", cette lettre qui fait des détours. "La lettre détournée" étant le titre exact du conte d’Edgar Poe que Baudelaire a traduit par "La lettre volée" (Écrits, p. 29), ce qui n’en est pas moins génial si l’on entend le double sens de voler, soit, dérober et se déplacer dans l’air.

Il y a donc le sens de symptôme comme pathologie avec le quatrième rond, comme nous l’avons vu et le reverrons, et le sens de symptôme dans le borroméen qui est créativité.

Qu’est-ce que le Réel ?

En poursuivant, on trouve avec le borroméen trois sens du réel. Le réel comme imaginaire, le monde que nous percevons, le réel selon la science, le Symbolique, et le Réel comme inconscient.

"D’ou vient le feu", poursuit Lacan dans "Le sinthome", (p. 137). Il dit : "Le feu, c’est le Réel. Ça met le feu à tout, le Réel. Mais c’est un feu froid. Le feu qui brûle est un masque, si je puis dire, du Réel (le feu qui brûle c’est dans l’Imaginaire, c’est-à-dire le masque au-dessus du Réel). Le Réel est à chercher de l’autre côté, du côté du zéro absolu". C’est quoi ? C’est le vide parfait qui, d’une certaine manière, ne cessant de brûler éteint et fait apparaître toutes choses.

Le vide, l’inconscient, est un feu froid. Alors sans doute comprenons nous mieux Héraclite lorsqu’il dit dans son fragment 66 : "Le feu survenant jugera et se saisira de tout". Ce qui est une autre manière de dire que l’inconscient ne laisse aucune action physique ou mentale hors de son champ.

Le feu est représenté par un triangle dans toutes les traditions venant de l’épaisseur des âges. Un triangle c’est le graphe du nœud premier, le trèfle.

Le graphe désigne l’espace, il joint une zone à une autre, tandis que le nœud, les croisements, la ligne des croisements, désigne le temps.

Le sacrum est un os triangulaire. On l’appelle sacrum, sacré, parce que, dit-on, on l’offrait aux dieux dans les cérémonies antiques. Quand Agamemnon sacrifia sa fille Iphigénie, c’est son sacrum qu’exigea Artémis. Le sacrum d’Iphigénie, une fois offert, les vents se levèrent et la flotte grecque s’élança vers Troie. Homère de nous donne pas de détails sur le sacrifice même sans doute parce à l’époque il était banal d’offrir le sacrum dans toutes les cérémonies importantes. Selon le Tantrisme - la mésologie, selon Lacan, "il s’agit, dit-il p. 49 de cette leçon, de définir qu’est-ce que c’est “entre”. Ouais ! Je t’entre, c’est mon tentrisme à moi" -, c’est dans le sacrum que se tient la Kundalini, le feu de la puissance sexuelle, nous rapporte le Tantra. Ainsi, "les motifs de l’inconscient se limitent au désir sexuel", dit Lacan. La Kundalini, selon le Tantrisme, doit être éveillée pour monter le long de la colonne vertébrale jusqu’au sommet du crâne d’où elle sort sublimée, comme une fontaine. Si on interprète le sacrum en termes freudiens nous voyons que le triangle libidinal est métaphoriquement parental : mère, père, enfant. C’est de ce nœud que s’éveille et prend racine la libido.

Qu’est-ce qu’un nœud ?

Il y a trois sortes de nœuds, I, S, R. selon l’Aufklärung borroméen, la lumière, ou la clairvoyance si l’on écrit RSI en dévanagri, comme on l’a vu la dernière fois.

Le mot nœud vient de la racine negh qui signifie lier. Lier, relier, lire c’est ce qui fait consistance. Éros, pour les anciens, était la force qui reliait tous les êtres. La force qui pousse les quatre éléments les uns vers les autres pour toujours créer des êtres nouveaux. Nous ne sommes liés que par l’amour. Il n’y a que l’amour qui fait consistance.

Pausanias, le géographe grec du IIème s., rapporte ce qu’il vit à Thespies, sanctuaire des Muses, à savoir une "pierre brute" adorée sous le nom d’Éros. La consistance d’Éros peut être représentée par une pierre qui exprime la solidité, le fondement, la puissance. Il est probable que les pierres dressées préhistoriques avaient le même sens. Et sous la main de l’homme, on sait que le feu est sorti des pierres, ou encore en faisant tourner un bâton de bois dur dans un trou pratiqué dans un morceau de bois tendre, ce qui n’est pas sans évoquer l’acte d’amour. Le bois tendre était le plus souvent du figuier, ficus, et la fica représentait dans le langage populaire le sexe féminin (Le Robert littéraire).

Ficus, le figuier et focus, le feu, ne sont pas sans posséder toutes sortes de liaisons énigmatiques. On sait depuis Aristote que toute singularité est infinie et qu’il n’y a pas de règle de l’infini où comme dit Lacan : "Ce qui fut, répété, diffère", voilà un des bons outils de la psychanalyse. Ce qui fut, dans le passé, répété par l’interprétation analytique, diffère dans l’avenir. C’est ainsi que flambent et se précipitent les mutations du sujet de l’inconscient.

Nous pouvons maintenant aborder la leçon trois (14 janvier 1975). Elle aussi commence par "Voilà !". Voile a, Vois l’a... Ça fait trois fois "a" pour la leçon trois.

"Vous venez me voir, commence Lacan, opérer au tableau", (c’est-à-dire vous venez me voir faire des dessins de nœuds). Ça n’a certes pas été, comme vous avez pu le voir, une petite affaire... Je m’y suis repris trente-six fois, encore que j’avais un petit papier pour me guider, sans ça je me serais encore foutu dedans, j’aurais encore plus cafouillé que je n’ai fait !" (p. 41). Puis, page 49, il souligne encore la difficulté qu’il a avec les dessins de nœuds : "Vous voyez, je fais des progrès, je suis presque arrivé à dessiner un nœud borroméen, sans être forcé de faire des petits effaçages". Ceci pour souligner que cette difficulté à faire des nœuds ne relève pas de notre talent de dessinateur mais bien des résistances de l’inconscient en tant qu’écriture du feu. Si vous vous entraînez, vous ne serez pas sans remarquer que vous ne faites jamais le même nœud, ça dépend de votre humeur et des circonstances. Dans certaines circonstances vous n’y arriverez plus. Vous serez complètement bloqués. Avec le borroméen, on voit qu’il y a trois sortes d’écritures : celle des pictogrammes (Imaginaire), celle alphabétique, abstraite (Symbolique) et celle de l’inconscient (Réel), les nœuds.

Puis Lacan présente deux sortes de nœud que nous allons examiner.

Le premier (crossing over) nous l’avons déjà vu, c’est le nœud à quatre ronds dont chacun peut permuter. [2].

Le second nœud (Under crossing) est aussi à quatre ronds, mais aucun rond ne peut permuter. Si l’on défait le quatrième rond, les trois autres restent noués. Il n’est pas complètement borroméen.

L’essence du nombre

Dans les "Éléments d’Euclide", chapitre des "définitions" un, nous pouvons lire ceci dont Lacan fait référence dans "l’Identification" :

"L’unité est, ce selon quoi chacune des choses existantes est dite une". Si l’un n’est que ce qui est dit un, il peut donc être aussi dit "non un" ou "pas un" ou "plus un", en prenant l’adverbe "plus" aussi bien dans son sens négatif (minus) que dans son sens superlatif (poly) ; voir l’article de Freud les sens opposés dans les mots primitifs [3].

L’essence du nombre, selon Peano, logicien et mathématicien italien du début du siècle dernier, consiste à n’être le successeur de personne, "ce qui imite fort bien ce rond de ficelle", souligne Lacan, "ce qu’il désigne par zéro", dit-il. "Mais qu’est-ce que je vous montre là ? Quelque chose d’autre, puisque là se spécifie la fonction de ce "plus un" comme tel. En supprimant celui-ci, par exemple, il n’y a plus de chaîne, il n’y a plus de série, puisque du seul fait de la section de ce un-entre-autres, tous les autres, disons, se libèrent comme uns. C’est une façon, dirais-je matérielle ? de faire sentir que 1 n’est pas un nombre, quoique cette suite de nombres soit faite d’une suite de uns" (p.43). Comme dit Héraclite (frag. 32) : "L’un le seul sage, ne veut pas et veut être appelé du nom de Zeus (la vie)".

Le un donc n’est donc pas un nombre. Les Grecs faisaient partir les nombres à deux. Le un c’est la bifurcation des sens opposés du vide. "La consistance du nombre n’est donc pas naturelle du tout" constate Lacan. Il n’y a de consistance que du nouage du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. "On n’a jamais fait ça, jamais fait ça qui consiste en quoi ? Faire abstraction de la consistance comme telle" (p.43).

Ainsi "le borroméen consiste à faire abstraction de la consistance comme telle". C’est-à-dire à se libérer de la masse compacte, autrement dit, de la matière et de l’espace. Avec le borroméen, il n’y a même plus de poussière. Le soleil, grand comme un pied d’homme, selon Héraclite n’est même plus un défaut dans la perfection du non-être comme le voulait Valéry.

Nous entrons dans la dimension du temps pur. La consistance du nœud illustre donc une autre consistance que celle des choses. En fait, il n’y a de consistant que le temps. C’est la consistance réelle ; même si "c’est par la voie d’une intuition imaginaire que je vous la communique", dit Lacan (p. 44). Tout est inconsistant. On ne voit jamais, si l’on regarde bien, que l’inconsistance des choses, des êtres et des idées. Ce qu’il y a finalement de consistant ce n’est que l’inconsistance par laquelle consistent les nœuds. "Quelle différence y a-t-il entre le nœud crossing over et le nœud under crossing ? Je ne vous le dis pas pour vous en laisser à vous-mêmes, le régal", dit Lacan. Car il y a, vous le constaterez par la pratique, une jouissance à manipuler les nouages avec des cordes et des dessins. Pourtant nous allons montrer cette différence.

La jouissance relève du nombre d’or, ou de la section d’or produite par l’instant "a". C’est l’or du temps. L’instant a est plus rapide que les uns qu’il produit. "Il faut, disait Picasso, être plus rapide que la beauté". L’objet a, le plus de jouir, on peut parfois, grâce au hasard, grâce à la chance, grâce à la tuché, le rencontrer. Charles Melman rapporte à ce propos un exemple donné par d’Aristote : "La tuché, c’est le propriétaire qui a perdu son cheval, le cheval s’est échappé, et puis un jour il se balade et que voit-il ? son cheval qui était perdu !, c’est-à-dire ce qui aurait dû être perdu pour de bon, paf ! il arrive que vous le retrouviez".

"J’ai donné, poursuit Lacan, pour support à ce petit a le nombre irrationnel qu’est le nombre dit d’or. C’est en tant que, du petit a, les deux autres sont pris comme Un plus a (plus : minus et poly) que fonctionne ce qui peut aboutir à une sortie dans la hâte" (Encore, p.47). Nous retrouvons là l’éternelle vitesse omniprésente.

Qu’est-ce qu’une ligne ?
 P. 45 : "Il semblait, dit Lacan, qu’on ne pouvait pas construire de ligne qui n’ait quelque part un tangente. Que cette tangente soit droite ou courbe, n’a aucune importance. Une tangente, c’est ce qu’on peut toucher, comme on peut toucher nos ficelles. "C’est de cette idée que la ligne n’était tout de même pas sans épaisseur que se sont produits ces mirages avec lequel les mathématiciens on dû longtemps se battre et que d’ailleurs il a fallu pour qu’ils s’éveillent à ceci qu’on pouvait faire une ligne parfaitement continue et qui n’eut pas de tangente" (p.45), c’est-à-dire une ligne qui ne pouvait être touchée en aucun point, à savoir la ligne du Réel, la ligne du temps, la ligne du phi. "Après tout, poursuit Lacan, c’est pas pour rien qu’on vous dit : Tenez bien la corde". Il s’agit, ne vous y trompez pas, de la corde du temps, de la ficelle du temps. Sentez bien, avec le nez pourrait-on préciser, la corde du temps. Et tenez bien la corde du borroméen parce que c’est l’écriture du Réel.

Lacan d’ailleurs nous rappelle alors la Règle X des « Règles pour la direction de l’esprit » [4] de Descartes dans la quelle le philosophe recommande de ne pas s’occuper toute de suite des choses difficiles et ardues mais qu’il faut approfondir tout d’abord les arts les moins importants comme la dentelle et la tapisserie (rappelons que les tapissiers sont experts, entre autres, en nœuds de capiton). Ceci pour nous encourager à user des nœuds "bêtement" comme il dit, c’est-à-dire avec ficelles et dessins. Il nous faut d’abord, "les trifouiller", selon son expression. On comprendra après. N’attendez pas de comprendre la psychanalyse pour aborder les nœuds. Faites l’inverse et vous approfondirez plus sérieusement votre psychanalyse. C’est que "cette théorie des nœuds, dit Lacan, est dans l’enfance, elle est extrêmement maladroite ; et telle qu’elle est fabriquée, il y a bien des cas où sur le vu de simples figures telles que celles que je viens de faire au tableau, vous ne pouvez d’aucune façon rendre raison de ceci, si oui ou non, l’embrouillis que vous avez tracé est ou n’est pas un nœud, ceci, quelles que soient les conventions (spatiales ou temporelles) que vous vous soyez données par avance pour rendre compte du nœud comme tel" (p. 46).

Se libérer de la surface plane
 P. 46 : Dimension Lacan l’écrit dit-mansion, mansion du dire. Une mansion c’est une demeure, une demeure temporelle. C’est la demeure du dire : la dimension. Le château temporel de la parole. Lacan écrit aussi dit-mention, mention avec un e, c’est l’action de nommer, de citer, de signaler. "La dit mansion, c’est la même chose que mon nœud", soutient Lacan (p. 46). Donc un nœud chez Lacan c’est la demeure temporelle d’un dit.

Nous ne nous déplaçons pas dans l’espace mais dans la parole. "Nous marchons, dit-il p. 46, mais il ne faut pas s’imaginer que, parce que nous marchons, nous faisons quelque chose qui a le moindre rapport avec l’espace à trois dimensions". L’espace n’a trois dimensions que parce que le temps est triple. C’est le passé, le présent et l’avenir, ce nouage inéluctable, d’où s’origine l’espace et la matière avec leurs trois dimensions.

L’inconscient de la matière
 P. 47 : Pour illustrer la dit-mantion, Lacan nous parle de l’inconscient de la matière en se référant à Newton. L’inconscient, c’est toujours ce que l’on refoule, ce que l’homme refoule, ce que l’om, refoule.

"La science, nous dit Lacan, ne s’est peut-être pas encore tout à fait rendue compte que si elle traitait de la matière, c’est comme si elle avait un inconscient, comme si elle savait ce qu’elle faisait. Naturellement, c’est une vérité qui s’est très rapidement éteinte. Il y a eu un petit moment de réveil, au moment de Newton, on lui a dit, mais enfin ! cette histoire, de cette sacrée gravitation que vous racontez comment peut-on se la représenter ? Comment chacune des particules peut-elle savoir à quelle distance elle est de toutes les autres ? C’est-à-dire que ce qu’on évoquait là, c’est l’inconscient de la particule " (p. 47).

Le comptable inconscient

"La science compte, dit Lacan p. 47, elle compte la matière, mais qu’est-ce qu’elle compte dans cette matière ? À savoir, s’il n’y avait pas le langage qui déjà véhicule le nombre, quel sens ça aurait-il de compter ?" Mais quel langage ? Comprenons, s’il n’y avait pas le langage de l’inconscient "qui véhicule le nombre, quel sens ça aurait-il de compter ?" Compter et conter ont la même étymologie, c’est-à-dire dire, exposer un récit. "Chaque inconscient n’est pas du comptable, c’est, un comptable, et un comptable qui sait faire des additions ; naturellement la multiplication, il n’en est pas encore là, bien sûr, c’est même bien ce qui l’embarrasse." Quelle est la différence entre l’addition et la multiplication ? C’est une question qu’il convient de se poser.

“L’addition est de l’ordre de l’imaginaire et la multiplication de l’ordre du symbolique. Mais pour ce qui est de compter les trucs (un truc c’est une métonymie, S-s), de compter les coups, je ne dirai pas qu’il sait y faire, il est extrêmement maladroit, mais il doit compter dans le genre de ces nœuds. C’est de là que procède le fameux sentiment de culpabilité... Le sentiment de culpabilité est quelque chose qui fait les comptes et qui bien entendu ne s’y retrouve jamais. Il se perd dans ses comptes", d’où la mystérieuse dette symbolique.

La nature a horreur du nœud borroméen
 P. 48 : La nature a horreur du nœud borroméen, du nœud d’Odin, comme elle a horreur de la mort, comme elle a horreur du vide, comme elle a horreur de l’extinction. Elle en a horreur c’est-à-dire que ça la fait se redresser, se hérisser. Cela est évident si l’on remarque que l’Imaginaire se place comme un voile au-dessus du Réel. La peur jaillit quand le Réel passe pardessus l’Imaginaire. "La nature a horreur du nœud, dit Lacan, p. 48, tout spécialement du nœud borroméen, et chose étrange, c’est en cela que je vous passe le machin. Le machin (machin, métonymie), ça n’est rien de moins que l’urverdrängt : le refoulé originaire, le refoulé primordial, et c’est bien pour ça que je vous conseille de vous exercer avec mes deux petits machins (les deux nœuds que nous avons vus tout à l’heure. Vous devez vous y exercer par le dessin et les drisses). Cela ne vous donnera rien du refoulé originaire, puisque ce refoulé c’est le trou ". "Jamais vous ne l’aurez". Le trou c’est le tour, le tour qui tourne, le consistant du temps, l’impossible à dire. L’inconscient c’est ce refoulement originaire, sa mise à l’écart par lui-même ; "le fait de le tenir à l’écart du conscient" comme dit Freud, et dont le retour est tout ce qui ne fait qu’apparaître. L’inconscient c’est le vide et le vide est l’origine, l’épanouissement et l’extinction de la conscience.

Il y a donc toujours premièrement du refoulé. Et ce refoulement originaire attire à lui tous les autres, c’est ce que Freud appelle le second temps du refoulement. Donc le refoulé originaire est l’inconscient, le trou, le temps, le vide. Il n’y a rien à voir ou à entendre ou à toucher seulement à sentir avec le nez et la langue, en quelque sorte, ce caractère volatile et impermanent des choses comme on sentirait quelque odeur ou parfum d’une fleur qui ne fait que passer. "Jamais, affirme Lacan, vous ne l’aurez. Mais, en route, à manipuler ce petit nœud, vous vous familiariserez, au moins avec vos mains, avec ce quelque chose auquel de toute façon vous ne pourrez rien comprendre, puisqu’il est tout à fait exclu que ce nœud vous le sachiez", que vous le saisissiez consciemment, c’est-à-dire de manière réfléchie puisqu’il échappe par nature à toute réflexion.

Tantrisme = tentrisme
 P. 49 : Le mot Tantra est un mot sanscrit qui signifie "chaîne". Ça devrait parler aux topologues et aux psychanalystes. Cette doctrine très ancienne soutient l’importance de la çakti (l’énergie sexuelle, la libido).

Dans l’iconographie tantrique, la çakti est personnifiée par les épouses de Siva, Kali, Durga et leurs multiples transformations. Elles sont figurées seules et munies d’armes de mort ou bien tenant étroitement embrassée leur amant. Le Tantrisme, revisité par Lacan devient le Tentrisme. Les concepts de libido et de phallus (ce qui est entre) relient le tantrisme et la psychanalyse avec le tentrisme de Lacan par d’étonnantes cordes. "Jamais à ces cordes, dit Lacan, personne ne semble avoir réservé, avant une époque très moderne, la moindre attention. En un certain sens, je dirai qu’il y a quelque chose de nouveau, à ce qu’on s’intéresse à des mots, à des termes comme celui par exemple de la mésologie ; qu’est-ce qu’il y a entre, entre quoi et quoi ? ". La mésologie est la science qui étudie les réactions réciproques avec le milieu. "Il s’agit, poursuit Lacan, de définir qu’est-ce que c’est entre, Ouais ! Je t’entre, c’est mon tentrisme à moi. Entre, c’est une catégorie qui a fait son apparition, enfin tout à fait récemment dans la mathématique et, c’est bien en cela que de temps en temps, je vais consulter un mathématicien pour qu’il me dise où ils en sont à cet égard" (p. 49) ; à cet égard de quoi ? de la jouissance phallique.

La jouissance phallique
 P. 49 : "Vous voyez, je fais des progrès, je suis presque arrivé à dessiner un nœud borroméen, sans être forcé de faire des petits effaçages...". On ne sait pas comment Lacan dessinait le borroméen car il y a plusieurs façon de le faire, nous les verrons et nous choisirons ce qui semblera les plus élégantes. Dans le coincement entre le Symbolique et l’Imaginaire, nous dit-il, il y a le sens.

"Quand de l’Imaginaire et du Symbolique le coincement se produit, il y a le sens". Nous pouvons nommer ce que nous voyons. Ce que nous voyons se nomme. C’est la dit-mension d’un nœud.

"Là, nous avons quelque chose qui s’appelle la jouissance phallique (entre le Réel et le symbolique). Voilà ! Pourquoi est-ce que nous l’appelons la jouissance phallique ? Parce qu’il y a quelque chose qui s’appelle l’existence.... Qu’est-ce que l’existence, et où pouvons-nous la situer ?... Le nœud borroméen montre que l’existence, c’est de sa nature, ce qui est ek." (p. 50).

Ek, en grec signifie, hors, dehors, sortir de, il marque la séparation. L’inconscient est tellement ek que Lacan nous dit dans ses Ecrits (p. 838) qu’une fois fermé, il n’a pas de dedans : "On s’aperçoit que c’est la fermeture de l’inconscient qui donne la clef de son espace, et nommément de l’impropriété qu’y a à en faire un dedans ? et elle démontre le noyau, (c’est-à-dire le nœud) d’un temps réversif", c’est-à-dire qui fait retour d’où il vient. C’est, "ce qui tourne autour du consistant mais ce qui fait intervalle, et qui, dans cet intervalle a trente-six façons de se nouer, justement dans la mesure où nous n’avons pas avec les nœuds, la moindre familiarité ni manuelle ni mentale" (p. 51).

La lettre, en l’occurrence phi, le phallus, n’appartient à aucun sexe, c’est juste ce qui circule entre, ce qui fait coupure. On ne peut pas saisir ce qui fait rapport, il n’y a donc pas de rapport, d’où l’énigmatique formule :"Il n’y a pas de rapport sexuel". La fonction phallique, la fonction phi, c’est l’entre, le vide qui fait distinguer les choses.

Penser avec ses pieds

"Beaucoup de gens ont soupçonné que l’homme n’est qu’une main", dit Lacan (p. 51). C’est que la main a précédé le pied et le cerveau. Les poissons se servent de leur gueule comme d’une main et au cours du temps la main n’a fait qu’évoluer et changer de forme comme pour avoir toujours mieux de prise. Volonté de puissance."L’esprit,disaitNietzsche n’est qu’une main dont se sert le corps pour plus de puissance". L’esprit et le corps ne sont que des mains dont se sert l’inconscient pour aller toujours par-delà. Mais l’homme n’est pas toujours une main. "S’il était encore une main ! s’exclame Lacan, il y a tout son corps, il pense aussi avec ses pieds, je vous ai même conseillé de le faire, parce que c’est après tout ce qu’on peut vous souhaiter de mieux" Pourquoi ? parce que justement les pieds c’est ce qui permet de marcher. La théorie se fait en marchant, comme la philosophie, c’est-à-dire avec les pieds, ce n’est pas la dialectique matérialiste, c’est la dialectique pédestre ou la dialectique péripathétique d’Aristote qui enseignait la philosophie en marchant. La marche, au propre où au figuré, produit la suprême sagesse laquelle consiste à aller toujours par-delà.

Freud connaissait les nouages, mais il ne connaissait pas les nœuds. "Ce que Freud a fait, n’est pas sans se rapporter à l’existence et, de ce fait à s’approcher du nœud. Freud n’avait pas l’idée du Symbolique de l’Imaginaire et du Réel, mais il en avait quand même le soupçon. Bref, Freud, contrairement à un nombre prodigieux de personnes, depuis Platon jusqu’à Tolstoï, Freud n’était pas lacanien. Mais à lui glisser sous le pied cette peau de banane du RSI, essayons de voir comment il s’en est débrouillé."

Lacan dessine alors le nœud à quatre ronds que je vous ai montré, mais la dernière fois je vous l’ai montré en passant non seulement le Symbolique sur les deux autres mais aussi le Réel par dessus l’Imaginaire. Ce qui m’avait permis d’illustrer en deux points, Réel sur Imaginaire, "le sein et l’excrément" et en deux points, le Symbolique sur le Réel "le regard et la voix".

Ici Lacan laisse l’Imaginaire sur le Réel, ce qui est régulier, mais il passe le Symbolique au-dessus du Réel. Cette chaîne à quatre garde ses propriétés de mutation consistante. Il se sert de ce nœud pour illustrer le complexe d’Œdipe. Comme les trois ronds Rsi ne se croisent pas, il faut le nœud du symptôme pour les faire tenir.

"Il a fallu à Freud, non pas trois, le minimum, mais quatre consistances pour que ça tienne, à le supposer initié à la consistance du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. Ce qu’il appelle la réalité psychique a parfaitement un nom, c’est ce qui s’appelle complexe d’Œdipe. Sans le complexe d’Œdipe, rien ne tient, rien ne tient de l’idée qu’il a, de la façon dont se tient à la corde du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel. Ce par quoi, avec le temps, j’ai tenu à procéder, vient de ceci que je crois que, de ce que Freud a énoncé non pas, non pas ! dis-je, le complexe d’Œdipe est à rejeter, il est implicite. Il est implicite en ceci que pour avoir le même effet mais cette fois au minimum (de trois ronds), il suffit de faire passer (de permuter par l’interprétation) en ces deux points ce qui était dessous.

En d’autres termes, il faut que le Réel surmonte le Symbolique pour que le nœud borroméen soit réalisé". (C’est dire, d’une autre manière, que le borroméen est la sortie de l’Œdipe). "C’est ce que, dit Lacan, pour avoir quatre termes, Freud lui-même n’a pu faire, mais c’est très précisément ce dont il s’agit dans l’analyse, c’est de faire que le Réel, non pas la réalité au sens freudien, que le Réel en deux points, que je nommerai comme tels, que le Réel en deux points surmonte le symbolique". "Là où meurt Œdipe, dit l’oracle de Delphes, ce sera la prospérité" : Œdipe s’éteint à Colone, faubourg d’Athènes. Et, n’est-il pas exact que la région, comme le rapporte l’histoire, connut la prospérité que l’on sait en matière d’arts, de philosophie, de politique et de science etc. ?

Ces deux points du passage du Symbolique sur le Réel, nous l’avons montré la dernière fois, c’est, concernant l’objet petit a, "le regard" et "la voix". On peut faire la même chose avec "le sein" et "l’excrément" en mettant le Réel sur l’Imaginaire.

"Ceci, poursuit Lacan (p. 54), pour préciser qu’il ne s’agit pas, bien sûr ! d’un changement d’ordre, d’un changement de plan (un changement dans l’espace) entre le Réel et le Symbolique, c’est simplement qu’ils se nouent autrement. Se nouer autrement, c’est ça qui fait l’essentiel du complexe d’Œdipe, et c’est très précisément ce en quoi opère l’analyse elle-même, c’est à entrer dans la finesse de ces champs d’ek-sistence, que cette année nous procéderons".

En conclusion, "puisque il est déjà un heure assez avancée", dit Lacan... l’ek sistence se définit par rapport à une certaine consistance, si l’ek-sistence n’est en fin de compte que ce dehors qui n’est pas un non-dedans, si l’existence, telle qu’un Kierkegaard (le père de l’existentialisme) nous l’avance est essentiellement pathétique, c’est-à-dire souffrance, il n’en reste pas moins que la notion d’une faille, que la notion d’un trou, même dans quelque chose d’aussi exténué que l’existence, garde son sens".

L’ek-sistence est un trou, voilà ce qui démarque Lacan de Sartre et des existentialistes pour le classer, si l’on tient à tout prix à le classer, chez les structuralistes.

"Si je vous dit d’abord qu’il y a dans le Symbolique un refoulé, il y a aussi dans le Réel quelque chose qui fait trou, il y en a aussi dans l’Imaginaire, Freud s’en est bien aperçu, et c’est bien pourquoi il a fignolé tout ce qu’il en est des pulsions dans le corps comme étant centré autour du passage d’un orifice à l’autre".

Tous nos trous communiquent. C’est ainsi que "les processus de pensée les plus compliqués et les plus parfaits peuvent se dérouler sans exciter la conscience", comme dit Freud dans "l’Interprétation des rêves". Un trou n’est pas un espace mais le passage du temps.

Voir en ligne : J. LACAN : Séminaire RSI. Leçon du 14 janvier 1975 (gaogoa.fr)

Notes

[1S. Freud, Inhibition, symptôme et angoisse, PUF, Paris, 1993.

[2Ici, Guy Massat opère la démonstration avec des drisses, puis avec des dessins [Aa].

[3S. Freud, “Sur le sens opposé des mots originaires”, dans L’inquiétante étrangeté et autres essais, Gallimard, Paris, 1985, p. 47-60.

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