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Psychanalyse et Psychologie

L’Adoption

Le tissage d’un lien d’amour

Date de mise en ligne : vendredi 21 juin 2002

Auteur : Maryline STOKI

Mots-clés :

Si l’examen du cheminement des adoptants, depuis la prise de conscience de leur désir d’adopter, avec ses espoirs et ses ambiguïtés, à travers leurs démarches et jusqu’à leur vie avec l’enfant, peut donner à penser que l’adoption présente des difficultés et des risques particuliers, en fait celle-ci nous ramène simplement à l’essentiel de toute parenté humaine, qui est d’abord une parenté de désir et de cœur. En ce sens, la réussite de beaucoup d’adoptions nous apporte un message.

Introduction

Jour après jour des enfants naissent, vivent et grandissent à travers le monde - la plupart au sein d’un couple qui les a désirés. Ensemble ils forment une famille enracinée dans sa généalogie et porteuse de projets d’avenir.
D’autres enfants sont délaissés, abandonnés. Ils poursuivent leur vie en dehors de leur famille de naissance, une vie qui commence par une rupture de filiation. Pour certains cette rupture débouche sur un projet d’adoption leur offrant un accueil dans une autre famille, vers une nouvelle histoire.
Suivant les pratiques culturelles de leur pays de naissance ces enfants auront accès à leur identité ou, au contraire, grandiront dans le secret de leurs origines. Ils seront alors reconnus dans leur adoption et méconnus dans leur abandon.

En France l’accouchement sous X est passé dans le domaine public. Cette proposition d’accueil administratif en vue d’accoucher anonymement a multiplié les débats, alimentant des polémiques infinies. On a fini par oublier que la grossesse et l’accouchement sont indissolublement liés à la mère de naissance. L’abandon et l’adoption se succèdent et se complètent. Mais à l’heure actuelle un incroyable écart se crée entre eux. L’abandon est discrédité alors que l’adoption, sujet positif et médiatique, est parlée et légiférée favorisant, à contrario, dérives et trafics internationaux.
Si les conditions socio-économiques sont prépondérantes dans la démarche des parents abandonnants de certains pays surpeuplés et/ou sous développés, il n’en reste pas moins que chaque continent, chaque pays, a ses propres pratiques, ses propres lois et ses propres jugements de valeur concernant l’abandon. Même s’il est critiqué dans la majorité des pays développés, il est une ouverture au " don d’enfants " dans les civilisations où ce dernier n’est pas considéré comme la propriété de ses parents de naissance.

Au sens étymologique, l’adoption, terme d’origine latine, signifie choisir, faire sien un enfant qui n’est pas né de soi. Aujourd’hui l’adoption a subi une évolution dans son esprit même. Elle a un double but : donner un enfant à une famille sans (ou avec) progéniture mais surtout donner une famille à un enfant orphelin ou abandonné.

L’adoption est donc une histoire d’amour, une aventure familiale qui naît de la rencontre de deux attentes : celle d’un enfant sans famille et celle d’une famille prête à l’aimer. Ce besoin d’amour est l’une des nécessités les plus impérieuses de l’être humain car l’Homme a besoin d’aimer et de se sentir aimer pour exister.

Mais si l’adoption est une aventure humaine elle est aussi un mécanisme juridique régit par des règles et des lois qui visent d’abord et avant tout la protection de l’enfant et le respect de ses droits. Ainsi l’adoption peut se définir comme un acte juridique visant la création d’un lien de filiation entre deux (ou plusieurs) personnes qui ne sont pas parents par le sang. L’adoption est donc l’inscription d’un enfant dans une nouvelle filiation qui n’est pas celle de la biologie. La décision du Tribunal est claire et définitive, mais son acceptation, sur le plan psychique, par les protagonistes, n’est pas donnée pour autant. En effet beaucoup de ces enfants souffrent psychiquement, soit à cause des conditions d’existence difficiles qu’ils ont connues avant la séparation, dont les traces persistantes en eux les empêche de tirer bénéfice de la période de relative tranquillité qui suit, soit à cause de l’impact même de la séparation sur leur vie psychique. Il est fréquent qu’ils ne parviennent pas à exprimer, voire à se représenter pour eux même ce qu’ils ressentent, ce qui amènent les adultes à sous estimer l’importance de leurs difficultés.

I / Historique et législations de l’adoption

Selon Brigitte Camdessus si l’adoption nationale ou transnationale est une aventure familiale fondée sur la rencontre affective entre un enfant sans famille et des parents à la recherche d’un enfant à aimer, elle modifie en même temps l’état des personnes concernées et instaure une filiation juridique et sociale. Elle doit, par conséquent, s’établir dans le cadre juridique des lois du ou des pays concernés, sous le contrôle et la protection de l’Etat et du pouvoir judiciaire.

Historiquement l’adoption est une pratique sociale légalisée destinée à préserver l’intégrité d’un patrimoine, d’un rang social et à transmettre un pouvoir ou un titre en l’absence d’héritier naturel. Mais l’adoption consacrée à l’enfant, décidée pour assurer son bonheur et son intérêt, l’adoption telle qu’on la connaît aujourd’hui, n’était encore qu’exceptionnellement appliquée.

Cette forme d’adoption date du début du vingtième siècle en France. Ce sont les réformes successives du Code civil et du Code de la famille et de l’Aide sociale, ainsi que l’évolution de la jurisprudence qui témoignent depuis 72 ans du changement idéologique et des transformations des modalités au cours du vingtième siècle. Il est intéressant de noter que la législation a été modifiée d’abord au lendemain de la guerre de 1914-1918 (les premières propositions datent de 1916) qui avait fait un million et demi de morts et laissée de nombreux orphelins, puis à la veille de la Seconde Guerre mondiale, temps des classes creuses à la fin des années trente, et enfin au moment du reflux du baby-boom de l’après-guerre. Est-ce une coïncidence ou le reflet de l’opinion publique d’une société en proie à la crainte de manquer d’enfants ? Il est difficile de l’affirmer mais la tendance s’exprimerait aussi dans le désir d’avoir un enfant " à tout prix " et dans le développement des méthodes de procréation assistée.

La première mutation législative se produit avec la loi du 19 juin 1923. Elle autorise l’adoption des mineurs par des adoptants de quarante ans au moins et sans enfants légitimes. Les liens avec la famille d’origine ne sont pas rompus mais la puissance paternelle est conférée à l’adoptant.
En 1804, le Code Napoléon avait permis uniquement l’adoption de personnes majeures, la finalité de l’institution étant la transmission du patrimoine et du patronyme. La seconde étape est constituée par un décret-loi du 29 juillet 1939, qui s’était donné le nom de " Code de la famille ", instituait sur décision du tribunal la " légitimation adoptive " pour les mineurs de moins de 16 ans, et comportait une rupture avec la famille d’origine avec changement de nom et la suppression de l’obligation alimentaire. La légitimation adoptive était mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant qui acquérait les mêmes droits et obligations que s’il était né du mariage. Les adoptants devaient être mariés depuis dix ans, sans enfants, et l’un des deux conjoints devait être âgé de plus de 35 ans.

La loi du 11 juillet 1966, complétée par celle du 22 novembre 1976 constitue le droit positif de l’adoption. Il existe désormais deux formes d’adoption : l’adoption simple et l’adoption plénière.

L’adoption simple maintient l’enfant dans sa famille d’origine et ce dernier garde son nom même s’il ajoute celui de l’adoptant. Ce type d’adoption crée un lien de parenté entre l’adoptant et l’adopté, lien qui s’étend aux enfants légitimes de l’adopté. L’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits de l’autorité parentale. L’adoption simple peut prendre fin soit à la suite d’une demande de révocation de l’adoptant, de l’adopté ou de ses parents biologiques si l’enfant est mineur, soit à la suite d’une transformation en adoption plénière.

En ce qui concerne cette dernière, elle constitue une véritable filiation qui assimile totalement l’adopté à un enfant conçu en mariage. Elle confère donc à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine, il devient à part entière un enfant légitime. L’adopté cesse d’appartenir à sa famille biologique et prend le nom de l’adoptant qui exerce tous les droits d’autorité parentale.
L’adoption plénière entraîne donc une rupture totale des liens avec sa famille d’origine, seuls subsistent les empêchements au mariage - tout comme dans l’adoption simple. Il n’y a plus d’obligation alimentaire, ni de vocation successorale entre l’enfant et sa famille par le sang. Toute reconnaissance par les parents naturels est dorénavant interdite, ainsi que toute action en recherche de paternité ou de maternité. L’adoption plénière produit ses effets à compter du jour de dépôt de la requête en adoption. Elle est irrévocable. Toutefois, après le décès du ou des adoptants, rien n’empêche que l’enfant fasse l’objet d’une nouvelle adoption.

1. Le respect des droits de l’enfant

La contraception, la législation de l’interruption volontaire de grossesse et la meilleure acceptation de la maternité célibataire ont énormément réduit le nombre d’enfants adoptables en France, tandis que le nombre de postulants à l’adoption croît.
Les années soixante-dix ont vu, de ce fait, s’accroître rapidement la demande d’adoptions transnationales d’enfants de pays en développement à forte natalité.
La Convention internationale sur les droits de l’enfant adopté par l’ONU le 20 novembre 1989 et la Convention de La Haye du 29 mai 1993, approuvée par 67 pays, sur l’adoption internationale, créent le cadre juridique nécessaire pour régler les divergences et les conflits entre les différents Etats. La convention de la Haye tente d’apporter des garanties pour que les adoptions transnationales soient bien prononcées dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et, d’autre part, d’instaurer une coopération internationale. Il s’agit notamment, pour les Etats d’origine, de bien vérifier si le consentement des père et mère a vraiment été donné en toute connaissance de cause et sans aucune pression.

2. Les réformes de J-François Mattei

Suite au rapport du professeur Mattei, le parlement adopte le 5 juillet 1996 une loi qui apporte un assouplissement des conditions pour pouvoir adopter, notamment pour ce qui est des âges et durée de mariage, de meilleures garanties pour ce qui est de l’agrément, des améliorations des conditions pour l’enfant (réduction des délais de rétractation), un plus grand respect des droits de l’enfant et une amélioration des aides aux familles qui adoptent (aides financières, congé parental, allocation parentale d’éducation…).

Le 28 mars 2000 une autre proposition de loi fut énoncée. Elle propose qu’en l’absence de législation sur l’adoption dans le pays d’origine de l’enfant, la loi française s’applique aux conditions et aux effets de l’adoption.
De plus elle précise la composition de l’autorité centrale compétente pour l’adoption composée de représentants de l’Etat et des conseils généraux, ainsi que de représentants des organismes agréés pour l’adoption et des associations de familles adoptives. Enfin elle stipule que toute situation d’enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance soit soumise à une déclaration judiciaire d’abandon après quatre ans de recueil. Cependant l’abandon n’est pas déclaré si le tribunal constate qu’il ne serait pas conforme à l’intérêt de l’enfant.

3. En France

Chaque état fixe des conditions légales pour adopter ; des conditions liées à l’âge et à la situation matrimoniale.
Depuis la loi française du 5 juillet 1996, l’adoption est permise en France aux couples mariés, soit depuis plus de deux ans, soit âgés l’un et l’autre de plus de 28 ans. La condition d’âge s’applique également aux célibataires, auxquels l’adoption est ouverte depuis 1923.
Audacieuse pour l’époque, cette reconnaissance anticipée de la famille monoparentale montre bien qu’en matière d’adoption, l’intérêt de l’enfant prime sur les considérations de norme familiale. Le souci de ne pas priver un enfant difficilement adoptable de parents potentiels explique qu’il n’y a pas de limites d’âge maximum pour les adoptants français. Le seul impératif est celui d’être âgé de plus de quinze ans que l’enfant que l’on souhaite adopter.

a. Des familles plurielles

Faute d’étude sociologique récente et de statistiques nationales il n’est pas facile de dresser le profil des candidats à l’adoption.
F.Lafond (1999) évalue empiriquement à 60 % les demandes émanant de personnes sans enfant (célibataires inclus). Les autres se partagent entre ceux qui veulent agrandir leur famille adoptive et ceux qui choisissent de donner des frères et des sœurs aux enfants nés de leur couples.
Si l’infertilité constitue la première motivation, on ne saurait réduire la démarche adoptive à cette seule explication. En effet, depuis 1976, la loi autorise sans restriction l’adoption en présence d’enfants biologiques. Bien des familles ont fait ce choix.

Quête idéale, trop plein d’amour à partager, attirance pour cette autre parenté, engagement de type humanitaire ? Les ressorts sont multiples et le désir d’enfants toujours irrationnel. Mais ce désir doit être bien présent. Sans désir, il ne peut y avoir de réciprocité. Une démarche fondée essentiellement sur l’altruisme enferme l’adopté et ses parents dans le cercle vicieux de la dette et de la reconnaissance. Or comment faire vivre une relation familiale qui ne serait pas fondée sur l’échange ?

b. Les enfants adoptables

La majorité des enfants adoptables en France ont le statut de pupilles de l’Etat. On distingue trois catégories d’enfants adoptables :
 Les enfants adoptables par la volonté implicite ou exprimée de leurs parents de naissance. Ils peuvent être de filiation inconnue ou non établie.
 Les enfants déclarés abandonnés par une décision du juge : elle intervient dans les cas de retrait total de l’autorité parentale ou lorsque le juge estime que l’enfant est abandonné de fait.
 Les enfants, orphelins de père et de mère, qui n’ont plus du tout de famille.

Confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) de leur département, les enfants pupilles sont placés en pouponnière, en foyer ou encore chez une assistante maternelle agréée par l’ASE.
Le délai pour l’adoption d’un enfant né en France est généralement de 2 à 5 ans. Il dépend du projet d’adoption défini par les candidats et du degré d’ouverture de leur demande : plus celle-ci est restrictive en terme d’âge, d’ethnie, de santé et plus l’attente peut être longue.
La nécessité d’une intégrité physique et mentale des enfants abandonnés a été longtemps le prétexte du délai mis à l’adoption : les institutions demandaient plusieurs mois, voire une année, pour juger de la qualité du développement et de l’absence d’apparition d’encéphalopathie tardive. En réalité, il n’y a pas de raison pour que, chez les enfants abandonnés, le risque de morbidité soit, à la naissance, supérieur au risque de la population générale.
En revanche, le maintien non justifié en institution jusque 9-10 mois et même 18 mois peut à lui seul provoquer un état de carence avec toutes les conséquences que l’on connaît. Ces délais ont été considérablement raccourcis par la nouvelle législation, réduits à 3 mois, délai amplement suffisant pour dépister la pathologie la plus lourde.

Si de nos jours un nombre important de couples continue à désirer un " bel enfant blond et très intelligent ", une tolérance beaucoup plus grande se dessine en faveur de la différence. Des couples demandent maintenant à adopter des enfants étrangers. Certaines institutions sont d’ailleurs spécialisées dans ce qui constitue presque un trafic car dans le même moment où des adoptants cherchent à faire venir de très loin des enfants, ils refusent parfois ceux qui leur sont proposés sur place.
La demande d’adoption d’enfants handicapés physiques, mais surtout mentaux, a longtemps été jugée " névrotique " (désir de réparer, sentiment plus ou moins conscient de culpabilité), donc peu recevable. Là encore un mouvement se dessine, certaines adoptions d’enfants "difficiles" ont été des succès.

III / L’aspect traumatique de l’adoption

A partir de l’expérience des adoptions internationales, H. et J-P.Waber (1994), cités par M.Berger (1997), soulignent les processus suivants. Les enfants et les adolescents étrangers qui peuvent évoquer le moment de l’adoption relatent une expérience de tonalité angoissée qui contraste avec l’immense joie ressentie alors par leurs parents adoptifs. Ils décrivent un état de stupeur durant le voyage qui les amènent dans leur pays d’adoption. Ils se rappellent la désorientation et la détresse qui les ont obligés à s’accrocher souvent de manière instantanée à une personne préférentielle, en général la mère adoptive. L’enfant éprouve le sentiment d’être mis en situation de passivité face à un discours qui le dépasse et décide pour lui. Cette période peut induire chez l’enfant la croyance que seul l’environnement a un effet sur lui et non l’inverse.
Face à cette passivité traumatique, il mobilise toutes ses défenses de façon autant fonctionnelle que dysfonctionnelle : agrippement anxieux, conformité aux désirs d’autrui ou hyperactivité toute puissante. Son avenir est fait par ses parents et ses propres efforts n’ont pas de signification véritable. Cela est en partie à l’origine de la tendance à la passivité que l’on retrouve fréquemment chez les adolescents adoptés. Certains d’entre eux sans enthousiasme, ni désir personnel, manquent d’énergie face à l’effort constant auquel ils doivent se soumettre dans leur scolarité ou dans leur métier (soumission, manque d’initiative…).
Interrogés à l’adolescence, ces enfants disent qu’il leur a manqué une étape, un temps de " peau à peau ", de contemplation réciproque pour explorer la qualité des sensations nouvelles, vérifier la sincérité de l’affection offerte. Il leur a fallu s’adapter rapidement, avec la nécessité absolue d’un rétablissement de la communication après la rupture de tout repère.

Concernant les adoptions nationales et internationales, B.Steck, cité par M.Berger (1997), souligne les conséquences psychiques de l’abandon, qui laissent une sensibilité à toute séparation et un malaise lié à la différence d’apparence physique. La loyauté filiale demeure forte car aucun enfant adopté ne peut accepter que ses parents naturels soient sans valeur, et il peut développer un mythe autour de ses parents biologiques, s’imaginant qu’ils ont été forcés de l’abandonner. Beaucoup d’enfants adoptés prennent la responsabilité et la culpabilité de leur abandon. D’autres l’attribuent à leur famille actuelle. Ainsi un enfant peut reprocher à ses parents adoptifs de l’avoir volé à un moment où il s’était perdu, ou encore il pense que ses parents adoptifs l’ont enlevé à sa mère, car il est impossible qu’une mère puisse abandonner son enfant.

L’enfant face à l’adoption

Pour dégager les processus psychiques spécifiques aux enfants adoptés il faut essayer de différencier ce qui est dû à des interactions précoces défectueuses, voire catastrophiques, et ce qui peut être attribué à l’adoption elle-même. Deux groupes d’enfants peuvent donc être distingués.

Le premier groupe concerne des enfants qui ont été adoptés assez tôt, avant 8-9 mois. Ils ont souvent été abandonnés ou retirés précocement à leurs parents biologiques. On peut penser pouvoir mieux repérer chez eux les difficultés liées au fait d’avoir été adoptés. Cela est à nuancer fortement suivant les situations car des interactions précoces angoissantes entre la mère et l’enfant peuvent laisser des traces indélébiles dés les premiers mois de la vie. De plus, on connaît les dégâts irréversibles provoqués par des séjours de quelques mois dans certaines pouponnières.

Le deuxième groupe concerne les enfants qui ont été adoptés tardivement, environ après 10 mois. Pour eux, la pathologie liée à une défaillance parentale grave ou à la vie en collectivité infiltre plus ou moins massivement les troubles en relation avec l’adoption.

L’adoption précoce

A la différence des enfants adoptés tardivement, le plus souvent ces enfants, même lorsqu’ils ont des difficultés scolaires, présentent peu de troubles de la représentation de soi, peu de passages à l’acte réalisés dans un climat plus ou moins hallucinatoires, et une atteinte narcissique limitée. La question prédominante chez eux est la difficulté qu’ils éprouvent à penser leur origine.

Les questions que l’enfant adopté se pose sur la nature du lien qui l’unit à ses parents biologiques prennent la forme d’un détour par des images corporelles. Ce processus fondamental apparaît de deux manières.
Selon M.Berger (1997) la première forme est la métaphore corporelle du déchet. L’enfant abandonné se situe de façon plus ou moins importante dans le registre du déchet, avec l’affect de honte qui l’accompagne. C’est la forme que prend l’atteinte narcissique liée au fait de ne pas avoir été accueilli. Aucun enfant adopté n’accepte l’idée d’avoir eu un parent biologique pauvre ou incompétent. Tous préfèrent penser que leur abandon est la conséquence d’un conflit intra-familial qui a obligé leur mère à les laisser.
Le deuxième processus, c’est que toute incertitude au niveau de la filiation entraîne une préoccupation sur l’origine des caractéristiques corporelles. Toute incertitude sur la filiation amène l’enfant à se poser des questions sur son corps, sur son aspect. Les êtres humains ne se posent habituellement pas la question de la nature même du lien à leurs parents puisqu’il est caractérisé par son inconditionnalité. Lorsque le lien psychique ne peut pas être oublié, car il va de soi, lorsque ce lien narcissique est ressenti comme manquant, alors le lien biologique ressurgit.
Ainsi toute incertitude au niveau de la filiation entraîne le recherche d’une sorte de roc du biologique, comme si le critère biologique avait un poids de vérité qui lui donne un pouvoir d’attraction et même de fascination. Cette force attractive du biologique est peut-être liée à l’absence de double, de personne tenant une fonction miroir dans les soins précoces. Elle signifie que le parent irreprésentable, absent, jamais connu, exerce une attraction importante dont le sujet ne pourra jamais totalement se dépendre.

L’adoption tardive

Les enfants adoptés tardivement ont souvent été l’objet de soins précoces très inadéquats comme la négligence, la sous-nutrition, la maltraitance ou encore les placements multiples. Chez ces enfants, les diverses expériences fondatrices de la personnalité (acquisition d’une représentation cohérente de soi, constitution d’un narcissisme assez solide, possibilité de contenir ses pulsions) ont subi des ratés plus ou moins importants.
Le fait d’avoir été abandonné puis adopté vient donner un sens à un ensemble de traumatismes.
La théorie que se fabrique l’enfant, qui est toujours peu ou prou une théorie selon laquelle la responsabilité du rejet lui revient, a trouvé une sorte d’accréditation par la réalité de l’abandon. On est confronté là à la toute puissance du masochisme, le sujet étant tenté de s’attribuer l’origine de tout ce qui ne va pas. Le besoin d’emprise et d’attachement du sujet s’est retourné en son contraire : on l’a rejeté.
Il arrive aussi que certains enfants n’arrivent même pas à s’organiser de fantasmes concernant leur abandon, ce qui est de mauvais pronostic. Ils sont alors pris dans un fantasme d’auto-engendrement. Chez certains enfants adoptés tardivement il existe un besoin de maîtrise permanent qui envahit les relations avec autrui et qui rend la vie familiale et en groupe extrêmement difficile. Ainsi même si ces enfants redoutent la séparation, ils refusent d’effectuer leurs devoirs ou d’obéir à quelque consigne que ce soit.
Cette maîtrise particulièrement difficile à traiter peut s’expliquer par le fait qu’il a été vital pour de tels enfants de développer très tôt leur autonomie et de dépendre le moins possible de l’autre. La clinique montre que ce besoin de maîtrise absolue est aussi défensif contre des angoisses archaïques très présentes, ce que révèlent souvent les représentations graphiques de l’enveloppe cutanée.
Chez de tels enfants un clivage fait coexister des parties saines et des parties psychotiques, ce qui est souvent difficile à comprendre par leurs parents adoptifs. Et plus l’état de leur enfant s’améliore au cours du traitement, plus les parties qui demeurent psychotiques apparaissent insupportables et inadaptées à la réalité.
De telles situations ne sont pas toujours traitables en psychothérapie et peuvent nécessiter une prise en charge quotidienne en hôpital de jour. Cette modalité thérapeutique n’est pas forcément liée à un diagnostic lourd, mais peut être nécessaire parce que certains aspects de la pathologie du lien ne peuvent être soignés que par le biais de l’établissement d’un lien quotidien avec un soignant.

IV / Les aspects psychologiques de l’adoption

D’un point de vue psychologique, l’adoption répond au désir d’être parents et satisfait à des motivations variées (générosité, solidarité, intérêt privé). Les couples d’adoptants stériles cherchent à combler leur désir narcissique et à surmonter la blessure de la stérilité ressentie comme une mutilation. Il s’agit, par un acte social et non médical, d’assumer une filiation, de garantir aux enfants adoptés une famille et de se prémunir de l’angoisse de l’anéantissement. Les fantasmes parentaux pouvant être satisfaits sur un mode archaïque de domination et de toute puissance, la loi prévoit des critères de sélection des parents adoptifs.

1. La sélection des couples candidats à l’adoption

La sélection des couples est indispensable. En effet, certaines demandes s’inscrivent soit dans un contexte trop pathologique, soit dans un moment de réaction parfois temporaire. Ces demandes dont la motivation ne paraît pas fondée sur des bases assez solides peuvent être aisément reconnues dans certains cas : parents très âgés ou gravement malades, conflit conjugal important, anxiété vive, trait pathologique patent, demande impulsive après le deuil d’un conjoint ou d’un enfant.
Ailleurs la qualité de la demande est plus délicate à évaluer. La demande peut être totalement idéalisée et ne s’accompagner d’aucune relation concrète avec des enfants : il est ainsi intéressant de savoir si ce couple demandeur aime s’occuper d’enfants et s’il y consacre une partie habituelle de son temps.
Mais en dehors des évidentes conditions défavorables, il est souvent difficile de prédire la qualité de relation qui pourra s’instaurer entre l’enfant adopté et le couple adoptant.
D’une manière générale, l’âge de l’enfant est un facteur important : l’ensemble des auteurs considère que 3 à 6 mois est un âge idéal. Passé 7 ou 8 ans, l’adoption est souvent très difficile, surtout lorsque l’enfant a connu de multiples carences antérieures.

2. La révélation

Dans l’entourage familial, amical et social, quand un couple adopte un enfant, cela se voit, cela se sait. Dans certaines situations, le couple souhaite cacher qui est stérile, mais la conception de l’enfant hors du couple est connue. L’enfant a facilement accès à cette partie de son histoire. Ce qui est pour lui source d’interrogations se trouve du côté de ses géniteurs.

L’un des problèmes les plus délicats auxquels sont confrontés les parents adoptifs est celui de la révélation à l’enfant de sa véritable situation. Cette révélation a été l’objet de nombreuses controverses. Il faut distinguer ici l’anxiété des parents adoptants face à ce problème et l’anxiété réelle ou supposée de l’enfant.
Lorsque les parents vivent inconsciemment leur stérilité de couple comme une impuissance sexuelle, le problème de la révélation est alors vécu comme une menace envers leur qualité de parents adoptants et un soutien psychologique peut alors être nécessaire. Les consultations précédant l’adoption peuvent d’ailleurs tenter d’aborder et d’éclairer ce point dans la dynamique du couple stérile et dans leur demande d’adoption.

En réalité, quand l’enfant a été aimé et élevé au sein d’un couple uni, qu’il a été informé au fur et à mesure de ses questions sur la sexualité, la procréation et la grossesse, l’annonce de l’adoption peut certes rendre l’enfant temporairement plus curieux, mais ne modifie en rien le lien affectif qui l’unit à ses parents adoptants. Ainsi informé " la révélation " n’en est plus une, et n’introduit pas la déchirure profonde qu’une révélation trop tardive peut provoquer : c’est le cas lorsque la révélation se produit au moment précis où des difficultés psychologiques apparaissent ou lors de l’adolescence.

Il semble donc que la meilleure attitude pour révéler, à l’enfant, sa qualité d’adopté soit la sincérité. Il faut que les parents abordent franchement ce sujet en répondant très naturellement à l’enfant au moment où il commence à poser des questions sur la naissance des bébés. Un enfant a qui l’on dit qu’il a été abandonné, puis adopté, intégrera ces mots, même s’il ne les comprend pas, dans un contexte émotionnel favorable et déchargé de toute résonance dramatique. Cette révélation, faite dans un climat d’amour, ne pourra pas être ressentie par lui comme menaçant la sécurité dont il a besoin.
Le psychologue peut aider les familles dans la révélation de l’adoption. Il met en mots l’origine de cet abandon, nomme le désir de vie pour lui.
Si le bébé ne comprend pas le langage en terme de vocabulaire et de grammaire, il est compétent pour l’assimiler dans sa dimension émotionnelle. Désigné et reconnu comme Sujet, on ne lui révèle pas son histoire mais on l’en informe, sachant que lorsqu’il possédera la compréhension du langage, il retrouvera, à travers des traces mnésiques émotionnelles, la notion d’un déjà-su.

Eviter le non-dit, c’est éviter une faille dans le processus de symbolisation, faille qui pourrait s’exprimer par des symptômes. Mais l’enfant devra, avant tout, faire le deuil de ses géniteurs et compter pour cela sur sa dynamique psychique personnelle. Toutefois, la société ne doit pas le rendre enfant du tabou ou de la honte. Abandon et adoption doivent être nommés. Le bien-être de cet enfant s’appuiera sur ses aptitudes personnelles, sur la présence de ses parents adoptifs mais aussi sur le respect de ses géniteurs, de sa naissance, naissance particulière d’un être unique.

Geneviève Delaisy de Perceval, citée par Fine A, défend le droit " aux filiations additionnelles " qui permettraient à un enfant d’être adopté sans que le lien aux parents naturels soit effacé. Elle souhaite étendre cette notion de filiations additionnelles aux cas d’enfants nés grâce à un don de gamètes.
Pour Geneviève Delaisy on ne peut pas assimiler ces deux modes de filiation : " ce serait confondre généalogie et génétique ". Or l’histoire d’un enfant a à voir avec la généalogie, c’est-à-dire qu’elle le situe dans une dimension symbolique et imaginaire. La tentation de réduire les origines de l’enfant à une réalité biologique est liée à l’impasse d’une relation fantasmatique aux origines, faute d’éléments historiques suffisants.

3. La construction du roman familial

L’enfant adopté construit parfois " un roman familial " dont l’intensité est renforcée par la réalité. Freud a appelé ainsi la construction imaginaire des enfants " déçus " par leurs parents quand ceux-ci ne répondent pas à leur attente réelle ou fantasmatique.

Lors du complexe œdipien, certains enfants s’inventent ainsi une famille généralement riche et puissante qui a le double avantage de satisfaire l’ambivalence de leur sentiment et d’atténuer la culpabilité envers leurs vrais parents.
A l’évidence l’enfant adopté, surtout lorsqu’un conflit apparaît avec ses parents adoptifs ou qu’il est en situation de rejet, sera d’autant plus facilement disposé à construire ce " roman familial ". La capacité des parents à tolérer ce roman, à ne se sentir ni dévalorisés, ni en rivalité avec ces parents imaginaires, mais dont la réalité peut ici devenir envahissante, maintien " le roman familial " dans les limites normales.
En revanche, l’inquiétude des parents adoptifs peut fixer l’enfant dans ses rêveries imaginatives. Il est rare que celles-ci aboutissent à une recherche active des parents géniteurs, sauf à l’adolescence où des traces du " roman familial " peuvent persister sous la recherche d’un parent idéalisé et socialement puissant.

4. Le droit à l’enfance et le droit aux histoires

Selon G. Delaisy, citée par A. Fine, il est impératif de tenir compte de l’immaturité de l’enfant, de respecter les liens affectifs qu’il a créés, et de préserver l’image qu’il a de lui et de son environnement, en évitant de confondre les préoccupations des adultes avec les préoccupations des enfants. Il est important de le protéger - lors d’une information sur ses origines, par exemple - du trop d’affects et du trop de savoir que la connaissance de problèmes d’adultes lui ferait vivre de façon intrusive, l’initiant ainsi à un registre émotionnel et à une intimité d’adulte contraires à sa maturité d’enfant.
Protéger son enfance c’est se méfier d’une sorte d’idéologie du tout dire, du tout expliquer, surtout quand on prend pour prétexte le bien de l’enfant.
Préserver son enfance c’est limiter l’information à ce qui lui est nécessaire pour se repérer : c’est-à-dire parler pour le bénéfice de l’enfant et pas au profit du soulagement et de la déculpabilisation de l’adulte. Pas plus qu’il n’est bon pour lui de servir de confident ou d’exutoire à un adulte vindicatif voulant nuire à un autre membre de la famille.
La confusion entre le monde des adultes et celui des enfants ne permet pas une évolution harmonieuse de l’enfant.

Pour que son histoire soit transmise à l’enfant, et dans de bonnes conditions, c’est-à-dire en la rendant accessible pour qu’il puisse se l’approprier, il faut encore que cela soit possible aux adultes concernés.
En effet, soit on en sait trop, soit on n’en sait pas assez. Ces deux situations peuvent se trouver dans les adoptions (dossiers vides ou dossiers contenant des informations sur les conditions de naissance et d’adoption). Les parents adoptants redoutent de blesser gravement l’enfant en lui révélant des détails qu’eux-mêmes supportent mal et qui sont d’autant plus toxiques qu’ils sont fixés dans le temps.

Faut-il tout dire ? Pour la part inconnue ou indicible de son histoire G. Delaisy propose de raconter à l’enfant des fictions. Pas des mensonges, mais des histoires où seront pris en compte les affects, les désirs et les fantasmes. Des histoires du possible, une fiction utile à l’enfant quand elle s’étaye sur une relation affective sincère et respectueuse. Il y a peut-être une seule vérité " historique " sur les origines de l’enfant, mais sûrement une multiplicité de liens à cette vérité.
L’enfant, lui, est avide de comprendre, de savoir les liens entre cet événement et lui. Des histoires, grâce à la palette de sentiments et de situations évoquées, permettent à un enfant de se situer en favorisant sa capacité de représentation, de trouver sa propre version de son histoire grâce à une créativité préservée.

L’enfant a droit à son histoire parce que c’est reconnaître que la filiation appartient autant à l’enfant qu’à l’adulte et que la prise de pouvoir sur les origines de l’enfant par les géniteurs ou par les instances légales est source de souffrance et de recherches vaines pour l’enfant.
Reconnaître le droit à l’enfance est aussi important et met en relief la question de savoir comment ne pas clôturer, tant par un secret sidérant que par une vérité traumatique, la construction psychique d’un enfant.

V / La psychopathologie de l’enfant adopté

Les époux continuent d’aspirer à se rattacher un jeune enfant en très bas âge afin de pouvoir, à défaut des joies de la procréation, connaître au moins celles qu’apportent l’ouverture de l’enfant au monde, la formation d’une personnalité, la construction de l’avenir dés les premières années de la vie. La seule précision qui se retrouve dans l’ensemble des demandes et qui semble imperméable à tout fléchissement important se rapporte à l’âge.
A défaut des joies de la naissance, les candidats à l’adoption souhaitent, en effet, assister à la prise de connaissance par l’enfant du monde extérieur et l’élever, sinon dés sa naissance, du moins dés ses premiers mois. Ils désirent aussi éviter à l’enfant les traumatismes et les troubles caractériels, facteurs d’inadaptation que les pédopsychiatres rattachent aux " carences maternelles précoces ", en lui offrant très vite une image parentale, en particulier, de la mère, unique et stable.
En conséquences les couples demandent, dans la quasi-totalité des cas, un enfant " le plus petit possible ", tout au plus âgé de 3 ans.

La psychopathologie de l’enfant adopté ne présente rien de spécifique. Dans les consultations spécialisées on relève un taux d’enfants adoptés (2.9 %) légèrement supérieur au taux de la population générale (1.3%). Cependant il faut tenir compte d’une part d’une vigilance souvent plus grande chez les parents adoptifs qui connaissent bien les services sociaux et psychiatriques et y recourent probablement plus facilement, d’autre part des placements tardifs (7-8 ans) d’enfants présentants déjà des " profils à risques ".
Une enquête réalisée en Suisse entre 1989 et 1991 montre que 40 % des adoptions d’enfants étrangers échouent, laissant des enfants sans protection, ni identité. Une enquête de H. et J.P. Waber (1994), citée par M.Berger (1997), faite sur neuf enfants adoptés choisis au hasard pour être testés dans le cadre d’une recherche sur l’adoption montre que deux d’entre eux évoluent vers une adaptation sociale en faux-self ou très narcissique, deux vers une attitude antisociale, un souffre déjà d’une pathologie psychique grave. Ainsi cinq enfants sur neuf présentent des troubles importants.

Tous les enfants ne présentent pas les troubles décrits ci-dessus. Si beaucoup d’entre eux se posent de manière répétitive des questions sur leur origine, cela n’envahit pas pour autant leur vie psychique.

Les motifs de consultations les plus fréquents sont le vol, le mensonge, l’agressivité (particulièrement à l’égard de la mère) et les actes sexuels soudains.
L’époque la plus critique est l’adolescence, période de remise en question et de l’affirmation de soi.
Pour C. Launay (1981) on trouverait chez certains enfants adoptés (une faible minorité), présentant des troubles graves du comportement et une anxiété, deux images maternelles distinctes : l’une bénéfique, idéalisée, liée à un passé inconnu, chargé de nostalgie et l’autre maléfique qui cristallisent toutes les revendications consécutives aux inévitables frustrations de la vie quotidienne. Cette double image maternelle reste confuse mais explique qu’il y ait, chez ces enfants, un comportement ambivalents à l’égard de la mère, alors que leur relation avec leur père ne donne généralement pas lieu à des difficultés.

1. Les troubles du comportement et du caractère

Ce dont se plaignent, le plus souvent, les parents adoptifs, lorsqu’ils ont recours au médecin ou au pédagogue, c’est de leur difficulté à maintenir leur enfant adopté à une tâche ou à un travail et à la discipline, soit pour les soins corporels, soit pour l’adaptation sociale, soit pour la formation morale ; opposition et instabilité sont les termes psychiatriques les plus souvent employés, et qui définissent assez mal des comportements très divers.
Presque toujours la tendance au mensonge est la conséquence du conflit entre l’enfant qui veut suivre son impulsion et les parents éducateurs : l’enfant ment pour cacher son acte et éviter la sanction. Plus particulier sont les vols et les manifestations sexuelles qu’il ne faut ni grossir, ni minimiser.

2. La régression

La régression peut apparaître comme nécessaire pour que l’enfant s’enracine dans sa famille adoptive, accepte pleinement sa nouvelle filiation. Il s’agit d’un passage de la vie de l’enfant pendant lequel il présente un ensemble de comportements très infantiles par rapport au niveau de développement qu’il avait atteint, comportements qui visent à l’obtention de satisfactions très archaïques. Elle est parfois immédiate et se confond avec les manifestations d’angoisse liées au bouleversement du mode de vie.
Plus souvent il y a d’abord une phase d’adaptation marquée par l’angoisse, puis une accalmie pendant laquelle on pourrait penser que l’enfant est bien intégré, puis une période de régression. Généralement cela se passe la première année de l’arrivée de l’enfant au sein de la famille, mais il existe des cas où, après une intégration très difficile, la régression, n’intervient, et, avec elle, l’apaisement des conflits qu’après plusieurs années.

La difficulté majeure est de rapporter des manifestations régressives observées à leur véritable cause. On ne peut pas exclure d’emblée l’hypothèse qu’il s’agisse de symptômes d’un véritable trouble psychique nécessitant des soins mais, dans ce cas, d’autres signes que la régression renforcent le tableau clinique et alertent l’entourage. Il peut s’agir de signes d’angoisse, car beaucoup de jeunes manifestent leur angoisse par des comportements régressifs, réconfortants pour eux, mais qu’il importe alors de faire disparaître peu à peu en les rassurant, et non d’encourager. On peut généralement faire la différence : s’il s’agit de régression ces manifestations sont adressées électivement à l’adoptant, s’il s’agit d’angoisse l’enfant est plus replié sur lui-même ou bien se tourne vers n’importe quel adulte.

a) Le déroulement de la régression

Les bébés ne peuvent guère régresser, en ce sens qu’étant au tout début de leur existence, ils ne peuvent pas revenir à un comportement antérieur plus infantile. L’équivalent bébé de la régression consiste à refuser de passer aux stades ultérieurs normaux de l’évolution (refus d’abandonner le lait pour la bouillie, le biberon pour la cuillère, la marche et la propreté sont acquises tardivement, la position fœtale persiste).

Chez les plus grands les signes de régression les plus souvent relevé sont ceux qui :
 S’organisent autour de la sphère oro-alimentaire (tétée du pouce ou d’un objet qui présente une ressemblance au sein, utilisation du biberon, consommation excessive de lait et de produits lactés…) et de la sphère anale (énurésie, encoprésie et un intérêt pour l’urine et les excréments).
 Ramènent l’enfant dans une situation analogue à la situation fœtale (surchauffage de la chambre, enroulement dans des couvertures…).
 Rajeunissent l’enfant de plusieurs années (il veut être porté ou balladé en poussette, il se complait dans des jeux puérils ou en compagnie d’enfants beaucoup plus jeunes que lui…).
 S’adressent spécifiquement aux parents, et surtout à la mère (il s’introduit dans le lit conjugal, réclame des câlins, veut toucher et téter les seins, recherche le contact corporel…).
 Et enfin le symptôme qui est, peut-être, le plus parlant c’est qu’il exprime par des gestes, des paroles ou des dessins le désir d’avoir été porté dans le ventre de la mère adoptive.

b) La signification psychologique de la régression

Une régression massive, dès l’arrivée dans la famille adoptive, exprime généralement beaucoup de souffrance et d’angoisse à l’état brut. Ce peut être le cas d’un enfant qui manquait déjà beaucoup d’affection, qui adressait ses demandes à n’importe quel adulte et qui se contente de les focaliser maintenant sur ceux qui paraissent disposés à y répondre, sans pour autant les avoir réellement investis en tant que parents.
Il peut aussi s’agir d’un enfant qui était relativement bien dans sa famille d’accueil, qui est trop petit pour avoir vraiment compris le processus de l’adoption, et qui est bouleversé pour un changement auquel il ne comprend rien. Dans ce second cas de figure, c’est très progressivement que les manifestations régressives, simple expression du désarroi, seront adressées électivement aux adoptants.

La régression peut aussi jouer un rôle thérapeutique. L’évolution d’un nouveau-né, jusqu’à l’âge adulte, passe par un certain nombre d’étapes que les psychologues appellent des stades (stade oral, anal, du miroir…). Si l’un de ces stades s’est jadis mal passé, cela crée chez l’adolescent ou l’adulte des zones de fragilité psychique auxquelles on peut tenter de remédier par une psychothérapie conçue comme une reconstruction. Les enfants adoptés ont souvent eu un passé douloureux, subi des chocs traumatiques. L’adoption, conçue comme une " réparation ", leur fournit une occasion de se restructurer. Etant proches de leur petite enfance, ils ont le privilège de pouvoir revivre, auprès de leurs adoptants et dans de bonnes conditions, les stades de leur évolution qui leur avaient posé problèmes. Dans ce cas, la régression tient lieu de psychothérapie. Mais, souvent, les enfants, qui ont un passé particulièrement lourd, sont incapables de faire suffisamment confiance pour se laisser aller à régresser naturellement : ils ont besoin de l’aide d’un thérapeute, en complément de la compréhension de leurs parents, et peuvent reporter à l’adolescence leurs manifestations régressives.

Régresser pour l’enfant, c’est repasser par toutes les étapes de la petite enfance afin que la nidation au sein de sa nouvelle famille puisse se réaliser. Régresser, c’est la meilleure façon pour l’enfant, de reprendre pieds dans le présent et dans cette nouvelle histoire familiale avec ce qui, de toute façon, reste du passé. C’est aussi une façon de mettre à distance ce passé - sans pour autant le gommer - pour l’alléger de sa charge affective. C’est mieux vivre deux filiations, toutes aussi importantes l’une que l’autre mais c’est faire le choix de vivre pleinement la deuxième.

La régression se déroule en plusieurs étapes. On assiste souvent à une première période de "séduction " où tout est merveilleux pour les parents comme pour l’enfant : les uns sont sous le charme et usent du leur pour se faire adopter, l’autre se trouve plongé dans un milieu où tout est à découvrir (surtout pour celui qui arrive de loin), où tout et tout le monde s’offrent à lui. Mais le merveilleux ne dure qu’un temps : l’enfant réalise bien vite qu’il ne peut posséder tout et tout le monde, qu’il doit obéir à des règles. Son grand besoin d’être aimé s’accompagne de la peur de ne pas l’être, d’où la nécessité de vérifier. Avoir déjà vécu un abandon laisse des marques et la crainte de se voir à nouveau rejeté freine l’attachement. Cette confusion de sentiments l’amène à se montrer souvent opposant, volontiers provocateur. C’est la période d’opposition et de tests. Donner des limites est essentiel à ce moment. Les parents ne peuvent pas et ne doivent pas répondre à tous ses désirs - sous prétexte qu’il a souffert - car cela donne un sentiment à la fois de toute puissance et d’insécurité, néfaste à la construction de sa personnalité.
C’est souvent à partir du moment où l’enfant commence à accepter des règles que naît en lui un sentiment de sécurité et de confiance envers ses parents, condition pour lui permettre de s’abandonner et de se laisser aller à la régression.

Tous les enfants ne régressent et certains enfants ne peuvent pas le faire. C’est le cas d’enfants trop perturbés qui évitent de s’attacher, redoutant d’être à nouveau rejetés ou abandonnés ; ils restent alors au stade de l’opposition et mettent souvent les adultes à l’épreuve.
C’est le cas aussi d’enfants qui ne s’y sentent pas autorisés par des parents peu présents ou qui, consciemment ou non, ne retrouvent pas dans cet enfant celui dont ils avaient rêvé. Il ne faut pas hésiter, dans un cas comme dans l’autre, à en parler à une personne de confiance ou à consulter un spécialiste (psychologue ou médecin) pour aider à dénouer une situation confuse ou mieux comprendre une souffrance, qu’elle soit celle de l’enfant ou d’un parent.
Des enfants bien préparés et déjà solides affectivement à leur arrivée peuvent s’attacher rapidement sans réel besoin de ce retour en arrière. Les parents peuvent favoriser la régression par leur disponibilité affective mais non pousser l’enfant dans un processus auquel il n’est pas prêt : ce serait l’infantiliser et l’empêcher par ailleurs de grandir.

Même s’il s’agit d’une régression consécutive à une adoption les parents doivent se souvenir que régresser n’est pas une sorte de médicament miracle et qu’on ne peut pas forcer un enfant à régresser même si on est persuadé que ce serait pour son bien. Les parents sont seulement là pour accompagner l’enfant dans le mode de régression qu’il aura choisit au moment où il sera prêt à vivre cette expérience et en gardant bien à l’esprit que toute régression, pour être bénéfique, doit être suivit d’un retour à la normale et qu’il ne peut s’agir en aucun cas d’une infantilisation définitive, même si des parents, frustrés de la joie de materner un nourrisson, puisqu’ils ont adopté un enfant grand, trouvent eux-même une certaine satisfaction à vivre la régression de leur enfant.

Conclusion

Si l’examen du cheminement des adoptants, depuis la prise de conscience de leur désir d’adopter, avec ses espoirs et ses ambiguïtés, à travers leurs démarches et jusqu’à leur vie avec l’enfant, peut donner à penser que l’adoption présente des difficultés et des risques particuliers, en fait celle-ci nous ramène simplement à l’essentiel de toute parenté humaine, qui est d’abord une parenté de désir et de cœur. En ce sens, la réussite de beaucoup d’adoptions nous apporte un message.

Elle nous apprend que chaque homme a trois naissances. La première est physique : c’est lorsque sa mère d’origine le met au monde. Cela ne suffit pas pour vivre humainement, mais c’est indispensable et nul ne peut gommer cette première mère. La deuxième est sociale : c’est la déclaration à l’état civil avec l’attribution d’un nom, l’inscription dans une généalogie, l’acquisition d’une identité avec son nom de famille, qui lui appartiendra toute la vie et par lequel on le désignera. La troisième est affective : c’est l’éducation et l’amour quotidien qui fait vivre et inscrit l’homme dans une appartenance de cœur et de pensée.

Dans la plupart des cas, les parents d’origine, les parents juridiques et les parents d’amour sont les mêmes. Il arrive cependant qu’il n’en soit pas ainsi. Dans tous les cas, l’être humain sera pourtant complet et pourra s’épanouir pleinement lorsqu’il sera clair avec ses trois filiations.

Tout enfant a besoin pour exister comme un être humain, d’abord de recevoir la vie et un patrimoine génétique spécifique, d’être ensuite reconnu et nommé comme individu unique et, enfin, d’être aimé et éduqué, introduit dans la société, accompagné au quotidien vers son statut d’adulte. Mais il a surtout besoin de vérité.

C’est ainsi que l’enfant adopté doit savoir que ses parents, appelés indûment adoptifs alors qu’ils sont simplement ses parents, sont ses vrais parents et ce pour toujours. Mais il doit savoir qu’il a aussi une origine différente. Cette différence doit être une richesse. Il importe aussi que les parents acceptent que leur enfant puisse un jour peut-être vouloir être " au clair " avec cette origine, non pour y rechercher l’amour qu’il a de toute façon trouvé auprès d’eux, mais la compréhension d’une histoire qui lui appartient. Et l’adoption sera réussie le jour où l’enfant, riche de ses différences acceptées, adoptera à son tour ses parents.

P.-S.

Une première version de ce texte a d’abord été présentée comme Mémoire de Diplôme d’Université de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent (sous la direction pédagogique de M. le Professeur Gérard Schmidt) en Juin 2000 à l’Université de Reims Champagne-Ardenne (Faculté de Médecine de Reims).

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