Exposé des théories de Freud
Freud, formé à l’Ecole de Charcot, à la Salpêtrière, et à celle de Bernheim de Nancy, pourvu d’un sens pénétrant d’analyse psychologique et favorisé par la collaboration de Breuer, est devenu le créateur d’une théorie connue universellement sous le nom de psychanalyse, qui a rendu célèbre son auteur. On peut dire que Freud, par sa doctrine, par l’École qu’il a créée non seulement en Autriche, mais aussi dans différents pays, de même que par les nombreuses revues qui s’occupent actuellement de la psychanalyse, a donné, d’une part, un nouvel essor aux recherches psychologiques et, d’autre part, a infusé une vie nouvelle à la psychiatrie et à la psychothérapie. Le caractère original, voire même impressionnant de la psychanalyse, c’est qu’elle accorde une importance du premier ordre aux phénomènes de la sexualité dans les manifestations affectives de notre inconscient.
La psychanalyse n’est plus uniquement une science médicale. Son champ d’observation s’est considérablement étendu. Actuellement elle embrasse l’ensemble des expériences affectives et émotives, non seulement de l’homme normal et de l’homme malade, mais encore de toute l’humanité, au point de vue de son évolution psychique. Cet élargissement s’est fait insensiblement, autant par l’accumulation et la généralisation des faits isolés que par des travaux synthétiques et des études historiques (Hesnard).
D’autre part Freud, Riklin, Rank, Abraham, Silberer, etc. cherchèrent la confirmation de leurs vues dans les œuvres des grands artistes, littérateurs ou psychologues raffinés. Ainsi, les connaissances sur la psychologie individuelle, acquises au moyen de la psychanalyse, furent généralisées et reportées sur les problèmes de l’histoire : on trouve, par exemple, des analogies remarquables entre le mécanisme du rêve d’une part, les contes de fées et la mythologie d’autre part, en ce qui concerne l’expression symbolique et la réalisation imaginaire du désir. Selon l’expression de Jung, les mythes sont les rêves séculaires de l’humanité.
Pour mieux saisir la genèse et le mécanisme de la psychanalyse, nous allons résumer d’une façon succincte l’observation princeps de Breuer, qui a mis Freud sur la voie de la psychanalyse. Il s’agissait d’une jeune fille, âgée de 21 ans, très intelligente, qui pendant deux ans a présenté les désordres nerveux suivants : d’abord une paralysie et des troubles de la sensibilité du côté droit, puis les mêmes troubles moteurs et sensitifs du côté gauche. À ces désordres se sont ajoutés une faiblesse dans les mouvements des globes oculaires, la diminution de la perception visuelle, une toux nerveuse, le dégoût pour tout aliment, l’aversion pour l’eau, et une soif qui torturait la malade. De temps en temps, on observait encore des troubles du langage et de la surdité verbale, des désordres psychiques (délire et changement de la personnalité).
Tous ces phénomènes ont fait leur apparition pendant que la jeune fille soignait son père malade. Ce qui frappa tout d’abord Breuer, c’est le fait que la malade prononçait pendant son délire des paroles qui paraissaient en rapport avec ses états psychiques antérieurs. En hypnotisant la malade, Breuer se convainquit qu’elle ne prononçait pas des mots disparates, mais des phrases qui exprimaient d’une manière touchante la douleur qu’elle éprouvait en voyant son père mourant.
De plus, cet aveu pendant l’hypnose produisait un soulagement passager des troubles mentaux. En demandant à la malade à quelle occasion son aversion pour l’eau était apparue, celle-ci donna comme origine de ses symptômes le fait qu’en entrant un jour dans la chambre de sa gouvernante elle avait vu un chien buvant d’une carafe. Par un sentiment de délicatesse elle n’avait pas protesté. Sortie du sommeil hypnotique elle demanda immédiatement de l’eau et de la sorte son hydrophobie disparut. Toujours de la même manière Breuer a pu faire également disparaître les autres troubles : le strabisme, l’hémiplégie, la mégalopsie. Il résulte, de l’aveu de la malade fait pendant l’hypnose, que ses troubles étaient dus à l’effort qu’elle devait faire pour retenir ses larmes et empêcher sa douleur de se manifester pendant qu’elle soignait son père. Breuer en conclut que tous les symptômes qu’elle présentait étaient en relation avec les états affectifs antérieurs qu’elle avait essayé de combattre. Au lieu d’exprimer, par la mimique, ses sentiments de dégoût, en voyant le chien boire de l’eau dans un verre, et de manifester sa souffrance morale au chevet de son père malade, elle a dû les refouler dans son inconscient. Pendant que la malade se trouvait en état de veille, elle ne connaissait pas la relation qui existait entre les sentiments refoulés dans la profondeur de son âme et ses troubles nerveux. Mais, pendant l’hypnose, lorsque sa conscience dormait, pour ainsi dire, elle se rendait compte de ces relations ; ceci apportait un soulagement, suivi de la disparition des troubles nerveux.
C’est de cette façon que Breuer et Freud ont été conduits à admettre que les troubles psychiques et somatiques des hystériques sont des conversions des états affectifs, et que, pour les faire disparaître, il faut employer la méthode cathartique qui est une espèce de décharge de l’énergie affective rentrée. Continuant ses recherches sur les symptômes hystériques, Freud fut impressionné par la fréquence des accidents nerveux d’ordre sexuel qui se rencontraient à l’origine ou au cours de l’histoire de l’hystérie.
Il passa ensuite à l’étude des autres névroses, aux obsessions, aux phobies, à certaines formes de psycho-névroses hallucinatoires, et partout il retrouva à l’origine de ces maladies des événements émotionnants concernant la sexualité et survenus le plus souvent avant la puberté et dans la seconde enfance. C’est ainsi qu’il fut naturellement conduit à admettre que les événements d’ordre sexuel constituaient les causes nécessaires et suffisantes des névroses ultérieures ; les traumatismes affectifs détermineraient au moment de la puberté telle ou telle variété de maladie suivant les circonstances au milieu desquelles ils se déroulent. Freud se figurait que la névrose apparaissant dans de pareilles circonstances constitue une action inconsciente de défense, ayant pour but de bannir de la mémoire le souvenir pénible. L’hystérie, les obsessions et les phobies devenaient de la sorte des névroses de défense. Comme les idées classiques sur la nature héréditaire et constitutionnelle des psycho-névroses n’expliquaient pas leur genèse, Freud accorde la première place aux événements émotionnants concernant la sexualité. Toutes les études ultérieures de Freud portent sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des psycho-névroses et névroses en général, mais, pour avoir une idée nette de l’origine sexuelle de ces maladies, Freud a été obligé de rechercher les premières manifestations de l’instinct sexuel, c’est-à-dire la sexualité infantile.
En traitant de la sorte ses malades, le neurologiste viennois inaugurait une sorte de méthode interrogatoire qui demandait beaucoup de patience de la part du médecin et du malade. Au cours du traitement, l’auteur fait appel à l’évocation automatique des souvenirs. Ensuite, la psychanalyse élargit son domaine par l’interprétation des rêves et l’étude psychologique des faits et gestes de la vie courante. Dans les rêves, dans les menus faits de la vie quotidienne, dans la psychologie littéraire, Freud retrouve les mêmes procédés inconscients de l’esprit humain. Dans la plupart de ces phénomènes, il fait intervenir l’instinct sexuel, dont il fait l’instinct primordial de l’homme ; ainsi est créée la doctrine du pansexualisme.
I. - Instinct sexuel et pansexualisme
Dans ses premières enquêtes sur les incidents sexuels de l’enfance, Freud fut frappé du rôle considérable que joue l’instinct sexuel dans l’étiologie des névroses.
En opposition avec la physiologie et la psychologie traditionnelles qui nous enseignent que l’instinct sexuel s’éveille seulement à la puberté, Freud affirme que l’acte sexuel existe, puissant et varié, mais méconnu, déjà dans l’enfance. On a négligé d’étudier l’évolution érotique de l’être depuis la naissance jusqu’à l’âge pubère. C’est pourquoi Freud s’est appliqué à rechercher dans le développement instinctif et génital les racines premières des psycho-névroses. Cette étude l’a conduit à réduire complètement le rôle de l’hérédité dans la genèse de l’état morbide et à le remplacer par la sexualité.
L’ignorance scientifique actuelle sur la sexualité infantile est due principalement à l’amnésie infantile qui est, pour Freud, plus voisine, comme nature, de l’amnésie pathologique des névroses que du simple oubli d’objets indifférents. Cette amnésie consiste en ce que la censure, fonction chargée d’écarter de la connaissance du sujet tout souvenir pénible qui blesse sa personnalité morale et sociale, impose à chacun de nous l’oubli catégorique des éléments révélateurs de l’éveil de notre sensibilité. Il s’agit donc, pour explorer la vie affective et sexuelle de l’enfant, de pénétrer dans la mémoire inconsciente de l’adulte, puis de contrôler les résultats ainsi obtenus par l’observation psychologique objective minutieuse de la vie infantile. En agissant ainsi, Freud pensait avoir découvert tout un monde, découverte qui serait pour la neuropathologie ce qu’a été pour la géographie la découverte des sources du Nil.
Plusieurs observateurs avaient remarqué, à propos de la sexualité des enfants, des érections précoces, des gestes rappelant le coït, des sentiments d’amour, de jalousie, de cruauté, ce qui faisait soupçonner que les manifestations de l’instinct sexuel peuvent revêtir, pendant l’enfance, une intensité très grande. Dans ses investigations, Freud a utilisé la psychanalyse de la “préhistoire” affective chez l’adulte, c’est-à-dire la reconstitution des souvenirs relativement aux premiers événements sexuels, et l’observation directe des enfants.
L’instinct érotique se traduit primitivement par un besoin spécial, sommation de tous les instincts et tendances en rapport avec l’excitation sexuelle dans ses aspects les plus organiques comme les plus psychiquement épanouis : la libido.
Analogue à la faim en général, la libido désigne la force avec laquelle se manifeste l’instinct sexuel, comme la faim désigne la force avec laquelle se manifeste l’instinct d’absorption de nourriture. Les premières manifestations de la sexualité qui se montrent chez le nourrisson se rattachent à d’autres fonctions vitales. Ainsi qu’on le sait, son principal intérêt porte sur l’absorption de nourriture ; lorsqu’il s’endort rassasié devant le sein de sa mère, il présente une expression d’heureuse satisfaction qu’on retrouve plus tard à la suite de la satisfaction sexuelle. Et on remarque que le nourrisson est toujours disposé à recommencer l’absorption de nourriture, non parce qu’il a encore besoin de celle-ci, mais pour la seule action que cette absorption comporte. On dit alors qu’il suce ; et le fait que, ce faisant, il s’endort de nouveau avec une expression béate nous montre que l’action de sucer lui a, comme telle, procuré une satisfaction. Il finit par ne plus s’endormir sans sucer.
Donc le nourrisson accomplit des actes qui ne servent qu’à lui procurer un plaisir. Freud pense qu’il a commencé à éprouver ce plaisir à l’occasion de l’absorption de nourriture, mais qu’il n’a pas tardé à apprendre à le séparer de cette condition. L’auteur rapporte cette sensation de plaisir à la zone bucco-labiale qu’il désigne du nom de zone érogène, et il considère le plaisir procuré par l’acte de sucer comme un acte sexuel. Et l’on apprend par la psychanalyse combien profonde est l’importance psychique de cet acte dont les traces persistent ensuite toute la vie durant. L’acte qui consiste à sucer le sein maternel devient le point de départ de toute la vie sexuelle, l’idéal jamais atteint de toute satisfaction sexuelle ultérieure, auquel l’imagination aspire dans les moments de grande privation et de grand besoin. C’est ainsi que, d’après Freud, le sein maternel forme le premier objet de l’instinct sexuel.
Il en est de même de l’onanisme des bébés. Aucun n’y échappe, s’il faut en croire Freud. Parfois le bébé suce son gros orteil, volupté sexuelle ! La succion du pouce, avec tiraillements rythmiques d’une oreille, provoque une sorte d’orgasme et de somnolence. L’auteur ajoute que la plupart des insomnies nerveuses proviennent de la non-satisfaction sexuelle. C’est pourquoi les bonnes endorment souvent les enfants en frottant légèrement leurs parties génitales. La zone érogène de l’anus a une très grande importance dans la première enfance. Les entérites, si fréquentes à cet âge, surexcitent cette zone et rendent l’enfant nerveux. Plus tard, les hémorroïdes joueront leur rôle pour expliquer les états névropathiques. L’enfant se procure ainsi du plaisir, sans avoir pour cela besoin du consentement du monde extérieur, et l’appel à une deuxième zone du corps renforce en outre le stimulant de l’excitation. Toutes les zones érogènes ne sont pas également efficaces ; aussi est-ce un événement important dans la vie de l’enfant lorsque, à force d’explorer son corps, il découvre les parties particulièrement excitables de ses organes génitaux et trouve ainsi le chemin qui finira par le conduire à l’onanisme.
La sexualité infantile se rattache notamment à la satisfaction des grands besoins organiques et elle se comporte, en outre, d’une façon autoérotique, c’est-à-dire qu’elle trouve ses objets sur son propre corps. Ce qui est apparu avec la plus grande netteté à propos de l’absorption d’aliments se renouvelle, en partie, à propos des excrétions. Freud en conclut que l’élimination de l’urine et du contenu intestinal est pour le nourrisson une source de jouissance et qu’il s’efforce bientôt d’organiser ses actions de façon à ce qu’elles lui procurent le maximum de plaisir, grâce à des excitations correspondantes des zones érogènes des muqueuses.
Tout le monde connaît la légende grecque du roi Œdipe qui a été voué par le destin à tuer son père et à épouser sa mère, qui fait tout ce qu’il peut pour échapper à la prédiction de l’oracle et qui, n’ayant pas réussi, se punit en se crevant les yeux, dès qu’il a appris qu’il a, sans le vouloir, commis les deux crimes qui lui ont été prédits. Sophocle nous montre comment le crime commis par Œdipe a été peu à peu dévoilé, à la suite d’une enquête artificiellement retardée et sans cesse ranimée à la faveur de nouveaux indices : sous ce rapport, son exposé présente une certaine ressemblance avec les démarches d’une psychanalyse. Il arrive au cours du dialogue que Jocaste, la mère-épouse, aveuglée par l’amour, s’oppose à la poursuite de l’enquête. Elle invoque, pour justifier son opposition, le fait que beaucoup d’hommes ont rêvé qu’ils vivaient avec leur mère, mais que les rêves ne méritent aucune considération.
Que nous révèle donc de l’Œdipe-complexe l’observation directe de l’enfant à l’époque du choix de l’objet, avant la période de latence ? On voit, répond Freud, que le petit bonhomme veut avoir la mère pour lui tout seul, que la présence du père le contrarie, qu’il boude lorsque celui-ci manifeste à la mère des marques de tendresse, qu’il ne cache pas sa satisfaction lorsque le père est absent ou part en voyage. Il exprime souvent de vive voix ses sentiments, promet à la mère de l’épouser. On dira que ce sont des enfantillages en comparaison des exploits d’Œdipe, mais cela suffit en tant que faits et cela représente ces exploits en germe. On se trouve souvent dérouté par la circonstance que le même enfant fait preuve, dans d’autres occasions, d’une grande tendresse à l’égard du père ; mais ces attitudes sentimentales opposées ou plutôt ambivalentes, qui, chez l’adulte, entreraient fatalement en conflit, se concilient fort bien, et pendant longtemps, chez l’enfant, comme elles vivent ensuite côte à côte, et d’une façon durable, dans l’inconscient. On dira peut-être que l’attitude du petit garçon s’explique par des motifs égoïstes et n’autorise nullement l’hypothèse d’un complexus érotique. C’est la mère qui veille à tous les besoins de l’enfant, lequel a d’ailleurs tout intérêt à ce que nulle autre personne ne s’en occupe. Ceci est certainement vrai, mais on s’aperçoit aussitôt que dans cette situation, comme dans beaucoup d’autres analogues, l’intérêt égoïste ne constitue que le point d’attache de la tendance érotique. Lorsque l’enfant manifeste à l’égard de la mère une curiosité sexuelle peu dissimulée, lorsqu’il insiste pour dormir la nuit à ses côtés, lorsqu’il veut à tout prix assister à sa toilette et use même de moyens de séduction qui n’échappent pas à la mère, laquelle en parle en riant, la nature érotique de l’attachement à la mère paraît hors de doute. Il ne faut pas oublier que la mère entoure des mêmes soins sa petite fille sans provoquer les mêmes effets et que le père rivalise souvent avec elle d’attentions pour le petit garçon, sans réussir à acquérir aux yeux de celui-ci la même importance.
Les parents eux-mêmes exercent souvent une influence décisive sur l’acquisition par leurs enfants de l’Œdipe-complexe, en cédant de leur côté à l’attraction sexuelle, ce qui fait que, dans les familles où il y a plusieurs enfants, le père préfère manifestement la petite fille, tandis que toute la tendresse de la mère se porte sur le petit garçon. Malgré son importance, ce facteur ne constitue cependant pas un argument contre la nature spontanée de l’Œdipe-complexe chez l’enfant. Ce complexe, en s’élargissant, devient le “complexe familial” lorsque la famille s’accroît par la naissance d’autres enfants. Les premiers venus y voient une menace à leurs situations acquises : aussi les nouveaux frères ou sœurs sont-ils accueillis avec peu d’empressement et avec le désir formel de les voir disparaître.
Au cours du développement du petit enfant, on peut suivre les différents temps de ce déplacement de l’objet sexuel. Le petit enfant choisissait d’abord comme but sexuel la personne du parent nourricier. C’est-à-dire qu’il choisit primitivement comme objet sexuel le sein de sa nourrice. Après la période de latence, il cherche en dehors de lui un but qui ait une signification érotique et psychique plus précise et localise son instinct sur la personne tout entière des nourriciers, celui du sexe opposé le plus souvent ; et la tendresse parentale représente alors le premier stade de l’amour hétérosexuel. La plupart des terreurs nocturnes des enfants ont leur source dans l’exagération de cette tendresse, manifestée dans les moments où elle perd momentanément son objet.
Le détachement plus ou moins progressif des liens érotiques qui unissent l’enfant aux parents se produit à la puberté, au premier amour. Les tendances incestueuses disparaissent, et la libido se transfère normalement sur un objet du sexe opposé, pris en dehors des parents, mais dont le choix est fréquemment influencé par un reliquat de ces tendances : par exemple par l’amour de la mère et de la sœur, pour le jeune homme, par l’attachement au père et au frère, pour la jeune fille. Les tendances réalisent ainsi, à l’insu du sujet, comme un essai de rénovation des amours infantiles.
De plus, une partie de la libido reste fréquemment fixée durant une période plus ou moins longue à la personne du sujet, qui s’accorde à lui-même une part de l’intérêt et de la tendresse qu’il devrait accorder aux autres. C’est la période de narcissisme, dont les récents travaux de Freud lui ont montré l’importance psychologique générale.
La découverte de l’Œdipe-complexe a provoqué la résistance la plus acharnée, et ceux qui avaient un peu tardé à se joindre au chœur des négateurs de ce sentiment défendu ont racheté leur faute en donnant de ce “complexe” des interprétations qui lui enlevaient toute valeur. Freud reste inébranlablement convaincu qu’il n’y a rien à y enlever, rien à y atténuer. Il faut se familiariser avec ce fait, que la légende grecque elle-même reconnaît comme une fatalité inéluctable. Il est intéressant, d’autre part, devoir que cet Œdipe-complexe qu’on voudrait éliminer de la vie, est abandonné à la poésie, laissé à sa libre disposition. O. Rank a montré, dans une étude consciencieuse, que l’Œdipe-complexe a fourni à la littérature dramatique de beaux sujets qu’elle a traités, en leur imprimant toutes sortes de modifications, d’atténuations, de travestissements, c’est-à-dire des déformations analogues à celles que produit la censure des rêves.
Sans doute, la notion d’Œdipe-complexe était de nature à blesser en quelque sorte les sentiments les plus intimes de la famille et de la morale admise. Nous reviendrons plus tard sur cette question à propos de la critique de la doctrine de Freud.