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Les Signifiants de la Psychanalyse

Fantasme

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Date de mise en ligne : lundi 26 mai 2003

Auteur : Christophe BORMANS

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« Et la plus haute joie qui échoit à l’esprit en partage est de s’écouler à nouveau dans le Rien de son archétype et à y être - en tant que moi - entièrement perdu » (Maître ECKHART, Des deux chemins).

Pour user d’une métaphore qui sera tout de suite parlante, l’on peut dire que le fantasme est un bouchon qui vient combler un vide, un manque, disons une différence incommensurable, radicale. Ainsi, sommes-nous d’emblée plongé dans ce que Freud appelait l’Inconscient et ce que Lacan nommera, quant à lui, le réel [1], c’est-à-dire la différence radicale, le non-rapport, l’indicible.

Que le fantasme soit un bouchon, veut d’abord dire qu’il va tenter d’épouser la forme d’un goulot - fut-il souvent d’étranglement -, le goulot d’une bouteille elle-même nécessairement imaginaire, que ce bouchon, ce fantasme se proposerait de reboucher.

C’est-à-dire que ce bouchon va donner une forme supposée, à ce qui n’est que vide et différence absolue. Or, les deux différences radicales auxquelles l’homme est confronté sont la différence des sexes et celles des générations.

Pour le jeune enfant, pour la première fois mis en face de cette différence première, un véritable gouffre s’ouvre, gouffre qu’il va d’abord s’empresser de combler (refoulement), nier (perversion) ou de forclore (psychose), c’est-à-dire de considérer comme nul et non avenu. L’on peut donc d’emblée entériner que le choix de la névrose ou de la structure psychique, est déterminé par, ou se confond avec la structure du fantasme. Bref, ce que l’on appelle la personnalité n’est finalement pas autre chose que l’allure, toujours particulière, de notre fantasme fondamental, mis en place par rapport à ce vide sans fond. La personnalité n’est pas autre chose que notre rapport à la différence radicale, et appelons-la désormais castration.

La différence des générations

Lorsque cette différence à laquelle nous nous trouvons inévitablement confrontés s’exprime par la différence des générations, deux types de fantasmes peuvent venir boucher, combler cette différence absolue. Puisque la différence des générations se traduit essentiellement par le fait que l’enfant ne peut lui-même se concevoir en aucune manière, le fantasme qui va venir combler cette différence mettra en scène son auto-engendrement, soit avec sa propre mère ou son propre père, soit avec les deux. Le fantasme incestueux (séduction) ou le fantasme dit de la "scène primitive" vient en ce cas obstruer la béance, l’indicible de la création et de la différence des générations.

Remarquons ici encore une fois, que cette différence est un réel et que toute explication pseudo rationnelle de cette différence participe de ce fantasme. En ce sens, le fantasme en tant que réel, est d’une part nécessairement soumis à interprétation, et d’emblée collectif. Telle théorie mathématique, telle religion ou tel mythe vient, en ce qu’il en propose une interprétation, participer de ce fantasme, bien que là encore, il sera nécessaire de distinguer l’obstruction pure et simple, du questionnement de sa logique et de ses conséquences.

La différence des sexes

Lorsque cette différence à laquelle nous nous trouvons constamment confrontés se présente sous la forme de la différence des sexes, le fantasme qui vient boucher, obstruer cette différence radicale est dit fantasme de castration. Il s’ensuit que la crainte du père aussi bien que le désir pour ce même père vient tout aussi bien suturer cette opération qu’on lui attribue. Il est bien évident que dans la logique (topologique) dans laquelle nous nous trouvons, craintes et désirs n’ont ici rien de contradictoire et peuvent parfaitement se condenser, s’associer, puisqu’ils sont identiques par rapport au but qu’ils se proposent : combler la différence des sexes.

La forme que prend ce fantasme de castration peut elle-même, encore une fois, en prendre plusieurs, une infinité. Un fantasme sadique ou masochiste fera tout autant l’affaire qu’un fantasme de perte de l’objet (sein, fèces). L’on voit ici comment le rapport à la castration qu’aura vécue et entretenue le sujet dans sa propre historicité, modèle sa personnalité et sculpte réellement sa structure psychique inconsciente.

Précisons en outre, que le fantasme aime particulièrement à épouser la forme d’un objet mythique qui viendrait en même temps combler ces deux différences fondamentales que sont la différence des générations et la différence des sexes. L’Œdipe est à cet égard des plus structurants. Le meurtre du père opère une condensation entre un fantasme incestueux et un évitement (et donc reproduction) de la castration que l’on redoute de sa part. Comme Freud le précise, chaque enfant est nécessairement et profondément impressionné par ces différences et tente de les condenser un seul mythe.

En ce qu’elle adresse à Œdipe une question sur les trois temps de l’homme, l’enfant, le père et le grand-père (« Quel est l’être qui marche tantôt à deux pattes, tantôt à trois, tantôt à quatre, et qui, contrairement à la loi générale, est le plus faible quand il a le plus de pattes ? »), la Sphinge, monstre à moitié lion et à moitié femme, autrement dit mêlant allègrement le masculin et le féminin, confronte d’emblée Œdipe à la différence des sexes et à celle des générations, pour lui-même et pour l’Autre. De cette énigme, c’est-à-dire ce questionnement sur la différence radicale, il en découle logiquement qu’au fur et à mesure que le Sphinx se jette dans le précipice, Œdipe va quant à lui, se précipiter dans l’inceste et l’autocastration.

Ce sont là les fantasmes originaires (Urphantasien) de Freud, qu’il faut bien prendre soin de différencier des scénarii et fantaisies diurnes.

Fantasme et fantaisies

Une erreur qui résulte d’une incompréhension du caractère incomparablement rigoureux de la discipline analytique, consiste en un mésusage du terme de fantasme. Il n’est pas rare, en effet, de confondre fantasme et fantaisie ou scénario plus ou moins conscient et, d’entendre proférer, sous prétexte de psychanalyse, des interprétations sauvages sur telles ou telles fantaisies. Dans la mesure où de telles fantaisies ou scenarii sont purement imaginaires et plus ou moins conscients, de telles interprétations, dans leur caractère de prises de position, ne peuvent qu’avoir des effets déplorables, pour la raison qu’elles se situent elles-mêmes au niveau imaginaire dans lequel elle entérinent ces fantaisies. S’il n’y a aucun inconvénient à en plaisanter ou à en rire dans la vie quotidienne, sur le plan de la thérapeutique par contre, où se joue nécessairement un transfert, toute remise en cause sur le plan imaginaire aurait pour conséquence de figer le sujet dans cet imaginaire indéterminé et problématique.

Tout au contraire, et c’est là que se démontre toute la rigueur de la discipline analytique, la cure vise à ce que, en surmontant ses résistances, qui ne sont finalement que résistances à l’évocation du fantasme, le sujet travaille cet imaginaire par le symbolique, afin d’en dégager sa logique dans le réel.

Ainsi, ce que l’on appelle "roman familial", "roman individuel du névrosé" ou "théories sexuelles infantiles", ne sont-elles nullement à corriger, tant l’adulte ou l’enfant tentent-ils par ce biais imaginaire et plus ou moins conscient, d’élaborer un rapport à l’unique et seul véritable traumatisme : la différence radicale.

Pris par ce biais, il est clair que l’historiette de la théorie dite du fantasme se substituant à celle du traumatisme ne tient pas, pour peu que l’on veuille bien entendre le trauma pour ce qu’il est, à savoir - si nous tentons de l’attraper d’un point de vue étymologique -, issue de la racine indo-européenne "ter" qui signifie l’idée de "tordre", donnant en grec, "trauma" (blessure). Ce qui nous permet de saisir d’emblée toute la pertinence de la topologie des nœuds et de la torsion lacanienne, véritable écriture du réel du fantasme. En ce sens - et cette fois, par une appréhension basée sur la similitude des sons et des phonèmes -, le fantasme est le véritable "trou-matisme" [2].

Si Lacan qualifiait le fantasme d’« arrêt sur image », il peut être intéressant sur cette voie, de parler d’« arêtes » sur image, en vertu de la formule de la surface topologique :

Sommets - Arêtes + Faces = Surface topologique

C’est-à-dire que le fantasme est la véritable « arête » qui, retranchée au temps logique, nous plonge dans une topologie de l’espace névrotique infini, dont il est bien difficile d’émerger. À l’inverse, pour qui l’a suffisamment travaillé, usé et tordu, s’entrouvre alors la perspective d’un « savoir y faire avec son symptôme » [3].

Ceci n’est ni plus ni moins que ce qu’affirme Freud s’appuyant sur sa propre expérience. Les questions traditionnelles que se pose, ou s’est un jour posé chacun d’entre nous, à savoir "d’où viennent les enfants ?", "ai-je été adopté ?", "si ma mère n’était pas ma mère ?", "si mon père n’était pas mon père ?", etc., où, selon l’expression même de Freud, "se mêlent le juste et le faux" [4], sont autant de fantaisies conscientes ne devant être soumises à aucune remise en cause de la part du thérapeute, mais qui doivent pouvoir s’ouvrir dans la perspective d’un serrage toujours plus rigoureux des véritables fantasmes inconscients, "incapables" quant à eux "de devenir conscients" [5].

Le fantasme dans la cure analytique

Le but de l’analyse est encore une fois ici (et sera sans cesse) réaffirmé par Freud : à savoir ramener "à leur expression la dernière et la plus vraie", "cette forme d’existence particulière" qu’est la réalité psychique inconsciente et fantasmatique, laquelle ne saurait nullement se confondre avec la réalité "matérielle" ou consciente [6]. Ce qui est d’autant plus nécessaire, que le fantasme réduit, pris pour ce qu’il est, écriture du réel, Freud n’hésite pas à en faire une sorte de clé permettant, à celui qui sait l’utiliser, de passer de l’« inertie » (fixation) à une véritable dynamique psychique. C’est en tout cas ce que Freud souligne clairement en 1915, en conclusion de sa « Communication d’un cas de paranoïa contredisant la théorie psychanalytique » [7] :

« Ainsi, par exemple, celui qu’on appelle neurasthénique est, par sa liaison inconsciente à des objets d’amour incestueux, empêché de prendre pour objet une femme étrangère et, dans son activité sexuelle, restreint à la fantaisie. Mais sur le terrain de la fantaisie, il accomplit la progression qui lui a été refusée, et peut remplacer mère et sœur par des objets étrangers. Étant donné que, pour ces derniers, la protestation de la censure disparaît, dans ces fantaisies le choix de ces personnes substitutives devient pour lui conscient ».

Freud en conclut sur un mode que l’on pourrait qualifier aujourd’hui d’éminemment lacanien :

« Nous sommes beaucoup trop enclins à cette conception que le conflit qui est fondement de la névrose est achevé avec la formation de symptôme » [8].

Le fameux « savoir y faire avec son symptôme » de Lacan est à entendre dans la droite ligne de ce que Freud énonçait en 1915. « Un mot encore », concluait Lacan dans sa séance du 22 octobre 1973 : « Il ne faut rien inventer. Voilà ce que nous enseigne la révélation de l’inconscient. Mais rien à faire - c’est l’invention qui nous démange. Puisque ce qu’il faut, c’est nous détourner du réel, et de ce que signifie la présence du nombre ». Se détourner du réel, inventer, voilà ce que permet la logique rigoureuse du fantasme : « le fantasme est le moteur de la réalité psychique » [9].

Cette incompréhension, cette confusion entre fantaisie, traumatisme et fantasme, s’appuie généralement sur une lecture rapide de l’œuvre Freud. Or, c’est justement la spécificité de cette œuvre inégalable dans sa limpidité, que de nous montrer le chemin de l’analyse à proprement parler, c’est-à-dire de nous montrer, précisément, la voie du dégagement du fantasme inconscient des innombrables fantaisies de l’imaginaire conscient et préconscient dans lesquelles il est empêtré.

Ainsi, Freud ne cesse-t-il jamais de répéter comment il s’est lui-même fourvoyé dans de telles méandres, et cette répétition a pour unique but, s’effectue dans l’unique idée de nous montrer la voie, analytique, par laquelle nous pouvons sans cesse nous en dégager :

« […] Il faut que je mentionne une erreur à laquelle j’ai succombé pendant un certain temps, et qui faillit avoir des répercussions désastreuses sur tout mon travail. Sous la pression de mon procédé technique d’alors, la plupart de mes patients reproduisaient des scènes de leur enfance, qui avaient pour contenu la séduction sexuelle par un adulte. Chez les personnes du sexe féminin, le rôle du séducteur était toujours attribué au père. J’ajoutai foi à ces récits et en conclus que j’avais trouvé en ces expériences de séduction sexuelle de l’enfance les sources de la névrose ultérieure. Quelques cas, dans lesquels de telles relations au père, à l’oncle ou au frère aîné s’étaient poursuivies jusqu’aux années de remémoration certaine, me renforcèrent dans ma croyance. Si quelqu’un allait hocher la tête en me soupçonnant de crédulité, je ne pourrais pas lui donner tout à fait tort ; mais je ferais valoir que c’était l’époque où je faisais délibérément violence à mon sens critique, afin de rester impartial et réceptif aux nombreuses nouveautés qui se présentaient à moi tous les jours. Mais lorsque je fus contraint de reconnaître par la suite que ces scènes de séduction n’avaient jamais eu lieu, qu’elles n’étaient que des fantasmes forgés par mes patients, et que je leur avais peut-être imposés moi-même, je restai pendant un certain temps perplexe Ma confiance en ma technique ainsi qu’en ses résultats essuya un rude coup ; n’avais-je pas en effet contenu ces scènes par une voie technique que j’estimais correcte, et leur contenu n’était-il pas dans une relation évidente avec les symptômes dont était partie mon investigation ? Lorsque je me fus ainsi ressaisi, je tirai de mon expérience les conclusions correctes, à savoir que les symptômes névrotiques ne se rattachaient pas directement à des expériences réellement vécues, mais à des fantasmes de désir, et que, pour la névrose, la réalité psychique importait plus que la réalité matérielle. Je ne crois toujours pas aujourd’hui que j’aie imposé des fantasmes de séduction à mes patients, que je leur aie "suggérés". Je m’étais trouvé là confronté pour la première fois au complexe d’œdipe, qui devait prendre par la suite une signification prépondérante, mais que je ne distinguais pas encore sous un travestissement aussi fantasmatique » [10].

Si Freud, dans un après-coup, se rend compte pour la première fois de son erreur en septembre 1897 (dans une lettre à Fliess datée du 21), il faut aujourd’hui comprendre que c’est la découverte de cette erreur qui fut-elle même la grande découverte de Freud. C’est pour cette raison qu’il ne cessa jamais de l’exposer et de la préciser. Ce que Jacques Lacan, après Freud, continuera en proposant une écriture fantasme à l’aide du mathème : $ <> a [11].

« Il ne faut compter sur rien qui soit de corps apparent, ni de motricité animale », dit Lacan, en conclusion de la séance du 22 octobre 1973, au moment même où il introduit le nœud du fantasme [12]. Si l’on comprend qu’il n’y a « pas d’autre mode d’entrée pour le sujet dans le réel que le fantasme » [13] et que « c’est le réel qui permet de dénouer ce dont le symptôme consiste » [14], l’on comprend aisément l’incomparable et extraordinaire efficacité de la psychanalyse, seule véritable "cure par la parole" des formations, des fantasmes de l’inconscient.

Notes

[1« L’inconscient, c’est le réel en tant qu’impossible à dire » (Jacques LACAN, « C’est à la lecture de Freud… », Cahiers Cistre, n°3, pp. 9-17, 1977, p. 14).

[2« La sexualité fait trou dans le réel », (Jacques LACAN, « L’Éveil du printemps », dans F. Wedekind, Théâtre, pp. 9-12, Gallimard, Paris, 1974, p. 10).

[3Jacques LACAN, Séminaire XXIV (1976-1977), « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », séance du 16 novembre 1976.

[4Sigmund FREUD par lui-même [1952], Gallimard, Paris, 1984, p. 62.

[5Sigmund FREUD, « L’Inconscient », Métapsychologie, Gallimard, Paris, 1968.

[6Sigmund FREUD en conclusion de L’Interprétation des rêves (1900, PUF, Paris, 1967, p. 526).

[7Sigmund FREUD, Œuvres complètes, vol. XIII, PUF, Paris, 1988, p. 320.

[8Ibid., p. 320

[9Jacques LACAN, « De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité », Scilicet n°1, 51-60, 1968.

[10Sigmund FREUD par lui-même, op. cit., pp. 57-59.

[11« Le désir… ne se soutient que du rapport qu’il méconnaît, de la division du sujet à un objet qui le cause. Telle est la structure du fantasme » (Jacques LACAN, « Du "Trieb" de Freud et du désir du psychanalyste » [Résumé des interventions au colloque de l’Université de Rome en janvier 1964, sur le thème : "Technique et casuistique"], Écrits, Seuil, Paris, 1966, p.853).

[12Jacques LACAN, Le Séminaire, Livre XX, « Encore », Seuil, Paris, 1975, p. 123.

[13Jacques LACAN, « Compte rendu d’enseignements », Ornicar, n° 29, pp.8-25, 1984, p. 16.

[14« C’est le réel qui permet de dénouer effectivement ce dont le symptôme consiste, à savoir un nœud de signifiants. Nouer et dénouer n’étant pas ici des métaphores, mais bien à prendre comme ces nœuds qui se construisent réellement à faire chaîne de la matière signifiante.
Car ces chaînes ne sont pas de sens mais de joui-sens, à écrire comme vous voulez conformément à l’équivoque qui fait la loi du signifiant.
Je pense avoir donné une autre portée que ce qui traîne de confusion courante, au recours qualifié de la psychanalyse » (Jacques LACAN, Télévision, Seuil, Paris, 1974, p. 22.

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