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Louis Figuier

Origine de la baguette divinatoire

La baguette divinatoire (Chapitre I)

Date de mise en ligne : samedi 18 novembre 2006

Louis Figuier, La baguette divinatoire, Chapitre I : « Origine de la baguette divinatoire », Histoire du merveilleux dans les temps modernes, Tome II, Éd. Hachette et Cie, Paris, 1860, pp. 253-269.

LA BAGUETTE DIVINATOIRE.
CHAPITRE PREMIER.
Origine de la baguette divinatoire. — Son emploi dans l’antiquité, dans le moyen âge et dans les temps modernes.

Une baguette, une verge ou un bâton, ont représenté, dès les temps les plus anciens, le symbole extérieur de la puissance ou de quelque pouvoir surnaturel. Le sceptre des premiers rois n’était qu’un bâton garni de clous d’or ou d’argent. Lorsque Assuérus, roi des Perses et des Mèdes, donne son sceptre à baiser à la Juive Esther, c’est le signe d’une faveur ou d’une grâce telle qu’un souverain seul peut l’accorder.

Dans la Bible, Dieu lui-même nous est représenté avec cet attribut du bâton, qui symbolise sa toute-puissance ou sa miséricorde. Témoin ces paroles du psaume XXIII : Votre verge et votre bâton m’ont consolé. Dans le chapitre IV de l’Exode, l’Éternel dit à Moïse : Que tiens-tu à la main ? — Il répondit : Un bâton. Il dit : Jette-le à terre ; et il le jeta à terre et il devint serpent. Moise s’enfuit de devant lui.
L’Éternel dit à Moïse : Étends ta main et saisis sa queue ; il étendit la main et le saisit, et il redevint bâton à sa main.

On lit encore dans le même livre, au même chapitre, verset 17 : Quant à ce bâton, prends-le à la main ; c’est avec quoi tu feras des signes.

Que faut-il entendre par ces signes, si ce n’est ce que dit plus loin l’auteur sacré, lorsque, avec la verge de Dieu, Moïse et son frère aîné Aaron font des miracles en présence de Pharaon ? [1] Au reste, les devins d’Égypte avaient eux-mêmes des verges, par lesquelles ils faisaient aussi des miracles, de faux miracles, bien entendu.

De tous les miracles de Moïse, le plus célèbre, et celui qui en même temps a le plus de rapport avec notre sujet, c’est celui qu’il opère dans le désert, lorsque le peuple d’Israël, mourant de soif et demandant à grands cris de l’eau, il fait jaillir une fontaine en frappant de sa verge le rocher d’Horeb [2].

Enfin, on lit dans les Nombres, chapitre XVII, un passage où la baguette est l’oracle, et en quelque sorte le scrutin qui exprime la volonté de Dieu. Le peuple d’Israël étant distribué en douze tribus placées sous l’autorité de douze chefs, il s’agissait de savoir auquel de ces chefs Dieu destinait les fonctions de grand prêtre. On enferme dans le tabernacle douze baguettes, sur chacun desquelles un nom a été écrit. Le lendemain, l’une de ces baguettes a poussé des fleurs et des fruits : c’est celle qui porte le nom d’Aaron, de la tribu de Lévi, à qui ce miracle tint lieu d’ordination.

Dans ce dernier exemple, la baguette a cessé d’être un simple attribut ou un symbole d’autorité pour devenir un instrument de miracles. Elle n’est même plus entre les mains d’un personnage, car elle agit seule, par la vertu secrète qui lui a été communiquée. C’est là le signe que la superstition va bientôt en sortir, et qu’elle poussera plus vite que les fleurs et les fruits. Nous allons, en effet, voir la baguette employée, parmi ce même peuple d’Israël, comme moyen de divination, au grand scandale d’un prophète.

Mon peuple consulte du bois, pour qu’un bâton lui fasse connaître ce qui est ignoré ; car l’esprit de fornication le pousse si avant dans l’erreur que, s’éloignant de leur Dieu, ils se vautrent dans la débauche [3].

Ézéchiel n’est pas moins positif : Car le roi de Babel se lient sur le chemin de séparation, au commencement des deux chemins, pour se faire faire des sortilèges. Il secoue les flèches, interroge les téraphims [4], examine le foie [5].

Le jésuite Ménestrier, qui a recherché avec un soin curieux les origines de la baguette divinatoire, cite un autre passage de la Bible où l’on voit Jacob, gendre de Laban, appliquer une recette particulière pour se procurer des brebis bigarrées :

« 28. Et Laban dit à Jacob : Prescris-moi le salaire que tu exiges de moi, et je te le donnerai.

29. Et Jacob répondit : Tu sais comme je t’ai servi, et ce qu’est devenu ton bétail avec moi.

30. Car tu avais peu de chose avant que je vinsse ; mais ton bien s’est fort accru, et l’Éternel t’a béni aussitôt que j’ai mis le pied chez toi ; et maintenant, quand ferai-je aussi quelque chose pour ma maison ?

31. Et Laban lui dit : Que te donnerai-je ? Et Jacob répondit : Tu ne me donneras rien, mais si tu fais ceci, je paîtrai encore tes troupeaux, et je les garderai.

32. Je passerai aujourd’hui parmi les troupeaux, et je mettrai à part toutes les brebis picotées et tachetées, et tous les agneaux roux, et les chèvres tachetées et picotées entre les chèvres, et ce sera là mon salaire.

33. Et à l’avenir, ta justice me rendra témoignage, quand tu viendras reconnaître mon salaire. Tout ce qui ne sera point picoté ou tacheté entre les chèvres, et tout ce qui ne sera point roux entre les agneaux, sera tenu comme un larcin s’il s’est trouvé chez moi.

34. Alors Laban lui dit : Je le veux, je le souhaite ; que la chose soit comme tu l’as dit.

35. Et en ce jour-là, il sépara les boucs marquetés et tachetés, et toutes les chèvres picotées et tachetées, toutes celles où il y avait du blanc et tous les agneaux roux ; et il les mit entre les mains de ses fils.

36. Et il mit l’espace de trois journées de chemin entre lui, et Jacob paissait les troupeaux de Laban.

37. Mais Jacob prit des verges vertes de peuplier, de coudrier, de châtaignier, et il en ôta de place en place les écorces, en découvrant le blanc qui était aux verges.

38. Et il mit les verges qu’il avait jetées de place en place, au devant des troupeaux, dans les auges et les abreuvoirs où les brebis venaient boire ; et elles entraient en chaleur quand elles venaient boire.

39. Et les brebis donc entraient en chaleur à la vue des verges, et elles faisaient des brebis marquetées, picotées et tachetées.

41. Et il arrivait que toutes les fois que les brebis hâtives venaient en chaleur, Jacob mettait les verges dans les abreuvoirs devant les yeux du troupeau, afin qu’elles entrassent en chaleur en regardant les verges.

42. Mais quand les brebis étaient tardives, il ne les mettait point. Et les tardives appartenaient à Laban, mais les hâtives étaient pour Jacob. »

Comme il n’y a rien dans ce texte qui se rapporte à la baguette employée pour la divination, nous ne l’aurions pas cité, si nous n’avions considéré que la science divinatoire s’est approprié le nom de Jacob et de son bâton par une fausse interprétation des paroles de la Genèse.

Il existe, en effet, un traité fort connu des adeptes des sciences occultes, qui a pour titre La verge de Jacob, ou l’art de trouver des trésors. Mais on voit que le nom de Jacob était invoqué ici fort gratuitement.

Plusieurs peuples de l’antiquité, notamment les Scythes, les Perses et les Mèdes ont pratiqué la divination au moyen de la baguette. Hérodote dit que les Scythes en usaient pour reconnaître les parjures. On sait par Strabon, que les prêtres des Indiens la pratiquaient aussi. On a déjà vu que le roi de Babylone avait consulté des flèches et des baguettes ferrées pour savoir s’il devait porter ses armes contre Ammon ou contre Jérusalem.

Cet usage peut avoir été introduit chez les Babyloniens, et de là chez d’autres peuples de l’Orient, par l’Égyptien Bélus, s’il est vrai, comme quelques érudits le prétendent, que ce prince conduisit une colonie d’Égyptiens sur le bord de l’Euphrate, et qu’il y institua les prêtres qu’on appela Chaldéens. Les Juifs, amenés en captivité à Babylone, auraient donc pu apprendre en ce pays cette pratique, si les passages de la Bible cités plus haut n’établissaient pas suffisamment qu’ils la connaissaient déjà avant l’époque de leur captivité.

Philostrate dit que l’usage de deviner au moyen de la baguette était connu et pratiqué chez les peuples de Mytilène (Méthelin, île de Lesbos). Tout le monde connaît le rôle merveilleux que jouent, dans la mythologie grecque, les baguettes de Minerve, de Circé, de Médée, et le bâton ou caducée de Mercure. À la vérité, la baguette, entre les mains de ces divers personnages, est le symbole plutôt que l’agent de leur puissance ; mais un indice positif que la baguette servait à la divination chez les Grecs, c’est le terme de rabdomancie qui se trouve dans leur langue : un peuple ne crée pas un mot pour exprimer une chose dont ii n’a aucune idée. Enfin, à cet indice, on peut ajouter le témoignage de saint Chrysostome, qui, dans la Chaîne des Pères grecs, mentionne plusieurs sortes de divinations en usage chez ses compatriotes, et notamment celle qui se pratiquait avec des baguettes.

Chez les Romains, le bâton augurai appelé lituus, qui n’était, selon Macrobe et Aulu-Gelle, qu’une baguette recourbée dans l’endroit le plus fort, passait pour l’instrument le plus auguste de la divination. Les augures l’employaient dans les circonstances les plus solennelles. Romulus s’en était servi pour la description des régions célestes, ou pour l’orientation de sa ville naissante. C’est ce lituus qui, après le pillage et l’incendie de Rome par les barbares, fut retrouvé intact dans un temple, et devint, depuis ce moment, un objet sacré que ne devait toucher aucune main profane.

Le lituus intervint dans la consécration du successeur de Romulus :

« Numa-Pompilius, élu roi par les sénateurs et le peuple, voulut faire consulter les dieux, nous dit Tite Live, comme l’avait fait son prédécesseur. Il fit donc venir un augure qui le conduisit sur une montagne fort élevée. Là, cet augure, ayant à sa main droite le bâton recourbé, se plaça à gauche du prince, et s’y tint couvert, observa l’aspect de la ville et du champ, et ayant marqué l’orient et l’occident, il se tourna vers l’orient, pour avoir le midi à sa droite et le septentrion à sa gauche, sans se prescrire d’autres bornes que les endroits où la vue ne pouvait s’étendre. Cela fait, il prit le lituus à sa main gauche, sa droite sur la tête du prince désigné, et fit cette prière : Père Jupiter, si l’équité demande que Numa, dont je touche ]a tête, soit le roi des Romains, fais que nous en ayons des signes évidents dans la division que je viens de tracer. »

Quels devaient être et que furent ces signes demandés à Jupiter par l’augure sacré ? C’est ce que l’historien oublie de nous dire. Peut-être l’ignorait-il lui-même, les signes manifestés en ce moment solennel étant restés un secret entre le roi élu et le prêtre païen.

Mais les Romains avaient la connaissance d’une baguette divinatoire toute profane, et dont les propriétés étaient aussi merveilleuses qu’utiles. L’usage de cette baguette devait même être fort vulgaire à Rome, puisqu’il y avait donné lieu à un proverbe. On lit, en effet, dans le Ier livre des Offices de Cicéron le passage suivant :

« Si tout ce qui est nécessaire à notre nourriture et à notre entretien nous arrivait par la vertu de quelque baguette divine, comme on dit, chacun de nous, libre de tout soin et de toute affaire, pourrait s’adonner entièrement à l’étude de la science. »

À cette allusion près, Cicéron ne croyait ni à la baguette divinatoire, ni probablement à aucune sorte de divination. Personne n’ignore que Cicéron, ayant été augure lui-même, disait qu’il ne concevait pas que deux augures pussent se regarder sans rire. Il nous a laissé, il est vrai, un traité sur la divination ; mais à la fin du Ier livre de cet ouvrage, il cite les vers suivants d’Ennius, où le poète se moque des gens qui offrent d’enseigner, moyennant une drachme, l’art de découvrir des trésors :

« Je vous la donne de bon coeur, mais ce sera à prendre sur les trésors que vous nous aurez fait trouver. »

Suivant le catalogue que Vétranius Maurus nous a laissé des ouvrages de Varron, cet écrivain aurait composé une satire ayant pour titre : Virgula divina. Mais si Varron avait ajouté foi à la vertu de la baguette, il avait une belle occasion d’en parler dans un autre de ses écrits où il enseigne la manière de trouver les sources. Or il n’en parle nullement, non plus que Columelle, Pline, Vitruve, Pallade et plusieurs autres écrivains latins qui ont traité de la même matière.

Concluons de tout ce qui précède que, le lituus excepté, la baguette divinatoire n’a jamais été prise au sérieux chez les Romains.

Pour continuer ce précis rapide, nous suivrons la baguette chez des peuples plus modernes.

Gonzalès de Mendoza rapporte, dans son Histoire de la Chine, qu’il a observé avec soin les pratiques employées par les Chinois dans leurs divinations, et il nous apprend que la plupart d’entre eux se servaient pour cet objet de morceaux de bois disposés de différentes manières.

Si les Chinois n’ont pas reçu des Babyloniens cette pratique superstitieuse, tout porte du moins à croire qu’elle a passé des Babyloniens aux Turcs et aux Scythes, et de ceux-ci aux Illyriens, aux Allemands et à la plupart des nations du Nord.

Le Vénitien Marco Polo assure que la coutume de deviner avec des flèches régnait encore dans tout l’Orient, au moment où il exécuta de ce côté le fameux voyage dans lequel il fut sur le point de découvrir l’Amérique par la route de l’Asie.

Un autre voyageur d’une époque plus rapprochée de la nôtre, Thévenot, nous a laissé une très-curieuse relation où l’on trouve ce qui suit :

« Il y a parmi les Turcs plusieurs personnes qui se mêlent de deviner, et elles réussissent fort bien. On voit de ces gens-là en plusieurs coins des rues, assis à terre sur un petit tapis, avec une quantité de livres étalés à terre à l’entour d’eux. Or, ils devinent de trois façons : la première se fait ordinairement pour la guerre, quoiqu’elle se fasse aussi pour toute autre chose, comme pour savoir si un homme doit entreprendre un voyage, acheter telle marchandise ou autre chose semblable. Ils prennent quatre flèches qu’ils dressent en pointe, l’une contre l’autre, et les font tenir à deux personnes ; puis ils mettent sur un coussin une épée nue devant eux, et lisent un chapitre de l’Alcoran ; et alors ces flèches se battent pendant quelque temps, et enfin, les unes montent sur les autres. Si les victorieuses ont été nommées chrétiennes (car ils en appellent deux les turques, et donnent aux autres le nom de leur ennemi), c’est signe que les chrétiens vaincront ; si autrement, c’est signe du contraire. Ils ne vont jamais à la guerre qu’auparavant ils ne fassent cette expérience, ce qu’ils appellent faire le livre. »

N’est-ce pas là une reproduction exacte du procédé divinatoire du roi de Babylone, se tenant, avec ses flèches, à l’angle de deux chemins ? Ne semble-t-il pas aussi qu’il existe une certaine communauté d’origine entre ces pratiques et celles des anciens Germains, qui faisaient le livre, ainsi que le rapporte Tacite dans le passage suivant :

« Les anciens Germains croient aux auspices et à la divination plus que nation au monde. Pour la divination, leur méthode est simple. Ils coupent en plusieurs morceaux une baguette d’arbre fruitier, et après les avoir distingués par différentes marques, ils les jettent au hasard et pêle-mêle sur une étoffe blanche… et le prêtre prend trois fois chaque morceau, et selon les marques qui se présentent, il donne l’explication. »

D’après Ammien Marcellin, la divination se pratiquait chez les Alains au moyen d’une baguette d’osier. II est probable qu’ils avaient puisé cet usage dans la Scythie dont ils occupaient une contrée. Ils le communiquèrent sans doute aux Illyriens, leurs voisins, puisque, d’après le témoignage d’un auteur cité par le savant Drusius, les Illyriens devinaient l’avenir au moyen de quelques morceaux de bois. Enfin la même induction porte à penser que cette coutume passa des Illyriens aux Esclavons, qui vinrent s’établir dans une de leurs contrées, et de ceux-ci à différents peuples de la Germanie. On la rencontre chez les Frisons et chez les Moscovites, qui, en se convertissant au christianisme, ne firent guère d’abord qu’ajouter les cérémonies de leur religion nouvelle à leurs anciennes coutumes de divination.

« Le titre 14 de la loi des Frisons portait, dit le P. Lebrun, que, pour découvrir les homicides, l’épreuve des baguettes se ferait dans l’église, et que, auprès même de l’autel et des saintes reliques, on demanderait à Dieu un signe évident qui ferait discerner le vrai coupable d’avec ceux qu’on accuserait faussement. Cela s’appelait le sort des baguettes, ou d’un seul mot, tan, teen, la baguette, les baguettes. »

En résumé, si l’on met de côté l’allusion faite par Cicéron, dans un texte trop peu explicite, à la baguette divinatoire, il est certain que, dans toute l’antiquité, et même plusieurs siècles après l’époque que l’on désigne ainsi, on ne trouve aucun indice que les bâtons, flèches ou baguettes, aient été employés comme moyen de découvrir des objets matériels. On ne les voit servir que dans des cérémonies superstitieuses ou sacrées, comme un signe, un moyen de divination appliqué aux choses morales.

C’est au moyen âge, époque où les croyances au surnaturel occupaient l’universalité des esprits, que l’on vit apparaître l’idée de consacrer la baguette à la découverte d’objets matériels dérobés aux yeux. C’est aux alchimistes, particulièrement à la secte des alchimistes mystiques, que nous avons essayé de caractériser dans un précédent ouvrage [6], qu’appartient l’initiative de cette pensée, bien en harmonie avec leurs élucubrations habituelles.

Le premier écrivain qui parle de l’emploi de la baguette pour découvrir les métaux cachés au sein de la terre et certaines choses matérielles autres que les eaux, est, en effet, un écrivain hermétique ; c’est Basile Valentin. Le Novum Testamentum de Basile Valentin, moine bénédictin et alchimiste célèbre, qui florissait au quinzième siècle, est un témoignage certain que l’on avait alors connaissance de cette pratique superstitieuse, à moins qu’on ne veuille, avec un écrivain moderne, élever des doutes sur l’authenticité des écrits de cet auteur et même sur son existence propre [7].

Basile Valentin nous apprend, dans son Novum Testamentum, que, de son temps, la magique baguette portait sept noms différents, outre ceux qu’elle avait reçus de l’antiquité : Verge divine, Verge luisante, Verge saillante, Verge transcendante, Verge tremblante, Verge tombante, Verge supérieure. Sept chapitres du Novum Testamentum répondent à ces sept noms pompeux, qui sont destinés à indiquer, par eux-mêmes, tous les caractères ou les mouvements qu’on a donnés à la baguette divinatoire. Suivant Basile Valentin, les ouvriers mineurs portaient la baguette « à leurs ceintures ou à leur chapeau [8]. »

Après Basile Valentin, la baguette divinatoire tombe quelque temps dans l’oubli ; il faut aller jusqu’à la fin du quinzième siècle pour trouver un autre écrivain qui lui accorde quelque mention.

Basile Valentin était alchimiste. Parmi les auteurs qui, après lui, s’occupèrent de la baguette, on trouve un grand nombre de philosophes hermétiques ; tels sont Robert Fludd, Mayer, Paracelse et Agricola. Or, on ne peut s’empêcher de se poser, à ce propos, ce dilemme fort simple. Si tous ces chercheurs d’or avaient su faire un bon usage de la baguette divinatoire, il est évident qu’ils auraient pu se passer de travailler à l’accomplissement du grand oeuvre et de couver, pendant de si longues années, l’oeuf philosophique. Il n’est pas moins certain, d’un autre côté, que s’ils avaient réussi à composer la pierre philosophale, la baguette divinatoire leur était superflue pour découvrir des trésors et des métaux précieux. Il est donc bien étrange que la plupart d’entre eux, qui se vantent presque toujours de cumuler ces deux secrets, soient constamment demeurés en proie à la plus triste indigence.

C’est en vain que l’on chercherait dans les ouvrages des auteurs hermétiques qui ont écrit sur la baguette divinatoire, quelques notions précises sur les propriétés de cet instrument et sur l’art de s’en servir. Ils ne sont pas plus clairs sur ce sujet que sur les opérations d’alchimie qu’il prétendent décrire. Tout ce qu’a dit sur cette matière l’obscur Paracelse, est tellement inconsistant, que l’on serait fort embarrassé de savoir à quelle opinion il s’arrête. Tantôt il approuve, tantôt il proscrit cette pratique. On ne peut douter pourtant qu’il n’en admette l’efficacité. Le jésuite Kircher attribue même à Paracelse d’avoir indiqué de quel bois il fallait se servir pour découvrir les différents métaux au moyen de la baguette. Pour donner une idée complète des incertitudes et des variations de Paracelse sur ce point, nous devons ajouter qu’il se tenait quelquefois dans un prudent milieu entre le oui et le non. Dans son traité de la philosophie occulte, il prescrit de distinguer entre les trésors cachés par les humains et ceux qui sont amassés et gardés par des gnomes. Mais comment faire cette distinction ? c’est ce qu’il se garde bien de nous apprendre.

Tout ce que le jésuite Kircher assure avoir lu, de son temps, dans les écrits de Paracelse, ne se retrouve pas dans le volumineux recueil des oeuvres du médecin suisse, qui a été publié à Genève en 1658. Mais il n’en est pas moins établi, et c’est là ce qui nous intéresse, qu’à l’époque où vivait Paracelse, on croyait, avec lui, à la vertu de la baguette pour la découverte des métaux.

La coutume de chercher les métaux à l’aide de la baguette divinatoire, qui s’est montrée pour la première fois en Allemagne, au quinzième siècle, avec Basile Valentin, et, au commencement du siècle suivant, avec Paracelse, passe bientôt en Flandre, et, successivement, en Angleterre, en Suède, en France et dans les contrées les plus méridionales de l’Europe.

Dans son admirable Traité des métaux (De rebus metallicis), le sage et savant Agricola nous fait connaître les pratiques ordinaires des hommes à baguette. Mais il se prononce contre cet usage, qu’il regarde comme un souvenir des opérations des magiciens antiques. D’après lui, on ne voit que les petits ouvriers des mines, « gens sans religion, » employer la baguette pour chercher les métaux.

Un disciple de Paracelse, Goclénius, dont nous aurons à parler plus au long dans le volume suivant de cet ouvrage, à propos des antécédents historiques du magnétisme animal, a composé les traités de la vertu des plantes, et de l’onguent aux armes, dans lesquels il admet l’efficacité et approuve l’emploi de la baguette de coudrier pour découvrir les métaux.

L’opinion de ce Goclénius déplut au P. Roberti, jésuite flamand ; après l’avoir attaquée par le raisonnement, ensuite par l’injure, le P. Roberti passe du sévère au plaisant, et parodie, en guise d’épigramme contre son adversaire, deux vers des bucoliques de Virgile :

Goclen amat Corylos ; illas dum Goclen amabit,
Nec myrthus vincet corylos, nec laurea Phoebi.

Un autre paracelsiste, André Libavius, allègue les expériences qu’il a exécutées pour se déclarer partisan de la baguette divinatoire et trouver son usage fort licite. S’il ne s’agissait pas d’une question particulière et sans rapport avec un système quelconque de philosophie, il serait peut-être rationnel de juger de l’opinion définitive de Paracelse par celle de ses disciples.

Mais l’opinion d’Agricola, qui attribuait à des enchantements et à des paroles magiques les effets de la baguette, ne manquait pas d’adhérents. Tels étaient, par exemple, le jésuite Coesius, auteur d’une Minéralogie, le P. Forérus, autre jésuite, et surtout Kircher. Ce dernier, plus savant et bien meilleur physicien que son confrère, fonde son sentiment sur l’expérience. Il a tout à fait le droit de déclarer chimérique la prétendue sympathie entre une baguette et les métaux, puisqu’il a, comme il nous le dit : « expérimenté plusieurs fois que les baguettes du bois que l’on déclarait être sympathique avec certains métaux, étant placées sur des pivots, en équilibre, auprès de ces métaux, ne remuaient en aucune manière, » (De arte magnetica). Dans son autre ouvrage, Mundus subterraneus, le P. Kircher, revenant sur cette question, déclare que le mouvement de la baguette ne peut être qu’un effet surnaturel, si, toutefois, il n’est le résultat de l’adresse ou de la supercherie de celui qui la tient entre ses mains.

En 1659, le jésuite Gaspard Schott, contemporain et confrère de Kircher, dit que dans toutes les villes d’Allemagne où il a demeuré, l’emploi de la baguette était un moyen très-répandu, et qu’il a pu voir lui-même plusieurs personnes trouver, par ce moyen, l’or et l’argent cachés.

Gaspard Schott a eu le mérite d’entrevoir, dès son époque, la véritable cause des mouvements de la baguette, qu’il n’est pas très-éloigné d’attribuer à l’imagination de celui qui la fait mouvoir.

« J’ai cherché, dit-il, avec grand soin, si la baguette de coudrier a réellement une sympathie avec l’or et l’argent, et si elle est mise en mouvement par une force naturelle. De même j’ai cherché si un anneau de métal, qu’on tient suspendu par un fil au milieu d’un vase de verre, et qui marque l’heure par les battements, est mu par une force semblable. J’ai trouvé que ces effets ne pouvaient avoir lieu que par la tromperie de ceux qui tiennent la baguette ou le pendule, ou, peut-être, par une secrète impulsion diabolique, ou, peut-être encore, parce que l’imagination met la main en mouvement. »

Gaspard Peucer a publié, en 1584, un Traité des principaux genres de divinations, dans lequel il attribue l’efficacité de la baguette divinatoire à la sympathie entre le bois de coudrier et les métaux, fidèle en cela à la doctrine si fort en faveur au moyen âge, qui établissait des relations secrètes d’attraction et de sympathie mutuelles entre certaines choses matérielles, et même entre celles-ci et les choses du monde moral.

Philippe Mélanchthon, dont Peucer était gendre, professe la même opinion dans le discours qu’il a composé sur la sympathie.

Porta, dans sa Magie naturelle, la partage encore, et tel est aussi l’avis de Keckermann, qui invoque, à ce sujet, l’autorité de Mélanchthon.

Michel Mayer, philosophe alchimiste, auteur d’un ouvrage intitulé Verum inventum, hoc est munera Germaniæ, n’accorde qu’à la baguette de coudrier des propriétés précieuses qui tiennent, selon lui, à la sympathie de ce bois pour les métaux. II compare la baguette à une sage-femme aidant aux montagnes à accoucher des matières métalliques dont elles sont enceintes. Il attribue à l’Allemagne, ainsi que beaucoup d’autres inventions, la découverte des vertus de la baguette divinatoire.

Le témoignage de Mayer confirme donc l’opinion que nous avons émise plus haut, et qui considère l’Allemagne comme le pays où l’usage de la baguette a pris pour la première fois naissance en Occident. Les auteurs que nous avons cités, depuis le commencement du quinzième siècle jusqu’à la fin du seizième, sont allemands pour la plupart. Un usage, dont aucun antécédent ne se montre ailleurs, ne doit-il pas être considéré comme une invention propre aux peuples qui l’ont les premiers mis en pratique, et l’ont ensuite communiqué aux autres nations ? Notre opinion sur l’origine de l’usage de la baguette au moyen âge pourra donc sembler acceptable, et nous pourrons répéter avec Michel Mayer Munera Germaniæ !

Les noms des différents écrivains ou philosophes célèbres que nous avons cités dans les pages qui précèdent, montrent qu’aux quinzième et seizième siècles, la plupart des savants de cette période avaient adopté la croyance aux vertus de la baguette divinatoire. L’esprit de crédulité, l’amour du merveilleux, qui distinguent cette époque, ne pouvaient en effet manquer de s’emparer de ce nouvel et puissant aliment. Pendant que d’autres écrivains, plus ou moins illustres, tels que Robert Fludd, Rodolphe Glauber, Edo Neuhusius, Sylvester Rattray, Boyle, Mathias Villénius, etc., vont continuer, pendant le dix-septième siècle, à disserter sur l’usage de la baguette appliquée à la découverte des métaux précieux et des trésors cachés, cet instrument va tout à coup acquérir une propriété nouvelle, celle de révéler l’existence des mines. C’est encore par l’Allemagne que nous arrivera cette addition de vertu miraculeuse. Entrons dans l’exposé de cette troisième phase de l’histoire de la baguette, qui va nous fournir l’occasion d’arracher à l’oubli le nom d’une femme digne de figurer avec honneur dans nos fastes nationaux.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Louis Figuier, La baguette divinatoire, Chapitre I : « Origine de la baguette divinatoire », Histoire du merveilleux dans les temps modernes, Tome II, Éd. Hachette et Cie, Paris, 1860, pp. 253-269.

Notes

[1Exode, chap. VII, XVIII, X et XIV.

[2Exode, chap. XVII.

[3Osée, chap, IV, verset 2.

[4Idoles.

[5Ezéchiel, chap. XXI, verset 26.

[6L’Alchimie et les Alchimistes, Essai historique et critique sur la philosophie hermétique, 3e édition, Paris 1860.

[7M. Hooter, Histoire de la Chimie, t. I, p. 454.

[8Testamentum novum, cap. XXV, lib. 1 (De virga transcendente).

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