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Gaëtan Gatian de Clérambault

Érotomanie Pure. Érotomanie Associée

Présentation de malade (1921)

Date de mise en ligne : samedi 4 novembre 2006

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Gaëtan Gatian de Clérambault, « Érotomanie Pure. Érotomanie Associée » (Présentation de malade), Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale, juillet 1921, p. 230.

Érotomanie Pure. Érotomanie Associée

Le bloc de l’Érotomanie, même dégagé des cas d’Érotismes Psychiques Divers dont on l’avait longtemps grossi, et réduit à la conception d’une Poursuite Amoureuse optimiste d’abord puis hostile, reste composite et prête à des affirmations contradictoires. On peut affirmer par exemple, au point de vue de la composition, que les Délires Érotomaniaques comportent des Hallucinations tant auditives que génésiques, et des Idées de Persécution Systématiques, ou bien qu’ils n’en comportent pas ; au point de vue de la complexité, on peut dire qu’ils sont susceptibles d’une extension irradiée et indéfinie, ou bien qu’ils sont inextensifs, ou encore susceptibles seulement d’une extension polarisée ; au point de vue de l’évolution, que le thème initial reste fixe, ou se modifie, ou change d’objet, ou admet des objets multiples. À chacune de ces assertions se rapportent des séries de cas, et il semble qu’une définition univoque ne puisse être donnée.

Le désordre s’éclaire tout d’un coup si l’on isole, dans tous ces cas, ce qu’ils ont de commun, si l’on réserve au Syndrome ainsi obtenu le vocable Érotomanie, et si l’on distingue des Cas Purs et des Cas Mixtes.

Les Cas Purs sont exempts d’Hallucinations et restent fixes. Leur évolution est sommaire, leur extension éventuelle est polarisée. Ils n’aboutissent pas à la démence.

Les Cas Mixtes admettent des Hallucinations, un mode d’extension irradiant, une systématisation plus ou moins riche, un travail interprétatif ou imaginatif diffus, une persécution générale, une mégalomanie globale ; ce sont eux qui admettent des variations dans le choix de l’objet, et parfois des Objets Simultanés Multiples ; le mode de désignation de l’Objet y est fréquemment imaginatif, le culte de l’Objet peut y être mêlé d’esprit mystique ; il peut y avoir affaiblissement intellectuel. En un mot les Cas Mixtes admettent tous les devenirs.

L’Érotomanie Pure est pour nous un Syndrome Idéo-Affectif, d’une intensité passionnelle, dont toute l’Idéation dérive de ce que nous nommons le Postulat, présentant une telle cohérence qu’il se reproduit dans une forme stéréotypée ; complet d’emblée, susceptible d’une très longue durée, sinon chronique dès son principe ; ne subissant de transformation que celle de l’Amour en Dépit, puis en Haine, et d’additions que sous forme d’idées ambitieuses et de persécutions polarisées ; comportant un Objet unique, définitif, envisagé dès le début d’une façon fixe ; comportant un hypertonus subcontinu, extrêmement porté à l’action, et incurable. Il est à remarquer que quelquefois le Délire Erotomaniaque a été précédé, chez le sujet, d’un épisode d’ordre analogue, de courte durée, mais présentant quelques-uns de ses éléments et non pas sa structure complète.

Cas Mixtes. — Le Syndrome Érotomaniaque peut apparaître au cours d’un Délire Interprétatif proprement dit, et il suit les lois de ce délire. Il peut apparaître également au cours d’un Délire Polymorphe, il en suit également les lois ; il contient notamment, dans ce cas, des éléments imaginatifs nombreux. Dans le cas de Délire Polymorphe surtout on rencontre les changements d’Objet ou les Objets Simultanés, et le culte de l’Objet mêlé à des idées de Grandeur absurdes, ou encore des Idées Mystiques. Dans de tels délires, le thème érotomaniaque est lié aux autres thèmes, mais généralement on peut observer qu’il évolue moins rapidement ; il évolue d’ailleurs, mais ce n’est pas par effet de la nature du Syndrome même, c’est par influence du terrain. Il importe de ne pas attribuer au Syndrome Érotomaniaque ce qui appartient aux terrains variés où ce syndrome peut prendre naissance.

La conviction illusoire d’être aimé et l’ardeur dans la recherche de l’Objet peuvent comporter tous les degrés ; chez les Déments le Postulat n’entraîne qu’une satisfaction niaise, sans aucun effort de poursuite. Entre les cas maximum et les cas minimum, on observe tous les degrés, en passant par la passion faible et la sentimentalité.

Une importante série de Cas Mixtes est celle où l’Érotomanie est initiale, et précède de plusieurs années le Polymorphisme. Dans de tels cas, elle peut présenter toute l’intensité d’un Délire Passionnel Pur, en avoir le comportement et la sommaire évolution. Une telle identité s’explique. Le fait de la fréquence de l’Érotomanie comme prodrome d’un Polymorphisme s’explique aussi. En effet, le Syndrome Érotomaniaque, qui consiste dans la fixation d’un concept affectif donné, et qui suppose un certain degré de dyslogie, pouvant se constituer d’emblée dans les Psychismes relativement sains et valides, peut a fortiori apparaître sur des cerveaux adultérés, et supposant un minimum de dyslogie, y apparaître comme premier signe des adultérations latentes. Mais, tandis que dans le cerveau relativement valide (c’est-à-dire n’étant voué ni au polymorphisme ni à la démence), il faut une secousse passionnelle pour cristalliser le faux concept, dans le cerveau déjà invalide suffit une secousse minima ; c’est-à-dire d’ordre sentimental ou même faiblement affectif, de là la moindre cohésion du syndrome, sa stabilité moindre, son comportement moins actif. Intensité, stabilité, tendance aux actes, ces trois facteurs montrent des variations parallèles, parce qu’ils dérivent d’une même cause, a savoir le degré de pureté du Syndrome Érotomaniaque. Le maximum d’intensité, de stabilité et d’activité se rencontre dans les Cas Purs, et après eux dans ceux des cas qui se trouvent être provisoirement purs.

Nous avons montré un de ces cas initiaux ou proches du début, dans la malade amoureuse du Roi d’Angleterre, faisant de nombreux voyages à Londres mais ne cherchant pas à parler au Roi, ne l’ayant jamais vu, s’étant crue aimée antérieurement par le feu Roi et par quelques autres, etc.

Dans les Cas Mixtes, nous le répétons, on peut observer comme variantes, la pluralité des Objets, soit successive, soit quelquefois simultanée ; un seul Objet, entouré d’un culte mystique ; un seul Objet, mais totalement imaginaire ; un seul Objet, choisi dans le passé de la malade, par exemple un ancien amant. Dans tous ces cas, plus l’apport imaginatif a d’importance, plus l’apport passionnel est faible ; le tonus affectif varie de l’énergie passionnelle vraie à la rêverie sentimentale, ou à un érotisme béat.
Les deux cas que nous présentons à cette séance sont bien complémentaires l’un de l’autre ; l’un est pur, et d’une énergie maxima ; l’autre offre encore un degré élevé d’énergie, mais il est mixte ; l’Érotomanie, déjà vieille de quelques années, y apparaît comme ayant été prodromique d’un Polymorphisme qui n’a commencé que récemment à se développer.

PREMIER CAS. - ÉROTOMANIE ASSOCIÉE

Certificat d’Internement, Infirmerie spéciale près de la P.P. — Clémentine D…, 50 ans environ, ex-modiste.

Délire Polymorphe.

Érotisme, grandeur, richesse future ; appoint érotomaniaque ; persécution, influences physiques et psychiques.

Machines magnétiques manoeuvrées par les voisins, ayant peut-être pour chef Mgr Wetterlé (sic), suggestions multiples « à la mode du jour » (sic).

Un prêtre, vicaire à St-Philippe-du-Roule, paie pour elle un appartement de 2000 francs par mois, rue de P… — Elle en est informée par la suggestion ; froideur apparente de ce prêtre à son égard.

Dépit actuel, ce prêtre est trop âgé et elle peut choisir. Orgueil sexuel avec expansion facile et formules typiques. Aveux implicites, protestations contredites par son attitude (sourires, satisfaction visible, assentiment partiel ou indirect, etc.).

Complots contre elle, autres complots contre l’abbé S…

Scènes de scandale répétées à l’église St-Philippe-du-Roule, injures, agitation véhémente, a giflé un agent.

Hauteur, attitudes de style, maniérisme, vivacité. Pouls 100.

Refus de nourriture par intervalles ; craintes de poison.

Dr DE CLÉRAMBAULT, 16 mai 1921.

Observation. — Le passé de notre malade est un peu obscur. Origine belge. Rurale ; dans son enfance s’occupait des bestiaux. Brouillée avec sa famille, vient habiter à Paris vers ses 22 ans. Là, modiste, bientôt entretenue. Aurait, s’il faut l’en croire, fondé un journal de modes, aurait fait faillite. Quittée, après 5 ou 6 ans, par son ami, prétend avoir vécu depuis lors entièrement seule, bien qu’entourée d’assiduités masculines ; dans tous les cas, hantises constantes de l’épouseur et de l’entreteneur.

Thème érotomaniaque : l’abbé S… verse pour elle 2000 francs par mois, paie pour elle, 24, rue de P…, un appartement qu’elle n’habite pas, la nourrit, la suggestionne, l’influence, lui parle à distance. — Orgueil érotomaniaque : elle devait être son Égérie, le prêtre voudrait l’épouser. — Jalousie : le prêtre est entouré de femmes peu recommandables, mal conseillé, attaqué par la suggestion, comme elle-même. — Sentiment d’influence et Voix. — Stade de Dépit : l’abbé a de mauvaises relations, ne paye plus pour elle, la laisse mourir de faim, elle ne veut plus le voir.

Persécutions : complots contre elle, machines souterraines dirigées par un autre prêtre, l’abbé W… Véritable cinéma autour d’elle. Indices d’hostilité trouvés dans un journal, jadis son journal favori. — À tenu registre de ses persécutions, semblerait-il.

Mégalomanie générale : très grande famille, parents et grand-mère très riches, 10 ou 12 chevaux dans leur écurie : sa mère (avec qui elle était brouillée), était un ange. Le procureur général est son parent. L’amant qu’elle a eu entre ses 22 et 30 ans avait pour elle une vénération, elle est une femme extraordinairement délicate, extraordinairement charitable ; elle ne lit que le journal de l’aristocratie. Elle se donne 35 ans, alors qu’elle en a plus de 50. Faisant allusion à notre personnel infirmier, elle nous déclare : « Je n’ai pas l’habitude de parler aux domestiques, non plus qu’à mes sujets. » Attitude d’une Persécutée Mégalomane, bien plus que d’une Érotomane. Substratum maniaque par moments envisagé, mais en raison d’apparences purement transitoires.

Réactions. Scandales à l’église, peut-être aussi au domicile de l’abbé S… Une première fois (d’après elle), interrompt l’abbé dans une conférence, parce qu’il la faisait remarquer (sic) ; une deuxième fois s’écrie que les abbés sont des voleurs, que les dévotes sont des putains, gifle un agent, etc. Au Commissariat, elle donne pour adresse son domicile imaginaire, 24, rue de P… (elle est totalement inconnue à cette adresse). Dit avoir sali son gant en frappant l’agent ; exige une entrevue avec l’abbé, pour explications : l’abbé lui doit de l’argent ; aucun regret de son acte ; hauteur ; refus de signer le procès-verbal. — En première comparution, nie ou ergote sur des détails ; déclare que l’agent a dû être payé pour la brutaliser.

Propos divers. « J’ai été irritée de voir l’abbé parler avec ces femmes. L’abbé tout en parlant me faisait remarquer. C’est un homme très bon, qui a fait beaucoup de bien aux pauvres, mais qui a fait à moi beaucoup de mal. Je lui pardonne cependant. Cet abbé reçoit des personnes très équivoques. L’archevêque, Mgr A…, a eu de très grands torts envers lui. Il faudrait que je me tienne à sa disposition. Je l’éclairerais. L’abbé a lu mes mémoires ; il a soutenu un procès contre mon propriétaire. Il m’a informée par suggestion de ce qu’il tenait 2000 francs à ma disposition. Il me suggestionne constamment. Non, je n’allais pas le voir au confessionnal, car je n’aime pas le confessionnal, ce n’est pas franc (sic). Je suis allée à la sacristie, mais c’est chez lui seulement que j’aurais pu avoir une explication radicale, l’abbé n’y a pas consenti. » — Sur questions : « Je n’ai jamais aimé l’abbé. Si cet homme m’aime, il perd son temps. Je ne veux pas le revoir, mais je sais l’apprécier. D’ailleurs, tout cela passera après une pénitence » (sic). — Nous insistons sur les qualités de l’abbé, elle veut présentement ne lui trouver que des défauts. Elle le déclare bien trop âgé (près de 60 ans, nous assure-t-elle).

Elle nie toute intention d’épouser l’abbé, mais elle ne regarde pas ce mariage, en principe, comme impossible ; tant que nous lui parlons mariage, elle proteste, mais d’un air radieux. Elle argumente en des termes non définitifs ; « elle préfère rester libre, elle aurait beaucoup d’occasions, si elle voulait » ; elle donne enfin des assentiments indirects comme celui-ci : « Pourquoi ne se marierait-il pas ? des fois il quitte bien la soutane. »

Les hallucinations psychiques, ou peut-être même auditives, l’entretiennent des sujets ci-dessus, les commentent, en retournent les termes dans tous les sens. Ainsi, il lui a été dit qu’elle devait 2000 francs à l’abbé. Ces machines doivent être très jolies, leur fonctionnement est admirable. Cependant, elle fait des réserves sur l’existence de ces machines.

Notre malade nie en partie la scène de scandale à l’église, puis se rétracte implicitement : « Non, je n’ai jamais crié ni voleurs ni putains. Non, je ne l’ai pas crié ce jour-là. »

Caprices divers : refus de nourriture, exigences constamment nouvelles, abandonnées aussitôt qu’elles sont satisfaites : par exemple elle demande un verre d’eau et ne boit pas, mais demande de suite un mouchoir, etc.

Orgueil, hauteur dans l’attitude, tonus manifestement exalté : elle refuse de s’asseoir, subit debout de très longs interrogatoires, se drape très serré dans sa cape ; ses courtes réponses contiennent à la fois de l’opposition, du mystère, de la fermeté et de l’ironie. Souvent elle dit : « Je ne réponds plus, la séance devrait être close » ; aux questions les plus insidieuses, elle répond en nous déclarant que notre propre raison est suspecte : « Surtout n’inscrivez pas le contraire de mes paroles, cela vous ferait une mauvaise réputation et il faudrait vous faire soigner. » Elle proteste hautement contre sa claustration, et menace constamment de se retirer, mais elle reste, au fond, enchantée de parler de l’abbé. Sa physionomie, toutes les fois que nos propos s’adressent à ses espoirs secrets, que ce soit pour les encourager ou les heurter, est vraiment caractéristique : dans les deux cas, sourire profond, mais dans un cas aménité, dans l’autre dédain.

À noter de fausses reconnaissances. Au début, elle se demande si nous ne serions pas son frère perdu de vue depuis longtemps. Puis, c’est un de nos collègues, Dr R…, qu’elle déclare être M. Laurent. Revoyant ce collègue à Sainte-Anne, elle aura la même illusion.

Nous la revoyons à Sainte-Anne, Service de l’Admission, le jour de la Séance de la Société. Elle refuse de converser avec nous, de faire le moindre effort pour nous reconnaître, et de se laisser prendre la main ; assise dans son lit, elle lève son drap contre son visage et l’y maintient énergiquement. Ensuite courtes réponses, mais qui éludent les questions, et n’ont d’autres thèmes que des plaintes contre le service ; elle accuse spécialement telle infirmière présente, et lui ordonne de se retirer. L’interne se retire au même moment. Le départ de ces deux personnages habituels semble la libérer un peu de l’obligation d’être rogue, elle répond avec plus de justesse. Elle nous dit qu’elle ne parlera un peu longuement qu’une fois sortie, alors elle protestera contre son internement. Pourquoi, lui disons-nous, ne pas protester de suite devant une Commission de Médecins qui, justement, est réunie ? Elle consent à paraître devant cette Commission, mais à condition que nous soyons son porte-parole, et qu’elle n’ait qu’à nous approuver.

Dès avant notre entrée, son attitude décelait l’hypertonus : orgueil, fermeté, coquetterie ; cheveux nattés avec grand soin et ornés de noeuds de tarlatane, au cou un ruban de tarlatane, raffinements naïfs rappelant les Maniaques. — Nous apprenons par le personnel de service qu’elle n’est presque jamais abordable, qu’elle refuse presque constamment la nourriture, et qu’on aimerait beaucoup la voir quitter le service.

Présentation devant la Société Clinique

La malade entre avec aisance et en souriant. Coquetterie rendue manifeste non seulement par ses multiples rubans, mais encore par les retouches qu’elle a fait subir à la robe réglementaire : fronces serrées sur le devant et les côtés, à dispositions divergentes et rayonnantes, avec noeuds de tarlatane au centre des rayonnements.

Elle dit ne pas vouloir parler, mais nous charge de parler pour elle. Nous exposons son passé en des phrases à double entente, c’est-à-dire à la fois tel qu’il fut et tel qu’elle l’imagine ; à l’évocation de ses riches écuries, de ses parentés, des raisons tout à fait supérieures (sic), pour lesquelles son ancien amant l’a quittée, elle sourit avec orgueil. Nous lisons notre certificat aux fins de placement, en modifiant à peine les termes et elle approuve. Mais quand nous l’invitons à commenter les faits qu’elle reconnaît, elle devient soudain réticente.

D. — Les machines électriques vous atteignent-elles ici ?
R. — Je ne connais pas ces machines.
D. — Vous m’en avez parlé vous-même.
R. — Je n’ai pas à répondre. Je n’ai pas demandé à comparaître devant ces Messieurs.
D. — Peut-être, ici, êtes-vous protégée contre les machines électriques ; mais l’êtes-vous contre les suggestions ? (Sourire prolongé de la malade.) « Suggestions à la mode du jour », avez-vous dit. (Sourire et signe d’assentiment) De grands personnages s’occupaient de vous ; l’un vous faisait tenir de l’argent en secret, il payait votre appartement, il versait 2000 francs par mois ; il doit avoir pour vous une grande affection.
R. — Il n’écrit jamais.
D. — Vous avez fait à l’église un grand tapage ; pourquoi ?
R. — M. S… a eu tort de me faire arrêter. (Ici, mauvaise humeur subite.)
D. — Peut-être le regrette-t-il aujourd’hui. Peut-être a-t-il eu un motif secret ?
R. — Je suis très mal ici, et mes compagnes aussi. (Ici longues récriminations que nous avons peine à arrêter.)
D. — Peut-être l’abbé s’informe de vous. Regardez dans l’assistance si vous reconnaîtriez quelqu’un venu de sa part.
R. — Je ne le vois pas (elle cherche avec avidité). Voilà là-bas M. Laurent (le Dr R…)…
D. — Ne serait-ce pas l’abbé lui-même ?
R. — Non, non, c’est bien M. Laurent.
D. — Ce monsieur viendrait-il de la part de l’abbé ?
R. — Je ne reconnais personne ici. (Elle continue à observer et elle sourit)
D. — Que diriez-vous à l’abbé S… s’il était là ?
R. — Qu’il a un mauvais entourage de femmes et de prêtres.
D. — Ne le lui avez-vous pas déjà dit ?
R. — Oui, je devrais le conseiller. J’aurais voulu le défendre. J’étais à sa disposition.
D. — Êtes-vous allée chez lui ?
R. - Il a refusé de me recevoir.
D. — Vous avez crié à l’église. (Ici, récit des incidents : elle en sourit, très amusée, jusqu’au moment où nous parlons du sergent de ville. Alors mauvaise humeur subite et prolongée.)
R. — Cet agent a été brutal. Ici aussi l’on est brutalisé. Mes compagnes sont brutalisées, notamment par telle infirmière, j’exige que cette femme soit punie, etc. (Colères croissante et flux de paroles pour un instant incoercible.)
D. — Ces messieurs prennent note de votre plainte. Je ferai remarquer à ces messieurs que cette personne, qui jadis dirigeait un journal de modes, a su tirer parti du costume de l’asile. On ne dirait vraiment plus un costume d’uniforme.
R. — (Après quelques minauderies.) Oh ! Monsieur, ce costume est très simple ; la plus belle femme du monde ne pourrait pas faire grand-chose avec ces étoffes.
D. — Pourquoi avez-vous harangué l’abbé en public, alors que vous pouviez lui parler au confessionnal ?
R. — Monsieur, je n’aime pas le confessionnal.
D. — Ii eût fallu que vos existences fussent associées.
R. — Exactement.
D. — Associées à distance, ou dans la même maison et le même logement ? (Silence) Cet homme est réellement bizarre ; ii vous fuit, et cependant il a un faible pour vous.
R. — Si j’avais trouvé un homme doux et bon, j’aurais pu penser sérieusement à un avenir. Mais il est entouré de personnes d’une mauvaise éducation. Je me suis permis de lui donner de bons conseils. Je voudrais une explication définitive. Mais il me craint. C’est un homme très poltron.
D. — À quel titre interviendrez-vous dans la vie de l’abbé ?
R. — Je m’expliquerai à un autre moment.
D. — Mais lui voudrait vous épouser.
R. — Monsieur, vous dites une chose absurde, et il faudrait vous faire soigner.
D. — Nous savons que par moments il dépose la soutane provisoirement ; il pourrait l’ôter tout à fait pour se marier.
R. — Monsieur, l’abbé est un vieillard.
D. — Cela n’empêche pas ses sentiments de rester jeunes.
R. — Je ne demande pas ses sentiments.
D. — Cette personne le trouve trop vert ; ou plutôt non, pas assez vert. (La malade rit) Pas assez vert ?
R. — C’est un homme de plus de 60 ans.
D. — Nous ne sommes pas réunis pour rien. Peut-être, suis-je son mandataire. Dites votre pensée exactement.
R. — Il n’a pas besoin de mandataire.
D. — Parce qu’il parle par suggestion ?
R. — Il peut parler lui-même.
D. — Mais il veut procéder par ordre. Supposez que j’aie reçu de lui pleins pouvoirs ; voulez-vous la guerre ou la paix ?
R. — La guerre.
D. — Allez le lui dire, chez lui, vous-même.
R. — Ce n’est pas à moi de m’avancer.
D. — Devons-nous le faire venir ici ?
R. — Je n’ai pas à parler la première.
D. — Bien. Me donnez-vous pleins pouvoirs ?
R. — Comme vous voudrez.
D. — Je puis donc arranger l’affaire ?
R. — Comme vous voudrez.
D. — Bien. Qu’allons-nous exiger de lui ?
R. — Vous le saurez bien.
D. — Nous allons le faire venir ici.
R. — Oui.
D. — Mais ensuite ?
R. — Il faudra lui enlever sa soutane.
D. — Et vous vous chargez de la culotte ?

À cette réflexion, la malade éclate de rire, sans la moindre ombre de confusion. Visiblement nous avons traduit sa pensée ; elle est radieuse. Elle part, nous laissant libre de négocier pour elle, et montrant qu’elle a pleine confiance en notre succès.

COMMENTAIRES

Après son départ, nous nous excusons de ce que notre dernière plaisanterie avait de risqué ; nous faisons ressortir que, d’une part, les femmes (bien entendu les aliénées) ont très souvent le degré pudeur que nous-mêmes nous leur inspirons ; et, d’autre part, qu’il faut aller vite dans ses coups de sonde, pour ne pas laisser au sujet le temps de cacher ses réactions. Les plaisanteries sont très souvent en psychiatrie d’excellents tests, et leur insignifiance apparente leur permet d’être hardies.

En résumé, la malade ne nie pas les points de fait. Pour ce qui est de ses sentiments, la plupart du temps elle les nie explicitement, mais les avoue implicitement. C’est là le genre des aveux ordinaires de tels malades. Ne pas renier une supposition absurde en soi, vouloir encore la discussion sur un point qui n’en comporte pas, éluder une renonciation définitive, ce sont, avec bien d’autres incidents du dialogue, les signes d’un espoir inavoué. L’espoir éclate encore dans la crédulité de tels malades, que l’on doit savoir exploiter, dans leurs acquiescements tacites, dans leur animation subite à telle et telle évocation, enfin dans les effets mimiques, toujours empreints d’hypertonus.

Cette malade se sera comportée assez longtemps comme une Érotomane pure, mais elle semble bien ne pas en être une, et, selon toutes les présomptions, évoluera. En effet, elle est dès maintenant une polymorphe, avec mégalomanie autonome (c’est-à-dire généralisée), troubles coenesthésiques, multiplicité des conceptions. Son délire de persécution s’étendra probablement, en gardant une note érotique, mais diffuse ; il est peu probable que le sentiment d’influence et les hallucinations restent indéfiniment consacrés à un seul thème. Notre malade pourra donc d’abord changer d’objet en peu de temps, ensuite être de moins en moins Érotomane, pour n’être plus qu’une Mégalomane, Persécutée et Hallucinée, peut-être Spirite ou Mystique, avec Érotisme Diffus. Son attitude est d’une Persécutée Mégalomane bien plus que d’une Érotomane.

La substitution d’un nouvel Objet à l’actuel mérite d’être envisagée. Se fera-t-elle par nouveau coup de foudre ? très probablement non. Se fera-t-elle par transfert du sentiment actuel à un autre personnage réel, et proche, par exemple le Médecin, qui alors serait déclaré être l’abbé ? c’est possible ? il y aurait fusion de deux sentiments, et subséquemment de deux idées ; en un mot il y aurait cumul, au moins transitoire, de deux Objets. Nous connaissons des faits de ce genre. Ils ne se rencontrent jamais, semble-t-il, dans les cas d’Érotomanie Pure, mais sont fréquents dans les Cas Mixtes, chez des Polymorphes comme ici. On voit également surgir chez des Polymorphes Érotiques un Objet d’Érotomanie totalement imaginaire, Objet lointain et généralement de la nature la plus élevée. Ce travail imaginatif se réalise non pas seulement à un stade avancé du délire, pour substituer un Objet nouveau à l’ancien, mais au début même du délire pour créer le premier Objet : c’est encore un mode réservé aux Polymorphes.

Enfin, il est un mode de création de l’Objet qui pourrait bien agir ici ultérieurement : c’est le Culte d’un Souvenir Réel. Nous avons vu une femme âgée dont l’Érotomanie avait pour Objet un amant ancien, de qui elle avait eu un enfant. De ses 30 à ses 60 ans et au-delà elle s’est sentie protégée par cet Objet. Aucune trace de Polymorphisme dans ce cas ; persécution vers 60 ans, mais limitée à son roman, par conséquent encore de nature érotomaniaque, peut-être avec appoint sénile. Pendant 30 ans ce délire a eu une fixité et un optimisme absolus. Dans de tels cas le choc passionnel est remplacé par l’incubation subconsciente, et celle-ci, grâce aux émotions accumulées, a une force tellement supérieure au travail imaginatif, qu’il en résulte une fixité indéfinie, tout comme dans le cas de choc passionnel. On conçoit que de tels processus soient primitifs, et exclusifs, bref autonomes. Il y a lieu seulement de remarquer une teinte affective différente : le sentiment remplace la passion proprement dite, il y a constance mais non ardeur, du moins pas ardeur maxima, comme les réactions en font foi.

Un tel processus, rare comme Délire Autonome, n’est pas rare au cours des Polymorphismes ; il nous semble pouvoir apparaître ici. Nous en trouvons des indices dans le culte que notre malade exprime pour son ancien entreteneur, dans le culte qu’elle prétend qu’il aurait eu pour elle, dans le caractère supérieur qu’elle veut bien, selon l’expression de l’amant lui-même, trouver aux motifs pour lesquels il l’a quittée. Très certainement cette façon de voir ne date pas du temps de la rupture.

Dr ARNAUD. — Par quel procédé cette malade a-t-elle appris que le prêtre lui servait une pension ?

Dr DE CLÉRAMBAULT. — Elle ne nous l’a jamais expliqué très nettement. Elle semble l’avoir su par une Voix ou par une Transmission Psychique ; actuellement le fait lui est confirmé, dit-elle, elle-même, par Suggestion.

DEUXIÈME CAS. - ÉROTOMANIE PURE

La deuxième malade, que malheureusement je ne puis pas vous présenter, parce qu’elle a quitté Sainte-Anne voilà deux jours, est un cas d’Érotomanie absolument pur, et ne présentant nulle présomption d’évolution ou de complications ultérieures.

On ne trouve chez elle aucun genre d’hallucinations (pas même sentiment d’influence), pas de persécution générale (et par suite aucune systématisation), pas de travail imaginatif, pas d’idées de grandeur ; l’Érotomanie est à elle seule toute la psychose ; l’origine de toutes les idées est passionnelle, le délire n’est que le développement du Postulat. Les résultats de ce schématisme sont, d’une part, l’énergie du désir et l’intensité des réactions ; d’autre part, la fixité absolue du délire. Le délire n’a pas subi de ces modifications qu’on observe chez les Polymorphes ; il n’a subi que l’évolution limitée, qui est ordinaire ; passage du Stade d’Espoir aux Stades de Dépit et de Haine ; évolution d’ailleurs constamment réversible, l’optimisme et l’amour étant constamment prêts, dans des conditions favorables, à reparaître. Les interprétations se réfèrent uniquement au thème initial et à l’Objet, aussi bien celles d’ordre pessimiste (persécution) que celles optimistes (signes d’amour de la part de l’Objet).

Ce délire, resté fixe et pur depuis 7 ans, semble ne devoir subir dans l’avenir ni déviation (changement d’objet, multiplication des objets, travail imaginatif déformant l’objet), ni adjonctions (thèmes de persécution divers, grandeur, mysticisme, etc.). Il semble en un mot devoir rester indéfiniment pur.

Composition du délire. — Un fonctionnaire (Secrétaire de Commissariat) aime notre malade, la regarde amoureusement, la recherche, la fait persécuter par ses subordonnés et aussi par des prostituées ; il acquiescera tôt ou tard aux désirs de notre malade, qui, au fond, ne résultent que des siens. Elle ne nie pas que ce fonctionnaire soit marié, elle-même veut garder un amant qui l’entretient et qu’elle est prête à épouser, mais il lui faut, par supplément, les faveurs dudit fonctionnaire. Son amant ou mari n’y apportera nul obstacle.

Historique du délire. — En 1915, notre malade demande un sauf-conduit pour se rendre dans la zone des Armées. Ce sauf-conduit lui est refusé par le fonctionnaire en question. De là, retours au Commissariat, demandes réitérées, phrases séductrices. — Ultérieurement Fausse Quérulence : reproches généraux de partialité et d’injustice, reproches de préjudice causé : ledit secrétaire aurait égaré une pièce lui appartenant (extrait de naissance) ; reproches d’inconvenance : il aurait voulu abuser d’elle. Griefs tardifs. — Réactions de Persécutée-Persécutrice. Attend, guette, suit, aborde constamment le secrétaire ; scènes de cris et d’agitation. Arrêtée et relaxée sans cesse, incidents innombrables. Menaces de mort épisodiques. Lettres calomnieuses. Insistance incoercible. — Plusieurs internements. En 1918, démonstration bien nette du substratum amoureux ; aveux formels faits à nous-mêmes, scène de confrontation typique, confidences à nos surveillantes, menaces de morts contre M. M… dans notre Service.

Éléments surajoutés. — Hystérie, perversité, mendacité, impulsivité. Mauvaise foi dans les dires, variations, contradiction ; mauvaise foi dans les scènes de récriminations, de cris et d’agitation ; simulation souvent avouée. — Voies de fait. — Prostitution et Ethylisme. Jadis condamnation pour menaces de mort sous condition et violence (1904), puis outrages et rébellion (1905). Arrêtée et relaxée plusieurs fois (outrages et rébellion), tant à Paris qu’en province. Arrestation pour racolage. En 1901, inscrite comme fille soumise. — Aucun charme physique, vulgarité aggravée d’un certain cachet professionnel.

À noter un premier délire vers les 13 ans ; état mélancolique avec tendance suicide très marquée ; hérédité directe. Manifestement Psychose de la Puberté, sans lien avec le délire actuel. Perversions instinctives très marquées dès cette époque ; pour cette raison, gardée 3 ans à Bicêtre. Au sortir de l’Asile, placée comme servante : vol domestique, fugue prolongée, vie désordonnée pendant des années.

À noter encore un épisode de Réactions Persécutrices, vers les 19 ans ; objet des poursuites : un médecin ; imputations calomnieuses, menaces de mort sous condition, violences ; condamnation (1904), probablement point de départ érotique, mais prédominance coléreuse, stade de dépit immédiat, mélange de passion et de perversité avec prédominance perverse. Prélude pourtant, à quelques égards, de l’Érotomanie actuelle.

Série des internements. — De 12 ans 1/2 à 16 ans, traitée dans les Asiles. Passage à l’Infirmerie spéciale (4 août 1897. — « Dégénérescence mentale, Tendances Mélancoliques. — Tendance suicide. Faible niveau intellectuel. Incapacité de se livrer à un travail régulier. ») (Dr Rueff). Conservée près de 4 ans à Bicêtre. — N. B. — Tentatives de suicide bien établies. Mère mélancolique, suicidée (meurtre d’un enfant à elle, suivi de défenestration).

Sortie de l’Asile, placée comme domestique ; disparaît en volant 200 francs à son patron, se livre à la prostitution, laisse les siens sans nouvelles pendant plusieurs années.

À 33 ans, 2e internement. Infirmerie spéciale, 1918. Dr Delmas : « Alcoolisme… Tendances coléreuses, agressives et revendicantes… menaces de vengeance… retour périodique des idées de persécution à l’occasion des excès fréquents, etc. » (Sort 15 jours après.)

Même année, 2 mois 1/2 plus tard (11 mai 1918), 3e internement. — Infirmerie spéciale. Pr Dupré : « Perversions Instinctives. Amoralité, malignité, impulsivité, simulation de crises. Acharnement dans la poursuite d’un Secrétaire de Commissariat… Coup de poing au visage… Obstinée à le suivre 10 jours de suite. »

Asile Sainte-Anne. Dr Dagonet. — Asile de Villejuif. Drs Marie et Legrain. Avis conformes. Cependant Dr Legrain : « Débilité mentale. Interprétations délirantes suscitées par des excès de boisson (sic). Est très calme et peut être rendue à M. X… qui la réclame et désire l’emmener en province. » (9 juillet 1918.)

Médecin-Inspecteur, Dr Sérieux, 24 juillet 1918 : « Actuellement calme, lucide… Débile, dont les tendances persécutrices, les sentiments de haine, les mauvais instincts demeurent latents, et font appréhender… etc. Paraît être une Persécutrice Amoureuse… À maintenir encore en traitement… à la rigueur envisager l’éventualité de sa mise en liberté, à condition que son ami prenne l’engagement de l’installer définitivement en province. » — Liberté le 2 août 1918.

Même année, 16 novembre 1918, 4e internement. — Infirmerie spéciale. Pr Dupré : « Débilité, perversité, etc. Négation systématique des actes qui motivent ses internements. Idées de Persécution, dirigées contre M. M…, qu’elle ne cesse de poursuivre et d’apostropher, etc. »

Villejuif. Dr Legrain : « Débilité mentale, avec idées de persécution. Interprétations Délirantes, Impulsivité. Tendances Persécutrices. »

Ville-Évrard. Dr Juquelier : « Paraît bien être une déséquilibrée hyperémotive, mais nie énergiquement toute idée de vengeance contre M. M… Calme… Correcte. N’exprime pas d’idées délirantes. Le médecin ne pouvant décider que d’après les renseignements parvenus... avis favorable a la demande de sortie. »

Médecin-inspecteur, Dr Farez. « État mental hystériforme… manifester avec fracas…, se rendre intéressante, concentrer sur elle l’attention.

Ce n’est pas tout à fait de l’Aliénation Mentale (sic). — Si on a dû l’interner plusieurs fois, c’est parce que, dans ses accès de colère, elle a proféré des menaces contre les personnes. — Il est vraisemblable que des excès alcooliques ont maintes fois mis en branle des tendances coléreuses, agressives, revendicantes. À la Maison de Santé, pratiquant la tempérance, elle donne toute satisfaction… Il est donc prudent, non pas de la rendre à la liberté purement et simplement, mais de la remettre à son ami (sic). Il conviendrait de montrer à M. X. l’influence néfaste de l’alcool… Il serait bon de faire appel à l’ascendant moral (?) qu’il exerce sur son amie… pour obtenir d’elle l’abandon des habitudes alcooliques (?)… Avec ces restrictions (?) je conclus à la sortie. 11 février 1919. »

En 1919 (12 juin), 5e internement. — Infirmerie spéciale, Dr de Clérambault. — À partir de cette date, caractère précis de la psychose bien établi : Persécution Amoureuse. Nous ne sommes plus en présence seulement de troubles fonciers du caractère, avec exacerbations épisodiques, mais bien d’une Psychose autonome constante, puissante, de constitution et de pronostic définis. Texte du certificat plus loin. Durée de l’internement : 2 mois.

Asile Sainte-Anne, Dr Dagonnet. « Persécutée-Persécutrice. »

Maison-Blanche, Dr Lwoff. « Aucune réaction violente depuis son entrée. »

Médecin-inspecteur, Dr Parez. « Depuis son entrée à l’asile n’a présenté aucune réaction violente. Calme. S’occupe régulièrement. Son ami propose de l’emmener avec lui à l’étranger… serait éloignée de ce fonctionnaire qu’elle poursuit de sa Persécution Amoureuse… Je conclus à sa sortie, mais sous la direction de M. X. »

En 1920, 9 juillet, 6e internement. — Infirmerie spéciale, Dr de Clérambault (Certificat plus loin).

Asile de Maison-Blanche. Médecin traitant, Dr Sérieux. Ce maître conclut, le 19 juillet : « Persécutrice Amoureuse. Tendances processives. »

Du même maître, le 3 août, très long certificat de quinzaine. Récapitulation des faits, des témoignages, des diagnostics. Paragraphe final : « … Actuellement, internée depuis quinze jours, et calme et lucide, mais réticente, dissimulée et menteuse foncièrement. Finit cependant par avouer (ce qu’elle avait d’abord nié) qu’elle a poursuivi M. M. avec acharnement. Elle l’aime toujours, depuis 5 ans, et son désir serait de vivre avec lui et avec son ami M. X. en un ménage à trois. Elle veut que les médecins s’entremettent pour conclure cet arrangement qui comblerait tous ses voeux, et mettrait seul fin à ces internements répétés. Elle laisse entendre qu’elle ne pourra s’empêcher, une fois libre, de continuer à poursuivre M. M. “Je ne le lâcherai pas”, dit-elle. Allusion à un attentat, le revolver à la main.

« S. est une anormale constitutionnelle, dont le déséquilibre psychique et la débilité mentale se manifestent moins encore dans sa passion obsédante que dans les réactions extravagantes, scandaleuses et agressives que celle-ci détermine et qui font d’elle une persécutrice amoureuse, et de plus, jalouse. Ajoutons que ses tendances coléreuses, violentes et persécutrices ont déjà été mises en évidence antérieurement : condamnée le 2 juin 1904, à T., où elle était fille soumise, à 10 jours de prison et 5 ans d’interdiction de séjour, pour menaces de mort sous conditions, violences, voies de fait. En septembre 1905, seconde condamnation à un mois, par la 9e Chambre, pour rébellion, outrages.

« Ses récidives à très brève échéance (5 internements en 2 ans 1/2), son obstination à poursuivre M. M. ont fait la preuve de l’incapacité où elle est de se diriger avec discernement, et de réfréner ses impulsions, qu’exaltent encore ses excès de boisson.

« S. est une dégénérée antisociale et inintimidable. « Je ne crains ni Dieu ni Diable », dit-elle. Elle n’abandonne ni son désir d’avoir M. M. pour amant, ni son intention de le harceler s’il refuse.

« Mise en liberté, elle ne tarderait pas à se livrer, une fois de plus à des actes extravagants, agressifs, voire dangereux. Son état mental est manifestement de nature à compromettre l’ordre public et la sécurité des personnes. Elle doit être maintenue. » Dr SÉRIEUX, 3 août 1920.

En novembre 1920, un expert-psychiatre, Dr Z…, commis par un tribunal pour examiner notre malade, ne retrouve nul indice de psychose et conclut à la sortie. (Voir plus loin.)

En 1921, le 13 juillet, 7e internement. — Infirmerie spéciale. Certificat signé conjointement par les Drs de Clérambault, Logre et Heuyer. (Voir plus loin.)

Asile Sainte-Anne, 14 juillet. Certificat du Dr Briand. « Préoccupations érotiques ; Idées de Préjudice. Impulsions, Récriminations… Incapacité de se diriger convenablement sans surveillance. »

Asile de Maison-Blanche, Dr Sérieux, 16 juillet 1921. « Persécutrice-amoureuse… Mise en liberté le 22 novembre 1920, par jugement, n’a pas tardé à harceler de nouveau le fonctionnaire, M. M. Réactions coléreuses, scandales sur la voie publique, crises d’agitation. Plaintes des voisins. Incapacité manifeste de vivre en liberté sans danger pour l’ordre public ou la sécurité des personnes. »

N. B. — Le 8 avril 1920, la malade, soutenue par son amant, M. Z… (auquel elle impose une partie de ses convictions délirantes), a intenté une action contre le fonctionnaire, M. M…, pour abus d’autorité et Arrestation Arbitraire. Demande 50 000 francs de dommages-intérêts (Paris, 3e Chambre).

LES TROIS DERNIERS INTERNEMENTS

Infirmerie spéciale, Certificat d’internement. — S. (Renée-Pétronille), 33 ans, s. p.

Depuis 2 ans recherche assidûment un certain fonctionnaire, le guette, le suit, le heurte, le frappe, le traite de lâche, fait du scandale autour de lui. Arrestations nombreuses, promesses de s’abstenir suivies de récidive dans les 24 heures. — Prétexte une rancune, due à ce qu’il lui aurait refusé certaines pièces. — L’accuse de la faire insulter par des prostituées, de l’avoir fait attaquer, de la faire interner par pure haine, etc. Prétend parfois qu’il veut se venger de ce qu’elle a repoussé ses avances ; à d’autres moments affirme avoir été sa maîtresse, etc.

En réalité passion déclarée, propositions formelles de sa part, jalousie, conviction profonde que ce fonctionnaire l’a toujours aimée et l’aime encore (sic). Il la suit, la regarde amoureusement, la protège en secret, etc.

Sa conduite est paradoxale. Son platonisme et ses rigueurs sont une énigme inexplicable (sic).

Dans le service, menaces de mort à son adresse (revolver), aveu répété de sa passion et de son entêtement à le poursuivre. Voudrait vivre en ménage à trois. Avoue qu’elle le nargue à plaisir, lui fait des pieds-de-nez dans la rue, simule des crises pour l’irriter, etc.

Confrontée avec ce fonctionnaire en notre présence, s’est montrée nettement passionnelle, avec convictions délirantes ; a dû rétracter ses incriminations les plus graves et reconnaître exactes les versions des faits énoncés par son partenaire.

Hystérie, mensonge, conscients, contradictions cyniques, obtusion morale évidente…

Refuse formellement de quitter Paris et même son quartier. — Ne pourrait être surveillée efficacement par qui que ce soit. — Incompréhension totale de son cas chez son ami, M. X. — Dangereuse. — Signé : Dr DE CLÉRAMBAULT.

Infirmerie spéciale. Certificat d’internement. — 13 juillet 1920. Persécutrice Amoureuse. — Réactions typiques : son partenaire M. M. a commencé et est encore amoureux d’elle, il l’a fait suivre. Elle veut devenir sa maîtresse et lui sera fidèle, etc. — Recherche obstinée de ce dernier (le guette, le suit, etc.). — Actions judiciaires intentées contre M. M. qu’elle regarde comme ayant disposé des médecins lors de ses internements antérieurs. Aveu de ce que ce procès ne diminue en rien sa passion. — Incompréhension totale du cas chez son ami, M. X. ; processivité suscitée chez ce dernier par la malade, interprétations communes ; M. M. a organisé une agression contre M. X., passe volontairement sous les fenêtres au moment où sa maîtresse est malade, etc.

Libérée d’un Asile après deux mois seulement, sous la condition, il est vrai, qu’elle serait emmenée de Paris immédiatement. — Refus formel chez elle et son ami de changer leur habitation, incapacité de tenir cette promesse, même sincère. — Dangereuse de par la forme de sa maladie et ses antécédents personnels. — Nécessité absolue d’un internement de très longue durée. — Signé : Dr DE CLÉRAMBAULT.

Infirmerie spéciale. Certificat d’internement. — 13 juillet 1921. — Drs de Clérambault, Logre et Heuyer.

1. — Persécutrice-Amoureuse. Phase de Haine. — Cas typique, ayant débuté par une fausse processivité destinée à la rapprocher de l’objet aimé. — Allégation de l’attitude paradoxale de ce dernier, qui l’aime et la repousse à la fois, etc. — Aveu formel en notre présence de ses désirs, d’un projet de vie à trois, de sa décision d’avoir le dernier mot, etc. Conviction d’être amoureusement regardée par M. M. et d’être parfois persécutée par des émissaires de ce dernier. — Voies de fait sur M. M. à diverses dates, coups de poing, coups d’ongle près des yeux, chocs dans la rue, etc. Stationnements innombrables, arrestations suivies de retours immédiats. Vie oisive consacrée, de son propre aveu, tout entière à son idée fixe. Incapacité de travailler, due à cette même idée. Persistance foncière de l’espoir morbide.

2. — Hystérie, amoralité, malignité. Véhémence habituelle, du moins en liberté, de ses réactions ; agressivité. Condamnée pour voies de fait à Tunis en 1904 (épisode érotique du même ordre, avec imputations calomnieuses). — Carreau brisé à son domicile, au cours d’une scène. Autre carreau brisé chez un marchand de vins, ces jours derniers (blessure à la main). Coup de poing et gifle donnés à des passants. — Au Commissariat et dans la rue, crises d’agitation maxima dont elle-même a reconnu maintes fois le caractère intentionnel. — À son domicile, crises d’agitation nocturnes véhémentes et prolongées ; plaintes écrites des voisins, précises et décisives. — Rassemblements devant sa maison. Possibilité d’un appoint alcoolique. — Prostitution implicitement avouée. Ex-fille soumise.

3. — Mendacité défensive et inventive. Mauvaise foi impudente. Interversion fréquente des faits ; explique les causes par les effets (frappe ou suit parce que arrêtée, etc.) Négation absolue des faits les plus patents (nombre de ses internements, propension ancienne au suicide, actes précis, propos et gestes en notre présence, etc.)…

Le paragraphe 4 de ce Certificat sera donné ultérieurement. Il est à noter que les trois signataires ont examiné la malade séparément, jamais ensemble.

LES ERREURS DE L’EXPERTISE

Résumé de la partie dialectique du rapport

L’expert enregistre sans discussion la version des faits que lui fournit notre Mythomane. « Un jour, le Secrétaire m’a fait rouer de coups, j’étais couverte d’ecchymoses… un autre jour il m’a saisie, et nous sommes tombés tous les deux… » (??)… Un Commissaire lui a dit qu’il reconnaissait bien qu’elle n’est pas folle, mais la ferait interner quand même. Mlle S… aurait peur de M. M… (sic).

Il y aurait, selon l’Expert, un contraste remarquable entre le fait de mélancolie à l’âge de 13 ans et le fait d’idées de persécution (sic) à 33 ans. « Ce changement de constitution serait singulier » (sic).

Les mises en liberté successives montreraient qu’il ne s’agit pas d’un délire de Persécution Systématisé. « Cette Persécutée Persécutrice (?) est dépourvue, encore une fois, à l’examen direct, de toute Idée de Persécution… elle n’est nullement réticente (sic). Elle n’a pas tenu à l’Asile de propos délirants, elle n’a jamais eu d’attitude hallucinatoire. Bon caractère, complaisante, ne se dispute jamais, etc.

« Femme non hallucinée, non délirante (ni persécutée, ni mélancolique, ni hypocondriaque) ; femme non réticente, ne cherchant pas à dissimuler des préoccupations maladives ; femme ne présentant aucun déficit intellectuel, aucun trouble de la mémoire, aucun trouble morbide notamment de l’humeur, du caractère et de l’affectivité.

« Sans doute le niveau mental n’est pas très élevé, les sentiments moraux sont rudimentaires, mais il s’agit d’une débile mentale constitutionnelle, de type banal (sic), comme il en existe de fort nombreux cas auxquels l’internement ne doit pas s’appliquer, sauf éclosion de troubles mentaux avec réactions nocives d’ordre pathologique, et non passionnel.

« Femme plutôt craintive que querelleuse… désire vivre en paix avec son ami.

« Débile mentale constitutionnelle. Ne présente actuellement aucun trouble mental psycho-sensoriel, aucun état d’aliénation mentale qui permette de la retenir plus longtemps dans un établissement d’aliénés. Elle n’est dangereuse ni pour l’ordre public, ni pour la sûreté des personnes, et doit être rendue au plus tôt à la liberté…

« Je ne veux pas entrer dans le vif (sic) d’un sujet qui est en cours de procédure, quoi qu’il en soit connexe à mon Expertise, mais mon impression personnelle est que cette femme, débile mentalement, n’a pas la constitution mentale d’une persécutée et n’est pas atteinte d’un délire de persécution systématique à l’égard d’un sujet déterminé, M. M. en l’espèce. Il n’existe pas en effet, en matière de Délire de Persécution Systématisé, de rémissions intermittentes permettant la mise en liberté du sujet, comme cela s’est produit déjà quatre fois, et va forcément se produire encore cette fois. En d’autres termes, si Mlle S. délirait au sujet de M. M. d’une manière systématique, elle serait une incurable dont l’internement serait quasi définitif, et cette opinion serait pratiquement et scientifiquement insoutenable. »

ERREURS DANS L’ARGUMENTATION

1. — La prétendue opposition entre une Psychose Dépressive de la Puberté et une Psychose de forme quelconque à l’âge adulte est sans valeur. Il n’est pas rare que deux psychoses coexistent chez un même sujet ; a fortiori peuvent-elles se suivre à longue distance.

2. — Les mises en liberté successives constituent une faible présomption. Il importe d’ailleurs d’en étudier les termes : elles n’ont eu lieu que sous condition. De telles libérations sont possibles, bien que rares, dans toutes les formes de Psychoses Chroniques, en raison d’accalmies réelles et de garanties offertes à l’Administration, de réticence chez les malades, ou d’examen insuffisant.

3. — Notre malade serait plus craintive que querelleuse. Elle le dit, mais le croire c’est annuler le dossier, qui est énorme. D’une part, au sujet des allures persécutrices, plusieurs rapports du fonctionnaire poursuivi, M. M…, plusieurs procès-verbaux de deux commissaire s ; quinze agents auteurs de rapports sur des scandales à diverses dates ; cinq inscriptions sur main-courante, sans désignation nominale des agents témoins. D’autre part, au sujet de crises d’agitation à domicile, plaintes spontanées du voisinage : deux concierges et sept témoins affirmatifs sur le fait de tapages nocturnes fréquents et prolongés (scènes la fenêtre, bris de carreaux, remuement de meubles, cris, insultes, rassemblements devant la maison). En outre, Rapport de Police concernant ses réactions persécutrices dans des circonstances antérieures (Tunis, 1904). Enfin relation d’un incident de rue (1915) sans rapport avec son délire. Tout cela antérieur au sixième internement (1920). Trois Médecins Certificateurs (Dupré, Delmas, de Clérambault) et cinq Médecins Traitants ou Médecins-Inspecteurs d’accord sur les points essentiels : mendacité, impulsivité, haine morbide, impossibilité d’une liberté sans conditions.

4. — Notre malade ne serait pas réticente. Elle peut le sembler ; mais la croire, c’est faire fi de toutes les constatations des Cliniciens qui, en l’espèce, se donnent formellement pour témoins visuels et auditifs de scènes et de propos qu’elle nie.

5. — Notre malade ne présenterait que des tares banales dans sa constitution psychique. Telle est la formule habituelle de l’erreur en des cas de ce genre. Nous y reviendrons.

6. — Pour de telles débiles, il n’y aurait pas matière à internement, « sauf explosion de troubles mentaux avec réactions nocives d’ordre pathologique, et non passionnel ».

De cette formule on devrait conclure que la passion ne rentre jamais dans les cadres pathologiques. Ainsi toutes les activités psychiques, les sens, l’intellect, l’affectivité, seraient susceptibles de déformations délirantes, seule l’activité passionnelle ne le serait jamais ; les cas passionnels, érotomanie, jalousie, revendication, ne devraient jamais aboutir à l’Asile. C’est là une opinion couramment exprimée, à propos de chaque cas discuté, dans la presse, au barreau, dans la magistrature et chez les médecins non spécialistes. Si telle n’est pas la conception du Dr Z…, il devrait alors mentionner ce fait qu’il existe des passions pathologiques, envisager l’hypothèse d’une passion de cet ordre, l’argumenter, la distinguer de la Passion Normale. Toute l’expertise devrait porter sur cette donnée.

LACUNES DANS L’ARGUMENTATION

Lacunes au point de vue de la méthode générale : aucune allusion au Dossier, où les témoins se comptent par dizaines, pas de renseignements demandés à l’Objet des Poursuites, ni aux Médecins qui ont observé la malade durant ses périodes de franchise, et telle qu’elle est en liberté. L’Expert s’en rapporte aux dires d’une malade déjà déclarée mythomane à maintes reprises. L’Expert fait passer quelques investigations négatives avant des constatations positives, et sur cette base croit pouvoir faire des négations rétrospectives d’une grande portée.

Lacunes au point de vue technique : le Délire de Persécution est, de toutes les formes plausibles, la seule envisagée par l’Expert. « Cette personne n’est pas une Persécutée Hallucinée Systématique, donc elle n’est rien » ; ainsi se résume la discussion. Mais la malade n’a jamais été internée sous cette rubrique. Il n’y avait lieu d’envisager que les formes strictement intellectuelles et affectives : Délires d’Interprétation, Quérulence et Revendication, Érotomanie. Ces formes ne sont pas même énoncées dans le Rapport.

L’Expert ne présente pas la personne en question comme malade actuellement guérie, mais comme n’ayant jamais présenté les troubles mentaux allégués, donc n’ayant jamais déliré. Elle n’a jamais été délirante puisqu’elle n’a jamais déliré à l’égard d’un sujet déterminé, en l’espèce M M… ; et les bases sur lesquelles on s’est appuyé pour l’interner n’existaient pas. Nulle restriction ne donne à entendre qu’il y ait eu des troubles délirants épisodiques, de forme quelconque (fut-ce éthylique) ; les diagnostics sont niés purement et simplement. D’ailleurs, la maladie étant déclarée non-réticente, il s’ensuit que sa version des faits est seule exacte, à l’encontre de celle des Médecins.

SUITE DU CERTIFICAT COLLECTIF
DES MÉDECINS DE L’INFIRMERIE
EN DATE DU 13 JUILLET 1921

« 4. — Persécutrice reconnue telle par les Drs Dupré, Sérieux, de Clérambault, Delmas. Sept Internements dont 6 pour la même cause. Mise en liberté deux fois sous la condition expresse d’être éloignée de Paris ne s’est jamais conformée à cette convention, a déclaré devant nous ne pas l’admettre. Ne peut être surveillée par son amant, M. X., qui méconnaît totalement son cas et semble appelé à faire tôt ou tard un délire à deux avec elle. — Dernière sortie en vertu d’une Expertise… concluant formellement à l’absence de tout délire.

« Dans le Rapport d’Expert méconnaissance complète du cas clinique et du caractère personnel de la maladie, sinon même du tableau classique de la forme morbide en cause. Discussion constamment à côté du sujet. Sanité d’esprit décrétée sur l’absence d’hallucinations et de systématisation, sur l’attitude calme dans l’asile et sur la cohérence des propos, tous signes soit fréquents, soit constants dans la forme morbide en question. Pas d’examen au point de vue de l’Érotomanie, ni de la rubrique Persécuté-Persécuteur. Réactions passées sous silence. Malade considérée comme non réticente et comme douce, alors que la violence et le mensonge sont sa nature. Pas de témoins entendus, pas de confrères consultés, constatations personnelles de spécialistes tenues pour nulles.

« Instance civile de la malade contre M. M., fonctionnaire, et autres, basée en partie sur les conclusions de cet Expert.

« Malade chronique, dangereuse, à la fois par la nature de sa maladie et par son caractère personnel. Tenace et impulsive, finira certainement par attenter à la vie de M. M. ou des siens.

« Après les graves constatations que nous avons faites personnellement, de même que les Drs Sérieux et Dupré, nous considérons que la mise en liberté avant des délais extrêmement longs serait encourir la plus grave responsabilité. »

Signé : Drs DE CLÉRAMBAULT, LOGRE, HEUYER.

Si nous publions ces détails, ce n’est nullement par esprit critique, c’est pour montrer à quel degré et de quelle façon un cas typique d’Érotomanie Quérulente peut être méconnu, à l’occasion, par un spécialiste des plus qualifiés. Le corps de délire permanent et organisé reste fréquemment inaperçu, ces quelques indices passant au compte de tares originelles banales et de causes d’excitations banales.

COMMENTAIRES

Notre malade qui a été méconnue totalement par un Expert, a été méconnue partiellement par un certain nombre de confrères. Dans plusieurs des Certificats et Rapports la concernant, nous la voyons certes dépeinte comme incapable de vivre en liberté sans surveillance, mais cela seulement en tant que déséquilibrée, impulsive et alcoolique. L’élément Quérulence a été négligé, et l’élément Fausse-Quérulence, c’est-à-dire Érotomanie, a passé pendant très longtemps inaperçu.

La méconnaissance habituelle des Délires Érotomaniaques est due tout d’abord à deux causes : le tableau de l’Érotomanie est mal connu, et le plan de l’interrogatoire qui convient aux Érotomanes n’existe nulle part.

Le plan de l’interrogatoire doit être fourni par les formules typiques du délire, telles que nous avons essayé de les dégager. Devant chaque malade susceptible de se révéler Érotomane, nous nous représentons nos formules, comme dans un cas de médecine interne, soit pour suppléer l’intuition momentanément défaillante, soit pour l’aider dans ses progrès, on se rappelle le plan de la Question d’Internat. Si on nous objecte qu’un tel plan, en présence des Érotomanes, se fait de lui-même dans l’esprit de tout Aliéniste, nous répondrons d’abord que nous doutons du fait, parce que très peu d’Aliénistes peuvent se vanter d’avoir vu de tels cas en série, ensuite parce que si un plan aussi précis existait dans beaucoup de mémoires, il serait sûrement formulé dans des articles et dans des livres.

Faute d’un tel tableau synoptique le médecin est livré à l’intuition artiste, autrement dit fait un travail sans précision, sans garantie contre les oublis. L’investigation scientifique commence au moment où l’on sait nettement ce qu’on cherche, ce qu’on néglige et ce qu’on ajourne. Personne ne se targue d’interroger par la seule intuition artiste les Persécutés Systématiques, les Mélancoliques, etc. De savoir par coeur le Syndrome des Négations nous fait attacher une valeur considérable au seul accent d’une négation et entrevoir quel bloc d’idées nous allons pouvoir découvrir. La méthode est donc loin de contrarier l’intuition. Toujours elle l’aide, et par moments, elle la supplée. Elle nous aide à chercher d’emblée tel diagnostic, puis à en trouver les indices. Alors même que nous ne pensons pas à ce diagnostic, elle nous aide à en percevoir tel élément qui, un instant, se révèle à demi. On reconnaît d’autant mieux les formules approchées que l’on a mieux appris à reconnaître les formules types, et que la table thématique du cas est plus présente à notre esprit. On peut ne pas penser à l’Érotomanie, et y être amené par une allusion imprévue à une conduite paradoxale de la part d’un persécuteur. Il y a même une table thématique pour les Formules de Réticence, dans ces cas, de même que dans les cas de Persécution Systématisée. Ce sont ces tables thématiques que nous nous efforçons de dresser.

Durant un interrogatoire, nous pouvons rarement espérer obtenir un aveu formel de la passion. Nous ne devons pas même le demander. Nous ne devons pas interroger un Délirant comme on questionne un candidat à un diplôme, car le procédé par questions et par réponses a pour effet de dicter les réponses rationnelles et de faire pressentir au sujet quelles réponses il doit éviter. Bien des sujets ne rendent pas à l’interrogatoire, parce que, encadrés par nous pour ainsi dire, ils n’ont pas autour d’eux la latitude voulue pour dériver. Les formules mêmes que nous déclarons spécifiques, si nous les exprimons nous-mêmes avec l’espoir que le sujet y adhérera, seront très fréquemment rejetées. Par un dialogue en apparence diffus, mais semé de centres d’attractions pour les idées, nous devons amener le sujet à un état d’esprit dans lequel il sera prêt à monologuer et discuter, à partir de quoi notre tactique sera de nous taire, ou de contredire juste assez pour paraître ne pas tout comprendre, mais être capable de tout comprendre ; alors le sujet se permettra des expansions imprévues de lui et laissera tomber des formules dont il croit que nous ne prévoyons pas les conséquences. De tels malades ne doivent pas être questionnés, mais manoeuvrés, et pour les manoeuvrer il n’y a qu’un seul moyen, les émouvoir.

De tels malades sont méconnus à l’Asile, parce qu’ils sont tranquilles, rusés, et affectés d’un délire assez limité pour qu’ils sachent comment nous le jugeons. Ils sont méconnus également parce que le caractère spécifique de certaines de leurs locutions est mal connu. Ils le sont enfin parce qu’une synthèse trop facile de tout leur cas s’offre spontanément à l’esprit. On suppose un roman réel à l’origine de leur passion, ce que l’on traduit ordinairement par la formule : « Il doit y avoir eu quelque chose » : et d’un début banal on croit pouvoir conclure que tout le décours psychologique n’est que banal. L’idée « qu’il y a eu quelque chose » est le plus souvent injustifiée ; fût-elle fondée, le délire issu de réalités n’en resterait pas moins un délire, exactement comme certaines Revendications, à l’origine desquelles il y a eu réellement un droit lésé, sont délirantes.

Une autre façon de méconnaître les Délires Érotomaniaques quand ils sont arrivés au stade de Quérulence, est de prendre à la lettre leurs griefs, et ne pas sentir que leur prétendue indignation n’est autre qu’un Dépit Amoureux.

Un autre genre de méconnaissance consiste à considérer les manifestations des Délirants Passionnels (Érotomanes, Revendicateurs et Jaloux) comme des Épisodes d’Excitation accidentelle chez des Dégénérés, ceux-ci vaniteux, dyslogiques, égotistes et impulsifs, donc dangereux occasionnellement, mais banals au point de vue clinique. Dans ce cas, les éléments du diagnostic seront bien admis, mais la synthèse n’en sera pas faite. Le malade sera bien interné, mais ne restera pas interné longtemps. En effet, faute d’un diagnostic intégral, le pronostic sera insuffisant. Les troubles étant supposés épisodiques seront en même temps supposés être pour une part exogènes, dus par exemple aux circonstances ou à l’influence d’un toxique ; dans ces conditions ni les retours ni l’intensité des réactions ne seront prévus avec tout leur degré de rigueur. Il en serait autrement si l’on se rendait compte d’avoir affaire non pas seulement à des tendances fluctuantes, mais à une force organisée. La même prudence s’impose alors qu’en présence d’un Délire Systématisé Progressif.

Un autre mode de méconnaissance, enfin, consisterait à regarder, par principe, les Érotomanes, les Jaloux et les Processifs comme étant de simples Passionnels, et leurs actes comme justiciables de pénalités, et non pas d’internement. Les conséquences d’une telle doctrine seraient des libérations absurdes suivies de récidives immédiates.

Il existe certes des cas limites, mais dans l’immense majorité des cas la différenciation entre État Passionnel Banal et État Passionnel Morbide est possible. Les critériums, en outre de la table thématique déjà citée, sont l’intensité des réactions, la persistance, l’incoercibilité, la dyslogie, l’hypertonie. — Un fonds de perversité et d’impulsivité apportent un appoint sérieux au pronostic social du cas.

C’est d’ailleurs une absurdité que de prétendre ne pas interner certains d’entre les Passionnels, sous prétexte que d’autres ne sont pas internés. Souvent les Passionnels Normaux présentent des minutes délirantes pendant lesquelles il serait bon de les enfermer ; on ne le fait pas parce que la chose est impossible. Mais de ce que contre les cas bénins et transitoires nous ne pouvons rien, il ne s’ensuit pas que nous devions ne pas intervenir dans les cas graves et durables.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article de Gaëtan Gatian de Clérambault, « Érotomanie Pure. Érotomanie Associée » (Présentation de malade), Bulletin de la Société Clinique de Médecine Mentale, juillet 1921, p. 230.

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