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Théodore Flournoy

Des Indes à la planète Mars : Conclusion et table des matières

Des Indes à la planète Mars (Chapitre XI)

Date de mise en ligne : mercredi 25 octobre 2006

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Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE ONZE
Conclusion

Ce volume me rappelle la montagne accouchant d’une souris. Sa longueur n’aurait d’excuse que s’il marquait un pas en avant sur le terrain physiologique, ou psychologique, ou dans la question du supranormal. Comme ce n’est pas le cas, il reste impardonnable, et je n’ai plus qu’à constater ses déficits sous ce triple rapport.

1. Au point de vue physiologique, on a vu que Mlle Smith, comme sans doute tous les médiums, présente pendant ses visions et somnambulismes une foule de troubles de la motilité et de la sensibilité, dont elle paraît tout à fait indemne dans son état normal. Mais ces petites observations ne suffisent point à résoudre le problème neurophathologique de la médiumité, et la question reste ouverte de savoir si ce terme correspond à une catégorie spéciale de manifestations et à un syndrome distinct, ou s’il ne constitue qu’un heureux euphémisme pour diverses dénominations scientifiques déjà en usage.

Pour tenter de fixer les rapports de la médiumité avec les autres affections fonctionnelles du système nerveux, il faudrait d’abord posséder des lumières précises sur nombre de points importants encore enveloppés d’obscurité. Au sujet de quelques-uns d’entre eux, tels que les phénomènes de périodicité, d’influences météorologiques et saisonnières, d’entraînement et de fatigue, etc., nous n’avons que des indices très vagues et incomplets [1]. Et nous ne savons à peu près rien d’autres questions encore plus essentielles, comme les relations d’équivalence et de substitution entre les diverses modalités de l’automatisme (visions nocturnes, états crépusculaires, trances complètes, etc.), l’effet des exercices spirites et spécialement des séances sur la nutrition ou la dénutrition (variations de la température, de l’urotoxicité, etc., qui permettraient de comparer les accès spontanés et provoqués de médiumité à ceux des grandes névroses), les phénomènes d’hérédité similaire ou transformée, etc. Souhaitons qu’un avenir prochain place quelques bons médiums et leurs observateurs dans des conditions pratiques favorables à l’élucidation de ces divers problèmes, et que l’on arrive un jour à trouver la vraie place de la médiumité dans les cadres nosologiques.

2. Au point de vue psychologique, le cas de Mlle Smith, quoique trop complexe pour se ramener à une formule unique, s’explique grosso modo par quelques principes reconnus, dont l’action successive ou concourante a engendré ses multiples phénomènes. C’est d’abord l’influence si souvent constatée des chocs émotifs et de certains traumatismes psychiques sur la dissociation mentale, d’où la naissance d’états hypnoïdes pouvant devenir le germe, soit de personnalités secondes plus ou moins caractérisées (on a vu que les premières manifestations de Léopold, dans l’enfance d’Hélène, sont attribuables à cette cause), soit de romans somnambuliques qui sont comme l’exagération des histoires et rêveries à demi inconscientes auxquelles s’adonnent déjà tant de gens (peut-être tout le monde) à l’état normal. C’est ensuite l’énorme suggestibilité et autosuggestibilité des médiums, qui les rend si sensibles à toutes les influences des réunions spirites, et favorise l’essor de ces brillantes créations subliminales où se reflètent à la fois les idées doctrinales du milieu ambiant, et les tendances émotionnelles latentes du sujet lui-même ; on s’explique aisément de cette manière les développements de la personnalité de Léopold-Cagliostro à partir du moment où Mlle Smith commença ses séances, ainsi que le rêve martien, et les antériorités de la princesse hindoue et de la reine de France. C’est enfin la cryptomnésie, le réveil et la mise en oeuvre de souvenirs oubliés, qui rend facilement compte des éléments véridiques contenus dans les grandes constructions précédentes et dans les incarnations ou visions égrenées de Mile Smith au cours de ses séances.

Mais, à côté de cette explication générale, que de points de détail d’une part qui restent obscurs, comme l’origine précise du sanscrit d’Hélène et de beaucoup de ses rétrocognitions, faute de renseignements sur les mille incidents de sa vie quotidienne d’où ont pu provenir les données alimentant ses somnambulismes ! Et quelle difficulté d’autre part de se faire une juste idée d’ensemble de son cas, par suite de la grossièreté de nos notions actuelles sur la constitution et la formation de l’être humain, de notre ignorance presque totale de l’ontogénie psychologique !

Sans parler des incarnations éphémères d’Hélène (où j’ai montré qu’il n’y a aucune raison de voir autre chose que des pastiches dus à l’autosuggestion), les diverses personnalités beaucoup plus stables qui se manifestent dans sa vie hypnoïde — Léopold, Esenale et les acteurs du roman martien, Simandini, Marie-Antoinette, etc. — ne sont à mes yeux, comme je l’ai indiqué à mainte reprise, que des états psychologiques variés de Mlle Smith elle-même, des modifications allotropiques pour ainsi dire ou des phénomènes de polymorphisme de son individualité. Car aucune de ces personnalités somnambuliques ne tranche suffisamment avec sa personnalité ordinaire par les facultés intellectuelles, le caractère moral, la séparation des mémoires, pour justifier l’hypothèse d’une possession étrangère, qu’on a déjà tant de peine à défendre (y a-t-il même un seul cas où on y ait vraiment réussi ?) dans les plus fameux exemples d’automatisme ambulatoire et de double conscience, bien autrement accusés et frappants que celui de Mlle Smith.

Mais la théorie du polymorphisme psychique est encore bien imparfaite et inadéquate à rendre les nuances embryologiques qui éclatent dans les produits subliminaux d’Hélène, la perspective rétrograde qu’ils ouvrent sur les différents étages ou moments de son évolution. On a vu que le cycle martien, avec sa langue inédite, trahit une origine éminemment puérile et le déploiement d’une aptitude linguistique héréditaire, peut-être ancestrale, enfouie sous le MOI ordinaire d’Hélène ; tandis que le roman hindou dénote un âge plus avancé, et que celui de Marie-Antoinette semble issu de couches encore plus récentes, contemporaines de la personnalité normale actuelle de Mlle Smith. Peut-être aurais-je dû mettre davantage en lumière le fait que Léopold, lui aussi, est une sorte de création archaïque, une excroissance de couches infantiles, comme cela ressort non seulement de sa précoce éclosion dans la vie de Mlle Smith, mais surtout de ses attaches intimes avec certaines sphères et fonctions organiques très profondes et de son caractère enfantin et naïf jusque dans ses ingéniosités dialectiques ; on y peut joindre sa manie de versifier, qui le domine souvent même dans sa prose apparente (voir par exemple fig. 8, p. 130, son certificat de santé composé de deux alexandrins bien évidents et rimant).

Ce fait, de la nature primitive et des âges différents des diverses élucubrations hypnoïdes de Mlle Smith, me paraît constituer le point psychologique le plus intéressant de sa médiumité. Il tend à montrer que les personnalités secondes sont probablement à leur origine, comme on en a parfois émis l’idée, des phénomènes de réversion de la personnalité ordinaire actuelle, des survivances ou des retours momentanés de phases inférieures, dépassées depuis plus ou moins longtemps et qui normalement auraient dû être absorbées dans le développement de l’individu au lieu de ressortir en d’étranges proliférations. De même que la tératologie illustre l’embryologie, qui l’explique, et que toutes deux concourent à éclairer l’anatomie, pareillement on peut espérer que l’étude des faits de médiumité contribuera à nous fournir un jour quelque vue juste et féconde sur la psychogenèse normale, qui en retour nous fera mieux comprendre l’apparition de ces phénomènes curieux, et la psychologie tout entière y gagnera une meilleure et plus exacte conception de la personnalité humaine.

3. Quant au supranormal, j’ai eu beau me mettre en quête de phénomènes réels de cet ordre dans la médiumité de Mlle Smith, je suis revenu bredouille. Je crois bien y avoir aperçu un peu de télékinésie et de télépathie, mais de loin seulement, et je ne mettrais point ma main au feu de ne pas avoir eu la berlue. En fait de lucidité et de messages spirites, je n’y ai rencontré que de ces brillantes reconstitutions que l’imagination hypnoïde, aidée de la mémoire latente, excelle à fabriquer chez les médiums. Je ne m’en plains pas, car, pour le psychologue qui n’est pas féru de merveilleux, ces pastiches admirablement réussis sont aussi intéressants et instructifs, par les lueurs qu’ils jettent sur le fonctionnement intime de nos facultés, que les cas les plus stupéfiants de supranormal authentique, devant lesquels on en est encore réduit à rester bouche bée sans y rien comprendre.

Il va sans dire que Mlle Smith et son entourage voient les choses autrement que moi. À les entendre, il fallait bien mon hostilité de parti pris contre le médianimisme pour conclure comme je le fais ; car tout, ou peu s’en faut, serait supranormal chez Hélène, depuis les réminiscences de ses vies de Marie-Antoinette ou de Simandini (étant donné qu’elle est absolument sûre de n’avoir jamais rien lu ni entendu sur ce sujet) jusqu’au martien (qu’assurément elle n’a point composé elle-même) et aux incarnations de Cagliostro, de Mlle Vignier ou du curé de Chessenaz (qu’elle n’a pu connaître, puisqu’elle n’était point née !).

Il n’est pas jusqu’au jugement final que Mlle Smith porte sur cet ouvrage qui ne semble être, lui aussi, d’une origine et d’une autorité supranormales. En effet, bien qu’il exprime l’opinion approximative de sa personnalité ordinaire, c’est une voix extérieure inconnue, autre que celle de Léopold et venant de droite (tandis que Léopold lui parle d’habitude à gauche), qui a fait retentir ce jugement à ses oreilles au beau matin avant qu’elle se levât. Elle l’inscrivit aussitôt, fort heureusement car il lui fut impossible de se le rappeler dans le courant de la journée ni les jours suivants, encore que la voix le lui ait répété à son réveil plusieurs matins consécutifs. Je me fais un devoir, sur sa demande, de publier textuellement cette dictée automatique qui m’épargne la peine de formuler moi-même le verdict de Mlle Smith sur mon travail : « Elle prétend que, cherchant et m’emparant de tout ce qui peut être défectueux à la cause spirite, je dénature à plaisir, par une critique savante et voulue, les cas les plus intéressants de sa médiumnité et ses plus jolis phénomènes psychologiques. »

Avant de courber la tête sous cette condamnation, je demande à faire une distinction entre les cas, ou phénomènes, et leur interprétation. Je ne crois pas avoir « dénaturé » aucun des premiers, que je me suis au contraire appliqué à rendre avec toute l’exactitude possible d’après les documents originaux, procès-verbaux de séances, notes prises sur le moment même, etc. Quant à leur interprétation, je reconnais l’accusation fondée en ce sens que, n’étant point adepte de la philosophie spirite, je n’ai pas de motif de témoigner à cette doctrine des égards spéciaux, extra-scientifiques, et n’éprouve aucune tentation de dissimuler ses défectuosités ni de faire en sa faveur des passe-droits à ses rivales lorsqu’il s’agit d’expliquer des faits donnés. Or on sait que les Esprits prennent facilement pour un scepticisme déplacé, et une injustice à leur endroit, ce qui n’est au fond que de l’impartialité ou une prudente réserve, et qu’ils regardent volontiers comme étant contre eux quiconque n’est pas d’emblée pour eux. Aussi ne suis-je point surpris qu’ils me voient d’un mauvais oeil ; d’autant qu’en attendant la preuve enfin irréfutable et scientifiquement valable de leurs interventions dans notre monde, je m’en tiens au principe méthodologique que j’ai plus d’une fois rappelé, mais qu’ils n’ont pas l’air d’apprécier beaucoup : c’est qu’en cas d’incertitude et d’obscurité, il est légitime et d’une saine raison de donner la préférence (au moins provisoirement, jusqu’à démonstration contraire) aux bonnes vieilles explications ordinaires et normales, qui ont fait leurs preuves, plutôt qu’aux hypothèses extraordinaires et supranormales, dont les belles apparences flattent assurément notre badauderie et nos penchants innés vers le merveilleux, mais ont un peu trop la fâcheuse habitude de se dissiper comme un mirage quand les circonstances permettent d’examiner les faits de plus près.

Et maintenant, admettons par hypothèse que je me sois abusé, que je n’aie pas su voir le supranormal qui me crevait les yeux, et que mon aveuglement seul m’ait empêché de reconnaître la présence réelle de Joseph Balsamo, de ma propre mère, de la princesse hindoue, etc. — ou tout au moins d’Esprits réels, désincarnés et indépendants —, dans les personnifications de Mlle Smith. C’est évidemment regrettable ; mais ça ne l’est en somme que pour moi, qui en aurai la courte honte le jour où la vérité éclatera. Car, pour ce qui est du progrès de nos connaissances, il a tout à redouter de la crédulité facile et du dogmatisme obstiné, mais il ne saurait être arrêté, ni sérieusement retardé, par les erreurs possibles commises de bonne foi en vertu d’une sévérité exagérée et d’une trop stricte observance des principes mêmes de toute investigation expérimentale ; bien au contraire, les obstacles et les difficultés que les exigences de la méthode amoncellent sur sa route lui ont toujours été un puissant stimulant à de nouveaux bonds en avant et à de plus durables conquêtes basées sur de meilleures démonstrations. Mieux vaut donc à mon avis — dans l’intérêt bien compris et pour l’avancement même de la science, en un domaine où la superstition est toujours prête à se donner carrière —, mieux vaut pécher par excès de prudence et de rigueur, au risque de se tromper peut-être parfois et de laisser momentanément échapper quelque fait intéressant, que de se relâcher dans les surveillances nécessaires et d’ouvrir la porte aux folles imaginations.

Quant à Mlle Hélène Smith, à supposer que j’aie méconnu en elle des phénomènes réellement supranormaux (que d’autres observateurs, dans ce cas, finiront bien par mettre en évidence), elle aura néanmoins plus fait pour la découverte du vrai, quel qu’il puisse être, en se soumettant avec désintéressement à mes libres critiques, que tant de beaux médiums inutiles, apeurés du grand jour, qui, dans leur vaine hâte de voir triompher la cause qui leur est chère, se dérobent aux investigations trop minutieuses et voudraient être crus sur parole. Ils oublient le mot célèbre et sans cesse confirmé de Bacon : La vérité est fille du temps, et non pas de l’autorité.

Table des matières

  • 3 — Mlle Smith depuis son initiation au spiritisme
    • 1. Débuts médiumiques de Mlle Smith
    • 2. Mlle Smith dans son état normal
    • 3. Phénomènes automatiques spontanés
      • 1. Permanence de suggestions extérieures
      • 2. Irruptions des rêveries subliminales
      • 3. Automatismes téléologiques
    • 4. Des séances

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

Notes

[1Je ne connais qu’un cas où Mlle Smith ait essayé de donner deux séances à vingt-quatre heures d’intervalle. Il s’agit d’un lundi, jour férié, où ayant eu le dimanche une fort belle et longue séance chez moi, elle fut invitée dans un milieu spirite qui lui est extrêmement sympathique et où elle présente toujours de très remarquables phénomènes ; or ce jour-là on n’obtint absolument rien ; Hélène ne réussit pas à quitter son état normal, et après plus d’une heure d’attente, la séance fut levée de dépit. On dirait que ses facultés médiumiques épuisées par la séance de la veille n’avaient pas encore eu le temps de se refaire. — En fait de périodicité, Mlle Smith a remarqué d’elle-même qu’il y a ordinairement une recrudescence et comme une bouffée d’automatismes spontanés trois ou quatre jours avant les époques cataméniales (où Léopold lui interdit tout exercice médiumique), surtout sous la forme de visions le matin au moment du réveil.

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