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Sophie Morgenstern

La pensée magique chez l’enfant

Revue Française de Psychanalyse (1934)

Date de mise en ligne : dimanche 5 décembre 2010

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Sophie Morgenstern, « La Pensée magique chez l’enfant », Revue Française de Psychanalyse, Septième année, T. VII, n° 1, Éd. Denoël et Steele, 1934, pp. 98-115.

La Pensée magique chez l’enfant

Il est souvent question de savoir de quel langage il faudrait se servir pour que l’enfant nous comprenne, et aussi comment il faut faire pour comprendre l’enfant, ses questions, ses réponses, son comportement.

Cette question est tout à fait légitime, surtout vu l’amnésie des quatre premières années de la vie dont il est si souvent question en psychanalyse.

La pensée et le comportement de l’enfant ont été caractérisés par Piaget comme analogues à celles d’un schizophrène, c’est-à-dire de l’aliéné qui se retire dans sa tour d’ivoire et n’emploie quelquefois qu’un langage dont la clé n’est déchiffrable qu’à l’aide d’une longue étude du malade même. Car l’enfant, malgré son affectivité très vive, en parlant aux autres, en racontant un évènement, parle plutôt à lui-même et ne s’aperçoit même pas souvent que son entourage l’a mal compris ou ne l’a pas compris du tout.

Mais ce langage et cette attitude de l’enfant, en apparence autistes, proviennent de l’angle sous lequel il voit son entourage.

À l’enfant, les adultes, les objets dont se servent les grandes personnes, paraissent énormes.

Pour parler et pour bien observer la figure de ses parents, ou d’autres grandes personnes de son entourage, l’enfant est obligé de lever la tête, même par rapport à ses frères et sœurs, il est obligé d’appliquer la mesure du plus grand et du plus petit et de se comporter en conséquence.

Les objets dont se servent les adultes prennent des proportions gigantesques pour l’enfant, car lui-même, jusqu’à un certain âge, n’est pas capable de s’en servir du tout ou convenablement, malgré le grand effort qu’il fait. Il faut observer sa mine sérieuse quand il essaye d’aider sa mère ou son père dans leurs occupations et la peine qu’il éprouve pendant cette besogne.

C’est dans ce championnat de la vie quotidienne que l’enfant se crée ces notions mystérieuses des êtres humains et des choses, et que ses parents lui paraissent de grands magiciens qui savent manier sans effort ces objets gigantesques.

La connaissance du comportement de l’enfant, de sa pensée, et surtout de sa vie imaginative, nous fait comprendre l’intérêt qu’il a pour les contes de fées, ainsi que le rôle que cette littérature joue dans son évolution, quelquefois pour toute sa vie.

Lewis Caroll a décrit, dans les aventures de la petite Alice au pays des miracles, les besoins affectifs et imaginatifs de l’enfant. La question du « plus petit » et du « plus grand » y prend des formes symboliques très vivantes.

D’autre part Swift, dans Le voyage de Gulliver à Lilliput, a rendu admirablement bien la disproportion de taille entre les enfants et leur père.

Se sentir petit est très humiliant pour l’enfant, ainsi qu’entendre autour de soi des conversations et voir des actions dont le sens est souvent pour lui aussi incompréhensible que pour nous la conversation dans une langue que nous ne connaissons pas, car les mêmes mots peuvent avoir pour l’enfant un sens tout à fait autre que pour les adultes.

Un de mes malades, qui était le plus petit de ses frères, me raconta qu’il souffrait beaucoup de cette différence de taille. Dès qu’il put le faire, il attachait pour la nuit ses pieds aux barres de son lit et mettait sa tête dans une serviette, qu’il avait attachée au chevet de son lit. Il a dormi pendant des années dans cette position de torture, dans l’espoir d’allonger sa taille en agissant ainsi.

Une petite fille intelligente de huit ans lisait avec grand intérêt, à l’époque où le mouvement révolutionnaire avait commencé dans son pays, un livre sur la politesse et les bonnes manières, espérant obtenir par cette lecture une explication des faits qui se passaient autour d’elle. Elle s’intéressait même à la description des précautions qu’il faut prendre pour manger un œuf à la coque, car elle croyait que les faits décrits dans ce livre cachaient un sens mystérieux des idées révolutionnaires défendues, et qu’à la fin il y aurait la clé de ce langage magique.

Elle confondait dans son esprit politesse avec politique, et le jour où elle comprit son erreur elle jeta, indignée, le livre qu’elle traita d’insipide et d’idiot.

La difficulté de comprendre l’enfant devient plus grande dès qu’il est dominé par l’idée de réalisation d’un désir et tâche de nous expliquer sa pensée par des paroles dont le sens est pour nous établi, mais qui prennent pour lui, grâce à la charge affective qu’il y ajoute, un autre sens.

L’exemple suivant nous en donne la confirmation.

Un garçon de six ans accuse sa mère d’avoir donné l’année dernière des arrhes dans un magasin pour un costume de marin commandé pour lui, et de n’être jamais allée chercher ce costume. La mère est épouvantée par cette accusation calomnieuse de l’enfant, prononcée par celui-ci souvent en présence d’autres personnes. La mère se rappelle avoir été il y a un an une seule fois dans un magasin très éloigné de leur quartier, et d’y avoir acheté des chaussettes pour ses enfants ; il n’y a pas été du tout question d’un costume de marin pour l’enfant.

L’enfant même me raconta, au cours de l’examen, qu’il désirait ardemment avoir un costume de marin et qu’il avait vu dans ce magasin un costume pour lui. Il était persuadé que l’argent donné par sa mère au marchand représentait des arrhes pour son costume, et quand sa mère lui avait acheté dernièrement le costume de velours qu’il portait, il crut qu’elle avait oublié l’autre.

La mère me confirma qu’il y avait dans ce magasin des costumes de marins tout faits.

Pour cet enfant, le désir de posséder un costume de marin était si fort qu’il crut que sa mère n’avait qu’à retourner dans ce magasin pour lui apporter le costume, car l’argent payé pour les chaussettes s’était transformé dans son imagination en arrhes pour son costume.

Il croyait qu’en portant un costume de marin, il deviendrait un être plus important.

Le père de cet enfant avait délaissé sa mère pour une autre femme. L’enfant voulait jouer à la maison le rôle autoritaire et brutal du chef de famille et se sentait humilié de porter un costume qu’il considérait comme trop simple.

Le cas suivant nous montre un degré plus intense de la pensée magique chez l’enfant.

Une mère est venue me demander mon conseil pour sa fillette de quatre ans, qui s’imagine que tout ce qu’elle désire existe, et se comporte en conséquence. Elle parle à sa mère des jouets qu’elle voudrait avoir, et prétend en même temps les posséder ; elle appelle sa mère pour les lui montrer et fait des mouvements comme si elle maniait ces objets, arrange des jeux dans lesquels elle fait semblant de se servir de ces objets imaginaires.

Cette enfant se comporte comme si elle réalisait un conte de fées. Elle mime un jeu, mais y donne plus d’importance que d’autres enfants dans les mêmes conditions.

Le jeu est même, dans le cas où l’enfant possède les objets appropriés au jeu, un produit de son imagination, mais chez cette enfant il a un caractère presque hallucinatoire et nous rappelle le comportement d’une délirante qui change sa voix pour s’entretenir avec ses sept fils, qu’elle porte dans son gosier, ou d’une obsédée délirante qui remue son épaule gauche pour chasser le diable qui s’y pose, d’après elle, de temps en temps.

Le comportement de cette enfant et celui de ces malades sont basés sur la foi dans la toute puissance de la pensée. Pour elle, l’absence réelle des objets désirés, l’impossibilité de les toucher ne sont pas un obstacle pour croire en leur existence, de même que pour nos malades aucune preuve matérielle n’est nécessaire pour prouver l’existence des êtres et des objets de leur délire. Il n’y a que la toute-puissance de la pensée qui leur permet de créer un monde dans lequel se réalisent leurs rêves et leurs désirs.

Le plus grand domaine de la pensée magique chez l’enfant est le jeu qui lui permet de réaliser tous ses désirs, de donner libre cours à ses instincts.

Seulement là, où l’enfant crée lui-même son jeu et même les objets dont il se sert dans son jeu, il manifeste une pleine satisfaction. Les jouets les plus ingénieux, mais tout faits, ne l’amusent que les premiers jours et restent après hors d’usage, car ils empêchent l’enfant de puiser dans son imagination et de jouer le rôle du grand magicien qui anime les objets, leur fait subir un tas d’épreuves, les élève à un grade qui correspond à ses besoins affectifs au moment donné.

C’est pourquoi l’enfant aime à jouer à la famille, à l’école, et, selon ses dispositions sadiques ou masochistes, il choisit dans le jeu le rôle du père, de la mère, de l’enfant, du professeur ou de l’élève.

L’enfant arrive même à se débarrasser de ses conflits familiaux, ou seulement à mimer ces conflits dans son jeu.

L’exemple le plus frappant du sens symbolique et magique du jeu me paraît le suivant :

Un garçon de six ans, qui fut mis en pension à l’âge de deux ans pour ne pas contaminer ses frères de ses mauvaises habitudes, organisa un jeu ingénieux avec une famille de lapins en porcelaine. Le plus petit des lapins enterra la mère lapine avec un grand cérémonial et la ressuscita après quelques minutes. L’enfant ne se lassait pas de répéter ce jeu toutes les fois qu’il se trouvait devant cette famille de lapins.

Par ce jeu, l’enfant mimait son conflit familial et l’ambivalence de ses sentiments pour sa mère. Il voulait punir sa mère en enterrant la mère lapine, mais il pourvoyait aussi le petit lapin de la force magique de ressusciter sa mère.

Ce jeu, à caractère magique tellement évident, nous rappelle le double sens du sacrifice du primitif. Hubert et Mauss, dans l’Essai sur la nature et la fonction du sacrifice, disent que : « le sacrifice peut servir à deux fins aussi contraires que celles d’acquérir un état de sainteté et de supprimer un état de péché… ». Pour s’expliquer comment un dieu pouvait être tué, on se l’est représenté sous les espèces d’un démon : c’est le démon qui est mis à mort, et de lui, sort le dieu ; de l’enveloppe mauvaise qui la retenait, se dégage l’essence excellente.

Si nous observons le comportement de l’enfant tout jeune qui s’est cogné ou brûlé, nous voyons qu’il traite les objets, qui ont causé sa blessure ou sa brûlure, comme des êtres vivants. Il tâche de les punir ou les évite ensuite comme un ennemi. L’enfant anime les objets en leur attribuant de bonnes ou de mauvaises intentions, comme le primitif qui peuple la nature d’esprits pour expliquer la pluie, l’orage, et beaucoup d’autres phénomènes de la nature.

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Nous retrouvons la pensée magique dans tous les pays et chez tous les peuples, dans la névrose, dans la pensée infantile et dans le rêve. En étudiant la mentalité du primitif, du névrosé, de l’enfant, et en étudiant les rêves, nous sommes de plus en plus frappés par les traits communs entre la pensée du primitif, du névrosé et de l’enfant, — toutes ces pensées sont caractérisées par la domination de l’élément affectif, de cet élément qui donne à la pensée son sens magique et toutes ces pensées possèdent une clé commune avec le langage du rêve.

Le champ limité de réalisation de ses désirs, les proportions démesurées de son imagination qui ne va nulle part de pair avec la vie réelle, poussent l’enfant à chercher dans le monde magique une réalisation qui lui donne une satisfaction immédiate et complète. Rien n’empêche l’enfant de vivre dans ce monde magique à côté de la vie réelle.

André Maurois décrit dans Meïpe d’une manière ingénieuse le dédoublement d’une petite fille. Françoise trouve un moyen magique contre les observations agaçantes de son entourage, en se transportant dans le pays féerique de Meïpe où tout obéit à ses désirs et à sa volonté.

Pour l’enfant, la vie des adultes représente un monde mystérieux, magique dans lequel il voudrait pénétrer et qu’il voudrait s’approprier à tout prix.

Le cas suivant nous montre à quel point l’enfant peut être impressionné par la vie de ses parents — qui sont pour lui les grands magiciens capables de faire la pluie et le beau temps et qui ont de longues conversations sur des sujets que l’enfant ne comprend pas, et qui choisissent la nuit quand l’enfant dort, pour tenir ces conversations.

Un garçon de dix ans, très autoritaire, désobéissant, ayant des angoisses nocturnes, ne s’endormait pas avant minuit pour ne pas perdre un mot de la conversation de ses parents.

Cet enfant voulait absolument imiter la profession de son père qui était représentant pour différentes maisons de commerce. Il se procura des carnets pareils à ceux de son père, dans lesquels il inscrivait le nom de ses clients imaginaires. Il s’occupait souvent jusqu’à minuit à confectionner ses listes de clients et à faire ses comptes.

Cet enfant créa tout un roman sur le sujet de ses affaires : il tenait un livre de comptes dans lequel il inscrivait des chiffres fantastiques. Il s’imaginait posséder un château avec deux cents chambres, avec cinquante domestiques. Il organisait des réceptions fastueuses, il invitait ses clients chez lui, les logeait dans son château, leur donnait à chacun une femme de chambre, etc. Il inscrivait dans son livre de compte ses dépenses pour les réceptions où il était question de vin pour dix mille francs, de poulets et de fruits pour des milliers de francs, etc. Les étrennes qu’il donnait étaient en proportion : il notait des manteaux de fourrure et des bagues pour sa femme et sa mère s’élevant à des centaines de mille francs, des dons pour les hôpitaux, pour les pauvres dans les mêmes proportions.

Cet enfant réalisait, par ses livres de comptes, un rêve dans lequel il était lui-même le grand magicien, qui créait un monde infiniment plus riche et plus varié que celui de ses parents, qui vivaient dans des conditions assez modestes.

Il obtenait par cette pensée magique la plus grande satisfaction, car il dépassait son père par son chiffre d’affaires, par le nombre de ses clients ; il avait de meilleurs clients que son père et se les attachait par des fêtes de contes de fées ; il faisait des cadeaux princiers à sa femme et à sa mère.

Cet enfant attribuait une telle valeur mystérieuse à ses carnets de compte qu’il était profondément indigné quand sa mère les apporta à la consultation. Il me les confia pour quelque temps à titre de grâce spéciale.

Cet ordre d’idées magiques correspond en partie aux idées magiques du délire lucide, mais aussi aux rites de la magie imitative des primitifs, qui, en imitant par des moyens artificiels un phénomène réel désiré, espèrent obtenir sa réalisation, comme par exemple dans le rite magique de la pluie.

Les chiffres d’affaires fantastiques, les dimensions incroyables des fêtes et des cadeaux, sont l’expression de la pensée infantile qui, d’une part se calque dans ses productions imaginatives sur les contes de fées, mais qui, d’autre part, est caractérisée par le manque de mesure, car l’enfant ne connaît pas encore les dimensions exactes des objets, ni la valeur exacte d’un chiffre, son échelle des valeurs étant étalonnée sur la relation de sa taille à celle de ses parents ou d’autres adultes. Mais même dans cet étalonnage, sa relation affective avec les grandes personnes et les objets décide de la mesure et de la valeur qu’il leur attribue.

La pensée magique ne s’exprime pas toujours chez l’enfant avec autant d’évidence que les exemples précédents nous l’ont montré. Il y a encore une autre voie, une voie détournée par laquelle cette pensée se manifeste chez l’enfant.

Le sens magique de certains gestes est caché ; on arrive à le comprendre par la connaissance du symbolisme qu’ils expriment ainsi que des motifs qui les ont provoqués.

Nous connaissons tous les tendances destructives de certains enfants, ces tendances qui peuvent être dirigées vers des personnes même aimées de leur entourage, mais visent quelquefois seulement des objets qui appartiennent à certaines personnes ou à l’enfant même. Ces actes de destruction paraissent parfois incompréhensibles, comme des actes instinctifs ; leurs motifs ne nous sont accessibles que si nous arrivons à connaître la vie affective de l’enfant et si nous sommes familiarisés avec le déplacement des réactions affectives.

Par un acte agressif, l’enfant cherche souvent à régler ses comptes avec une personne contre laquelle ses griefs, le plus souvent ses griefs inconscients, sont portés.

Les exemples suivants me paraissent instructifs comme expression des réactions agressives traduites par la pensée magique.

Un garçon de douze ans exaspérait ses parents par ses colères excessives, dans lesquelles il jetait des objets par la fenêtre, découpait ses propres habits et menaçait de se suicider.

Au cours du traitement psychanalytique, l’enfant racontait qu’il ne jetait par la fenêtre que des objets qui appartenaient à sa sœur. Pendant qu’elle remontait les objets ramassés, il en jetait d’autres par la fenêtre. Il ne pouvait donner aucune raison compréhensible à ce comportement qu’il considérait comme une taquinerie sans importance.

Je ne crois pas faire fausse route en donnant l’interprétation suivante à cet acte : Ce garçon était doux et très affectueux jusqu’à l’âge de six ans, jusqu’au moment de la naissance de sa petite sœur. Le changement grave du caractère s’était produit les deux dernières années.

C’est à ce moment de sa vie que le garçon avait appris qu’il portait un autre nom que sa sœur, car il était né d’une liaison de sa mère avec son père à lui et à sa sœur, mais sa sœur était venue au monde après le mariage de ses parents ; et son père refusait de le reconnaître, bien que l’enfant l’appelât « père » et qu’il n’y eût aucun doute que l’homme qu’il appelait de ce nom fût son véritable père.

Les sentiments hostiles envers son père et sa sœur, qui augmentaient de plus en plus, ne l’empêchaient pas de les aimer. Cette ambivalence de ses sentiments, c’est-à-dire la présence simultanée de sentiments contradictoires, ne lui permettait pas de manifester son hostilité vis-à-vis des êtres contre lesquels elle était dirigée ; il accomplissait des actes symboliques qui correspondaient aux actes magiques des primitifs qui exécutent sur des ongles ou des cheveux, ou sur des bouts de tissu du costume appartenant à l’ennemi, ou sur l’effigie de l’ennemi, les actes qu’ils voudraient faire subir à l’ennemi lui-même et qui croient que le mal qu’ils font à ces objets se transmet aussi à leurs ennemis.

Ne pouvant pas détruire sa petite sœur, qui était pour lui un reproche vivant de sa naissance illégitime, qui était un être privilégié en comparaison avec lui, il détruisait ses jouets ; au lieu de jeter sa petite sœur par la fenêtre, il jetait par la fenêtre des objets qui lui appartenaient.

Ses autres actes destructifs avaient le même sens magique : par ces deux actes symboliques qui consistaient à découper son meilleur habit et même à tenter de se jeter par la fenêtre, il voulait frapper son père. En voulant se tuer, il voulait tuer le fils au lieu de tuer le père, et en détruisant les habits que le père lui avait achetés, il commettait le même acte symbolique.

Le comportement de ce garçon nous rappelle la pensée magique imitative du primitif.

L’exemple suivant nous donne encore quelques détails nouveaux de la pensée magique chez l’enfant.

Il s’agit d’un garçon de neuf ans et demi avec une légère arriération intellectuelle. Cet enfant, qui est resté depuis l’âge de deux mois jusqu’à l’âge de neuf ans en pension, a été repris à cet âge par son père et la maîtresse de celui-ci.

L’enfant avait un vague souvenir de sa mère, chez laquelle il avait passé quelques mois à l’âge de trois ans ; il ne connaissait son père et sa belle-mère que par un séjour très court chez eux dans une chambre d’hôtel.

Le retour dans un foyer familial avec un cadre propre, ordonné et sympathique produisit chez ce garçon des réactions incompréhensibles. Il devient brutal, agressif, destructeur et manifesta les mêmes actes hostiles que le garçon précédent. Il jetait par la fenêtre des couverts, des pochettes de serviettes que sa belle-mère avait confectionnées, il découpait des rideaux, des habits à lui, il se pinçait les bras, s’égratignait la figure avec une fourchette.

Cet enfant considérait que sa belle-mère était meilleure pour lui que sa propre mère ne l’avait été ; malgré cela, il ne pouvait pas lui pardonner d’avoir pris la place de sa mère.

Il m’a dit qu’il ne pouvait pas s’habituer à la pensée qu’il ne verrait plus jamais sa mère. Tout ce confort qu’il n’avait pas connu avant lui paraissait étranger, hostile. Il ne pouvait pas pardonner à son père et à sa belle-mère d’avoir habité avec un de ses frères à lui et le fils de sa belle-mère dans cet appartement qui lui paraissait très grand, pendant que lui se trouvait en pension chez les sœurs.

Par la destruction des objets qui appartenaient à sa belle mère, il exprimait son désir inconscient de la détruire elle-même, et de faire venir à sa place sa propre mère. Il découpait son habit au lieu de faire du mal à son père.

Après un séjour de plusieurs mois à la clinique, où il a passé par une psychanalyse, l’enfant a demandé plusieurs fois à rentrer chez son père, mais sous condition que son père et sa belle-mère changent d’appartement et qu’ils déménagent, car il considérait la banlieue qu’ils habitaient comme un pays étranger, comme un endroit où régnaient les mauvais esprits ; il parlait de la peur que lui inspirait la cave de cet appartement, sa cour et tout son entourage.

En parlant de cette maison, il devenait inquiet, anxieux.

Ce comportement de l’enfant paraît être dirigé par la pensée magique. Ses actes de violence étaient des simulacres de la destruction de sa belle-mère et de son père pour faire revenir sa vraie maman.

Ce ne sont pas seulement les personnes et les objets qui se trouvent dans cet appartement que l’enfant voudrait détruire, c’est l’appartement même et le quartier qui devraient disparaître.

Tant qu’il s’agit de substituer aux êtres contre lesquels sa haine était dirigée, des objets appartenant à ces êtres, le caractère magique des gestes de cet enfant est celui de la magie imitative ou homéopathique ; mais quand l’enfant traite la maison même, toute la banlieue que ces êtres habitent, comme des choses impures qui inspirent une peur incompréhensible, nous nous trouvons devant des manifestations de la magie sympathique.

C’est l’expression classique de la toute-puissance de la pensée, et la capacité du déplacement des forces mauvaises ou bonnes sur un être éloigné, ainsi que sur des objets de son entourage.

Les magiciens des peuples primitifs transmettent par leur contact une force magique aux objets dont ils se servent, qui à leur tour ont une action magique sur les êtres qui les touchent.

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Quand l’enfant se trouve devant des phénomènes qu’il n’arrive pas à comprendre par les moyens qui sont à sa disposition, la pensée magique satisfait pleinement sa curiosité et l’aide à se créer un monde à lui dans lequel il se croit supérieur aux adultes.

Tout ce qui concerne la question de la provenance des enfants, de la différence des sexes, attire l’attention de l’enfant et devient, pour lui, l’objet des recherches les plus assidues. Le rapport entre cette curiosité et l’expression de sa réalisation est très souvent difficile à discerner, et il faut faire un grand effort pour retrouver tous les chaînons qui manquent et pour faire comprendre le sens de cette manifestation.

Les exemples suivants me paraissent intéressants à ce point de vue : Un garçon de dix ans qui montrait, après la naissance d’un petit frère, un changement de caractère avec des obsessions et des angoisses, commença à cette époque de sa vie, à s’intéresser d’une manière maladive aux inventions. Il passait tout son temps à dessiner des moteurs électriques dans l’intention de construire des aérobus. Il avait l’idée d’organiser une compagnie d’aérobus avec un service régulier dans toute la France, qui aurait pu remplacer, avec le temps, tous les moyens de transport de l’État.

Les dessins des moteurs, des véhicules, des lignes, étaient pour lui des objets sacrés, qu’il ne montrait qu’aux personnes dans lesquelles il avait une confiance complète.

Cette invention avait pour lui une grande valeur affective, il l’entourait du secret le plus absolu, il lui attribuait uns signification magique, car le point essentiel sur lui était la victoire sur l’État, la conspiration contre une force tellement supérieure a lui. Il ne parlait de cette invention qu’à voix basse, il l’entourait d’un mystère profond et basait tout son avenir sur la réussite de son invention.

Ce grand mystère, cette préoccupation maladive n’était que l’expression camouflée de sa curiosité au sujet de la naissance de son petit frère.

Il exprimait par son activité magique, qu’il était aussi capable que son père de créer, et de créer même un objet d’une valeur extraordinaire et qui emporterait la victoire sur tout ce que son père avait fait jusqu’à présent. L’État contre lequel était dirigée toute son activité n’était qu’un symbole de son père qui était employé de chemin de fer.

Un autre garçon de treize ans, avec des troubles de l’affectivité très graves et des préoccupations sexuelles très prononcées, restait des heures au cabinet à jouer avec ses matières. Il s’agissait d’un jeu très spécial : il fabriquait de ses selles de petits bonshommes et se croyait pro-géniteur de centaines d’enfants. Ce geste symbolique s’explique par lui-même, mais ce qui était le plus intéressant, c’était la manière dont il parlait de ce procédé. Il se croyait au comble du bonheur pendant ce jeu, car il avait l’impression de produire des enfants, d’accomplir un acte mystérieux qui était déjà depuis longtemps l’objet de ses plus grandes préoccupations.

Nous retrouvons dans les rêves des adultes et des enfants ce sujet représenté par des symboles les plus bizarres qui nous montrent son caractère magique.

Je trouve que le rêve suivant, qu’un de mes malades a eu à l’âge adulte, exprime avec une grande évidence une théorie infantile sur ce sujet.

Le malade rêvait qu’il se trouvait devant un magicien habillé en Oriental et portant sur sa tête une grande tour. Le magicien faisait sortir de cette tour des pantins et les transformait par le contact avec une baguette magique en être vivants.

Ce magicien n’avait pas besoin d’une femme pour procréer des enfants ; il les sortait de sa tête et leur donnait la vie par le simple contact avec un bâton magique. Le symbolisme de la baguette magique comme sexe masculin est très transparent. L’idée que chacun des parents est capable de créer un être vivant est une conception infantile de la provenance de l’enfant.

Le plus important dans ce rêve est l’élément magique. L’homme qui crée ces enfants est un magicien, sa tenue est celle des contes de fées, la tour sur sa tête fait de lui un être à double sexe ; il possède la tour (symbole du sexe féminin) dans laquelle se trouvent les pantins inanimés et le bâton magique (l’attribut masculin) pour animer ces pantins. Le grand magicien est donc une fusion du père et de la mère, ces deux êtres qui possédaient pour notre malade, comme pour tout être humain, une puissance magique.

La question qui préoccupe l’esprit de l’enfant est celle-ci : comment se produit ce mystère de la procréation, quel rôle magique y jouent la tour et la baguette magique ?

Je voudrais encore citer les deux rêves suivants qui indiquent la préoccupation chez deux garçons de la même question.

Un garçon de douze ans me raconte un cauchemar qu’il a eu entre six et huit ans. Il se voyait dans ce rêve dans un cylindre posé horizontalement qui tournait très vite. Il y avait des bougies allumées à l’intérieur du cylindre. Ce cylindre allait vers le fond en se rapetissant, l’enfant même restait suspendu dans le milieu du cylindre, il avait peur du mouvement excessivement rapide.

Ce rêve exprime un essai de résoudre la question de la provenance de l’enfant par des images magiques. L’angoisse que l’enfant éprouvait au cours de ce rêve est probablement le reflet de l’angoisse de la naissance ; on pourrait dire que le cylindre qui se rapetisse et se trouve en mouvement rapide, donne une image très vivante du processus de l’expulsion de l’enfant par les contractions de l’utérus. Nous n’essayons pas d’interpréter le sens des bougies allumées dans le cylindre.

Dans le rêve suivant d’un autre garçon, ce même problème est représenté avec plus d’évidence.

Un garçon de treize ans avait pendant plusieurs années un rêve angoissant qui se répétait assez souvent sous différents aspects.

Il se voyait dans un de ces cauchemars dans une grande chambre avec une petite sortie. Cette chambre se rapetissait de plus en plus. Il cherchait à en sortir, mais dès qu’il s’approchait de la sortie, il se trouvait entre deux morceaux de bois qui se rapprochaient l’un de l’autre.

Dans le même rêve, il se trouva tout d’un coup sur une feuille d’airain qu’un homme coupait en deux, essayant en même temps de le couper, lui aussi, en deux.

La chambre se rétrécissait, on le poursuivait, jusqu’à la sortie. En même temps, un objet qui devenait de plus en plus grand s’approchait de lui. C’était comme une bille qui grandissait, se mettait sur son corps et l’écrasait. « C’était plutôt une boule métallique qu’on avait élargie par la chaleur et qu’on avait fait passer par un anneau », dit le garçon.

Ce rêve nous rappelle le rêve précédent, mais il nous livre par les détails son interprétation. Même si le jeune garçon ne nous avait pas donné l’interprétation qu’il s’agissait de la représentation de la naissance de l’enfant et de sa procréation, le rêve même nous le dirait.

Ce rêve contient beaucoup d’éléments fantastiques empruntés aux contes de fées ; il se trouve sur une feuille d’airain qu’on découpe en deux, il se trouve entre deux morceaux de bois qui se rapprochent ; il se passe tout le temps des choses mystérieuses, incompréhensibles, magiques ; mais ce rêve, à caractère angoissant, qui se répétait pendant des années, exprime aussi sa préoccupation énorme de la naissance des enfants et de la procréation.

C’était un garçon qui avait des obsessions et des angoisses basées sur le complexe d’Œdipe et celui de la castration.

Il attribuait à l’organe sexuel viril une force magique, il le considérait comme le symbole de la toute-puissance, comme l’insigne de l’autorité suprême.

L’agent de police dispose d’après lui d’une autorité si grande parce qu’il possède deux bâtons, son organe sexuel et le bâton dans la main. Le sifflet avait, d’après lui, le même symbolisme et était à cause de ce symbolisme l’objet d’une si grande convoitise.

Je pense que cet exemple confirme ce que j’essayais de démontrer dans mon travail « Psychanalyse et Éducation » [1], sur la valeur magique et le sens symbolique pour les enfants des objets volés ou achetés avec de l’argent volé.

Nous voyons dans les exemples précédents que l’enfant possède la même affinité pour la pensée magique que le primitif. Les êtres possèdent des pouvoirs qui ne découlent pas seulement de leur situation sociale ou familiale, mais de la valeur affective que l’enfant attribue à leur force virile ; les objets ont une signification qui ne dépend ni de leur taille, ni de la matière dont ils sont faits, mais de la ressemblance que ces objets ont avec un organe spécialement estimé.

L’enfant a des sentiments ambivalents pour ces êtres et ces objets : il les aime et les craint en même temps.

Le rêve suivant d’un garçon de seize ans exprime avec plus d’évidence encore cette ambivalence, ainsi que la valeur magique qu’il attribuait à l’organe sexuel.

Ce garçon a vu dans son rêve le broc dont son père se servait pour sa toilette rempli de verges découpées qui se transformaient en serpents ; ces serpents se multipliaient de plus en plus et remplissaient tout le cabinet de toilette.

Ce rêve nous montre quelle force dangereuse et magique l’organe sexuel de son père paraissait avoir pour le malade.

Ce rêve est aussi très intéressant par ses images. Le serpent comme symbole de l’organe sexuel viril se retrouve aussi bien chez le névrosé que chez l’enfant et chez le primitif.

Chez les primitifs, le serpent est l’objet de crainte et de vénération ; à cause de sa puissance magique, ils en font même le gardien des temples.

Il est inutile de rappeler le rôle que le serpent joue dans les hallucinations et les phobies des hystériques. Le caractère magique et le sens symbolique de cette phobie se révèlent par les interprétations que les enfants mêmes en donnent.

Une fillette de onze ans, très intelligente, avait peur de s’asseoir sur des bancs, supposant que des garçons qui se trouvaient avant elle dans cet endroit y avaient déposé des vipères. Elle trouvait cette idée insensée, mais ajouta tout de même : « les serpents sont des sales bêtes, des méchantes bêtes, qui font du mal, ils n’ont même pas d’oreilles, mais une langue de quatre mètre de longueur qui se retrousse et pique ».

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Les exemples précédents nous ont montré l’application de la pensée magique chez l’enfant au problème de la provenance des enfants ainsi qu’au problème de la valeur du sexe.

Un autre problème qui trouble l’enfant est celui de la mort. Pour l’enfant jusqu’à l’âge de cinq à six ans, la mort et le départ sont des phénomènes identiques. Le départ d’un être de son entourage, surtout s’il s’agit d’un être qu’il aime, est tout un drame. La disparition subite d’un être aimé est pour lui un phénomène incompréhensible, magique. C’est probablement la raison pour laquelle il réagit souvent par des pleurs et des colères, s’il voit sa mère ou son père partir.

La première notion de la mort peut déclencher chez l’enfant des réactions affectives très intenses. Une petite fille de quatre ans pleura pendant vingt-quatre heures, quand elle apprit que tous les êtres vivants meurent. Sa mère ne put la calmer par aucun autre moyen que par la promesse solennelle qu’elle, la petite fille, ne mourrait jamais. Cette même fillette a eu, à l’âge de quinze ans, une toux hystérique d’une durée très longue et d’une acuité excessive.

L’analyse de ce cas démontra qu’il s’agissait d’un acte d’autopunition pour ses désirs inconscients de mort envers sa mère, ses sœurs et ses frères. Elle se voyait atteinte de tuberculose et mourante dans un sanatorium. L’autopunition qu’elle s’était infligée nous montre sa croyance dans l’efficacité de la pensée magique.

Dans deux autres cas, nous avons eu l’occasion d’observer des réactions affectives assez graves à la suite de la mort du grand-père.

Un garçon de dix ans a fait, un mois après la mort de son grand-père auquel il était très attaché, une chute où il se fit une légère blessure à la main. Les parents ont mené l’enfant chez un médecin pour une piqûre antitétanique. À la suite de cette piqûre, l’enfant présenta des troubles moteurs et intellectuels à caractère peu clair.

Il avait des difficultés à exécuter des mouvements précis, à trouver les mots pour exprimer sa pensée, sa lecture était devenue presque syllabique, il ne savait plus sa table de multiplication, il avait oublié son orthographe. On soupçonna des troubles nerveux organiques.

M. le docteur Heuyer ne trouvant aucun signe neurologique, fit le diagnostic de troubles pithiatiques et me confia cet enfant pour le traitement.

Cet enfant arriva à me raconter les antécédents de ses troubles. Il a été très impressionné par la visite chez le médecin. Le meuble duquel le médecin avait retiré la seringue pour la piqûre antitétanique contenait des bistouris et d’autres instruments chirurgicaux. L’enfant a eu très peur. Tout lui paraissait mystérieux chez ce médecin, tout lui rappelait la mort de son grand père, il était sûr qu’il mourrait de cette piqûre. Il prétendait même l’avoir entendu dire à ses parents.

Nous avons essayé de calmer la peur de l’enfant, nous l’avons encouragé à essayer de recommencer avec notre aide à lire et à écrire. L’enfant écrivit la phrase que nous lui avions dictée : « J’ai faim », avec l’orthographe suivante : « Gex fin ». Il était cependant capable de donner la définition exacte du mot gex — oiseau — qui s’écrit en réalité autrement, et du mot fin, mais en même temps il avait compris le sens exact des mots dictés.

Ce phénomène rappelle les écritures magiques et secrètes, où seule la connaissance de la clé nous permet de comprendre le sens caché.

En trois séances, l’enfant retrouva, à la suite des interprétations que nous lui donnâmes de ses troubles, son état normal. Voici quels étaient les motifs psychologiques de ses troubles : La mort du grand-père avait éveillé chez cet enfant l’idée de la possibilité de perdre ses parents. Cette idée ravivait son complexe d’Œdipe. Croyant à la toute puissance de la pensée, il craignait que son père ne disparût comme avait disparu le grand père, et le sentiment de culpabilité déclenché par cette pensée magique déclencha chez cet enfant des réactions puissantes d’autopunition. Les bistouris du médecin qui lui avait fait sa piqûre antitétanique avaient réveillé sa peur de castration.

Un autre garçon de treize ans réagit à la mort subite de son grand père par la suppression de la nourriture. Il ne prenait que du thé et des oranges. Mais si jamais il lui arrivait d’accepter de prendre un repas régulier, il se purgeait aussitôt. Il aboutit à un amaigrissement excessif avec un aspect cadavérique. Cet enfant se trouvant pour la première fois de sa vie en contact direct avec la mort d’un être aimé fut profondément bouleversé par la possibilité d’une disparition subite.

Cet enfant, qui est très fixé à sa mère et qui craint l’autorité du père, a eu peur de l’action magique de sa pensée par laquelle, probablement, il avait essayé déjà plusieurs fois de supprimer son père. Cette réaction de culpabilité tellement violente nous prouve que son désir de mort envers son père avait aussi un caractère très violent.

Ces cas nous montrent quelles manifestations excessives d’autopunition peut provoquer la mort d’un être proche. En se familiarisant avec le sens profond de cette réaction qui paraît un sacrifice expiatoire pour la pensée magique de mort envers le père, nous y trouvons une analogie avec les rites expiatoires du primitif.

Chez le premier de ces garçons, la chute et la piqûre antitétanique avaient provoqué toute une chaîne d’idées magiques ; il doit mourir, mourir pour expier ses fautes, c’est-à-dire pour le désir incestueux envers sa mère, pour avoir souhaité la disparition de son père et pour avoir pratiqué la masturbation. Comme ce châtiment ne s’était pas réalisé, il s’est puni lui-même en diminuant ses capacités.

Ce processus est du domaine de la magie imitative.

Le deuxième garçon se servait du procédé magique du tabou en s’interdisant de manger, bien qu’il fût souvent tenté par les mets qu’on lui offrait.

La nourriture était devenue pour lui à la fois une chose sacrée, à laquelle il n’avait pas le droit de toucher, et une chose impure qui pouvait lui nuire. C’est la raison pour laquelle il ne se permettait d’avaler que le minimum de nourriture pour ne pas mourir, et pour laquelle il se purgeait dès qu’il avait pris un repas régulier ou une nourriture consistante.

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Nous avons essayé de démontrer que la pensée magique chez l’enfant embrasse tous les problèmes de la vie, mais surtout le problème de la création et de la dissolution de l’être humain.

Ces problèmes, qui sont tellement énigmatiques et insaisissables, ont toujours été le centre de la préoccupation de l’être humain.

Le voisinage de l’amour et de la haine, cette ambivalence du sentiment jette le trouble dans l’âme de l’être humain, dont la peur est l’expression suprême. La lutte contre cette peur est le problème le plus vivant et le plus aigu pour l’homme, et dans la lutte contre cette peur, l’homme faible, le primitif, le névrosé et l’enfant, ne trouvent d’autre arme et d’autre refuge que la pensée magique.

La psychanalyse qui nous a donné la clé pour déchiffrer le sens caché des symboles nous a permis de dévoiler les manifestations camouflées et déformées du totem et du tabou.

Les jeux, les rêves et les comportements souvent si bizarres de l’enfant, c’est le règne de la pensée magique qui lui permet de pénétrer le mystère de la vie des adultes et de réaliser ses désirs et ses vœux.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’article original de Sophie Morgenstern, « La Pensée magique chez l’enfant », Revue Française de Psychanalyse, Septième année, T. VII, n° 1, Éd. Denoël et Steele, 1934, pp. 98-115.

Notes

[1L’Évolution psychiatrique, tome III, fasc. II, 1933.

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