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Histoire ancienne de l’Orient

Restes matériels de l’époque néolithique

Vestiges matériels de l’humanité primitive (Chap. III, §3)

Date de mise en ligne : mardi 25 novembre 2008

François Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient jusqu’aux guerres médiques, t. I : Les origines. — Les races et les langues, 9e édition, A. Lévy, Paris, 1881.

§3. — RESTES MATÉRIELS DE L’ÉPOQUE NÉOLITHIQUE.

Pour celui qui suit les reliques de son industrie, que l’homme antérieur à l’histoire écrite a laissés dans notre Europe, un nouvel âge, comme nous l’avons dit tout à l’heure, se marque par l’apparition de la pierre polie. Car il est à remarquer que dans l’époque précédente, quelque habileté que révèle déjà le travail de la pierre et de l’os, on n’a encore aperçu aucun spécimen d’arme ou d’outil quelconque en pierre portant des traces de polissage. Ce ne sont plus les alluvions quaternaires et les cavernes de l’âge du renne qui fournissent les pierres polies, les haches en silex, en serpentine, en néphrite, en obsidienne de cet âge ; on les trouve dans les tourbières, dans des amoncellements sans doute fort anciens, mais qui s’élèvent sur le sol actuel, dans des sépultures d’une très haute antiquité, mais postérieures au début de notre période géologique, dans certains camps retranchés qui furent plus tard occupés par les Romains. On a recueilli par milliers presque partout en France, en Belgique, en Suisse, en Angleterre, en Italie, en Grèce, en Espagne, en Allemagne et en Scandinavie.

Il ne faudrait pas croire, du reste, qu’un changement brusque et subit sépare l’âge du renne de l’âge de la pierre polie. On passe de l’un à l’autre par des gradations successives, qui prouvent que si l’apparition du nouveau procédé semble se rattacher à la prédominance désormais acquise par de nouveaux éléments de population, le changement s’est opéré par une action lente et prolongée. La géologie a également reconnu — fait exactement parallèle — que la transition de la période quaternaire à la période présente n’avait pas été brusque et violente, mais graduelle. Elle fut le résultat d’une série de phénomènes successifs et locaux, qui achevèrent de donner aux continents la forme qu’ils ont maintenant et changèrent peu à peu le climat, ce qui amena forcément la disparition ou la retraite vers d’autres latitudes de certaines espèces animales. À tel point que beaucoup de géologues admettent aujourd’hui que nous sommes dans la continuation de l’époque quaternaire et qu’il ne faut pas établir de démarcation nettement définie entre celle-ci et les temps actuels.

Les haches de l’époque de la pierre polie diffèrent de celles de l’époque archéolithique en ce que celles-ci fendaient ou perçaient par leur petite extrémité, tandis que celles de l’âge nouveau ont le tranchant à l’extrémité la plus large. Certaines haches de cette époque étaient emmanchées dans la corne de cerf ou le bois, tandis que d’autres semblent avoir été tenues directement à la main et avoir servi de couteau ou de scie pour l’os, la corne et le bois. À cela près, la nature des armes et des ustensiles est la même aux deux âges, avec la seule différence de l’habileté et de la perfection du travail : ce sont des haches, des couteaux, des pointes de flèches barbelées, des grattoirs, des alènes, des pierres de fronde, des disques, des poteries grossières, des grains de colliers en coquillages ou en terre qui déjà se montrent à l’époque précédente. Bien qu’on donne souvent le nom d’âge de la pierre polie à la troisième phase de la période préhistorique, il ne faudrait pas s’imaginer que ce soit toujours le poli de la matière qui la caractérise ; le fini, la perfection de l’exécution, peuvent aussi faire juger que des armes et des ustensiles non polis s’y rapportent. Aussi vaut-il mieux se servir de l’expression d’époque néolithique, qui dénote seulement le caractère relativement plus récent du dernier âge de l’emploi exclusif des instruments de pierre.

 [1]

On a observé sur divers points de l’Europe les vestiges incontestables d’ateliers où les instruments de pierre de cette époque étaient préparés, et dont l’emplacement est décelé par les nombreuses pièces inachevées qui s’y trouvent réunies, à côté d’armes de la même matière amenées à leur dernier degré de perfection. Un de ces ateliers existait à Pressigny (Indre-et-Loire), d’autres à Chauvigny (Loir-et-Cher), à Civray, à Charroux (Vienne). Je ne parle ici que de quelques-uns de ceux qui ont été reconnus en France ; il y en a dans tous les autres pays, et moi-même j’en ai découvert à la porte d’Athènes et dans la montagne qui domine Thèbes d’Égypte (ce dernier conjointement avec M. Hamy). Les silex paraissent ordinairement avoir été taillés dans la carrière même et portés ailleurs pour être polis. On a retrouvé en plusieurs endroits les pierres qui servaient au polissage, et auxquelles les paysans de nos campagnes donnent le nom de « pierres cochées, » d’après les sillons ou « coches » dont elles sont marquées.

Il y avait donc, dès cet âge, des centres industriels, des lieux spéciaux de fabrication ; par suite, il y avait aussi commerce. Les peuplades qui fabriquaient sur une grande échelle les armes et les ustensiles de pierre ne devaient pas vivre dans un état d’isolement complet, où elles n’auraient su que faire des produits de leur travail. Elles les portaient chez les peuplades qui n’avaient pas chez elles des matériaux aussi propices à cette fabrication, et les échangeaient contre d’autres produits du sol de ces dernières. C’est ainsi que le besoin établissait peu à peu les diverses relations de la vie sociale. On a trouvé en Bretagne des haches en fibrolite, matière qui ne se rencontre en France que dans l’Auvergne et les environs de Lyon. De l’allée couverte d’Argenteuil on a exhumé un couteau en silex sorti manifestement des carrières de Pressigny. À l’île d’Elbe, où l’on a recueilli un grand nombre d’instruments en pierre taillée, dont l’usage est certainement antérieur aux premières exploitations des mines de fer, ouvertes par les Étrusques, la plupart de ces armes primitives sont faites d’un silex qui ne se rencontre pas dans le sol, et a été, par conséquent, apporté par mer. Dans l’Archipel grec, j’ai rencontré à Ios des couteaux et des nuclei [2] en obsidienne de Milo.

Un commerce rudimentaire de ce genre, franchissant souvent de grandes distances, faisant passer les objets de tribus en tribus, par une série d’échanges successifs, jusque bien loin de leur lieu d’origine, dans des conditions même où le point d’arrivée est souvent ignoré au point de départ, se produit chez tous les sauvages. De hautes autorités, comme M. Dupont, M. de Quatrefages et M. Hamy, admettent qu’il en existait déjà un semblable dans l’âge du renne. Se fondant sur des raisons très sérieuses, ces savants, qui ont si profondément étudié les vestiges de l’humanité préhistorique, pensent qu’il faut attribuer à des échanges et à un véritable commerce, plutôt qu’à un état nomade qui aurait conduit des tribus à des migrations incessantes, l’importation des coquilles marines du Golfe de Gascogne et de la Méditerranée chez les troglodytes du Périgord, des silex et des coquillages fossiles de la Champagne, des environs de Paris et même de Touraine chez ceux des bords de la Lesse.

Les débris d’animaux que l’on trouve avec les objets de travail humain appartenant à l’âge néolithique, se joignent aux indications fournies par les gisements pour démontrer que celui-ci n’appartient plus à l’époque quaternaire, mais à notre époque géologique, et se trouve ainsi placé sur le seuil des temps historiques. Les grands carnassiers et les grands pachydermes, comme l’éléphant et le rhinocéros, n’existaient plus alors. L’urus (bos primigenius), qui vivait encore au commencement des siècles historiques, est le seul animal de cet âge qui n’appartienne plus à la faune contemporaine. Les ossements qui se rencontrent avec les ustensiles de pierre polie sont ceux du cheval, du cerf, du mouton, de la chèvre, du chamois, du sanglier, du loup, du chien, du renard, du blaireau, du lièvre. Le renne ne se montre plus dans nos contrées. En revanche, on commence à trouver les animaux domestiques, qui manquent absolument dans les cavernes des derniers temps quaternaires, du moins ceux qui depuis lors deviennent les compagnons inséparables des nations civilisées. Car il n’est pas impossible que, vers la fin de l’époque précédente, les hommes des cavernes soient parvenus à amener le renne et le cheval à un état de demi-domestication, en faisant des animaux rassemblés en troupeaux pour fournir à l’alimentation leur lait et leur viande, mais sans savoir leur demander encore aucun autre service. Évidemment le climat de nos pays était devenu, dès le commencement des temps néolithiques, ce qu’il est aujourd’hui.

Tout le monde a vu, en France ou en Angleterre, au moins quelqu’un de ces étranges monuments en pierres énormes non taillées, connus sous le nom de dolmens et d’allées couvertes, que l’on a regardés longtemps comme des autels et des sanctuaires druidiques. L’exploration soigneuse de ces monuments, auxquels on applique aujourd’hui la dénomination fort juste de mégalithiques, y a fait reconnaître des tombeaux, que recouvrait presque toujours à l’origine un tertre sous lequel la construction en pierres brutes était dissimulée. La plupart de ces tombes étaient violées depuis des siècles : mais dans le petit nombre de celles que les fouilles de nos jours ont retrouvées intactes, on a pu se convaincre de l’absence presque constante de tout objet de métal. On n’y découvre, avec les os et les cendres des morts, que des instruments et des armes en silex, en quartz, en jade, en serpentine et des poteries. Tel a été le cas des dolmens de Keryaval en Carnac, du tumulus du Mané-Lud à Locmariaker et du Moustoir-Carnac, dont les haches en pierre dure, d’une exécution si précieuse et aux formes si géométriquement régulières, ont été envoyées par le Musée de Vannes aux Expositions universelles de Paris en 1867 et 1878. Les poteries des dolmens sont de la pâte la plus grossière, et aucune n’a été façonnée à l’aide du tour. Quelquefois, comme à Gavr’innis et au Mané-Lud, on a sculpté péniblement sur la face des dalles de granit, qui forme la paroi intérieure de la chambre sépulcrale, des dessins bizarres, qui la plupart du temps semblent reproduire des tatouages, cette marque d’individualité qui, chez les peuples sauvages, est comme une signature imprimée sur la face, et qui, dans le tombeau, tenait lieu, en l’absence d’écriture, du nom du personnage déposé au pied de la dalle où on l’avait gravée.

On a trouvé des ustensiles de bronze sous quelques-uns des dolmens que l’on a fouillés dans les dernières années. L’apparition de ce métal est d’une haute importance, car elle prouve que l’usage d’élever des dolmens et des allées couvertes, qui avait pris naissance dans l’âge de la pierre polie, subsistait encore en Gaule quand l’emploi des métaux commença à y être connu. On rencontre même des sépultures de cette catégorie où le bronze domine et où les armes de pierre ne se montrent plus qu’exceptionnellement ; mais il est à noter qu’alors la disposition de la cavité destinée à recevoir le mort ou les morts n’est plus telle qu’on l’observe dans les tombeaux de la pure époque de la pierre : l’architecture funéraire a pris de nouveaux développements, par suite de l’emploi des outils en métal ; l’intérieur des tombeaux se divise en galeries et en chambres souterraines.

Tous les indices concordent à prouver que les dolmens et les allées couvertes de notre pays, aussi bien ceux où l’on ne découvre que des objets de pierre que ceux où le bronze fait sa première apparition, sont les sépultures d’une race différente de celle des Celtes, qui occupait antérieurement le sol de la Gaule occidentale et centrale, et s’étendait du nord au sud, depuis la Scandinavie jusque dans l’Algérie et le Maroc, race que dans notre pays les Celtes anéantirent, chassèrent ou plutôt subjuguèrent en s’amalgamant avec elles. On a fait déjà bien des conjectures pour déterminer le rameau de l’humanité auquel pouvait appartenir cette race ; mais toutes, jusqu’à présent, ont été prématurées et sans fondement assez solide. On n’est même pas parvenu à établir, d’une manière certaine, si son mouvement d’expansion s’est produit du nord au sud ou bien du sud au nord. Ce que prouve du moins la diversité de types des crânes trouvés sous les dolmens, c’est que la race qui établit l’usage de cette architecture primitive dans la région dont nous avons sommairement indiqué l’aire, prolongée le long de l’Océan Atlantique, mais ne s’étendant pas vers l’Orient, dans l’intérieur des terres, au delà du Rhône et de la Saône, était peut-être assez peu nombreuse, mais avait su faire prévaloir son influence, sa civilisation, supérieure à celle des premiers occupants du sol, quoique encore bien imparfaite, et peut-être sa domination sur des peuplades déjà fort diverses, où se mêlaient des sangs tout à fait différents.

Il n’y a pas impossibilité à ce que ce soit à la diffusion de cette race qu’aient trait les traditions du monde classique, qui prétendaient puiser leur source en Égypte, sur le peuple légendaire des Atlantes et ses essaims de colons conquérants, répandus dans une partie de l’Europe à une date prodigieusement antique [3]. Sans doute ces traditions ont revêtu une forme singulièrement fabuleuse, où la plupart des traits ne sauraient être admis par la critique et où particulièrement l’état de civilisation des Atlantes est exagéré de la façon la plus évidente. Mais il est difficile de croire qu’elles n’aient pas eu non plus un certain fondement réel ; et de bons esprits ont pensé reconnaître dans les légendes relatives à la colonisation et aux conquêtes des Atlantes un écho du souvenir de l’établissement, dans l’Europe occidentale, de nombreux essaims d’une population brune et dolichocéphale, venue du nord de l’Afrique, spécialement de sa partie occidentale [4]. La venue de cette population dans la Gaule, dont elle occupa une grande partie, et où ses descendants sont restés un des principaux éléments constitutifs de la population actuelle du sol français, a été pour la première fois mise en lumière par les travaux de Roget de Belloguet ; les recherches récentes de l’anthropologie et de l’archéologie préhistorique ont achevé de l’établir, en rapportant d’une manière certaine cette immigration à la période néolithique. Les représentants les mieux connus et les plus certains de ce groupe ethnique sont les Ibères ; Roget de Belloguet a cru démontrer qu’en Gaule et en Italie il fallait appliquer à ses tribus le nom de Ligures, ce que conteste M. d’Arbois de Jubainville, lequel voit, au contraire, dans les Ligures la première avant-garde de la race aryenne en Occident. Et cette question de nom ne saurait être encore tranchée d’une manière définitive.

Mais les immigrants nouveaux qui inondèrent nos contrées au début de l’âge de la pierre polie n’appartenaient pas à une même race et venaient pas tous de la même direction. Concurremment avec les dolichocéphales d’origine libyque, on y constate un courant opposé qui amène du nord et de l’est des populations brachycéphales et mésaticéphales. Les Druides rapportèrent au grec Timagène que les plus anciens habitants de la Gaule se composaient de trois éléments, des autochthones qui avaient été originairement dans un état de sauvagerie absolue, des tribus sorties d’îles de l’Océan Atlantique et d’autres qui étaient venues d’au delà du Rhin [5]. Il est à remarquer que dans les traditions des Grecs sur l’Atlantide légendaire, engloutie dans les flots après avoir fourni des colons aux contrées occidentales du continent européen, il existait sur sa situation exactement la même incertitude que dans les appréciations de la science actuelle sur le point de départ du peuple qui a propagé dans ces mêmes contrées l’usage des dolmens. Pour Solon et Platon [6], l’Atlantide était située en face du détroit des Colonnes d’Hercule et touchait à l’Afrique ; pour Théopompe elle appartenait aux régions hyperboréennes.

 [7]

Quoi qu’il en soit, les monuments mégalithiques ne se rencontrent pas seulement dans la région européenne des dolmens, région si nettement délimitée, qui va de la Scandinavie au Maroc et à l’Algérie, en embrassant dans son parcours l’Angleterre et la moitié de la France. On en a observé dans certaines îles de la Méditerranée, comme les Baléares et la Corse, où le peuple constructeur des dolmens a pu facilement envoyer des essaims, mais aussi dans la Syrie et la Palestine, dans une portion de l’Asie-Mineure, dans le coeur de l’Arabie, et jusque dans le Turkestan, l’Afghanistan et l’Inde. Il n’est donc pas possible, en présence de ces derniers faits, soigneusement colligés par M. Ferguson dans un livre spécial, de considérer les monuments mégalithiques comme l’oeuvre d’une seule race. Ce sont les monuments d’un âge de développement qu’ont dû traverser une grande partie des différents rameaux de l’espèce humaine, avant d’atteindre une nouvelle étape de progrès. Mais les uns y sont demeurés pendant de longs siècles, tandis que pour d’autres, cet âge a été très court. Le célèbre Temple du Sphinx, à Gizeh en Égypte, marque, comme nous l’avons déjà dit tout à l’heure, la transition du monument mégalithique à l’architecture proprement dite.

 [8]

Au reste, dans la période néolithique, comme dans les périodes antérieures, les mêmes besoins et l’emploi des mêmes ressources ont produit les plus curieuses ressemblances dans les armes et les ustensiles de pays fort éloignés, qui n’avaient évidemment aucune communication entre eux, et que devaient habiter des races différentes. Pour nous borner à l’Europe, sans aller chercher nos exemples à Java, en Chine ou au Japon, où nous trouverions cependant des points de comparaison dignes d’attention, les haches et les couteaux en silex, en obsidienne, en quartz compact, extraits des tumulus de l’Attique, de la Béotie, de l’Achaïe, de l’Eubée, des Cyclades, sont identiques aux armes pareilles qu’on recueille sur notre sol ; celles que l’on a colligées au Caucase ou dans les provinces slaves de la Russie, rentrent aussi exactement dans les mêmes types. La Scandinavie, nous l’avons dit, a ses dolmens, ses tumuli, qui offrent avec ceux de la France une saisissante analogie. Les corps qu’ils renfermaient avaient été également déposés dans la tombe sans être brûlés ; le bronze s’y montre encore plus rarement que sous nos dolmens. Les objets en pierre et en os provenant de ces tombeaux affectent les formes les plus variées et sont d’une exécution particulièrement délicate. Mais une notable portion des collections danoises provient non des dolmens, mais des tourbières, où on trouve ces objets dans les couches les plus inférieures avec des troncs de pins en partie décomposés, fait d’une haute importance pour établir l’antiquité à laquelle remontent les instruments de l’époque néolithique, car cette essence forestière a disparu du Danemark depuis des siècles ; elle a été remplacée par le chêne, puis par le hêtre. Deux circonstances expliquent, du reste, le degré de perfection toute particulière que le travail de la pierre atteignit en Scandinavie ; d’abord la période de l’emploi exclusif des instruments de pierre s’y prolongea plus tard que dans aucun autre pays de l’Europe, et par conséquent cette forme de l’industrie humaine eut le temps, plus que partout ailleurs, d’y perfectionner ses procédés ; puis le silex y est d’une qualité supérieure et s’y prête à la taille mieux que dans notre pays.

Ce sont encore les contrées scandinaves qui ont livré à l’étude de la science d’autres bien curieux dépôts de la même phase de l’histoire de l’homme. Les côtes du Danemark et de la Scanie offrent, de distance en distance, des amas considérables de coquilles d’huîtres et d’autres mollusques comestibles. Ces dépôts n’ont pas été apportés par les flots : se sont des accumulations manifestes de débris de repas, d’où le nom de kjoekkenmoeddinger, ou « rebuts de cuisine, » sous lesquels ils sont connus dans le pays. Ils s’étendent souvent sur des longueurs de plusieurs centaines de mètres, avec une épaisseur qui atteint quelquefois jusqu’à près de dix pieds. On n’a jamais rencontré dans ces amas aucun objet de métal, mais au contraire de nombreux silex taillés, des morceaux d’os et de cornes travaillés, des poteries grossières et faites à la main. L’imperfection du travail dans les objets qui en proviennent rappelle la période des cavernes, le second âge de l’époque archéolithique. Mais le style des armes et des ustensiles ne saurait être le seul critérium pour juger de la date d’un dépôt de ce genre. Il faut avant tout prendre en sérieuse considération la faune qui s’y révèle. Or, on n’a rencontré dans les kjoekkenmoeddinger aucun débris d’espèces caractéristiques d’un autre âge géologique ; sauf le lynx et l’urus, qui n’ont disparu que depuis l’époque historique, il ne s’y est trouvé aucun ossement d’animaux qui aient cessé d’habiter ces climats ; on y a même trouvé des indices de l’existence du porc et du chien à l’état d’animaux domestiques. Les kjoekkenmoeddinger se placent donc, dans l’ordre chronologique, à côté des plus anciens dolmens. Si l’industrie s’y montre encore aussi rudimentaire, c’est seulement parce que les tribus qui ont abandonné sur les bords de la mer du Nord les débris de leurs grossiers festins étaient demeurées en arrière de leurs voisins, placés dans de meilleures conditions et déjà notablement plus avancés dans la voie de la civilisation.

Des dépôts analogues aux kjoekkenmoeddinger de la Scandinavie ont été signalés dans les derniers temps en d’autres contrées. On en connaît dans le Cornouailles, sur la côte nord de l’Écosse, aux Orcades, et bien loin de là, sur les rivages de la Provence, où leur existence a été constatée par le duc de Luynes. Les terramare des bords du Pô, amas contenant des cendres, du charbon, du silex et des os travaillés, des ossements d’animaux dont la chair paraît avoir été mangée, des tessons de poteries et d’autres restes de la vie des premiers âges offrent également une grande analogie avec les dépôts du Danemark et de la Scanie, et appartiennent bien évidemment à la même période du développement de l’humanité ; quelques-unes des terramare ont même continué à se former après l’introduction des métaux. Ces dépôts de détritus marquent l’emplacement de villages établis au milieu des marais et analogues à ceux dont il nous reste maintenant à parler. Un des plus éminents archéologues de l’Allemagne, M. Helbig, rattachant ici les débris préhistoriques au plus ancien passé des races classiques, a entrepris de démontrer, dans un ouvrage récent [9], que les terramare sont dues aux populations de race aryenne auxquelles s’applique spécialement la dénomination d’Italiotes. Elles seraient ainsi les monuments de leur plus ancienne habitation dans la Péninsule, alors qu’elles ne s’étaient pas encore étendues au delà de sa partie septentrionale et que leur civilisation n’avait pas encore pris son essor de progrès. M. Helbig a su donner au moins une grande probabilité à cette thèse ; dont la conséquence serait que les Italiotes auraient pénétré dans le bassin du Pô dans un état de barbarie tel qu’ils ne connaissaient pas encore l’usage des métaux, et l’auraient appris seulement par des enseignements étrangers pendant la période de leur séjour auprès de ce grand fleuve. C’est là une question sur laquelle nous aurons à revenir avec quelque développement dans celui des livres de la présente histoire où nous traiterons des origines des peuples aryens.

Mais les restes les plus intéressants de l’âge néolithique, ceux qui révèlent l’état de société le plus avancé et marquent la dernière phase de progrès des populations de l’Europe occidentale, avant qu’elles ne connussent l’usage des métaux, sont les palafittes ou villages lacustres.

En 1853, la baisse extraordinaire des eaux du lac de Zurich permit d’observer des vestiges d’habitations sur pilotis, qui paraissaient remonter à une très haute antiquité. M. F. Keller ayant appelé l’attention sur cette découverte, on se mit à explorer d’autres lacs pour rechercher s’ils ne contenaient pas de semblables restes. Les investigations, auxquelles demeure attaché le nom de M. Troyon, furent couronnées d’un plein succès. Non-seulement un grand nombre de lacs de la Suisse recélaient des palafittes, mais on en découvrit également dans les lacs de la Savoie, du Dauphiné et de l’Italie septentrionale, puis dans ceux de la Bavière et du Mecklembourg. Les habitations des villages lacustres étaient voisines du rivage, construites sur une vaste plateforme, que composaient plusieurs couches croisées de troncs d’arbres et de perches reliées par un entrelacement de branches et cimentées par de l’argile, et que supportaient des pieux plantés au milieu des eaux. Hérodote décrit très exactement des habitations de ce genre qui subsistaient encore de son temps sur les lacs de la Macédoine. Mais si l’on veut se faire une idée complète de ce qu’étaient les stations lacustres de la Suisse, il faut prendre dans le voyage de Dumont d’Urville la planche qui représente le gros village de Doréi, sur la côte de la Nouvelle-Guinée, encore tout entier bâti dans ce système.

L’usage d’établir ainsi les demeures sur pilotis au milieu de l’eau se continua dans l’Helvétie et les contrées voisines pendant bien des siècles, car les objets qui ont été retirés des palaffites appartiennent à des âges très différents. Tandis que dans les moins anciennes on a recueilli des ustensiles en bronze et même en fer, métal dont l’usage détermine encore une période nouvelle dans la marche des inventions humaines, dans d’autres, et c’était le plus grand nombre, on n’a découvert que des armes et des outils de pierre polie ou d’os. La forme et la nature du travail de ceux-ci se rapprochent beaucoup des objets fournis par les dolmens et les tourbières de la France, de la Grande-Bretagne, de la Belgique et de la Scandinavie ; seulement la variété des instruments y est plus grande. Les animaux dont la drague a ramené les ossements du milieu des palafittes sont ceux-là mêmes qui vivent encore aujourd’hui dans les montagnes de la Suisse : l’ours brun, le blaireau, la fouine, la loutre, le loup, le chien, le renard, le chat sauvage, le castor, le sanglier, le porc, la chèvre, le mouton. Seuls, l’élan, l’urus et l’aurochs manquent à la faune actuelle du pays ; mais on sait, par des témoignages formels, qu’ils y habitaient encore au commencement de l’ère chrétienne.

 [10]

Ainsi les villages lacustres caractérisent nettement dans notre Europe occidentale la fin de l’âge néolithique, et les populations qui les avaient établis continuèrent même à les habiter dans les premiers temps où elles se servirent des métaux, que leur avaient fait connaître des nations plus avancées. L’ensemble des objets que les savants de la Suisse ont retirés de leurs emplacements dénote, du reste, en bien des choses, même dans les plus anciens, une véritable civilisation. La poterie est encore façonnée à la main, mais affecte une grande variété de formes et un certain goût d’ornementation. Les plus grands de ces vases servaient à conserver les céréales pour l’hiver. On y a recueilli du froment, de l’orge, de l’avoine, des pois, des lentilles. Les habitants des villages lacustres s’adonnaient donc à l’agriculture, art absolument inconnu encore des hommes dont les cavernes du Périgord nous ont conservé les vestiges. Ils élevaient des bestiaux ; ils connaissaient l’usage de la meule. Enfin, dans les palafittes de la plus haute date, on a rencontré des lambeaux d’étoffes qui prouvent que dès lors, au lieu de se contenter pour tout vêtement de peaux de bêtes, on savait tresser et tisser les fibres du lin. Dans certaines cavernes de l’Andalousie, qui paraissent avoir été habitées vers la même époque, on a trouvé des vêtements presque complets en sparterie tressée, avec des armes et d’autres ustensiles de pierre polie.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de François Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient jusqu’aux guerres médiques, t. I : Les origines. — Les races et les langues, 9e édition, A. Lévy, Paris, 1881.

Notes

[1Provenant des villages lacustres de la Suisse.

[2On appelle ainsi le noyau central de la pierre, resté après l’enlèvement d’un certain nombre de lames destinées à faire des couteaux.

[3Tous les témoignages relatifs aux Atlantes sont très bien coordonnés dans le chapitre II du livre de M. D’Arbois de Jubainville, sur Les premiers habitants de l’Europe.

[4Il faut consulter ici, mais avec une certaine réserve, le chapitre III du même ouvrage.

[5Ammian. Marcell., XV, 9.

[6Voy. les récits du Timée et du Critias de Platon.

[7D’après Ferguson, Rude stones monuments.

[8Cette pièce servira de spécimen du degré de finesse el de précision où en arrive le travail à petits éclats des armes de silex, dans la dernière époque de l’âge de pierre de la Scandinavie.

[9Die Italiker in der Pôebene, Beitroege zur altitalischen Kultur — und Kunstgeschichte, Leipzig, 1879.

[101. Cette urne, découverte dans un tumulus à Adersleben (Bavière), est aujourd’hui conservée au Musée de Munich. Elle copie l’apparence de sept huttes de forme circulaire groupées sur une même plateforme, portée par des pilotis. Il y a une singulière analogie entre cet objet et les urnes cinéraires des plus anciennes sépultures du Latium, imitant une cabane de forme ronde, urnes dont nous mettons un spécimen en regard de celle d’Adersleben.
2. Provenant des sépultures les plus antiques de la nécropole d’Albano.

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