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Richard von Krafft-Ebing

Homosexuels ou uranistes

Psychopathia Sexualis : III. — Neuro-Psychopathologie générale

Date de mise en ligne : jeudi 20 novembre 2008

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Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

Fréquence et importance des symptômes pathologiques. — Tableau des névroses sexuelles. — Irritation du centre d’érection. — Son atrophie. — Arrêts dans le centre d’érection. — Faiblesse et irritabilité du centre. — Les névroses du centre d’éjaculation. — Névroses cérébrales. — Paradoxie ou instinct sexuel hors de la période normale. — Éveil de l’instinct sexuel dans l’enfance. — Renaissance de cet instinct dans la vieillesse. — Aberration sexuelle chez les vieillards expliquée par l’impuissance et la démence. — Anesthésie sexuelle ou manque d’instinct sexuel. — Anesthésie congénitale ; anesthésie acquise. — Hyperesthésie ou exagération morbide de l’instinct. — Causes et particularités de cette anomalie. — Paresthésie du sens sexuel ou perversion de l’instinct sexuel. — Le sadisme. — Essai d’explication du sadisme. — Assassinat par volupté sadique. — Anthropophagie. — Outrages aux cadavres. — Brutalités contre les femmes ; la manie de les faire saigner ou de les fouetter. — La manie de souiller les femmes. — Sadisme symbolique. — Autres actes de violence contre les femmes. — Sadisme sur des animaux. — Sadisme sur n’importe quel objet. — Les fouetteurs d’enfants. — Le sadisme de la femme. — La Penthésilée de Kleist. — Le masochisme. — Nature et symptômes du masochisme. — Désir d’être brutalisé ou humilié dans le but de satisfaire le sens sexuel. — La flagellation passive dans ses rapports avec le masochisme. — La fréquence du masochisme et ses divers modes. — Masochisme symbolique. — Masochisme d’imagination. — Jean-Jacques Rousseau. — Le masochisme chez les romanciers et dans les écrits scientifiques. — Masochisme déguisé. — Les fétichistes du soulier et du pied. — Masochisme déguisé ou actes malpropres commis dans le but de s’humilier et de se procurer une satisfaction sexuelle. — Masochisme chez la femme. — Essai d’explication du masochisme. — La servitude sexuelle. — Masochisme et sadisme. — Le fétichisme ; explication de son origine. — Cas où le fétiche est une partie du corps féminin. — Le fétichisme de la main. — Les difformités comme fétiches. — Le fétichisme des nattes de cheveux ; les coupeurs de nattes. — Le vêtement de la femme comme fétiche. — Amateurs ou voleurs de mouchoirs de femmes. — Les fétichistes du soulier. — Une étoffe comme fétiche. — Les fétichistes de la fourrure, de la soie et du velours. — L’inversion sexuelle. — Comment on contracte cette disposition. — La névrose comme cause de l’inversion sexuelle acquise. — Degrés de la dégénérescence acquise. — Simple inversion du sens sexuel. — Éviration et défémination. — La folie des Scythes. — Les Mujerados. — Les transitions à la métamorphose sexuelle. — Métamorphose sexuelle paranoïque. — L’inversion sexuelle congénitale. — Diverses formes de cette maladie. — Symptômes généraux. — Essai d’explication de cette maladie. — L’hermaphrodisme psychique. — Homosexuels ou uranistes. — Effémination ou viraginité. — Androgynie et gynandrie. — Autres phénomènes de perversion sexuelle chez les individus atteints d’inversion sexuelle. — Diagnostic, pronostic et thérapeutique de l’inversion sexuelle.

2. HOMOSEXUELS OU URANISTES.

Contrairement au groupe précédent, c’est-à-dire celui des hermaphrodites psychosexuels, il y a ici, ab origine, un sentiment et un penchant sexuels exclusifs pour les personnes du même sexe ; mais, contrairement au groupe qui suit, l’anomalie des individus se borne uniquement à la vita sexualis et n’exerce pas un effet plus profond et plus grave sur le caractère ni sur la totalité de la personnalité intellectuelle.

La vita sexualis est, chez ces homosexuels (uranistes), mutatis mutandis, tout à fait semblable à celle de l’amour normal hétérosexuel ; mais, comme elle est contraire au sentiment naturel, elle devient une caricature, d’autant plus que ces individus sont en général atteints d’hyperæsthesia sexualis et que, par conséquent, leur amour pour leur propre sexe est un amour ardent et extatique.

L’uraniste aime, idolâtre son amant masculin, de même que l’homme qui aime la femme, idolâtre sa maîtresse. Il est capable de faire pour lui les plus grands sacrifices ; il éprouve les tortures de l’amour malheureux, souvent non payé de retour, de l’infidélité de l’amant, de la jalousie, etc.

L’attention de l’homme homosexuel n’est captivée que par le danseur, l’acteur, l’athlète, la statue d’homme, etc. L’aspect des charmes féminins lui est indifférent, sinon répugnant ; une femme nue lui paraît dégoûtante, tandis que la vue des parties génitales viriles, la vue des cuisses de l’homme, etc., le fait tressaillir de joie.

Le contact charnel avec un homme qui lui est sympathique lui donne un frisson de volupté ; et, comme de pareils individus sont souvent neurasthéniques sexuellement, soit de naissance, soit par suite de la pratique de l’onanisme ou d’une abstinence forcée de tout rapport sexuel, il se produit facilement des éjaculations qui, dans les rapports les plus intimes avec la femme, n’auraient pas lieu du tout ou ne pourraient être forcément provoquées que par des moyens mécaniques. L’acte sexuel de n’importe quel genre, accompli avec l’homme, procure du plaisir et laisse derrière lui un sentiment de bien-être. Quand l’uraniste est capable de se forcer au coït, le dégoût agit régulièrement comme idée d’entrave et rend l’acte impossible ; il éprouve à peu près le même sentiment qu’un homme qui serait forcé de goûter à de la nourriture ou à des boissons nauséabondes. Toutefois, l’expérience nous apprend que souvent des invertis de ce second degré se marient pour des raisons éthiques ou sociales.

Ces malheureux sont relativement puissants, quand, au milieu de l’étreinte conjugale, ils fouettent leur imagination et se figurent tenir, au lieu de l’épouse, un homme aimé entre leur bras.

Mais le coït est pour eux un lourd sacrifice, et non un plaisir ; il les rend pour des journées entières faibles, énervés et souffrants. Quand ces uranistes ne sont pas capables de contrebalancer les idées et les représentations d’entrave, soit par l’effort énergique de leur imagination, soit par l’emploi de boissons alcooliques excitantes, soit par des érections artificiellement créées à l’aide de vessies pleines, etc., ils sont complètement impuissants, tandis que le seul contact d’un homme peut leur donner des érections et même de l’éjaculation.

Danser avec une femme est désagréable à l’uraniste. La danse avec un homme, surtout avec un homme de formes sympathiques, lui paraît être le plus grand plaisir.

L’uraniste masculin, quand il est d’une classe bien élevée, n’a pas d’antipathie pour les rapports non sexuels avec les femmes, quand leur conversation et leur goût artistique lui paraissent agréables. Il n’abhorre la femme que dans son rôle sexuel.

La femme homosexuelle présente ces mêmes phénomènes, mutatis mutandis. À ce degré de l’aberration sexuelle, le caractère et les occupations restent conformes au sexe que l’individu représente. La perversion sexuelle reste une anomalie isolée, mais qui laisse des traces profondes dans l’existence sociale et intellectuelle de la personne en question. Conformément à ce fait, elle se sent, dans n’importe quel acte sexuel, dans le rôle qui lui échouerait dans le cas d’une tendance hétérosexuelle.

Il y a cependant des cas intermédiaires, formant une transition vers le troisième groupe, dans ce sens que la personne s’imagine, désire ou rêve le rôle sexuel qui correspondrait à ses sentiments homosexuels et qu’il se manifeste incomplètement des penchants à des occupations, des tendances de goût, qui ne sont pas conformes au sexe que l’individu représente. Dans certains cas on a l’impression que ces phénomènes ont été artificiellement produits par l’influence de l’éducation, dans d’autres qu’ils représentent des dégénérescences plus profondes et produites, dans les limites du degré en question, par une activité sexuelle perverse (masturbation) ; ces derniers cas présentent des phénomènes de dégénérescence progressive analogues à ceux que nous avons observés dans les inversions sexuelles acquises.

En ce qui concerne la façon de se satisfaire au point de vue sexuel, il faut remarquer que, chez beaucoup d’uranistes hommes, qui sont atteints de faiblesse sexuelle irritable, la seule accolade suffit pour provoquer une éjaculation. Les personnes sexuellement hyperesthésiques et atteintes de paresthésie des sentiments esthétiques, ont souvent un plus grand plaisir à se commettre avec des individus sales et communs, pris dans la lie de la populace.

Sur le même terrain se produisent des désirs pédérastes (naturellement actifs) et d’autres aberrations ; mais il est rare, et évidemment c’est seulement chez des personnes d’une moralité défectueuse et très cupides, que le libido nimia amène aux actes de pédérastie.

Contrairement aux vieux débauchés corrompus qui préfèrent des garçons et pratiquent de préférence la pédérastie, l’affection sexuelle des uranistes adultes ne paraît pas se tourner vers les individus masculins non développés.

L’uraniste ne pourrait probablement devenir dangereux pour les garçons que par suite d’un rut violent, ou quand il ne trouve pas mieux.

Le mode de satisfaction sexuelle des uranistes féminins est probablement la masturbation mutuelle et passive ; ces personnes trouvent le coït aussi dégoûtant, fatigant et inadéquat que l’homme uraniste.

Observation 112. — L’observation suivante est l’extrait d’une très longue autobiographie qu’un médecin atteint d’inversion sexuelle a mise à ma disposition.

J’ai quarante ans ; je suis né d’une famille très saine [1], j’ai toujours été bien portant ; je passais pour un modèle de fraîcheur physique et intellectuelle, d’énergie ; je suis d’une constitution robuste, mais je n’ai que peu de barbe ; sauf aux aisselles et au mons Veneris, je n’ai pas de poils sur le corps.

Peu après ma naissance, mon pénis était déjà extraordinairement grand ; à l’heure qu’il est, il a en statu erectionis 21 centimètres de longueur et une circonférence de 14 centimètres. Je suis excellent cavalier, gymnaste, nageur ; j’ai pris part à deux campagnes comme médecin militaire. Je n’ai jamais eu de goût pour les vêtements de femme ni pour les occupations féminines. Jusqu’à l’âge de puberté, j’étais timide en face du sexe féminin, et je le suis encore quand je me trouve en présence de femmes que je ne connais que depuis peu de temps.

De tout temps la danse me fut antipathique. À l’âge de huit ans s’éveilla en moi l’affection pour mon propre sexe. Tout d’abord j’éprouvais du plaisir en regardant les parties génitales de mes frères. Fratrem meum juniorem impuli ut alter alterius genitalibus luderet, quibus factis penis meus se erexit. Plus tard, en prenant un bain avec les enfants de l’école, les garçons m’intéressaient beaucoup, les filles pas du tout. J’avais si peu de goût pour elles qu’à l’âge de quinze ans encore je croyais qu’elles étaient munies d’un pénis comme nous autres. En compagnie de garçons ayant les mêmes sentiments, nous nous amusions vicissim genitalibus nostris ludere. À l’âge de onze ans et demi, on me donna un précepteur très sévère ; je ne pouvais que rarement aller en cachette trouver mes camarades. J’apprenais très facilement, mais je ne m’accordais pas bien avec mon précepteur ; un jour qu’il m’ennuyait trop, je me mis en rage et je courus sur lui avec un couteau ; je l’aurais tué avec plaisir, s’il ne m’avait pas saisi le bras. À l’âge de douze ans et demi, j’ai déserté la maison paternelle pour une raison analogue, et pendant six semaines je rôdai dans le pays voisin.

On me mit ensuite au lycée ; j’étais déjà développé sexuellement, et, en nous baignant, je m’amusais avec les garçons de la manière que j’ai indiquée, plus tard aussi par l’imitatio coïtus inter femora. J’avais alors treize ans. Les filles ne me plaisaient pas du tout. Des érections violentes m’amenèrent à jouer avec mes parties génitales ; l’idée me vint aussi penem in os recipere, ce à quoi j’arrivai en me courbant. Je provoquai, par ce moyen, une éjaculation. C’est ainsi que j’arrivai à pratiquer la masturbation. J’en fus vivement effrayé, je me considérais comme un criminel ; je me découvris à un condisciple âgé de seize ans. Celui-ci m’éclaira, me rassura et conclut avec moi une liaison d’amour. Nous étions heureux et nous nous satisfaisions par l’onanisme mutuel. En outre, je me masturbais aussi ; au bout de deux ans, cette union fut rompue, mais, aujourd’hui encore, quand nous nous rencontrons par hasard — mon ami est un fonctionnaire supérieur — l’ancienne flamme se rallume de nouveau.

Ce temps que j’ai passé avec mon ami H… fut bien heureux, et j’en payerais le retour avec le sang de mon cœur. La vie m’était alors un plaisir ; mes études étaient pour moi comme un jeu facile ; j’avais de l’enthousiasme pour tout ce qui est beau.

Pendant ce temps, un médecin, ami de mon père, me séduisit en me caressant, à l’occasion d’une visite, en m’onanisant, en m’expliquant les procédés sexuels et en m’engageant à ne jamais me faire de manustuprations, cet acte étant très préjudiciable à la santé. Il pratiqua alors avec moi l’onanisme mutuel et me déclara que c’était pour lui le seul moyen de fonctionner au point de vue sexuel. Il a, dit-il, le dégoût des femmes ; voilà pourquoi il a vécu en désaccord avec sa femme, morte depuis. Il m’invita avec insistance à venir le voir le plus souvent possible. Ce médecin était un homme de belle prestance, père de deux fils âgés du quatorze et quinze ans, avec lesquels, l’année suivante, je nouai une liaison d’amour analogue à celle que j’entretenais avec mon ami H… J’avais honte d’avoir fait des infidélités à ce dernier ; toutefois je continuais mes rapports avec le médecin. Il pratiquait avec moi l’onanisme mutuel, me montrait nos spermatozoïdes sous le microscope ; il me montrait aussi des ouvrages et des images pornographiques, mais qui ne me plaisaient guère, car je n’avais d’intérêt que pour les corps masculins. Plus tard, à l’occasion d’une visite, il me pria de lui accorder une faveur qu’il n’avait encore jamais goûtée et dont il avait grande envie. Comme je l’aimais, je consentis à tout. Instrumentis anum dilatavit, me pædicavit, dum simul penem meum trivit ita ut eodem tempore dolore et voluptate affectus sim. Après cette découverte j’allai immédiatement trouver mon ami H…, croyant que cet homme aimé me donnerait un plaisir plus grand encore. Alter alterum pædicavit ; mais nous fûmes déçus tous les deux et nous n’y revînmes plus ; car, passif, je n’éprouvais que de la douleur ; et, actif, je n’avais pas de plaisir, tandis que l’onanisme mutuel nous procurait la plus grande jouissance. Je me laissai faire encore plusieurs fois par le médecin, et encore je ne le fis que par gratitude. Jusqu’à l’âge de quinze ans, je pratiquai avec des amis l’onanisme passif ou mutuel.

J’étais devenu grand ; les femmes et les filles me faisaient toutes sortes d’avances ; mais je les fuyais comme Joseph fuyait la femme de Putiphar. À l’âge de quinze ans, je vins dans la capitale. Je n’avais que rarement l’occasion de satisfaire mon penchant sexuel. En revanche, je jouissais à l’aspect des images et des statues d’hommes, et je ne pouvais m’empêcher d’embrasser ardemment les statues aimées. L’ennui principal pour moi, c’étaient les feuilles de vigne qui couvraient les parties génitales.

À l’âge de dix-sept ans, je me fis inscrire à l’Université. De nouveau je vécus deux ans avec mon ami H…

À l’âge de dix-sept ans et demi on me poussa, alors que j’étais en état d’ivresse, à faire le coït avec une femme. Je me forçai ; mais, aussitôt l’acte accompli, je pris la fuite, rempli de dégoût. De même qu’après ma première manustupration active, j’eus comme le sentiment que j’avais commis un crime. Dans un nouvel essai que je fis, sans être ivre, puella nuda pulcherrima operante erectio non evenit, tandis que la vue seule d’un garçon ou le contact de ma cuisse avec une main d’homme rendait mon pénis raide comme de l’acier. Mon ami H… venait, il y a peu de temps, de faire la même expérience. Nous nous creusâmes alors la tête, mais en vain, pour en découvrir la cause. Je laissai donc les femmes pour ce qu’elles sont, et je trouvai mon plaisir chez des amis par l’onanisme passif et mutuel : entre autres je le pratiquais avec les deux fils du médecin qui, depuis mon départ, avait abusé de ses enfants en leur faisant de la pædicatio.

À l’âge de dix-neuf ans je fis la connaissance de deux vrais uranistes.

A…, cinquante-six ans, d’un extérieur féminin, imberbe, très médiocre au point de vue intellectuel, avec un instinct sexuel très fort et qui s’est manifesté trop prématurément, a pratiqué l’amour uraniste depuis l’âge de six ans. Il venait tous les mois une fois dans la capitale. J’étais obligé de coucher avec lui : il était insatiable d’onanisme mutuel et me força aussi à la pædicatio active et passive, ce que j’ai dû accepter à contre-cœur, par-dessus le marché.

B…, négociant, trente-six ans, d’apparence tout à fait virile, avait des besoins énormes, de même que moi-même. Il savait donner à ses manipulations sur mon corps un tel charme que je dus lui servir de cynède. C’est le seul avec lequel j’éprouvai dans le rôle passif quelque jouissance. Il m’avoua que, rien qu’en me sachant près de lui, il était pris d’érections très tourmentantes : quand je ne pouvais pas le servir, il était obligé de se soulager par la masturbation.

Malgré ces amourettes, j’étais assistant de clinique à l’hôpital et je passais comme très zélé et très capable dans mon métier. Bien entendu, j’ai cherché dans toute la littérature médicale une explication de ma bizarrerie sexuelle. Partout je la trouvais stigmatisée comme un délit qui mérite d’être puni, tandis que moi je n’y pouvais reconnaître que la simple et naturelle satisfaction de mes désirs sexuels. J’avais la conscience que cette particularité m’est venue de naissance ; mais, me sentant en antagonisme avec le monde entier, et souvent près de la folie et du suicide, j’essayais toujours et toujours de satisfaire avec les femmes mon immense appétit génital. Le résultat était toujours le même : ou il y avait absence de toute érection ou, quand je réussissais à faire l’acte, il y avait dégoût et horreur d’y revenir.

Étant médecin-major, je souffris énormément à la vue et au contact de milliers de corps d’hommes nus. Heureusement, je contractai une liaison d’amour avec un lieutenant qui partageait mes sentiments, et je passai encore une fois une période de divines délices.

Par amour pour lui, je me laissai décider à la pædicatio, que son âme désirait tant. Nous nous aimâmes jusqu’à sa mort, à la bataille de Sedan. Depuis, je n’acceptai plus jamais la pædicatio ni passive, ni active, bien que j’aie eu beaucoup d’amourettes et que je sois un personnage très demandé.

À l’âge de vingt-trois ans, je suis allé m’établir comme médecin à la campagne, j’étais très couru et très aimé comme médecin. Pendant cette période, je me satisfaisais avec des garçons de quatorze ans. Je me suis, à cette époque, lancé dans la vie politique et brouillé avec le clergé. Un de mes amants me trahit, le clergé me dénonça et je fus forcé de prendre la fuite. L’enquête judiciaire conclut en ma faveur. J’ai pu rentrer, mais je fus vivement ébranlé et je profitai de la guerre qui venait d’éclater (1870) pour servir sous les armes, espérant trouver la mort. Je rentrai de la guerre, avec nombre de distinctions honorifiques ; homme mûr et calme, je ne trouvais plus de plaisir que dans les travaux assidus de mon métier. J’espérais que mon énorme instinct génital était près de s’éteindre, épuisé que j’étais par les immenses fatigues de la campagne.

À peine fus-je reposé que l’ancien instinct indomptable recommença à se faire sentir en moi et m’entraîna à des satisfactions effrénées. Souvent je faisais mon examen de conscience, me reprochais mon penchant répréhensible aux yeux du monde, sinon aux miens.

Pendant un an, je m’abstins, en déployant toute ma force de volonté ; ensuite, j’allai dans la capitale pour me forcer aux rapports avec les femmes. Moi qui, à la vue du plus sale garçon d’écurie, étais pris d’érections violentes, je n’avais guère d’émotion auprès de la plus belle des femmes. Je rentrais anéanti. J’avais un garçon pour mon service et en même temps pour mes satisfactions sexuelles.

La solitude de la vie du médecin du campagne, le vif désir d’avoir des enfants, me poussaient au mariage. Du reste, je voulais couper court aux cancans des gens, et j’espérais en outre triompher enfin de mon fatal penchant.

Je connaissais une demoiselle pleine de bonté et de cœur, et de l’amour de laquelle j’étais convaincu. Je réussis, grâce à l’estime et à l’adoration que j’avais pour ma femme, à remplir mes devoirs conjugaux. Ce qui me facilita ma tâche, ce fut l’air garçon qu’avait ma femme. Je l’appelais mon Raphaël, je fouettais mon imagination pour évoquer des images de garçons et arriver ainsi à l’érection. Mon imagination se lassa au bout d’un moment : c’en était fait de l’érection. Je ne pouvais pas dormir dans le même lit que ma femme. Dans ces deux dernières années, le coït m’a toujours été de plus en plus difficile à exécuter, et, depuis deux ans, nous y avons renoncé. Ma femme connaît mon état d’âme. Sa bonté de cœur et son amour pour moi ont pu la décider à n’y attacher aucune importance.

Mon penchant sexuel pour mon propre sexe est resté toujours le même, et malheureusement il m’a forcé souvent à faire des infidélités à ma femme.

Aujourd’hui encore, l’aspect d’un garçon de seize ans me met dans une vive excitation sexuelle avec des érections gênantes, de sorte que je me soulage à l’occasion par la manustupration du garçon ou par la masturbation sur moi-même.

Les tourments que je souffre sont indescriptibles. Faute de mieux, uxor mea penem lerit, sed quod mulieris manus magno opere post dimidiam horam aduquitur, pueri manus post nonnulla momenta adsequitur. Et ainsi je passe ma vie misérable, esclave de la loi et de mon devoir envers ma femme !

Je n’ai jamais eu le désir de la pædicatio ni active ni passive. Quand je la faisais ou la subissais, c’était toujours par gratitude et par complaisance.

Le médecin auquel je dois cette auto-observation m’affirme que, jusqu’ici, il a eu des rapports sexuels avec au moins six cents uranistes. Il y en a beaucoup qui vivent encore et occupent des positions sociales très élevées et très respectées (10 p. 100 seulement d’entre eux sont devenus plus tard amateurs de femmes). Une autre partie ne déteste pas la femme, mais a plus de penchant pour le sexe masculin ; les autres sont exclusivement et pour toujours amateurs d’hommes.

Ce médecin prétend n’avoir jamais rencontré de conformations anormales des parties génitales chez ces six cents uranistes ; mais il a souvent pu remarquer certains rapprochements vers les formes féminines, le peu d’abondance des poils, un teint plus tendre, une voix plus haute. Il y avait souvent aussi un développement des mamelles ; X…, affirmat ab 13-15 anno lac in mammis suis habuisse quod amicus H… esuxit. Seuls 10 p. 100 de ces hommes montraient du goût pour les occupations féminines. Tous ses amis étaient atteints d’un penchant sexuel anormalement précoce et fort. La grande majorité d’entre eux se sentait vis-à-vis l’un de l’autre comme hommes, se satisfaisait par l’onanisme mutuel, manustupration sur l’amant ou par l’amant. La plupart d’entre eux inclinaient vers la pédérastie active. Mais souvent, la crainte du Code pénal ou des raisons esthétiques contre l’anus, sont les causes pour lesquelles l’acte n’est pas exécuté. Ils se sentent rarement dans le rôle de femme vis-à-vis des autres, et ont rarement un penchant à la pédérastie passive.

Au commencement de l’année 1887, ce médecin fut arrêté parce qu’il s’était livré à des actes d’impudicité avec deux garçons de quatorze ans. Le délit consistait en ce qu’il faisait d’abord frotter par les garçons mentulam propriam inter femora viri jusqu’à ce que l’éjaculation se produisît, et qu’il exécutait le même procédé cum mentula propria inter femora pueri. Lors des débuts judiciaires, on admit qu’on se trouvait en présence d’un instinct morbide ; mais il fut prouvé que l’inculpé n’avait pas de troubles mentaux, qu’il n’avait pas perdu son libre arbitre, en tout cas qu’il n’avait pas agi sous une impulsion irrésistible.

Toutefois, il fut condamné à un an de prison, tout en tenant compte des plus grandes circonstances atténuantes.

Observation 113. — M. X…, de haute position sociale, m’a consulté pour une neurasthénie et une insomnie dont il souffre depuis des années. L’enquête sur la cause du mal a amené le malade à avouer qu’il a un penchant sexuel anormal pour son propre sexe, qu’il a en général de grands besoins sexuels, et que probablement sa maladie de nerfs vient de là. Les passages suivants de l’historique de la maladie de cet homme très intelligent pourront présenter quelque intérêt scientifique.

« Mon sentiment sexuel anormal remonte à l’époque de mon enfance. À l’âge de trois ans, un journal de modes me tomba par hasard entre les mains. J’embrassai les belles gravures d’hommes à en déchirer le papier, et je ne fis pas même attention aux figures de femmes. Je détestais les jeux des garçons.

J’aimais mieux jouer avec les filles, car elles avaient toujours des poupées. Je confectionnais de préférence des robes pour les poupées ; aujourd’hui encore, malgré mes trente-trois ans, les poupées m’intéressent beaucoup. Étant encore petit garçon, je restais des heures entières aux aguets des cabinets ut virorum genitalia adspicerem. Quand je réussissais à en apercevoir, j’avais toujours une émotion étrange et j’étais pris d’une sorte de vertige. Les hommes frêles m’étaient peu sympathiques, mais les garçons surtout m’étaient absolument indifférents. À l’âge de treize ans, je me livrai à l’onanisme. De l’âge de treize ans jusqu’à quinze ans, je dormis dans le même lit qu’un très beau jeune homme. C’était mon bonheur ! Per multas horas vespere pene erecto illum domum venientem expectavi. Quod si ille fortuito genitalia mea in tecto tetigit, summa voluptate affectus sum. À l’âge de quatorze ans, j’avais un camarade d’école qui partageait mes goûts. In schola per nonnulas horas alter genitalia alterius tenebat manibus. Ah ! quelles heures délicieuses ! Je stationnais dans les maisons de bains le plus souvent que je pouvais. L’aspect des parties génitales viriles me causait de violentes érections. À l’âge de seize ans, je fus envoyé dans la grande ville. La vue de tant de beaux hommes me ravissait. À l’âge de dix-sept ans et demi, j’essayai le coït avec une fille publique, mais, pris de dégoût et de répugnance, je fus incapable de l’accomplir. D’autres essais encore échouèrent, jusqu’à l’âge de dix-neuf ans. Alors je réussis une fois ; mais le coït ne me procura aucun plaisir, il me laissa plutôt un sentiment de dégoût. Je me fis violence ; j’étais fier du succès, de cette preuve que j’étais pourtant un homme, ce dont j’avais commencé à douter.

Des essais ultérieurs ne réussirent plus. Le dégoût était trop vif. Quand la femme se déshabillait j’étais obligé d’éteindre tout de suite la lumière. Je me crus alors impuissant ; je consultai des médecins ; je fréquentai les bains et les établissements hydrothérapiques pour guérir ma prétendue impuissance, car je ne savais pas du tout ce que je devais en penser. J’aimais la société des dames, par vanité peut-être, car je paraissais sympathique et aimable à la plupart des femmes. Je n’estimais chez la femme que les qualités spirituelles et esthétiques. J’aimais à danser avec des femmes douées de ces qualités, mais quand ma danseuse se serrait pendant la danse contre moi, j’éprouvais une sensation fortement désagréable, du dégoût même, et j’aurais bien voulu la battre. Quand, par hasard, il arrivait qu’un monsieur, par pure plaisanterie, dansait avec moi, j’avais toujours le rôle de la dame. Alors je me serrais, je me pressais contre lui, et j’en étais tout ravi et content. Quand j’eus dix-huit ans, un monsieur qui venait dans notre bureau dit un jour : « C’est un gentil garçon, pour lequel on pourrait, en Orient, demander à chaque instant une livre sterling. » Ce propos m’intrigua beaucoup, et j’aurais bien voulu avoir le mot de cette énigme. Un autre monsieur aimait à plaisanter avec moi et, en sortant de chez nous, il m’enlevait souvent des baisers que, hélas ! je lui aurais si volontiers accordés. Ce voleur de baisers est devenu plus tard un de mes amants. Grâce à ces circonstances, mon attention fut éveillée, et j’attendais une occasion propice.

Quand j’eus atteint l’âge de vingt-cinq ans, il arriva un jour qu’un ancien capucin me fixa du regard. Il devint pour moi comme un Méphisto. Enfin il m’adressa la parole. Aujourd’hui encore, en y pensant, je crois sentir les battements précipités de mon cœur ; j’étais près de m’évanouir. Il me donna rendez-vous pour le soir dans un restaurant. J’y allai ; mais, arrivé à la porte, je m’en retournai ; je redoutais des mystères terribles. La soirée suivante, le capucin me rencontra de nouveau. Il me persuada, m’amena dans sa chambre, car c’est à peine si je pouvais marcher, tellement mon émotion était grande. Mon séducteur me fit asseoir sur le canapé, me fixa en souriant de ses beaux yeux noirs : je perdis connaissance.

Il me faudrait beaucoup écrire pour pouvoir donner une idée approximative de cette volupté, de ces joies divines et idéales qui remplissaient toute mon âme ; je crois que seul un jeune homme innocent, amoureux par-dessus les oreilles, qui, pour la première fois, arrive à satisfaire sa langueur amoureuse, pourrait être aussi heureux que je le fus dans cette soirée mémorable. Mon séducteur exigea ma vie par plaisanterie — (ce que je pris d’abord au sérieux). Je le priai de me laisser être heureux encore pendant quelque temps, et alors je serais prêt à mourir avec lui. C’eût été bien conforme à mes idées exaltées de cette époque. J’entretins alors pondant cinq ans une liaison avec cet homme qui m’est encore si cher aujourd’hui. Ah ! que j’étais heureux à cette époque, mais souvent aussi malheureux ! Je n’avais qu’à le voir causer avec un joli garçon, et la rage de la jalousie s’éveillait en moi.

À l’âge de vingt-sept ans, je me suis fiancé avec une jeune dame. Son esprit, ses sentiments délicats et esthétiques ainsi que des raisons financières, dans l’intérêt de mon commerce, me décidèrent à songer à me marier avec elle. D’ailleurs, je suis un grand ami des enfants, et toutes les fois que je rencontrais un pauvre journalier qui avait avec lui sa femme et un bel enfant, j’enviais son bonheur de père de famille.

Je m’illusionnais donc moi-même ; je traversai sans accident ma période de fiançailles ; cependant, en embrassant ma fiancée, j’éprouvais plutôt de l’angoisse et de la peur que du plaisir. Une ou deux fois il arriva pourtant qu’après un copieux dîner, en l’embrassant vivement et courageusement, j’eus des érections. Que j’étais alors heureux ! Je me voyais déjà papa ! Deux fois je fus sur le point de rompre le mariage. Le jour des noces, — les invités étaient déjà réunis, — je m’enfermai dans ma chambre ; je pleurai comme un enfant ; je ne voulais pas me marier. Cédant aux persuasions des membres de ma famille auxquels je donnais les raisons les plus futiles, je me laissai traîner en toilette de rue devant l’autel.

Uxor mea nuptiarum tempore menses habuit.

Oh ! que j’en rendis grâce à tous les saints ! Aujourd’hui encore je suis convaincu que seule cette circonstance m’a permis d’accomplir plus tard le coït.

J’ignore encore aujourd’hui comment je suis arrivé à pouvoir plus tard faire cet acte avec ma femme et procréer un charmant garçon. Il est ma consolation dans ma vie manquée. Je ne puis que remercier le bon Dieu du bonheur d’avoir un enfant. Ma vie conjugale fut pour ainsi dire une filouterie. Ma femme, que j’estime beaucoup à cause de ses qualités excellentes, ne se doute pas du tout de mon état réel ; seulement elle se plaint souvent de ma froideur. Grâce à sa bonté de cœur et à sa naïveté, il me fut possible de lui faire accroire que l’accomplissement du devoir conjugal ne se fait qu’une fois par mois. Comme elle n’est pas sensuelle et que je trouve toujours une excuse dans ma nervosité, je réussis à la tromper. Le coït est pour moi le plus grand sacrifice qu’on puisse imaginer. Grâce à de fortes libations de vin et en utilisant le matin les érections produites sous l’influence de la réplétion vésicale, je réussis à faire le coït une fois par mois ; mais je n’éprouve aucune volupté ; j’en suis tout affaibli, et le lendemain je sens une aggravation de mes malaises nerveux. Seule la conscience d’avoir rempli mon devoir conjugal envers ma femme, que j’aime du reste, m’est alors un plaisir, une satisfaction morale. Il n’en est pas ainsi avec un homme. Je peux cohabiter avec lui plusieurs fois dans la même nuit, en me sentant toujours dans le rôle de l’homme. J’éprouve alors la plus grande volupté, le bonheur le plus pur, et je m’en sens rasséréné et content. Ces temps derniers, mon penchant pour les hommes s’est un peu relâché. J’ai même eu le courage d’éviter un beau jeune homme qui me faisait la cour. Cela durera-t-il ? Je crains que non. Je ne puis pas du tout me passer de l’amour des hommes ; quand je suis forcé de m’en priver, je me sens abattu, fatigué, misérable, et j’ai alors des douleurs et des congestions à la tête. J’ai toujours compris que ma bizarrerie regrettable est morbide et congénitale ; je m’estimerais heureux si je n’étais pas marié. Je plains ma femme, si bonne et si gentille. Souvent je suis pris de la peur de ne pouvoir plus vivre avec elle. Alors des idées de divorce me viennent, ou je fais le projet de me suicider ou bien de partir pour l’Amérique.

Le malade, auquel je dois cette communication, ne présente à première vue aucun signe de son état. Il est d’un habitus tout à fait viril, porte une forte barbe, a la voix forte et grave, et les parties génitales tout à fait normales. Le crâne a une conformation normale ; les stigmates de dégénérescence manquent absolument ; seulement son œil, particulièrement nerveux, rappelle la névropathie. Les organes végétatifs fonctionnent normalement. Le malade présente les symptômes ordinaires d’une neurasthénie qu’on peut attribuer aux excès sexuels d’un homme ayant des besoins anormaux, dans ses rapports avec des personnes de son propre sexe, et aux influences nuisibles du coït forcé avec sa femme malgré son horror feminæ.

Le malade déclare être né de parents sains et n’avoir dans son ascendance ni névropathes ni aliénés. Son frère aîné fut marié pendant trois ans. Le mariage fut dissous parce que l’époux n’avait jamais eu de rapports sexuels avec sa femme. Il se maria une seconde fois. La seconde femme aussi se plaignit d’être négligée par son mari ; mais elle a quatre enfants dont la légitimité n’est pas mise en doute. Une sœur est hystérique.

Le malade prétend avoir, étant jeune homme, souffert d’accès de vertige qui duraient plusieurs secondes et pendant lesquels il avait comme le sentiment que tout son être se désagrégeait. Il dit avoir été de tout temps très irritable, très émotif, et avoir eu de l’enthousiasme pour la poésie et pour la musique. Lui-même il dépeint son caractère comme mystérieux, anormal, nerveux, inquiet, extravagant et hésitant. Il est souvent exalté sans aucune raison, et ensuite déprimé sans motif, jusqu’à concevoir des idées de suicide. Il peut, par une transition rapide et subite, passer des sentiments religieux à la frivolité, de l’esthétique au cynisme, de la lâcheté à la provocation, de la crédulité bonasse à la méfiance, enfin de la tendance à faire du mal à autrui à celle d’être touché aux larmes du malheur des autres, d’être libéral jusqu’à la prodigalité et ensuite avare comme Harpagon. En tout cas, le malade est un être taré. Intellectuellement il semble être très bien doué ; aussi nous a-t-il affirmé avoir appris avec facilité et avoir toujours été parmi les premiers en classe.

Le mariage de cet homme ne fut pas heureux. Le malade est resté neurasthénique malgré qu’il n’ait que rarement accompli avec sa femme l’acte sexuel si inadéquat et si nuisible pour lui, et qu’il n’ait pas moins rarement trouvé de compensations chez des amants masculins. Sa souffrance présentait par moments des exacerbations considérables jusqu’à désespérer de sa situation conjugale et sexuelle, et allant même jusqu’au plus violent tædium vitæ.

Sa femme est devenue hystéropathe, anémique, et le malade lui-même est d’avis qu’elle l’est devenue ex abstinentia. Quelque violence qu’il se fasse, quelque effort qu’il déploie, il lui est impossible depuis quelques années de faire le coït ; les érections font absolument défaut, tandis qu’il se sent très puissant dans ses rapports avec ses amants masculins.

Le garçon de ces malheureux parents a maintenant neuf ans et se porte bien.
Le malade m’avoua encore qu’autrefois il n’était puissant pendant le coït avec sa femme qu’en évoquant par artifice dans son imagination l’image d’un homme aimé. (Extrait du Lehrbuch der Psychiatrie de l’auteur, 2e édition, avec des notes supplémentaires).

Observation 114. Autobiographie. — L’auteur de ces lignes est uraniste de naissance.

Bien que je n’aie jamais rencontré d’autres uranistes, je suis complètement renseigné sur mon état, ayant réussi à me procurer avec le temps tous les ouvrages scientifiques qui traitent de ce sujet. Il n’y a pas longtemps que j’ai eu l’occasion de lire votre livre Psychopathia sexualis.

Je vis que vous examiniez et précisiez les choses sans préjugé, seulement dans l’intérêt de la science et de l’humanité.

Bien que je ne puisse vous communiquer beaucoup de faits nouveaux, je tiens tout de même à vous mentionner certaines choses que vous voudrez bien accepter comme une pierre de plus pour votre édifice ; je les remets en pleine confiance entre vos mains, convaincu que vous vous en servirez pour notre réhabilitation sociale.

Vous êtes peut-être dans le vrai en supposant que nous sommes souvent atteints d’une tare héréditaire. Mon père souffrait d’une maladie de la moelle épinière avant ma naissance ; plus tard, il est devenu mélancolique et s’est suicidé.

Un autre point cependant sur lequel je ferai mes réserves, est l’opinion exprimée par vous, dans un autre passage, que l’onanisme, pratiqué dès la première jeunesse, pourrait amener un individu à des penchants pervers.

Négociant, propriétaire d’un petit fonds de commerce, célibataire — (cela va de soi), — je viens de passer ma trentième année ; j’ai l’apparence d’un homme bien portant et mon extérieur s’écarte à peine du type viril normal. J’ai ressenti à partir de l’âge de dix ans mes premières émotions sexuelles qui, dès le début, se portèrent exclusivement vers le sexe masculin.

À partir de l’âge de douze ans, j’ai pratiqué la masturbation. J’ai dû jusqu’à aujourd’hui me contenter de ce genre de satisfaction, le coït avec la femme ayant été impossible, malgré tous mes essais, et n’ayant jamais éprouvé de désirs mais plutôt du dégoût pour la femme, et par conséquent n’ayant jamais la moindre érection.

Si je dois faire maintenant une confession sur la manière de satisfaire mon instinct sexuel, je dois avouer qu’autrefois des camarades d’école, des garçons de mon âge, pouvaient provoquer chez moi une excitation sexuelle. Mon penchant pour les garçons de dix ans, mais surtout pour les jeunes gens de quinze à vingt ans, subsiste encore aujourd’hui.

Ce qui me charme avant tout, ce sont les formes des corps bien vigoureux mais pourtant délicats des cadets (élèves militaires), dont l’uniforme plein de goût et les manières distinguées m’excitent particulièrement.

Je n’ai pas eu l’occasion d’entrer avec eux en rapports, même purement sociaux. Je dois me contenter de les suivre dans les rues et les promenades ou bien dans les cas plus favorables, au restaurant, sur le tramway ou en chemin de fer ; je m’assieds près d’eux et, quand je puis le faire sans être aperçu, je me satisfais au moyen de l’onanisme.

Mon désir le plus ardent serait souvent d’être l’ami, le serviteur ou l’esclave d’un de ces jeunes hommes.

Je ne pense jamais à la pédérastie directe : exoptatum mihi est corpus tangere, amplecti, membrum meum ab amato juvene tangi, me autem genitalia vel podicem ejus osculare posse.

J’ai souvent cette envie que Sacher Masoch dépeint dans son roman « La Vénus à la fourrure », dans lequel un homme se fait volontairement l’esclave d’une femme, et éprouve des frissons de volupté quand il est battu ou humilié par elle. Seulement, chez moi, ce sentiment est modifié dans ce sens que je ne voudrais nullement être l’esclave d’une femme, mais l’esclave d’un homme ou plutôt d’un jeune homme que j’aimerais tellement que je me mettrais à sa merci avec tout mon être.

Voilà quelles sont à peu près les scènes de volupté qui sont présentes à mon esprit pendant que je m’onanise, scènes dans lesquelles je me représente toujours les jeunes hommes ou les garçons que j’ai rencontrés.

Je sens bien que l’onanisme est toujours un pis-aller bien triste et bien incomplet.

Voici comment je procède dans mon rêve de volupté. — (Je dis tout, car je tiens à écrire la vérité et toute la vérité.) — Je me figure m’être engagé à une obéissance absolue envers un jeune homme qui me plaît au physique. Je m’imagine qu’il vient m’humilier, qu’il exige, par exemple, que je baise ses pieds ou qu’il m’oblige à renifler ses chaussettes trempées de sueur. Quia quod exopto et concupisco mihi non contingit meas crepidas (chaussettes) olfacio casque in os recipio, genitalia mea iis praestringo, quibus factis mox pene erecto voluptate perturbatus semen ejaculo.

Dans l’évocation de ces images, je suis allé même jusqu’à me figurer que le jeune homme que je me représentais comme mon maître, m’ordonnait pour m’humilier de manger de ses excréments. Alors, à défaut de la réalisation de la scène imaginée, je mange de mes propres excréments, toutefois en petite quantité seulement, avec un dégoût partiel et un vif battement de cœur ; alors il se produit une violente érection suivie d’éjaculation.

Cependant, je n’arrive à ces scènes malpropres d’une imagination fiévreuse et à leur exécution que lorsque je me suis privé, pendant un laps de temps plus ou moins long, du plaisir de me satisfaire par l’onanisme, dans le voisinage immédiat d’un jeune homme.

Ce dernier procédé est plus conforme à mon naturel, car il me procure un peu plus de jouissance et en quelque sorte un rassérènement physique et intellectuel, bien que je n’aie pas encore pu arriver à mon idéal d’une satisfaction réelle et directe, accordée avec consentement mutuel.

Je crois presque que l’horrible fantaisie dont j’ai parlé n’est que la conséquence de la privation des satisfactions normales, c’est-à-dire des satisfactions qui sont normales pour moi, dans ma nature d’uraniste. Je crois que, par une satisfaction régulière, corps à corps, cette passion poussée jusqu’à la folie se calmerait et renoncerait en tout cas à de pareilles extravagances. Ou, pour être plus précis, c’est l’effet final de mes essais d’abstinence, car c’est seulement après une plus ou moins longue période de privation que j’aboutis à ces images de folie et de volupté.

Je crois même que, dans d’autres circonstances sociales, je serais capable de grandes et de nobles affections ainsi que d’abnégation. Mes idées ne sont point exclusivement charnelles ou morbidement sensuelles. Que de fois, à l’aspect d’un beau jeune homme, je suis saisi d’un sentiment profond et romanesque ! Et alors, je récite comme une prière ce beau vers de Heine :

« Tu es comme une fleur, si délicieuse, si belle, si pure, etc. »

Un jour que je dus me séparer d’un jeune homme que j’estimais et que j’appréciais, bien qu’il ignorât mon amour pour lui, ce furent les beaux vers de Scheffel qui me revinrent, ces beaux vers dont la dernier couplet — mutatis mutandis — résonnait surtout dans mon âme :

« Le monde est devant moi, gris comme le ciel. Mais que mon sort tourne au bien ou au mal ! — Cher ami, fidèle je pense à toi ; — Que Dieu t’ait en sa garde ! C’eût été trop beau ! — Que Dieu te protège ! Le sort en a décidé autrement. »

Jamais un jeune homme ne s’est encore douté de mon amour pour lui ; je n’ai porté à aucun un funeste préjudice au point de vue moral ; mais il y en a beaucoup à qui j’ai frayé le chemin ; alors je ne recule devant aucune peine, et je fais tous les sacrifices que je puis faire.

Quand j’ai l’occasion d’avoir auprès de moi un ami aimé, de le former, de le maintenir et de le protéger, quand mon amour, resté ignoré, est payé de retour (bien entendu par une affection non sexuelle), alors les sales images de mon imagination se dissipent. Alors mon amour devient presque platonique ; il s’ennoblit, pour retomber ensuite dans la fange, quand il ne lui est pas donné de se manifester dignement.

Je suis d’ailleurs, sans me flatter, un homme qui ne compte pas parmi les plus méchants. D’un esprit plus vif que la moyenne des gens, je prends part à tout ce qui émeut l’humanité. Je suis bon, doux et facile à apitoyer ; je ne ferais pas de mal à une bête et moins encore à un être humain ; au contraire, partout où je le peux, je fais le bien et des actions humanitaires.

Bien que, devant ma conscience, je ne puisse rien me reprocher et que je repousse vivement le jugement du monde sur nous, je souffre beaucoup. Il est vrai que je n’ai jamais fait de mal à personne et que je crois mon amour, dans ses manifestations nobles, un sentiment aussi élevé que l’amour des hommes normaux ; mais, avec le sort malheureux que nous prépare l’intolérance et l’ignorance, je souffre souvent très durement, au point d’être las de cette vie.

Il n’y a pas d’écrits ni de paroles qui puissent dépeindre toute notre misère, toutes nos situations malheureuses, la peur continuelle d’être découverts dans notre anomalie et d’être mis au ban de la société. La seule idée d’être découvert, de perdre sa position et d’être répudié par tout le monde, est plus pénible qu’on ne le croit. Alors tout ce qu’on aurait fait de bien serait oublié ; tout individu de prédisposition normale se rengorgerait, fort de son sentiment de haute moralité, même s’il eût agi le plus cyniquement en ce qui concerne son amour. Je connais plus d’un individu normal dont la frivolité en amour me semblera toujours difficile à comprendre.

Cependant, qu’importe notre misère ! Nous pouvons finir nos jours malheureux en maudissant l’humanité. En vérité, souvent j’aspire au calme de l’asile d’aliénés. Que ma vie finisse quand il le faudra ! Le plus tôt serait le mieux ; je suis prêt.

Pour passer à une autre question, je crois aussi, comme les autres qui vous ont écrit, que notre nervosité n’est que le résultat de notre existence malheureuse et infiniment misérable au milieu de la société humaine.

Et maintenant, encore une remarque. À la fin de votre ouvrage, vous parlez de la suppression de l’article du Code relativement à nos actes. Certes, par cette suppression l’humanité ne périra point. En Italie, comme je crois le savoir, il n’y a pas de paragraphe de ce genre. Et pourtant l’Italie n’est pas une contrée sauvage, mais un pays civilisé. Et moi qui suis obligé de saper ma santé par l’onanisme, je ne pourrais pas être atteint par la loi, dont jusqu’ici je n’ai violé aucun article. Pourtant je souffre de ce maudit mépris qui pèse sur nous. Mais comment l’opinion de la société pourrait-elle se modifier, tant qu’un article du Code la confirmera dans sa fausse moralité. La loi doit en tout cas répondre à la conscience du peuple, non pas à la conscience populaire qui est erronée, mais aux opinions des gens les mieux pensants et les plus instruits de la nation ; elle ne doit pas se régler sur les désirs et les préjugés d’une populace superstitieuse et obscure.

Les esprits perspicaces ne doivent pas persévérer plus longtemps dans les vieilles opinions à ce sujet.

Excusez-moi, Monsieur, de terminer sans me nommer. Ne cherchez pas après moi. Je ne pourrais rien ajouter qui soit digne d’être noté. Je vous remets ces lignes dans l’intérêt de mes compagnons de malheur. Publiez-en ce que vous croyez utile dans l’intérêt de la science, de la vérité et de l’équité.

Observation 115. — Par une soirée d’été, au crépuscule, X. Y…, docteur en médecine dans une ville de l’Allemagne du Nord, a été pris en flagrant délit par un garde champêtre, au moment où il faisait sur un chemin des actes d’impudicité avec un vagabond. Il masturbait ce dernier et ensuite mentulam alius in os suum immisit. X… s’est soustrait aux poursuites judiciaires en prenant la fuite. Le procureur royal abandonna la plainte parce qu’il n’y avait aucun scandale public et que l’immissio membri in anum n’avait pas eu lieu. On a trouvé en la possession d’X… une vaste et longue correspondance uraniste qui a permis de constater que, depuis des années, il avait des rapports uranistes suivis avec des personnes appartenant à toutes les classes de la société. X… est issu d’une famille tarée. Le grand-père du côté paternel est mort aliéné et s’est suicidé. Le père était un homme de constitution faible et de caractère bizarre. Un frère du malade s’est masturbé dès l’âge de deux ans. Un cousin était inverti, il commit les mêmes actes contre les bonnes mœurs que X… ; c’était un jeune homme imbécile ; il a fini ses jours avec une maladie de la moelle épinière. Un frère de son grand-père du côté paternel était hermaphrodite. La sœur de sa mère était folle. La mère passe pour être bien portante. Le frère de X… est nerveux et à des accès de colère violente.

Étant enfant, X… était aussi très nerveux. Le miaulement d’un chat lui causait une peur terrible ; on n’avait qu’à imiter la voix d’un chat pour qu’il se mît à pleurer amèrement et à se cramponner de peur aux personnes de son entourage.

À l’occasion de maladies peu graves, il était toujours pris de fièvres violentes. C’était un enfant calme, rêveur, doué d’une imagination très vive, mais de faibles moyens intellectuels. Il ne rechercha jamais les jeux des garçons. Il s’amusait, de préférence, aux occupations féminines. Il avait un plaisir particulier à coiffer la servante de la maison ou son frère.

À l’âge de treize ans, X… fut mis en pension. Là, il pratiqua l’onanisme mutuel, séduisit ses camarades, se rendit impossible par sa conduite cynique, de sorte qu’on dut le renvoyer chez ses parents. Déjà, à cette époque, des lettres d’amour, d’un caractère lascif et parlant d’inversion sexuelle, tombèrent entre les mains des parents.

À partir de l’âge de dix-sept ans, X… fit ses études sous la direction sévère d’un professeur de lycée. Il faisait des progrès convenables. Il n’avait du talent que pour la musique. Après avoir fait son baccalauréat, X… devint, à l’âge de dix-neuf ans, étudiant de l’Université. Là, il se fit remarquer par son genre cynique et par la fréquentation de jeunes gens sur lesquels toutes sortes de bruits couraient, avec force allusions à leurs amours homosexuelles. Il commença à devenir coquet dans sa mise ; il aimait les cravates voyantes, portait des chemises très échancrées au cou, serrait ses pieds dans des bottes étroites et peignait ses cheveux d’une façon étrange. Ces penchants disparurent lorsqu’il eut terminé ses études universitaires et qu’il fut rentré chez ses parents.

À l’âge de vingt-quatre ans, il fut gravement neurasthénique pendant quelque temps. À partir de cette époque et jusqu’à l’âge de vingt-neuf ans, il parut très sérieux, se montrant très capable dans son métier ; mais il évitait la société du beau sexe et rôdait toujours avec des messieurs d’une réputation douteuse.

Le malade n’a pas consenti à un examen personnel. Il s’est excusé par lettre, en disant qu’il le croit sans utilité, son penchant pour son propre sexe existant chez lui depuis son enfance et étant congénital. De tout temps, il a eu l’horror feminæ, et il n’a jamais pu se décider à goûter les charmes féminins. Vis-à-vis de l’homme, il se sent dans le rôle masculin. Il reconnaît que son penchant pour son propre sexe est anormal, mais il s’excuse de ses excès sexuels par sa prédisposition morbide.

Depuis sa fuite d’Allemagne, X… vit dans le sud de l’Italie, et, comme je l’apprends par une lettre qu’il m’a adressé, il s’adonne, comme autrefois, à l’amour uraniste.

X… est un homme grave, de très belle prestance et de traits tout à fait virils ; il a une barbe très fournie ; ses parties génitales sont normalement développées. Le docteur X… a mis, il y a quelque temps, son autobiographie à ma disposition ; les passages suivants méritent d’en être reproduits. « Quand, à l’âge de sept ans, je suis entré dans une pension, je me sentis très mal à mon aise, et j’ai trouvé un accueil très peu avenant de la part de mes condisciples. Je ne me sentais attiré que vers un seul d’entre eux, un très joli enfant que j’aimais presque passionnément. Dans nos jeux d’enfants, je savais toujours arranger les choses pour paraître habillé en fille ; et mon plus grand plaisir était de faire à notre bonne des coiffures bien compliquées. Je regrettais souvent de n’être pas né fille.

« Mon instinct génital s’éveilla à treize ans et se porta, dès son origine, vers les jeunes gens vigoureux. Au commencement, je ne me rendis pas encore compte du caractère anormal de ce penchant ; je n’en eus conscience que quand je vis et entendis comment mes camarades étaient conformés sous le rapport sexuel. À l’âge de treize ans, je commençai à me masturber. À l’âge de dix-sept ans, je quittai la maison paternelle et je fréquentai le lycée d’une grande capitale, où l’on m’avait mis en pension chez un professeur marié. J’eus plus tard des rapports sexuels avec le fils de ce professeur. C’était la première fois que j’éprouvais une satisfaction sexuelle. Ensuite, je fis la connaissance d’un jeune artiste, qui s’aperçut bientôt de mon naturel anormal et qui m’avoua que c’était aussi son cas. J’appris par lui que cette anomalie était très fréquente : cette communication anéantit l’idée qui m’affligeait beaucoup que j’étais le seul individu anormal. Ce jeune homme avait de nombreuses connaissances de son goût et il m’introduisit dans ce cercle d’amis. Là, je fus bientôt l’objet de l’attention générale, car, comme on disait, au physique je promettais beaucoup. Bientôt, je fus idolâtré par un monsieur d’un âge mûr, que je reçus pour une courte période ; puis, j’écoutai avec complaisance les propositions d’un jeune et bel officier qui était à mes pieds. À vrai dire, celui-ci était mon premier amour.

« Après avoir fait mon baccalauréat, à l’âge de dix-neuf ans, affranchi de la discipline de l’école, je fis la connaissance d’un grand nombre de gens ayant mes penchants, entre autres celle de Karl Ulrichs (Numa Numantius).

« Lorsque, plus tard, je passai à l’étude de la médecine et que j’eus des relations avec beaucoup de jeunes gens de nature normale, je me trouvai souvent dans l’obligation de céder aux invitations de mes camarades et d’aller chez des filles publiques. Après m’être couvert de honte devant plusieurs femmes, parmi lesquelles il y en avait de très belles, l’opinion se répandit parmi mes amis que j’étais impuissant. Je donnai à ce bruit de la consistance en racontant de prétendus exploits excessifs que j’avais autrefois accomplis avec des femmes. J’avais, à cette époque, de nombreuses relations au dehors. Dans les cercles, on vantait tellement ma beauté physique, que ma réputation de beauté prit une très grande extension. Ceci eut pour conséquence qu’à chaque instant un voyageur se présentait et que je recevais une telle quantité de lettres d’amour que j’en étais souvent embarrassé. Cette situation atteignit son apogée quand, plus tard, je fus logé au lazaret comme médecin faisant son volontariat d’un an. Il y avait là un va-et-vient comme chez une personnalité célèbre, et les scènes de jalousie qui s’y jouaient à cause de moi faillirent amener la découverte de toute cette affaire. Peu de temps après, je tombai malade : j’avais une inflammation de l’articulation de l’épaule, dont je ne guéris que trois mois plus tard.

« Pendant ma maladie, on me fit plusieurs fois par jour des injections sous-cutanées de morphine, qu’on cessa brusquement un jour, mais que, en secret, je continuai de pratiquer, même après ma guérison. Avant de commencer à pratiquer comme médecin, je fis un séjour de plusieurs mois à Vienne pour faire des études spéciales. Grâce à des recommandations, j’eus dans cette ville mes entrées dans divers cercles de personnes de mon genre. J’y fis la remarque que l’anomalie dont il est ici question est, dans ses formes variées, aussi répandue dans les classes populaires que dans les hautes classes de la société, et que ceux qui sont abordables par métier, contre espèces sonnantes, se rencontrent fréquemment aussi dans les hautes classes.

« Quand je me suis établi comme médecin à la campagne, j’espérais pouvoir me débarrasser de la morphine en prenant de la cocaïne. Ainsi je tombai dans le cocaïnisme qu’on n’a pu supprimer qu’après trois rechutes, il y a un an et neuf mois. Dans ma position, il m’était impossible de trouver des satisfactions sexuelles, et je m’aperçus avec plaisir que l’usage de la cocaïne avait pour conséquence d’éteindre mes désirs. Quand je fus délivré pour la première fois du cocaïnisme, grâce aux soins énergiques de ma tante, je partis en voyage pour quelques semaines afin de me rétablir complètement. Les envies perverses étaient revenues avec toute leur force. Un soir que je m’étais amusé avec un homme en champ libre, dans les environs de la ville, je fus le lendemain mandé au cabinet du procureur royal, qui me dit que j’étais surveillé, qu’on m’avait déjà dénoncé, mais que l’acte dont on m’accusait ne tombant pas sous le coup de la loi, selon la décision de la Cour suprême de l’empire allemand, je devais cependant prendre garde, car le bruit de cette affaire avait déjà pénétré partout. À la suite de cet incident, je me vis dans la nécessité de quitter l’Allemagne et de me chercher une nouvelle patrie dans un pays où les lois et l’opinion publique considèrent que tous les penchants anormaux ne peuvent pas être supprimés par la force de la volonté. Comme je me rendais parfaitement compte que mes penchants étaient en contradiction avec la manière de voir de la société, j’essayai à plusieurs reprises de les maîtriser ; je ne faisais que les attiser davantage, et mes amis disaient qu’ils avaient observé sur eux le même effet. Me sentant exclusivement attiré vers les jeunes gens vigoureux et très virils, et ne trouvant que rarement des complaisances chez ces individus, j’en étais souvent réduit à acheter ce consentement. Comme mes désirs ne visaient que des personnes de la classe inférieure, j’en trouvais toujours qui, pour de l’argent, se prêtaient à mes fantaisies. J’espère que les révélations que je vais faire ne provoqueront pas votre indignation ; j’ai voulu d’abord les passer sous silence, mais il faut que je les ajoute pour rendre ma communication plus complète, puisqu’elles sont destinées à augmenter le nombre des cas que vous avez observés. J’éprouve le besoin d’accomplir l’acte sexuel de la façon suivante :

« Pene juvenis in os recepto, ita ut commovendo ore meo effecerim, ut is quem cupio, semen ejaculaverit, sperma in perinæum exspuo, femora comprimi jubeo et penem meum adversus et intra femora compressa immitto. Dum hæc fiunt, necesse est ut juvenis me, quantum potest, amplectatur. Quæ prius me fecisse narravi, eumdem mihi afferunt voluptatem, acsi ipse ejaculo. Ejaculationem pene in anum immitendo vel manu terendo assequi, mihi sequaquam amœnum est.
« Sed inveni qui penem meum recaperint atque ea facientes quæ supra exposui, effecerint, ut libidines meæ plane sint saturatæ
.

« Quant à ma personne, je dois encore donner les renseignements suivants. J’ai 1m, 80 de taille ; je suis d’un habitus tout à fait viril, et bien portant, sauf une irritabilité anormale de la peau. J’ai des cheveux blonds et touffus, la barbe idem. Mes parties génitales sont de grosseur moyenne et d’une conformation normale. Je suis capable de faire, dans les vingt-quatre heures, quatre à six fois l’acte dont j’ai parlé, sans éprouver la moindre fatigue. Mon genre de vie est très régulier. Je ne bois que très peu d’alcool et je suis très modéré dans l’usage du tabac. Je joue assez bien du piano, et quelques petites compositions que j’ai faites ont été très applaudies. Il n’y a pas longtemps, j’ai achevé un roman qui, comme premier ouvrage, est très favorablement apprécié par mes amis. Ce roman a pour sujet plusieurs problèmes de la vie des invertis sexuels. Étant donné le grand nombre de compagnons de souffrance que j’ai connus personnellement, je fus, bien entendu, souvent à même de faire des observations sur les diverses formes de cette anomalie ; les renseignements suivants pourront donc vous être de quelque utilité.

« Le fait le plus anormal que je connaisse, c’est la manie d’un monsieur habitant les environs de Berlin. Is juvenes sordidos pedes habentes aliis prœfert, pedes eorum quasi furibundus lambit. Tel est un monsieur de Leipzig, qui linguam in anum cœno iniquatum quod ei gratissimum est, immittere narratur.

« À Paris, il y a un monsieur qui, par ses insistances, a décidé un de mes amis, ut in os ei mingat. On m’affirme que d’aucuns, à la vue de bottes de cavaliers ou de pièces d’uniforme militaire, entrent dans une telle extase qu’il se produit chez eux spontanément des éjaculations.

« L’exemple de deux personnages de Vienne nous montre jusqu’à quel point certains invertis se sentent femmes, ce qui n’est pas du tout mon cas. Ces deux individus ont des sobriquets féminins : l’un est un coiffeur, qui s’appelle Die französische Laura (Laura la Française), l’autre est un ancien boucher qu’on appelle Die Selcher Fanny (Fanny la Charcutière). Tous deux ne manquent jamais, pendant le carnaval, l’occasion de se montrer déguisés en femmes. À Hambourg, il y a un personnage que beaucoup de gens prennent pour une femme, parce que cet individu est toujours, chez lui, habillé en femme et que, dans ses rares sorties, il est également revêtu d’une toilette féminine. Ce monsieur a même voulu, à l’occasion d’un baptême, figurer comme marraine, ce qui a provoqué un scandale énorme.

« Les défauts des femmes, commérages, manque à la parole donnée, faiblesse de caractère, sont le partage régulier de pareils individus.

« Je connais plusieurs cas de tendance sexuelle perverse où l’individu est en même temps atteint d’épilepsie et de psychoses ; ce qui est surprenant, c’est la fréquence des hernies dans ces cas. Pendant que je pratiquais la médecine, plusieurs personnes auxquelles je fus recommandé par mes amis, s’adressèrent à moi pour des maladies contractées à l’anus. J’ai constaté deux chancres syphilitiques, un chancre mou, plusieurs fissures, et actuellement j’ai en traitement un monsieur qui a, à l’anus, des conditomes pointus, qui forment une sorte de gonflement ressemblant à un chou-fleur et ayant presque la grosseur du poing. J’ai vu à Vienne un cas d’affection primitive du palais chez un jeune homme qui avait l’habitude de fréquenter, déguisé en femme, les bals masqués et d’y attirer à l’écart les messieurs. Il prétendait toujours, au moment psychologique, avoir ses règles, et par ce moyen, il savait s’arranger de façon à ce qu’on se servît de lui per os. De cette manière il aurait, en une seule soirée, séduit quatorze jeunes gens.

« N’ayant, dans aucun des ouvrages sur l’inversion sexuelle qui me sont tombés sous les yeux, rien trouvé sur les rapports des pédérastes entre eux, je voudrais vous donner, pour finir, encore quelques renseignements à ce sujet.

« Aussitôt que deux invertis font connaissance, ils échangent mutuellement des communications sur les incidents de leur passé, sur leurs amours et leurs conquêtes, à moins qu’une pareille conversation soit impossible par la grande distance sociale qui sépare un uraniste de l’autre. Ce n’est que rarement qu’on s’abstient d’une pareille conversation quand on fait une nouvelle connaissance. Entre eux, les invertis se désignent par le mot « tantes » ; à Vienne ils s’appellent « sœurs ». Deux prostituées viennoises, d’allures masculines, dont j’ai fait la connaissance par hasard, et qui ont entre elles des rapports d’inversion sexuelle, me racontèrent que, dans des circonstances analogues, les femmes se servent de la désignation d’« oncles ». Depuis que j’ai une conscience nette de mon état anormal, je suis entré en relations avec plus de mille individus, ayant des sentiments conformes à ma nature. Presque dans chaque grande ville il y a un lieu de réunion pour eux, ce qu’on appelle « un trottoir », un lieu de raccolage. Dans les petites villes il y a relativement peu de « tantes » ; cependant, j’en ai trouvé huit dans une bourgade de 2.300 habitants ; dans une ville de 7.000 habitants dix-huit dont j’étais sûr, sans parler des autres que je soupçonnais. Dans ma ville natale, qui a 30.000 habitants, je connais personnellement environ cent-vingt tantes. La plupart ont la faculté, et pour ma part je la possède au plus haut degré, de juger du premier coup d’œil si un individu a nos tendances ou non, ou, pour employer l’argot des tantes, « s’il est raisonnable ou non raisonnable ». Mes amis étaient souvent étonnés de la sûreté extraordinaire de mon coup d’œil. Je reconnaissais au premier coup d’œil des « tantes » chez des individus qui, selon toute apparence, étaient organisés tout à fait virilement. D’autre part, j’ai tellement la faculté de me comporter virilement que, dans les cercles où je fus recommandé par des amis, on manifesta au premier abord des doutes sur l’authenticité de mon caractère. Quand je suis de mauvaise humeur, je peux me comporter tout à fait comme une femme. La plupart des « tantes », y compris moi, ne regardent pas leur anomalie comme un malheur ; ils regretteraient plutôt de voir leur état changer. Comme, selon mon opinion et celle des autres tantes, cet état congénital ne peut guère être influencé par rien, nous n’avons qu’un espoir, c’est de voir un jour modifier les articles du Code dans ce sens que le viol ou la provocation au scandale public, quand ils sont constatés simultanément, pourraient être poursuivis par la loi ».

Observation 116 (Inversion sexuelle chez une femme). — S… I…, trente-huit ans, institutrice, m’a consulté pour des souffrances nerveuses. Le père fut passagèrement aliéné ; il est mort d’une maladie du cerveau. La malade est une enfant unique. Déjà, dans sa première jeunesse, elle souffrait de sentiments d’angoisse et d’idées qui la tourmentaient, par exemple, qu’elle se trouvait dans un cercueil et qu’elle s’éveillerait après qu’on l’aurait fermé, qu’elle avait oublié de dire quelque chose à confesse et qu’elle ne serait pas digne de la communion. Elle souffrait beaucoup de maux de tête, était très émotionnable, peureuse, mais avait tout de même des impulsions à voir des choses émouvantes, par exemple des cadavres.

Dès sa plus tendre enfance, la malade était excitée sexuellement, et elle en vint à la masturbation sans y avoir été entraînée par personne. Les règles se produisirent à l’âge de quatorze ans, plus tard elles s’accompagnèrent de douleurs et de coliques, d’une violente excitation sexuelle, de migraines et d’une forte dépression morale. À partir de l’âge de dix-huit ans, la malade a pu supprimer son penchant à la masturbation.

La malade n’a jamais ressenti d’affection pour une personne de l’autre sexe. Quand elle pensait au mariage, ce n’était que parce qu’elle désirait par ce moyen se caser. En revanche, elle se sentait puissamment attirée vers les filles. Elle prit au commencement cette affection pour un sentiment d’amitié. Mais bientôt elle reconnut, à l’ardeur avec laquelle elle s’attachait à ses amies, à l’immense langueur qu’elle éprouvait sans cesse pour elles, que ces sentiments étaient pourtant plus que de l’amitié.

La malade ne peut pas comprendre qu’une fille puisse aimer un homme, mais elle comprend très bien qu’un homme puisse avoir de l’affection pour une fille. Elle s’est toujours vivement intéressée aux belles femmes et aux belles filles, et leur aspect lui a toujours causé une puissante émotion. Son plus grand désir a toujours été de pouvoir embrasser ces gentilles créatures. Elle n’a jamais rêvé d’hommes, mais toujours de filles. Son bonheur était de jouir de leur vue. La séparation de ses « amies » l’a toujours plongée dans le désespoir.

La malade, dont l’extérieur est tout à fait féminin et très décent, dit qu’elle ne s’est jamais sentie dans un rôle particulier vis-à-vis de ses amies, pas même dans ses rêves de bonheur. Le bassin est de conformation féminine, les mamelles sont fortes ; aucune trace de barbe sur la figure.

Observation 117. — Mme R…, trente-cinq ans, femme du monde, m’a été amenée par son mari, en 1886, pour une consultation médicale. Le père était médecin et très névropathe. Le grand-père paternel était bien portant, normal, et a atteint l’âge de quatre-vingt-dix ans. Sur la mère du père de la malade on n’a pas de renseignements. Les frères et sœurs du père sont, dit-on, tous nerveux. La mère de la malade était atteinte d’une maladie de nerfs et souffrait d’asthme. Les parents de cette dernière étaient tout à fait sains. La sœur de la mère fut atteinte de mélancolie.

Depuis l’âge de dix ans, la malade a souffert de mal de tête habituel ; sauf la rougeole, elle n’a eu aucune maladie ; elle était très douce, a reçu la meilleure éducation ; avait un talent particulier pour la musique et les langues étrangères ; fut obligée de faire des études pour obtenir un brevet d’institutrice ; fut pendant sa période de développement intellectuellement très surmenée et a eu, à l’âge de dix ans, une mélancolie sans délire qui a duré plusieurs mois. La malade affirme que, de tout temps, elle n’a eu de sympathie que pour des personnes de son propre sexe et qu’elle n’a eu que tout au plus un intérêt esthétique pour les hommes. Elle n’a jamais eu de goût pour les travaux de femmes. Étant petite, elle préférait à tout, courir et jouer avec les garçons.

La malade dit qu’elle est restée bien portante jusqu’à l’âge de vingt-sept ans. Alors elle est devenue, sans aucune raison extérieure, mélancolique ; elle se prenait pour une mauvaise personne pleine de péchés, n’avait plus de joie à rien, était sans sommeil. Pendant cette période de maladie, elle était tourmentée d’idées obsédantes ; elle se représentait sa mort, son agonie et celle de son entourage. Elle guérit après cinq mois. Elle devint alors gouvernante ; elle était très surmenée ; elle était bien portante sauf quelques malaises neurasthéniques et des irritations spinales périodiques.

À l’âge de vingt-huit ans, elle fit la connaissance d’une dame plus jeune qu’elle de cinq ans. Elle en tomba amoureuse et en fut aimée. Leur amour était très sensuel et trouvait à se satisfaire dans l’onanisme mutuel. « Je l’ai idolâtrée, c’est un être si noble ! » disait la malade en parlant de cette liaison d’amour qui a duré quatre ans et qui s’est terminée par le mariage malheureux de cette amie.
En 1885, après bien des émotions morales, la malade fut atteinte d’une maladie, une sorte d’hystéro-neurasthénie (dyspepsie gastrique, irritation spinale, accès de catalepsie, d’hémianopie avec migraine, accès d’aphasie transitoire, pruritus pudendi et ani).

Au mois du février 1886, ces symptômes disparaissaient.

Au mois de mars, la malade fit la connaissance de son mari actuel, l’épousa sans hésiter, car il était riche, avait beaucoup d’affection pour elle, et son caractère lui était sympathique.

Le 6 avril, elle lit un jour cette phrase : « La mort n’épargne personne. » Comme un coup de foudre, ses anciennes idées obsédantes de la mort lui reviennent. Dans son obsession elle s’imaginait la mort la plus terrible pour elle et son entourage ; elle se représentait des scènes d’agonie particulière ; elle en perdit la tranquillité et le sommeil, et ne se plaisait plus à rien. Son état s’améliora. Son mariage eut lieu fin mai 1886, mais elle fut encore tourmentée de l’idée pénible qu’elle porterait malheur à son mari et à sa parenté.

Le 6 juin, premier coït. Elle en fut moralement très déprimée. Ce n’est pas comme cela qu’elle s’était figuré le mariage ! Au commencement elle fut tourmentée par un violent tædium vitæ. Sou époux qui l’aimait sincèrement, faisait tout son possible pour la rassurer. Les médecins consultés étaient d’avis que tout irait bien, une fois que la malade serait grosse. La mari ne pouvait s’expliquer la conduite énigmatique de sa femme. Elle était aimable pour lui, tolérait ses caresses, se comportait d’une façon tout à fait passive dans le coït qu’elle cherchait à éviter autant que possible ; elle était, après l’acte, pendant des jours entiers fatiguée, épuisée, tourmentée par une irritation spinale et nerveuse.

Un voyage des époux lui permit de revoir son amie qui, depuis trois ans, vivait malheureuse en ménage. Les deux femmes tressaillirent de joie et d’émotion, quand elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre ; elles furent dès ce moment inséparables. Le mari trouva cette liaison amicale quelque peu étrange et pressa le départ. Il se convainquit en prenant connaissance de la correspondance de sa femme avec cette amie, que cet échange de lettres ressemblait absolument à celui qui est en usage entre amoureux.

Mme R… devint enceinte. Pendant sa grossesse, les restes de sa dépression psychique et ses obsessions disparurent. Vers le 15 septembre, avortement environ à la neuvième semaine de la grossesse. À la suite, nouveaux symptômes d’hystéro-neurasthénie ; de plus antéflexion et latéroflexion à droite de l’utérus, anémie, atonie ventriculaire.

À la consultation, la malade fait l’impression d’une personne très tarée névropathiquement. L’expression névropathique de l’œil est manifeste. Habitus tout à fait féminin. Sauf un palais très étroit et très incurvé, il n’y a pas d’anomalies du squelette. Ce n’est que difficilement que la malade s’est décidée à faire des confidences sur son anomalie sexuelle. Elle se plaint d’avoir fait un mariage sans savoir ce que c’est que la vie conjugale entre homme et femme. Elle aime son mari cordialement à cause de ses qualités d’esprit, mais les rapports conjugaux lui sont un supplice ; elle n’y consent qu’à contre-cœur et sans en éprouver jamais la moindre satisfaction. Post actum, elle est pendant des jours entiers tout à fait fatiguée et épuisée. Depuis l’avortement et l’interdiction du médecin de continuer les rapports conjugaux, elle se sent mieux, mais c’est l’avenir qui lui paraît terrible. Elle estime son mari, elle l’aime psychiquement, elle ferait tout pour lui, si seulement il voulait dorénavant l’épargner sexuellement. Elle espère qu’avec le temps elle pourrait devenir capable d’un sentiment sensuel pour lui. Quand il joue du violon, elle croit souvent qu’il surgit en elle un sentiment qui est plus que de l’amitié, mais ce n’est qu’un sentiment éphémère dans lequel elle ne voit aucune garantie pour l’avenir. Son suprême bonheur c’est sa correspondance avec son ancienne amante. Elle sent que c’est un tort, mais elle ne peut y renoncer ; sans cela elle se sentirait trop malheureuse.

Il faut noter comme très remarquable le fait que l’anomalie peut, pendant longtemps, se borner à une simple inversion du sentiment sexuel et que l’impulsion à une satisfaction perverse ne se manifeste qu’à la suite d’une cause occasionnelle, par exemple une séduction, ou d’une névrose qui vient de se déclarer. Ces cas peuvent être facilement confondus avec ceux d’inversion morbide acquise, quand on ne peut pas démontrer anamnestiquement qu’ils sont primitifs et congénitaux par rapport au sens sexuel.

Observation 118. — Mme C…, trente-deux ans, femme d’un fonctionnaire, grande, pas laide, d’un extérieur tout à fait féminin, est née d’une mère névropathe et très émotive. Un frère était psychopathe et a péri par potus. La malade fut, de tout temps, bizarre, entêtée, renfermée, violente, coléreuse, excentrique. Ses frères et sœurs aussi sont des gens très irritables. Dans la famille, il y eut plusieurs cas de phtisie pulmonaire. À treize ans, la malade se faisait déjà remarquer par des signes d’une grande émotivité sexuelle et par un amour extatique pour une camarade de son âge. Son éducation fut très sévère ; toutefois la malade lisait clandestinement beaucoup de romans et écrivait des poésies en quantité. À l’âge de dix-huit ans, elle s’est mariée, pour échapper à la situation désagréable qu’elle avait dans la maison paternelle.

Elle dit qu’elle a toujours été indifférente aux hommes. En effet, elle évitait les bals.

Les statues de femmes lui plaisaient beaucoup. Le comble du bonheur pour elle, serait d’être mariée avec une femme aimée. Il est vrai que cela lui a toujours paru inexplicable. Elle dit qu’avant d’avoir conclu son mariage, elle n’avait pas conscience de son anomalie sexuelle. La malade s’est soumise au devoir conjugal ; elle a donné naissance à trois enfants dont deux ont souffert de convulsions ; elle vécut d’accord avec son mari qu’elle estimait, mais uniquement pour ses qualités morales. Elle évitait volontiers le coït. « J’aurais préféré avoir des rapports avec une femme. »

En 1878, la malade a fini par devenir neurasthénique. À l’occasion d’un séjour dans une station balnéaire, elle fit la connaissance d’un uraniste féminin, dont j’ai publié l’histoire dans l’Irrenfreund (1884, nº 1, observation nº 6).

La malade rentra changée dans sa famille. Le mari rapporte à ce sujet : « Elle n’était plus mon épouse, elle n’avait plus d’affection ni pour moi, ni pour ses enfants, et ne voulait plus entendre parler de rapports conjugaux. » Elle était prise d’amour ardent pour son amie ; elle n’avait plus d’idées pour autre chose. Quand son mari eut interdit la maison à la dame en question, il y eut une correspondance où l’on pouvait lire des passages comme celui-ci : « Ma colombe, je ne vis que pour toi, mon âme ! » C’était une émotion terrible quand une lettre attendue n’arrivait pas. La liaison n’était pas du tout platonique. Certaines allusions laissent supposer que le procédé du satisfaction sensuelle était l’onanisme mutuel. Cette liaison amoureuse dura jusqu’en 1882 et rendit la malade neurasthénique au plus haut degré. Comme elle négligeait absolument la maison, le mari prit une dame de soixante ans comme femme de ménage, et, en outre, une gouvernante pour les enfants. La malade est devenue amoureuse de toutes les deux ; celles-ci toléraient ses caresses et tiraient un profit matériel de la passion de leur maîtresse.

Vers la fin de 1883, elle dut faire un voyage dans le Midi à cause d’une tuberculose pulmonaire qui commençait à se développer. Là elle fit la connaissance d’une Russe, âgée de quarante ans, en tomba passionnément amoureuse, mais ne trouva pas l’amour en retour qu’elle aurait désiré. Un jour la malade fut frappée d’aliénation mentale ; elle prenait la Russe pour une nihiliste, se croyait magnétisée par elle ; elle eut un délire de persécution manifeste, s’enfuit, fut prise dans une ville d’Italie, transportée à l’hôpital où elle se calma bientôt. Elle poursuivit alors de nouveau la dame de ses propositions d’amour, se sentant infiniment malheureuse et songeant au suicide.

Rentrée au domicile de son mari, elle fut prise d’une profonde dépression de ne pas avoir sa Russe, et se montra froide et brusque envers son entourage. Vers la fin du mois de mai 1887, il se déclara chez elle un état d’excitation érotique avec délire. Elle dansait, jubilait, déclarait qu’elle était du sexe masculin, demandait après ses anciennes maîtresses, prétendait être de la famille impériale ; elle prit la fuite, déguisée en homme ; elle fut ensuite amenée dans un état d’émotion érotico-maniaque à l’asile d’aliénées. L’état d’exaltation disparut au bout de quelques jours. La malade devint calme, déprimée ; elle fit une tentative de suicide par désespoir, elle fut ensuite atteinte d’un douloureux tædium vitæ, l’inversion sexuelle passant de plus en plus au second rang ; la tuberculose faisait des progrès. La malade est morte de phtisie au commencement de l’année 1885.

L’autopsie du cerveau n’a montré rien d’étrange en ce qui concerne la structure et l’ordre des circonvolutions. Le poids du cerveau était de 1,150 grammes. Le crâne était légèrement asymétrique. Aucun signe anatomique de dégénérescence. Les parties génitales internes et externes étaient normales.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

Notes

[1Plus tard, on a appris qu’un proche parent était mort fou, et que huit sœurs et frères du malade avaient péri entre l’âge de un à huit ans d’hydrocephalus acutus ou chronicus.

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