Fréquence et importance des symptômes pathologiques. — Tableau des névroses sexuelles. — Irritation du centre d’érection. — Son atrophie. — Arrêts dans le centre d’érection. — Faiblesse et irritabilité du centre. — Les névroses du centre d’éjaculation. — Névroses cérébrales. — Paradoxie ou instinct sexuel hors de la période normale. — Éveil de l’instinct sexuel dans l’enfance. — Renaissance de cet instinct dans la vieillesse. — Aberration sexuelle chez les vieillards expliquée par l’impuissance et la démence. — Anesthésie sexuelle ou manque d’instinct sexuel. — Anesthésie congénitale ; anesthésie acquise. — Hyperesthésie ou exagération morbide de l’instinct. — Causes et particularités de cette anomalie. — Paresthésie du sens sexuel ou perversion de l’instinct sexuel. — Le sadisme. — Essai d’explication du sadisme. — Assassinat par volupté sadique. — Anthropophagie. — Outrages aux cadavres. — Brutalités contre les femmes ; la manie de les faire saigner ou de les fouetter. — La manie de souiller les femmes. — Sadisme symbolique. — Autres actes de violence contre les femmes. — Sadisme sur des animaux. — Sadisme sur n’importe quel objet. — Les fouetteurs d’enfants. — Le sadisme de la femme. — La Penthésilée de Kleist. — Le masochisme. — Nature et symptômes du masochisme. — Désir d’être brutalisé ou humilié dans le but de satisfaire le sens sexuel. — La flagellation passive dans ses rapports avec le masochisme. — La fréquence du masochisme et ses divers modes. — Masochisme symbolique. — Masochisme d’imagination. — Jean-Jacques Rousseau. — Le masochisme chez les romanciers et dans les écrits scientifiques. — Masochisme déguisé. — Les fétichistes du soulier et du pied. — Masochisme déguisé ou actes malpropres commis dans le but de s’humilier et de se procurer une satisfaction sexuelle. — Masochisme chez la femme. — Essai d’explication du masochisme. — La servitude sexuelle. — Masochisme et sadisme. — Le fétichisme ; explication de son origine. — Cas où le fétiche est une partie du corps féminin. — Le fétichisme de la main. — Les difformités comme fétiches. — Le fétichisme des nattes de cheveux ; les coupeurs de nattes. — Le vêtement de la femme comme fétiche. — Amateurs ou voleurs de mouchoirs de femmes. — Les fétichistes du soulier. — Une étoffe comme fétiche. — Les fétichistes de la fourrure, de la soie et du velours. — L’inversion sexuelle. — Comment on contracte cette disposition. — La névrose comme cause de l’inversion sexuelle acquise. — Degrés de la dégénérescence acquise. — Simple inversion du sens sexuel. — Éviration et défémination. — La folie des Scythes. — Les Mujerados. — Les transitions à la métamorphose sexuelle. — Métamorphose sexuelle paranoïque. — L’inversion sexuelle congénitale. — Diverses formes de cette maladie. — Symptômes généraux. — Essai d’explication de cette maladie. — L’hermaphrodisme psychique. — Homosexuels ou uranistes. — Effémination ou viraginité. — Androgynie et gynandrie. — Autres phénomènes de perversion sexuelle chez les individus atteints d’inversion sexuelle. — Diagnostic, pronostic et thérapeutique de l’inversion sexuelle.
B. — LE SENS HOMOSEXUEL COMME PHÉNOMÈNE MORBIDE ET CONGÉNITAL [1].
L’essentiel, dans ce phénomène étrange de la vie sexuelle, c’est la frigidité sexuelle poussée jusqu’à l’horreur pour l’autre sexe, tandis qu’il y a un sens sexuel et un penchant pour son propre sexe. Toutefois, les parties génitales sont normalement développées, les glandes génitales fonctionnent tout à fait convenablement, et le type sexuel est complètement différencié.
Les sentiments, les pensées, les aspirations et en général le caractère répondent, quand l’anomalie est complètement développée, à la sensation sexuelle particulière, mais non pas au sexe que l’individu atteint représente anatomiquement et physiologiquement. Ce sentiment anormal se manifeste aussi dans la tenue et dans les occupations ; il va jusqu’à donner à l’individu une tendance à s’habiller conformément au rôle sexuel pour lequel il se sent doué.
Au point de vue clinique et anthropologique, ce phénomène anormal présente divers degrés dans son développement, c’est-à-dire diverses formes et manifestations.
1) À côté du sentiment homosexuel prédominant il y a des traces de sentiments hétéro-sexuels (hermaphrodisme psycho-sexuel) ;
2) Il n’y a de penchant que pour son propre sexe (homosexualité) ;
3) Tout l’être psychique se conforme au sentiment sexuel anormal (effémination et viraginité) ;
4) La conformation du corps se rapproche de celle qui répond au sens sexuel anormal.
Cependant, on ne rencontre jamais de vraies transitions à l’hermaphrodisme ; au contraire, les organes génitaux sont parfaitement différenciés, de sorte que, comme dans toutes les perversions morbides de la vie sexuelle, il faut chercher la cause du phénomène dans le cerveau (androgynie et gynandrie).
Les premiers renseignements un peu exacts [2] sur ces phénomènes de nature énigmatique nous viennent de Casper (Über Nothzucht und Päderastie, Casper’s Vierteljahrsschr., 1852, I) qui les confond avec la pédérastie, c’est vrai, mais qui déjà fait cette juste remarque que, dans la plupart des cas, cette anomalie est congénitale et doit être considérée comme une sorte d’hermaphrodisme intellectuel.
Il y a là un véritable dégoût des attouchements sexuels avec des femmes, tandis que l’imagination se réjouit à la vue des beaux jeunes hommes, des statues et des tableaux qui en représentent. Ce fait n’a pas échappé à Casper que, dans ces cas, l’immissio penis in anum (pédérastie) n’est pas la règle, mais ces individus recherchent et obtiennent des satisfactions sexuelles par des actes sexuels d’un autre genre (onanisme mutuel).
Dans ses Klinischen novellen (1863, p. 33), Casper cite la confession intéressante d’un homme atteint de cette perversion de l’instinct génital, et il n’hésite pas à déclarer que, abstraction faite des imaginations corrompues, de la démoralisation produite par la satiété des jouissances sexuelles normales, il y a de nombreux cas où la « pédérastie » provient d’une impulsion congénitale, étrange, inexplicable, mystérieuse. Vers 1860, un nommé Ulrichs, qui lui-même était atteint de cet instinct perverti, a soutenu dans de nombreux écrits [3], publiés sous le pseudonyme de Numa Numantius, cette thèse que la vie sexuelle de l’âme est indépendante du sexe physique, et qu’il y a des individus masculins qui, en présence de l’homme, se sentent femmes (anima muliebris in corpore virili inclusa).
Il désignait ces gens sous le nom d’uranistes (Urning), et réclamait rien moins que l’autorisation de l’État et de la société pour l’amour sexuel des uranistes, comme un amour congénital et par conséquent légitime, ainsi que l’autorisation du mariage entre eux. Seulement, Ulrichs nous doit encore la preuve que ce sentiment sexuel paradoxal, qui est en tout cas congénital, soit un phénomène physiologique et non pas pathologique.
Griesinger a jeté une première lumière anthropologico-clinique sur ces faits (Archiv f. Psychiatrie, I, p. 651), en montrant, dans un cas qu’il avait observé personnellement, la lourde tare héréditaire de l’individu atteint.
Nous devons à Westphal (Archiv f. Psychiatrie, II, p. 73) le premier essai sur le phénomène qu’il appelle « inversion sexuelle congénitale, avec conscience du caractère morbide de ce phénomène ». Il a ouvert la discussion : le nombre des cas a atteint jusqu’ici le chiffre de 107, sans compter ceux qui sont rapportés dans notre monographie [4].
Westphal ne touche pas la question de savoir si l’inversion sexuelle est le symptôme d’un état névropathique ou psychopathique, ou bien si elle constitue un phénomène isolé. Il maintient avec fermeté que cet état est congénital.
Me fondant sur les cas que j’ai publiés jusqu’en 1877, j’ai signalé cet étrange sentiment sexuel comme un stigmate de dégénérescence fonctionnelle, et comme un phénomène partiel d’un état névro-psycho-pathologique ayant pour cause, dans la plupart des cas, l’hérédité. Cette supposition a été confirmée par l’analyse des cas qui se sont présentés depuis. On peut citer, comme symptômes de cette tare névro-psycho-pathologique les points suivants.
1º La vie sexuelle des individus ainsi conformés se manifeste régulièrement bien avant la période normale et bien après, d’une façon très violente. Souvent elle présente encore d’autres phénomènes pervers, en dehors de cette direction anormale imprimée par l’étrange sentiment sexuel.
2º L’amour psychique de ces individus est souvent romanesque et exalté ; de même leur instinct génital se manifeste dans leur conscience avec une force particulière, obsédante même.
3º À côté du stigmate de dégénérescence fonctionnelle de l’inversion sexuelle, on trouve encore d’autres symptômes de dégénérescence fonctionnelle et souvent aussi anatomique.
4º Il existe des névroses (hystérie, neurasthénie, états épileptoïdes, etc.). Presque toujours on peut constater de la neurasthénie temporaire ou permanente. Cette neurasthénie est ordinairement constitutionnelle, c’est-à-dire qu’elle est produite par des causes congénitales. Elle est réveillée et maintenue par la masturbation ou par l’abstinence forcée.
Chez les individus masculins, la neurasthenia sexualis se développe sur ce terrain morbide ou prédisposé congénitalement. Elle se manifeste alors surtout par la faiblesse irritative du centre d’éjaculation. Ainsi s’explique le fait que, chez la plupart des individus atteints, une simple accolade ou un baiser donné à la personne aimée, quelquefois même le simple aspect de cette dernière, provoquent l’éjaculation. Souvent l’éjaculation est alors accompagnée d’une sensation de volupté anormalement forte, qui va jusqu’à la sensation d’un courant « magnétique » à travers le corps.
5º Dans la majorité des cas, on rencontre des anomalies psychiques (talents brillants pour les beaux-arts, surtout pour la musique, la poésie, etc.), en même temps que de la faiblesse des facultés intellectuelles (esprits faux, bizarres), et même des états de dégénérescence psychique très prononcée (imbécillité, folie morale).
Beaucoup d’uranistes en viennent temporairement ou pour toujours aux délires caractéristiques des dégénérés (états passionnels pathologiques, délires périodiques, paranoia, etc.).
6º Dans presque tous les cas où il fut possible de rechercher l’état physique et intellectuel des ascendants et des proches parents, on a constaté dans ces familles des névroses, des psychoses, des stigmates de dégénérescence, etc. [5].
L’inversion sexuelle congénitale est bien profonde et bien enracinée ; cela ressort déjà du fait que les rêves érotiques de l’uraniste masculin n’ont pour sujet que des hommes, et ceux de l’homosexuel féminin des individus féminins.
L’observation de Westphal, que la conscience de la défectuosité congénitale des sentiments sexuels pour l’autre sexe et du penchant pour son propre sexe, est ressentie péniblement par l’individu atteint, ne se confirme que dans un certain nombre des cas. Beaucoup d’individus n’ont pas même conscience de la nature morbide de leur état. La plupart des uranistes se sentent heureux avec leurs sentiments sexuels pervers et la tendance de leur instinct ; ils ne se sentent malheureux que par l’idée que la loi et la société ont élevé des obstacles contre la satisfaction de leur penchant pour leur propre sexe.
L’étude de l’inversion sexuelle montre nettement les anomalies de l’organisation cérébrale des individus atteints de cette perversion. Gley (Revue philosophique, 1884, janvier) croit pouvoir donner le mot de l’énigme, en supposant que ces individus ont un cerveau féminin avec des glandes génitales masculines, et que, chez eux, c’est la vie cérébrale morbide qui détermine la vie sexuelle, contrairement à l’état normal dans lequel les organes génitaux déterminent les fonctions sexuelles du cerveau.
Un de mes clients m’a exposé une manière de voir très intéressante et qui pourrait être admise pour expliquer l’inversion congénitale primitive. Il prend comme point de départ la bisexualité réelle telle qu’elle se présente anatomiquement chez tout fœtus jusqu’à un certain âge.
On devrait, dit-il, prendre en considération qu’au caractère originairement hermaphrodite des parties congénitales correspond probablement aussi un caractère originairement hermaphrodite avec des germes latents de tous les traits secondaires du sexe, tels que cheveux, barbe, développement des mamelles, etc. L’hypothèse d’un hermaphrodisme latent des traits secondaires du sexe subsistant chez chaque individu pendant toute la vie est justifiée par les phénomènes de régression partielle d’un type sexuel dans l’autre, même après le développement complet du corps, phénomènes qu’on a pu constater chez les castrates, les mujerados, et, à la ménopause, chez les femmes, etc.
La partie cérébrale de l’appareil sexuel, le centre psycho-sexuel masculin ou féminin représente un des traits secondaires les plus importants du sexe ; il est même égal en valeur à l’autre moitié de l’appareil sexuel. Quand il y a développement tout à fait normal de l’individu, les organes génitaux hermaphrodites du fœtus, c’est-à-dire les glandes des germes et des organes de copulation, forment d’abord des organes qui portent le caractère prononcé d’un seul sexe ; ensuite, les traits secondaires du caractère sexuel — physiques et psychiques — subissent la même transition de la conformation hermaphrodite à la conformation monosexuelle (en tout cas, pendant qu’ils sont à l’état latent ; ou bien pendant la vie fétale, simultanément avec les organes de la génération ; ou encore, plus tard, quand ils sont sur le point de sortir de leur état latent). Troisièmement, pendant cette transition, les traits secondaires du caractère sexuel suivent l’évolution opérée sur l’un des deux sexes par les organes génitaux, pour rendre possible le fonctionnement harmonique de la vie sexuelle.
Cette évolution uniforme de tous les traits du caractère sexuel se fait régulièrement, par suite d’une disposition spéciale dans le processus du développement. L’origine et le maintien de cette disposition s’expliquent suffisamment par leur nécessité absolue.
Mais, dans des conditions anormales (dégénérescence héréditaire, etc.), cette harmonie de développement peut être troublée de différentes façons. Non seulement l’évolution des organes génitaux de l’état hermaphrodite vers l’état monosexuel peut faire défaut, mais le même fait peut aussi se produire pour les traits secondaires du caractère sexuel, pour les traits physiques et plus encore pour les traits psychiques. Enfin, l’harmonie du développement de l’appareil sexuel peut être tellement troublée qu’une partie suive l’évolution vers un sexe et l’autre vers le sexe opposé.
Quatre types principaux d’hermaphrodisme sont donc possibles (il y a des types secondaires, comme les hommes à mamelles, les femmes à barbe) : 1º l’hermaphrodisme purement physique des parties génitales avec monosexualité psychique ; 2º l’hermaphrodisme purement psychique, avec parties génitales monosexuelles ; 3º l’hermaphrodisme parfait, physique et intellectuel, avec tout l’appareil sexuel bisexuellement constitué ; 4º l’hermaphrodisme croisé où la partie psychique et la partie physique sont monosexuelles, mais chacune dans un sens opposé à l’autre.
En y regardant de plus près, la première forme physique d’hermaphrodisme peut être considérée comme croisée, car les glandes génitales répondent à un sexe et les parties génitales externes à un sexe opposé.
La deuxième et la quatrième forme d’hermaphrodisme ne sont, au fond, rien autre chose que de l’inversion sexuelle congénitale [6].
La troisième forme paraît être très rare. Cependant, le droit canonique de l’église s’en est occupé ; car il exige de l’hermaphrodite avant son mariage un serment sur la manière dont il se comportera (Voir Phillip, Kirchenrecht, p. 633 de la 7e édit.).
Par appareil génital psychique monosexuel dans un corps monosexuel appartenant un sexe opposé, il ne faut pas comprendre « une âme féminine dans un cerveau masculin » ou vice versa, manière de voir qui serait en contradiction manifeste avec toutes les idées scientifiques. Il ne faudrait pas non plus se figurer qu’un cerveau féminin puisse exister dans un corps masculin, ce qui contredirait tous les faits anatomiques : mais il faut admettre qu’un centre psycho-sexuel féminin peut exister dans un cerveau masculin, et vice versa.
Ce centre psycho-sexuel (dont il est nécessaire de supposer l’existence, ne fût-ce que pour expliquer les phénomènes physiologiques) ne peut être autre chose qu’un point de concentration et d’entrecroisement des nerfs conducteurs qui vont aux appareils moteurs et sensitifs des organes génitaux, mais qui, d’autre part, vont aussi aux centres visuel, olfactif, etc., portant ces phénomènes de conscience qui, dans leur ensemble, forment l’idée d’un être « masculin » ou « féminin ».
Comment pourrions-nous représenter cet appareil génital psychique dans l’état d’hermaphroditisme primitif que nous avons supposé plus haut ? Là aussi, nous devrions admettre que les futures voies conductrices étaient déjà tracées, bien que fort légèrement, ou préparées par le groupement des éléments.
Ces « voies latentes » hermaphrodites sont projetées pour relier les organes de copulation (qui eux-mêmes sont encore à l’état hermaphrodite) avec le siège futur des éléments de représentation des deux sexes. Quand tout l’organisme se développe d’une manière normale, une moitié des ces voies doit plus tard se développer pour devenir capable de fonctionner, tandis que l’autre moitié doit rester à l’état latent ; et, dans ce cas, tout dépend probablement de l’état du point d’entrecroisement que nous avons supposé, comme un centre subcortical intercalé.
Cette hypothèse très compliquée ne contredit pas forcément le fait que le cerveau fœtal n’a pas de structure. Cette absence de structure n’est admise que grâce à l’insuffisance de nos moyens d’investigation actuels. Mais, d’autre part, cette hypothèse repose à son tour sur une supposition bien risquée : elle admet une localisation déjà existante pour des représentations qui n’existent pas encore, en d’autres termes une différenciation quelconque des parties du cerveau qui sont en rapport avec les représentations futures. Nous ne sommes donc pas trop éloignés de la théorie si déconsidérée « des représentations innées ». Mais nous sommes aussi en présence du problème général de tous les instincts, problème qui nous pousse toujours à de semblables hypothèses.
Peut-être s’ouvrira-t-il maintenant une voie par laquelle nous pourrons faire un pas vers la solution de ces problèmes d’hérédité psychique. En nous appuyant sur les connaissances modernes beaucoup plus étendues sur les faits de la génération dans toutes les séries des organismes et sur la connaissance de la connexité de ces faits que la biologie commence à nous donner, nous pourrons jeter un coup d’œil plus profond sur la nature de l’hérédité physique et psychique.
Nous connaissons actuellement le processus de la génération, c’est-à-dire la transformation des individus dans sa manifestation la plus simple. Elle nous montre l’amibe qui se scinde en deux cellules filles qui qualitativement sont identiques à la cellule mère.
Nous voyons, en allant plus loin, le détachement dans le bourgeonnement d’une partie réduite quantitativement, mais identique en qualité avec l’entier.
Le phénomène primitif de toute génération n’est donc pas une reproduction, mais une continuation. Si donc, à mesure que les types deviennent plus grands et plus compliqués, les germes des organismes paraissent, en comparaison de l’organisme-mère, non seulement diminués quantitativement, mais aussi simplifiés qualitativement, morphologiquement et physiologiquement, la conviction que la génération est une continuation et non pas une reproduction nous amène à la supposition générale d’une continuation latente mais ininterrompue de la vie des parents dans leurs descendants. Car, dans l’infiniment petit, il y a place pour tout, et il est aussi faux de se figurer que la réduction du volume progressant à l’infini, déduction qui n’est toujours qu’un rapport comparé à la grandeur du corps de l’être humain qui observe, arrive quelque part à une limite infranchissable pour la différenciation de la matière, qu’il serait erroné de croire que la grandeur illimitée de l’espace de l’univers arrive quelque part à une limite de remplissage avec des formations individualisées. Ce qui me paraît avoir besoin d’être expliqué, c’est plutôt le fait que ce ne sont pas toutes les qualités des parents, soit morphologiques en volume, soit physiologiques avec le mode des mouvements des particules, qui se manifestent spontanément dans la descendance, après le développement du germe. Ce fait, dis-je, a plutôt besoin d’être expliqué que l’hypothèse d’une différenciation héréditaire de la substance du cerveau qui a des relations fixes avec les représentations qui n’ont pas été perçues par l’individu, hypothèse sans laquelle les instincts restent inexplicables.
Magnan (Ann. méd.-psychol., 1885, p. 458) parle très sérieusement d’un cerveau de femme dans un corps d’homme, et vice versa [7].
L’essai d’explication de l’uranisme congénital donné, par exemple, par Ulrichs qui, dans son Memnon, paru en 1868, parle d’une anima muliebris virili corpore inclusa (virili corpori innata), et qui cherche à donner la raison du caractère congénital féminin de sa propre tendance sexuelle anormale, n’est pas plus satisfaisant. La manière de voir du malade de l’observation 124 est très originale. Il est probable, dit-il, que son père, en le procréant, a voulu faire une fille ; mais, au lieu de cela, c’est un garçon qui est venu au monde.
Une des plus étranges explications de l’inversion sexuelle congénitale se trouve dans Mantegazza (op. 1886, p. 106).
D’après cet auteur, il y aurait des anomalies anatomiques chez les invertis, en ce sens que, par une erreur de la nature, les nerfs destinés aux parties génitales se répandraient dans l’intestin, de sorte que c’est de là que part l’excitation voluptueuse, qui, d’habitude, est provoquée par l’excitation des parties génitales. Comment l’auteur, d’habitude si perspicace, s’expliquerait-il alors les cas nombreux où la pédérastie est abhorrée par ces invertis ? La nature ne fait d’ailleurs jamais de pareils soubresauts. Mantegazza invoque, en faveur de son hypothèse, les communications d’un ami, écrivain remarquable, qui lui assurait n’être pas encore bien fixé sur le fait de savoir s’il éprouvait un plus grand plaisir au coït qu’à la défécation !
L’exactitude de cette expérience admise, elle ne prouverait pas que l’homme en question soit sexuellement anormal, et que chez lui la sensation voluptueuse du coït soit réduite au minimum.
On pourrait peut-être expliquer l’inversion congénitale en disant qu’elle représente une particularité spéciale de la descendance, mais ayant pris naissance par voie d’hérédité.
L’atavisme serait le penchant morbide pour son propre sexe, penchant acquis par l’ascendant, et qui se trouverait fixé comme phénomène morbide et congénital chez le descendant. Cette hypothèse est, en somme, admissible, puisque, d’après l’expérience des attributs physiques et moraux acquis, non seulement les qualités, mais aussi et surtout les défectuosités, se transmettent par hérédité. Comme il n’est pas rare que des invertis fassent des enfants, que dans tous les cas ils ne sont pas toujours impuissants (les femmes ne le sont jamais), une hérédité par voie de procréation serait possible.
L’observation 124 dans laquelle la fille d’un inverti, âgée de huit ans, pratique déjà l’onanisme mutuel, — acte sexuel qui, étant donné l’âge, fait supposer une inversion sexuelle, — plaide évidemment en faveur de cette hypothèse.
La communication qui m’a été faite par un inverti de vingt-six ans, classé dans le groupe 3, est non moins significative.
Il sait positivement, dit-il, que son père, mort il y a plusieurs années, a été également atteint d’inversion sexuelle. Il affirme connaître encore beaucoup d’hommes avec lesquels son père avait entretenu « des liaisons ». On n’a pu établir s’il s’agissait chez le père d’une inversion congénitale ou acquise, ni à quel groupe appartenait sa perversion.
L’hypothèse sus-indiquée paraît d’autant plus acceptable que les trois premiers degrés de l’inversion congénitale correspondent parfaitement aux degrés de développement qu’on peut suivre dans la genèse de l’inversion acquise. On se sent donc tenté d’interpréter les divers degrés de l’inversion congénitale comme les divers degrés d’anomalies sexuelles acquises ou développées d’une autre manière chez l’ascendance, et transmises par la procréation à la descendance ; encore, faut-il rappeler, à ce propos, la loi d’hérédité progressante.
D’autres ont, faute de mieux, recours à l’onanisme pour les mêmes raisons multiples qui, souvent, font repousser le coït même par les non-uranistes. Chez les uranistes doués d’un système nerveux originairement irritable, ou qui a été détraqué par l’onanisme (faiblesse irritable du centre d’éjaculation), de simples accolades, des caresses avec ou sans attouchement des parties génitales, suffisent pour provoquer l’éjaculation, et procurer par là une satisfaction sexuelle. Chez des individus moins excitables, l’acte sexuel consiste en manustupration accomplie par la personne aimée, ou en onanisme mutuel, ou en une contrefaçon du coït inter femora. Chez les uranistes de moralité perverse et puissants quoad erectionem, l’impulsion sexuelle est satisfaite par la pédérastie, acte qui répugne aux individus sans défectuosité morale autant qu’aux hommes hétérosexuels. Fait digne d’attention, les uranistes affirment que l’acte sexuel qui leur plaît avec des personnes de leur propre sexe leur procure une grande satisfaction, comme s’ils s’étaient retrempés, tandis que la satisfaction par l’onanisme solitaire ou le coït forcé avec une femme les affecte beaucoup, les rend misérables, et augmente leurs malaises neurasthéniques. La manière dont se satisfont les uranistes féminins est peu connue. Dans une de mes observations personnelles, la fille se masturbait en se sentant dans le rôle d’un homme, et en s’imaginant avoir affaire à une femme aimée. Dans un autre cas, l’acte consistait dans l’onanisation de la personne aimée, à laquelle elle touchait les parties génitales.
Il est difficile d’établir nettement jusqu’à quel degré cette anomalie est répandue [8], car la plupart des individus qui en sont atteints ne sortent que rarement de leur réserve ; et, dans les faits qui viennent devant les tribunaux, on confond l’uraniste par perversion de l’instinct génital avec le pédéraste qui est simplement un immoral.
D’après les études de Casper, de Tardieu, ainsi que d’après les miennes, cette anomalie est probablement plus fréquente que ne le fait supposer le nombre minime des cas observés.
Ulrichs (Kritische Pfeile, 1880, p. 2) prétend qu’en moyenne, pour 200 hommes adultes hétérosexuels, il y a un adulte inverti, un sur 800, et que cette proportion est encore plus grande parmi les Magyares et les Slaves du Sud, affirmations sur lesquelles nous n’insistons pas.
Un des sujets de mes observations personnelles connaît personnellement, dans la commune où il est né (localité de 1,300 habitants), 14 uranistes. Il affirme en connaître au moins 80 dans une ville de 60,000 habitants. Il est à supposer que cet homme, d’ailleurs digne de foi, ne fait pas de différence entre l’homosexualité congénitale et acquise.