Psychanalyse-Paris.com Abréactions Associations : 8, rue de Florence - 75008 Paris | Tél. : 01 45 08 41 10
Accueil > Bibliothèques > Livres > Histoire ancienne de l’Orient > La Tour des langues

Histoire ancienne de l’Orient

La Tour des langues

Traditions parallèles au récit biblique (Chap. II, §6)

Date de mise en ligne : lundi 20 octobre 2008

François Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient jusqu’aux guerres médiques, t. I : Les origines. — Les races et les langues, 9e édition, A. Lévy, Paris, 1881.

§7. — LA TOUR DES LANGUES.

Les traditions parallèles à celles de la Bible, que nous avons jusqu’à présent examinées, avaient un caractère véritablement universel ; elles se retrouvaient dans tous les rameaux supérieurs de l’humanité Noa’hide ; chez les peuples des races et des contrées les plus diverses. Il n’en est plus de même pour celle de la confusion des langues et de la Tour de Babel. Celle-ci a pour théâtre, dans la Bible, les plaines de Schine’ar ou de la Chaldée, et elle est particulière aux habitants de cette contrée ou aux peuples qui en sortirent à une époque historiquement appréciable.

Le récit de la Tour des langues existait dans les plus anciens souvenirs des Chaldéens, et il faisait aussi partie des traditions nationales de l’Arménie, où il était venu des nations civilisées du bassin de l’Euphrate et du Tigre. Mais nous ne trouvons rien de semblable ni dans l’Inde, ni dans l’Iran. Chez les Grecs seuls, nous constatons un trait manifestement parallèle, venu on ne sait par quelle voie, dans la légende des Aloades, que nous avons déjà racontée plus haut (p. 55), en parlant des traditions relatives aux géants. On prétend, en effet, qu’ils ont commencé à élever une tour dont le sommet, dans leur projet, doit atteindre jusqu’au ciel, lorsque les dieux, enfin las de leur arrogance et de leur audace, les foudroient et les précipitent dans le Tartare.

Les extraits de Bérose offrent deux versions, très exactement concordantes entre elles, de l’histoire de la construction de la Tour et de la confusion des langues. Voici d’abord celle d’Abydène : « On raconte que les premiers hommes, enorgueillis outre mesure par leur force et leur haute taille, en vinrent à mépriser les dieux et à se croire supérieurs à eux ; c’est dans cette pensée qu’ils élevèrent une tour d’une prodigieuse hauteur, qui est maintenant Babylone. Déjà elle approchait du ciel, quand les vents vinrent au secours des dieux et bouleversèrent tout l’échafaudage, en le renversant sur les constructeurs. Les ruines en sont appelées Babylone, et les hommes, qui avaient jusqu’alors une seule langue, commencèrent, depuis lors à parler, par l’ordre des dieux, des idiomes différents. » La rédaction d’Alexandre Polyhistor dit : « Lorsque les hommes avaient encore une seule langue, quelques-uns d’entre eux entreprirent de construire une tour immense, afin de monter jusqu’au ciel. Mais la divinité, ayant fait souffler les vents, renversa la tour, bouleversa ces hommes et donna à chacun une langue propre ; d’où la ville fut appelée Babylone. » Parmi les fragments des tablettes cunéiformes provenant de Ninive et conservées au Musée Britannique, on a reconnu un lambeau d’une rédaction originale de ce récit. Il est déplorablement mutilé, mais cependant il en reste encore assez pour qu’on soit bien assuré du sujet, et même pour que l’on puisse constater que cette narration, dans les circonstances les plus essentielles, était en parfaite conformité avec les extraits de Bérose.

Au reste, dans la Genèse, le récit relatif à la Tour de Babel n’a pas seulement la Chaldée pour théâtre ; il porte dans sa rédaction même l’empreinte incontestable et manifeste d’une origine chaldéenne. On y trouve jusqu’à un jeu de mots qui ne peut s’expliquer que par l’analogie des mots zikru, « souvenir, nom, » et zikurat, « tour, pyramide à étages, » dans la langue assyrienne, et dont l’idiome hébraïque ne rendrait compte en aucune façon. Le déchiffrement des inscriptions cunéiformes, en nous faisant connaître le nom indigène de Babel ou Babylone sous sa forme authentique, lui assigne une toute autre étymologie que celle qui semblerait ressortir du texte de la Bible ; c’est Bab-Ilou, « la porte du dieu Ilou. » L’explication par babel, « confusion, » est donc le résultat d’une allitération inspirée par les récits qui s’attachaient à ce lieu. Mais cette explication factice est d’origine chaldéo-babylonienne et non juive ; car le mot babel, sur lequel elle repose, n’appartient pas à l’hébreu ; c’est un vocable de l’idiome sémitique qui se parlait à Babylone et à Ninive.

 [1]

La tradition de la Tour et de la confusion des langues est, du reste, indépendante de cette étymologie et même de toute localisation de ce souvenir à Babylone. L’opinion des Chaldéens paraît avoir varié sur le lieu où les premiers habitants de leur pays avaient élevé ce monument fameux de leur orgueil. Il résulte d’une précieuse glose introduite dans le texte du prophète Yescha’yahou (Isaïe) [2] par la version des Septante et de nombreux passages des anciens Pères de l’Église, qu’une des formes du récit plaçait la Tour des langues dans la ville de la Chaldée méridionale, que la Bible appel Kalneh ou Kalno, et les documents cunéiformes Koul-ounou ; c’était un souvenir des âges reculés où la civilisation de l’Euphrate et du Tigre avait eu pour foyer principal les provinces les plus voisines du golfe Persique, le pays auquel appartient en propre le nom de Schoumer ou Schine’ar. Cette incertitude sur le site de la tour ou de la pyramide à étages, à la construction de laquelle était lié le châtiment divin de la confusion du langage des hommes, prouve que l’on considérait ce monument légendaire comme ayant été totalement renversé par la colère céleste, comme ayant disparu sans laisser de vestiges appréciables. Jusqu’aux premiers siècles chrétiens, en effet, on ne voit nulle part que l’on prétendît, ni à Babylone, ni dans aucune autre ville de la Chaldée, montrer les ruines de la Tour de Babel. Ce sont seulement les docteurs juifs des écoles mésopotamiennes où se forma le Talmud de Babylone, qui eurent l’idée d’en retrouver les restes dans les gigantesques ruines de la pyramide de Borsippa, appelées aujourd’hui Birs-Nimroud. Ce qui les y induisit fut seulement l’impression de désolation et de majestueuse grandeur qu’éveille la vue de cette énorme montagne de décombres, la plus imposante ruine de la contrée de Babylone. Mais en réalité aucune tradition ancienne ne justifiait le nom glorieux dont les docteurs juifs gratifièrent la pyramide de Borsippa. C’était un édifice religieux de date fort ancienne, consacré au dieu Nabou, que Nabou-koudourri-ouçour (Nabuchodonosor), au VIe siècle avant notre ère, trouva en ruines, qu’il restaura et rebâtit en grande partie. Il a consacré des inscriptions pompeuses à léguer à la postérité le souvenir de cette reconstruction ; il y parle des traditions qui se rattachaient à l’origine du monument, mais il ne souffle pas mot de celle de la confusion des langues, dont il n’aurait pas manqué de faire mention si elle y avait été appliquée. C’est donc à tort que beaucoup de modernes ont attaché foi à une prétendue tradition, qui est toute artificielle, de date récente, et ne repose sur rien de sérieux. Le vrai est qu’il faut renoncer à voir dans le Birs-Nimroud ou dans toute autre ruine subsistant aujourd’hui le long du cours inférieur de l’Euphrate, les restes de la Tour de Babel.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de François Lenormant, Histoire ancienne de l’Orient jusqu’aux guerres médiques, t. I : Les origines. — Les races et les langues, 9e édition, A. Lévy, Paris, 1881.

Notes

[1D’après un dessin de M. Thomas, architecte, publié dans l’Expédition en Mésopotamie, de M. Oppert.

[2IX, 10.

Partenaires référencement
Psychanalyste Paris | Psychanalyste Paris 10 | Psychanalyste Argenteuil 95
Annuaire Psychanalyste Paris | Psychanalystes Paris
Avocats en propriété intellectuelle | Avocats paris - Droits d'auteur, droit des marques, droit à l'image et vie privée
Avocats paris - Droit d'auteur, droit des marques et de la création d'entreprise