Quand la langue défaille…
Si les langues des hommes sont indissolublement liées aux progrès accomplis par l’humanité au cours de l’Histoire, il semble possible de s’accorder sur cet autre constat que la dimension de la langue ne demeure pas moins l’objet, à notre époque, de confusions et de réductionnismes dommageables : langue réduite à sa valeur d’outil, langue rabattue sur la dimension de la communication, langue venant se confondre avec l’ordre du langage, voire langue seulement vectrice de revendications groupales et identitaristes... On soulignera encore que notre Culture, actuellement tentée par l’omni-référence de déterminations biologiques, n’est pas sans renforcer les croyances et les fantasmes attachés à la naturalité et à l’innéité des langues.
Aussi, tenter de répondre à la question À quoi sert une langue ?, ainsi qu’à celle de Comment construire une langue ?, ne semble pas pouvoir faire l’économie d’éclairages issus de pratiques et de questionnements prenant leurs sources en des endroits différents, sans quoi la langue, ou ce qui se fait de plus poreux dans une Culture valorisant toujours plus le registre de l’avoir au détriment de l’être, ne saurait éviter de tomber sous le coup d‘escamotages supplémentaires.
Le caractère fondamental d’une langue maternelle – ou langue première –, à même de transmettre l’histoire individuelle des parents, une culture familiale, des affects, peut se trouver éclairé par un détour par ses défaillances, ses ratés, ses aléas. Ainsi, il peut se déduire d’une réflexion sur la prise en soin des enfants déficients auditifs dont les parents sont, dans plus de quatrevingt dix pour cent des cas normo-entendants, et locuteurs de la langue des signes dans une proportion infime. Les enfants déficients auditifs mettent de plus en évidence le besoin de choix clairs et non fluctuants que les adultes doivent opérer pour eux, de même que la nécessité de l’exercice d’une certaine violence symbolique pour venir faire limite au pulsionnel.
C’est dans le défaut de cette dimension que l’on peut aussi, pour une large part, comprendre ce qu’il en est de l’infl ation contemporaine des manifestations de diffi cultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez l’enfant. La construction d’une langue, en tant qu’ensemble de règles complexes partagé par le groupe humain qui la pratique, doit reposer alors sur une coopération de tous les adultes assumant une fonction éducative auprès de l’enfant.
La question de la perte nécessaire à consentir pour, d’une part, entrer dans le langage et, d’autre part, construire une langue rendant possible une pensée permettant de se dégager du réel, nous mène à la problématique de l’autisme, troisième brin de notre questionnement. Loin des réductionnismes qui en limiteraient le développement à un apprentissage cognitif stéréotypé, la langue dans cette pathologie connait des défaillances s’inscrivant au cœur de la relation à l’autre.
Ces trois aspects illustrent une conception du langage faisant fond sur les finalités et les conditions de la construction d’une langue comme fruit d’un investissement libidinal subjectivant, comme actualisation de la fonction langagière, comme manifestation concrète du langage, comme appareil de références symboliques et de puissance créatrice.