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Richard von Krafft-Ebing

Brutalités contre les femmes

Psychopathia Sexualis : III. — Neuro-Psychopathologie générale

Date de mise en ligne : mardi 13 mai 2008

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Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

III
NEURO-PSYCHOPATHOLOGIE GÉNÉRALE

Fréquence et importance des symptômes pathologiques. — Tableau des névroses sexuelles. — Irritation du centre d’érection. — Son atrophie. — Arrêts dans le centre d’érection. — Faiblesse et irritabilité du centre. — Les névroses du centre d’éjaculation. — Névroses cérébrales. — Paradoxie ou instinct sexuel hors de la période normale. — Éveil de l’instinct sexuel dans l’enfance. — Renaissance de cet instinct dans la vieillesse. — Aberration sexuelle chez les vieillards expliquée par l’impuissance et la démence. — Anesthésie sexuelle ou manque d’instinct sexuel. — Anesthésie congénitale ; anesthésie acquise. — Hyperesthésie ou exagération morbide de l’instinct. — Causes et particularités de cette anomalie. — Paresthésie du sens sexuel ou perversion de l’instinct sexuel. — Le sadisme. — Essai d’explication du sadisme. — Assassinat par volupté sadique. — Anthropophagie. — Outrages aux cadavres. — Brutalités contre les femmes ; la manie de les faire saigner ou de les fouetter. — La manie de souiller les femmes. — Sadisme symbolique. — Autres actes de violence contre les femmes. — Sadisme sur des animaux. — Sadisme sur n’importe quel objet. — Les fouetteurs d’enfants. — Le sadisme de la femme. — La Penthésilée de Kleist. — Le masochisme. — Nature et symptômes du masochisme. — Désir d’être brutalisé ou humilié dans le but de satisfaire le sens sexuel. — La flagellation passive dans ses rapports avec le masochisme. — La fréquence du masochisme et ses divers modes. — Masochisme symbolique. — Masochisme d’imagination. — Jean-Jacques Rousseau. — Le masochisme chez les romanciers et dans les écrits scientifiques. — Masochisme déguisé. — Les fétichistes du soulier et du pied. — Masochisme déguisé ou actes malpropres commis dans le but de s’humilier et de se procurer une satisfaction sexuelle. — Masochisme chez la femme. — Essai d’explication du masochisme. — La servitude sexuelle. — Masochisme et sadisme. — Le fétichisme ; explication de son origine. — Cas où le fétiche est une partie du corps féminin. — Le fétichisme de la main. — Les difformités comme fétiches. — Le fétichisme des nattes de cheveux ; les coupeurs de nattes. — Le vêtement de la femme comme fétiche. — Amateurs ou voleurs de mouchoirs de femmes. — Les fétichistes du soulier. — Une étoffe comme fétiche. — Les fétichistes de la fourrure, de la soie et du velours. — L’inversion sexuelle. — Comment on contracte cette disposition. — La névrose comme cause de l’inversion sexuelle acquise. — Degrés de la dégénérescence acquise. — Simple inversion du sens sexuel. — Éviration et défémination. — La folie des Scythes. — Les Mujerados. — Les transitions à la métamorphose sexuelle. — Métamorphose sexuelle paranoïque. — L’inversion sexuelle congénitale. — Diverses formes de cette maladie. — Symptômes généraux. — Essai d’explication de cette maladie. — L’hermaphrodisme psychique. — Homosexuels ou uranistes. —Effémination ou viraginité. — Androgynie et gynandrie. — Autres phénomènes de perversion sexuelle chez les individus atteints d’inversion sexuelle. — Diagnostic, pronostic et thérapeutique de l’inversion sexuelle.

C. — MAUVAIS TRAITEMENTS INFLIGÉS À DES FEMMES (PIQÛRES, FLAGELLATIONS, ETC.)

À la catégorie des assassins par volupté et à celle des nécrophiles qui a beaucoup d’affinités avec la première, il faut joindre celle des individus dégénérés qui éprouvent du charme et du plaisir à blesser la victime de leurs désirs et à voir le sang couler.

Un monstre de ce genre était le fameux marquis de Sade [1], qui a donné son nom à cette tendance à unir la volupté à la cruauté.

Le coït n’avait pour lui de charme que lorsqu’il pouvait faire saigner par des piqûres l’objet de ses désirs. Sa plus grande volupté était de blesser des prostituées nues et de panser ensuite leurs blessures.

Il faut aussi classer dans cette catégorie le cas d’un capitaine dont l’histoire nous est racontée par Brierre de Boismont. Ce capitaine forçait sa maîtresse, avant le coït qu’il faisait très fréquemment, à se poser des sangsues ad pudenda. Finalement cette femme fut atteinte d’une anémie très grave et devint folle.

Le cas suivant, que j’emprunte à ma clientèle, nous montre d’une façon bien caractéristique la connexité qui existe entre la volupté, la cruauté et le penchant à verser, ou à voir couler du sang.

Observation 24. — M. X…, vingt-cinq ans, est né d’un père lunatique, mort de dementia paralytica et d’une mère de constitution hystéro-neurasthénique. C’est un individu faible au physique, de constitution névropathique et portant de nombreux stigmates de dégénérescence anatomique. Étant enfant, il avait déjà des tendances à l’hypocondrie et des obsessions. De plus, son état d’esprit passait de l’exaltation à la dépression. Déjà, à l’âge de dix ans, le malade éprouvait une étrange volupté à voir couler le sang de ses doigts. Voilà pourquoi il se coupait ou se piquait souvent les doigts et éprouvait de ces blessures un bonheur indicible. Alors il se produisit des érections lorsqu’il se blessait, de même lorsqu’il voyait le sang d’autrui, par exemple une bonne qui s’était blessée au doigt. Cela lui causait des sensations d’une volupté particulière. Puis sa vita sexualis s’éveilla de plus en plus. Il se mit à se masturber sans qu’il y fût amené par personne.

Pendant l’acte de la masturbation, il lui revenait des images et des souvenirs de femmes baignées de sang. Maintenant, il ne lui suffisait plus de voir couler son propre sang. Il était avide de la vue du sang de jeunes femmes, surtout de celles qui lui étaient sympathiques. Souvent il pouvait à peine contenir son envie de blesser deux de ses cousines et une femme de chambre. Mais des femmes qui par elles-mêmes ne lui étaient pas sympathiques, provoquaient chez lui ce désir si elles l’impressionnaient par une toilette particulière, par les bijoux et les coraux dont elles étaient parées. Il put résister à ce penchant, mais son imagination était toujours hantée par des idées sanguinaires qui entretenaient en lui des émotions voluptueuses. Il y avait une corrélation intime entre les deux sphères d’idées et de sentiments. Souvent d’autres fantaisies cruelles l’obsédaient. Ainsi, par exemple, il se représentait dans le rôle d’un tyran qui fait mitrailler le peuple. Par une obsession de son imagination, il se dépeignait les scènes qui se passeraient si l’ennemi envahissait une ville, s’il violait, torturait et enlevait les vierges. Dans ses moments de calme, le malade qui était d’ailleurs d’un bon caractère et sans défectuosité éthique, éprouvait une honte et un profond dégoût de pareilles fantaisies, cruelles et voluptueuses. Aussi ce travail d’imagination cessait aussitôt qu’il s’était procuré une satisfaction sexuelle par la masturbation.

Peu d’années suffirent pour rendre le malade neurasthénique. Alors le sang et les scènes sanguinaires évoqués par son imagination, ne suffisaient plus pour arriver à l’éjaculation. Afin de se délivrer de son vice et de ses rêves de cruauté, le malade eut des rapports sexuels avec des femmes.

Le coït n’était possible que lorsque le malade s’imaginait que la fille saignait des doigts. Il ne pouvait avoir d’érection sans avoir présente cette image dans son idée. L’idée cruelle de blesser n’avait alors pour objectif que la main de la femme. Dans les moments de plus grande excitation sexuelle, le seul aspect d’une main de femme sympathique était capable de lui donner les érections les plus violentes.

Effrayé par la lecture d’un ouvrage populaire sur les conséquences funestes de l’onanisme, il s’imposa une abstinence rigoureuse et tomba dans un état grave de neurasthénie générale compliquée d’hypocondrie, tædium vitæ. Grâce à un traitement médical très compliqué et très actif, le malade se rétablit au bout d’un an. Depuis trois ans, il est d’un esprit sain ; il a, comme auparavant, de grands besoins sexuels, mais il n’est hanté que très rarement par ses anciennes idées sanguinaires. X… a tout à fait renoncé à la masturbation. Il trouve de la satisfaction dans la jouissance sexuelle normale ; il est parfaitement puissant et n’a plus besoin d’avoir recours à ses idées sanguinaires.

Quelquefois ces tendances à la volupté cruelle ne se produisent chez des individus tarés qu’épisodiquement et dans certains états exceptionnels déterminés, ainsi que nous le montre le cas suivant, rapporté par Tarnowsky (op. cit., p. 61).

Observation 25. — Z…, médecin, de constitution névropathique, réagissant faiblement contre l’alcool, pratiquant le coït normal dans les circonstances ordinaires, sentait, aussitôt qu’il avait bu du vin, que le simple coït ne satisfaisait plus son libido augmenté par cette boisson. Dans cet état, il était forcé, pour avoir une éjaculation et obtenir le sentiment d’une satisfaction complète, de piquer les nates de la puella, de les couper avec une lancette, de voir le sang et de sentir comment la lame pénètre dans la chair vivante.

Mais la plupart des individus atteints de cette forme de perversion, présentent cette particularité que le charme de la femme ne les excite pas. Déjà dans le premier des cas cités plus haut, l’imagination a dû recourir à l’idée de l’écoulement du sang pour que l’érection puisse se produire.

Le cas suivant a rapport à un homme qui, par suite de la masturbation dès son enfance, a perdu la faculté d’érection, de sorte que, chez, lui, l’acte sadique remplace le coït.

Observation 26. — Le piqueur de filles de Bozen (communiqué par Demme, Buch der Verbrechen, Bd. II, p. 341). En 1829, une enquête judiciaire fut ouverte contre B…, soldat, âgé de trente ans. À différentes époques, et dans plusieurs endroits, il avait blessé avec un couteau ou un canif des filles au derrière, mais de préférence dans la région des parties génitales. Il donna comme mobile de ces attentats un penchant sexuel poussé jusqu’à la frénésie et qui ne trouvait de satisfaction que par l’idée ou le fait de piquer des femmes. Ce penchant l’avait obsédé pendant des journées. Cela troublait ses idées et ce trouble ne cessait que quand il avait répondu par un acte à son penchant. Au moment de piquer, il éprouvait la satisfaction d’un coït accompli, et cette satisfaction était augmentée par l’aspect du sang ruisselant sur son couteau. Dès l’âge de dix ans, l’instinct sexuel se manifesta violemment chez lui. Il se livra tout d’abord à la masturbation et sentit que son corps et son esprit en étaient affaiblis.

Avant de devenir « piqueur de filles », il avait satisfait son instinct sexuel en abusant de petites filles impubères, les masturbant et commettant des actes de sodomie. Peu à peu l’idée lui était venue qu’il éprouverait du plaisir en piquant une belle jeune fille aux parties génitales et en voyant couler le sang le long de son couteau.

Dans ses effets, on a trouvé des imitations d’objets servant au culte, des images obscènes peintes par lui et représentant d’une façon étrange la conception de Marie, « l’idée de Dieu figée » dans le sein de la Sainte Vierge.

Il passait pour un homme bizarre, très irascible, fuyant les hommes, avide de femmes, et morose. On ne constata chez lui aucune trace de honte ni de repentir. Évidemment c’était un individu devenu impuissant par suite d’excès sexuels prématurés, mais que la persistance d’un libido sexualis violent poussait à la perversion sexuelle [2].

Observation 27. — Dans les premières années qui suivirent 1860, la population de Leipzig était terrorisée par un homme qui avait l’habitude d’assaillir, avec un poignard, les jeunes filles dans la rue et de les blesser au bras supérieur. Enfin on réussit à l’arrêter et l’on constata que c’était un sadique qui, au moment où il blessait les filles, avait une éjaculation, et chez qui l’acte de faire une blessure aux filles était un équivalent du coït. (Wharton, A treatise on mental unsoundness, Philadelphia 1873, § 623 [3]).

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Richard von Krafft-Ebing, Études médico-légales : Psychopathia Sexualis. Avec recherche spéciales sur l’inversion sexuelle, Traduit sur la 8e édition allemande par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Éd. Georges Carré, Paris, 1895.

Notes

[1Taxil (op. cit., p. 180) donne des renseignements détaillés sur ce monstre psychosexuel qui, évidemment, a dû présenter un état de satyriasis habituel associé à une paresthesia sexualis.
De Sade était cynique au point de vouloir sérieusement idéaliser sa cruelle sensualité et se faire l’apôtre d’une doctrine fondée sur ce sentiment pervers. Ses menées étaient devenues si scandaleuses (entre autres il invita chez lui une société de dames et de messieurs qu’il mit en rut en leur faisant servir des bonbons de chocolat mélangés de cantharide) qu’on dut l’enfermer dans la maison de santé de Charenton. Pendant la Révolution (1790), il fut remis en liberté. Il écrivit alors des romans ruisselants de volupté et de cruauté. Lorsque Bonaparte devint consul, le marquis de Sade lui fit cadeau de la collection de ses romans, reliés avec luxe. Le consul fit détruire les œuvres du marquis et interner de nouveau l’auteur à Charenton, où celui-ci mourut en 1814, à l’âge de soixante-quatre ans.

[2Voy. Krauss, Psychologie des Verbrechens, 1884, p. 188 ; Dr Hofer, Annalen der Staatsarzneikunde, 6. III. 2 ; Schmidt’s Jahrbücher, Bd 59, p. 94.

[3Les journaux rapportent qu’en décembre 1896 une série d’attentats analogues ont été commis à Mayence. Un garçon, entre quatorze et seize ans, s’approchait des filles et des femmes et leur blessait les jambes avec un instrument aigu. Il fut arrêté et fit l’impression d’un aliéné. On n’a donné aucun détail sur ce cas, probablement de nature sadique.

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