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Alexandre Cullerre

Introduction aux Frontières de la folie

Les frontières de la folie (Introduction)

Date de mise en ligne : lundi 31 mars 2008

Mots-clés :

Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Introduction, Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 5-10.

LES FRONTIÈRES DE LA FOLIE

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INTRODUCTION

Les questions relatives à la Folie sont de celles qui passionnent le plus l’opinion publique de notre temps ; à ce point que la séquestration d’un insensé, pour peu qu’il ait occupé dans le monde une situation en vue, devient un événement gros des conséquences les plus graves : la vie publique est suspendue ; les législateurs, transformés en académiciens, discutent avec vivacité le diagnostic des aliénistes ; les journaux réimpriment le fameux dossier — toujours le même depuis vingt-cinq ou trente ans — des séquestrations arbitraires ; les théâtres jouent des pièces et les feuilletons publient des romans où l’on voit les personnages gênants être subtilement coffrés sous couleur d’aliénation mentale ; enfin de généreux conjurés méditent le sac des maisons de santé pour venger la liberté individuelle outragée.

L’imagination surchauffée par cet amoncellement d’accusations et de diatribes, chacun se demande avec inquiétude si sa propre liberté ne court pas certains risques, jusqu’à ce que, un beau jour, quelque fou méconnu armé d’un revolver de calibre, vienne semer la mort dans les rangs des citoyens paisibles qui circulent sur le boulevard des Italiens. Aussitôt le calme renaît dans les esprits et l’on s’avoue in petto que la folie pourrait bien n’être pas une pure invention de spécialistes en quête d’une clientèle. Mais quelque nouveau scandale retentissant ne tarde pas à ramener tous les doutes, toutes les incertitudes.

D’où vient donc que le public, habituellement si crédule en fait de choses médicales, se montre si sceptique quand il s’agit des maladies mentales ? Ne serait-ce pas un peu parce que la folie qu’on lui présente ne répond presque jamais au portrait qu’il s’en est tracé ?

Car c’est toujours un grand étonnement mêlé de désillusion que ressentent les gens du monde après une visite à une maison d’aliénés. « Où sont les fous ? semblent-ils se dire. La plupart des gens que nous avons vus vont, viennent, parlent, sont habillés comme tout le monde. » Tant ils s’imaginent que chaque habitant de ce séjour doit porter sur lui l’empreinte de la folie, et que le seuil de l’Asile est la limite réelle, tangible de la raison et de la déraison.

Ils en sont encore aux fous de la légende, que leurs lectures leur font entrevoir échevelés et grimaçants à travers les barreaux d’un cabanon dans un lointain ténébreux et horrible. Ils ne se doutent pas des mille et un aspects que peuvent revêtir les troubles de l’esprit. Là où il n’y a qu’une ligne imperceptible aux yeux les plus exercés, ils s’imaginent voir un fossé profond. Ils bondissent d’indignation à la pensée que la science, qui pourtant ne saurait profaner ce qu’elle touche, se croit en état de mesurer la part de folie qui peut se trouver mêlée à la sagesse d’un Socrate ou au génie d’un Pascal.

« On a brûlé Jeanne d’Arc et on l’a expliquée, écrivait récemment un spirituel académicien. Les Anglais en ont fait une martyre et les savants une hystérique. — J’aime mieux les Anglais. » Est-ce que vraiment l’esprit serait ce qu’il y a de plus bête au monde, suivant la remarque d’un autre immortel ? [1] Comme si c’était rabaisser les grands hommes que de rechercher une explication naturelle à leur génie !

Ceux qui ont foi dans la science et que n’aveuglent pas des préjugés surannés trouveront peut-être dans le livre que nous offrons aujourd’hui au public les notions qui leur manquent pour se faire une opinion sur toute ces obscures et émouvantes questions de Psychologie morbide.

En étudiant les Frontières de la folie, nous avons voulu, en effet, analyser avec les plus savants aliénistes, les innombrables désordres de l’esprit et de la sensibilité morale qui procèdent de l’aliénation mentale ou qui y conduisent ; exposer clairement les principes sur lesquels s’appuie la science pour en faire le diagnostic et leur assigner leur véritable place dans la pathologie mentale, et montrer par quel fil conducteur elle se dirige dans ce dédale d’étrangetés et de bizarreries qui paraissent au premier abord si peu susceptibles d’une explication rationnelle.

Pour en rendre la lecture abordable à tous, nous avons réduit à l’indispensable la partie doctrinale de notre travail, insistant surtout sur la partie descriptive, démonstrative ; multipliant les exemples choisis parmi les plus célèbres, empruntés à des observateurs d’une autorité incontestée, tels que Morel, Moreau (de Tours), Trélat, J. Falret, Lasègue, Legrand du Saulle, Dagonet, Magnan, Ball, etc., et puisés pour la plupart dans cet admirable recueil des Annales médico-psychologiques, où, depuis cinquante ans, la science aliéniste française a consigné la plus grosse part de ses observations et de ses travaux.

Enfin, pour donner un spécimen des applications dont sont susceptibles les connaissances que nous y avons exposées, nous avons terminé par quelques considérations sur les rapports de la folie avec la loi et la civilisation. Nous souhaitons que les idées que nous avons défendues dans cette dernière partie de notre étude contribuent à détruire l’injuste préjugé qui fait considérer les maladies de l’esprit comme une sorte de honte qu’on n’avoue pas et que l’on cache avec un soin jaloux.

La folie confirmée est le plus grand des malheurs ; et c’est bien assez. Quant aux formes plus légères de la déséquilibration mentale, elles ont, dans bien des cas, une signification toute différente, à ce point qu’un petit grain de folie équivaut, pour certains esprits, aux meilleurs quartiers de noblesse et que l’on peut dire sans hyperbole que le jour où il n’y aura plus de demi-fous, le monde civilisé périra — non par excès de sagesse, mais par excès de médiocrité.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Introduction, Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 5-10

Notes

[1Jeanne d’Arc et l’académie française. Le Figaro, 13 août 1887.

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