CHAPITRE X
FOLIE ET CIVILISATION
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I
LA FOLIE DANS L’HISTOIRE
La Folie joue dans les destinées du monde un rôle dont bien peu de gens se doutent. Elle est comme la rançon de tout progrès de l’esprit humain. Tant que le cerveau de l’homme demeure dans une inactivité relative et que les admirables facultés qu’il renferme à l’état embryonnaire ou latent ne reçoivent aucune culture, aucun développement, la folie reste absente, comme chez les peuples sauvages. Dès qu’il se développe et se perfectionne par un exercice et un effort soutenus, aidés par la sélection sociale et l’hérédité ; dès que la pensée y pénètre et s’y installe en maîtresse, la folie s’y glisse à sa suite, s’efforçant de fausser et de détruire son oeuvre.
Le cerveau d’un homme civilisé l’emporte en poids de 30 pour 100 sur le cerveau d’un sauvage, et les recherches anthropologiques démontrent que la capacité du crâne d’un Parisien moderne est sensiblement supérieure au volume de celui d’un Parisien d’il y a quelques centaines d’années. Ainsi l’organe de la pensée va se développant à mesure que l’intelligence elle-même se perfectionne, et l’on peut dire justement avec H. Spencer que c’est grâce aux expériences accumulées par d’innombrables générations pensantes et fixées par l’hérédité, que le cerveau d’un enfant de nos jours contient à l’état latent les plus hautes facultés intellectuelles ; que ce n’est qu’à force de progrès capitalisés d’âge en âge que, d’un sauvage qui ne peut compter le nombre de ses doigts et dont le langage est rudimentaire, sortent à la longue les Newton et les Shakespeare.
Mais à mesure qu’il se perfectionne, le cerveau devient plus fragile, plus impressionnable, par conséquent plus accessible aux causes de désorganisation, qu’elles naissent de lui-même, ou proviennent du monde extérieur. Aussi, l’histoire de la folie est-elle l’histoire même de la civilisation. Aussitôt que l’idée religieuse, cette première forme de la pensée, s’éveille chez un peuple, elle enfante les prophètes, les extatiques et les hallucinés, c’est-à-dire des insensés. Aussitôt que l’organisation sociale se complique et que naissent les distinctions, les castes et les dynasties par la sélection des mieux doués, la folie surgit en même temps que le privilège et, par elle, l’élite de la nation ne tarde pas à disparaître après en être devenue le rebut. Aussitôt que les villes se fondent, créant des foyers plus intenses d’activité intellectuelle, on y voit fleurir les talents et les génies, mais en même temps s’y multiplier les fous, suivant une progression parallèle.
Laissons pour un moment de côté les rapports de la folie et du génie que nous étudierons plus loin et bornons-nous, pour l’instant, à l’examen de quelques-uns des côtés du rôle historique de la folie.
La possession des privilèges et du pouvoir semble avoir eu à toutes les époques les plus désastreux effets sur la santé intellectuelle et morale de ceux qui en étaient investis. Mis au-dessus de leurs concitoyens par leur intelligence ou leurs qualités morales supérieures, ils n’ont pas tardé à dégénérer eux-mêmes et à transmettre à leur race le germe d’une dissolution rapide et fatale. N’avoir plus à se contenir, à vaincre ses désirs, à résister à ses passions, à réfréner des mauvais instincts, fait subir, à la longue, aux facultés morales, une désorganisation profonde. La conscience s’endort, la notion du bien et du mal s’efface, les penchants bas se satisfont à l’aise, la personnalité s’exalte, un égoïsme d’autant plus puissant qu’il s’ignore, étouffe tout sentiment généreux. Il en résulte dans les centres nerveux un véritable trouble fonctionnel comparable à celui qui serait causé par une maladie mentale. Si les effets prochains en sont moins graves, les effets éloignés en sont, en revanche, identiques.
Aussi voit-on le vice névropathique sous toutes ses formes : les névroses, la déséquilibration mentale, les anomalies psychiques, le crime, la débauche, les affections cérébrales, les maladies chroniques, les infirmités, les vices de conformation et la stérilité s’abattre successivement sur les races privilégiées et les éteindre avec une rapidité parfois foudroyante.
C’est ainsi que commencent et c’est ainsi que finissent les castes, les aristocraties et les dynasties.
Les aristocraties ne se maintiennent qu’à la condition d’admettre de temps en temps des roturiers dans leur sein. Les Spartiates, qui formaient la noblesse de la Laconie, étaient neuf mille du temps de Lycurgue. Ils étaient, dit le Dr Jacobi, huit mille en 480, six mille en 420, deux mille après Leucres, mille au temps d’Aristote, et du temps de Xénophon, il n’y avait plus que quarante Spartiates, les deux rois, les éphores et le Sénat compris. Sparte périssait faute d’hommes, dit Polybe [1].
L’aristocratie romaine subit le même sort. Pour conserver l’ordre patricien, il fallait fréquemment recourir à des anoblissements en masse ; et le peuple romain lui-même, sorte d’aristocratie inférieure dans l’État, diminuait tellement de nombre qu’il fallut accorder sans cesse à de nouveaux barbares le titre de citoyen romain.
Il en fut de même des aristocraties féodales de l’Europe. Au commencement du XVe siècle, les familles remontant aux croisades étaient devenues très rares. La noblesse s’éteint avec une telle rapidité qu’on a vu certains titres nobiliaires être successivement portés par six, sept, huit familles et même par un plus grand nombre [2].
Plusieurs causes ont été alléguées pour expliquer cet étrange phénomène. On a mis en avant les excès de tout genre auxquels s’abandonnent les classes privilégiées. Mais les excès ne sont le monopole d’aucune classe de la société et leur action nocive devrait être moins forte chez les classes élevées dont les conditions hygiéniques sont meilleures, la mortalité moindre et la vie moyenne plus longue. Au reste, les abus de ce genre sont un effet autant qu’une cause, et les tendances à la débauche et à l’ivrognerie ne sont souvent, en principe, que le résultat d’un vice psychopatique préexistant. On a remarqué, en outre, que les aristocraties non adonnées aux vices dont nous parlons s’éteignaient comme les autres, témoin celle de Sparte, et celle des premiers temps de Rome.
On a aussi invoqué la consanguinité. Divers auteurs ont en effet soutenu que, si les aristocraties disparaissaient en passant par la dégénérescence, la folie et l’imbécillité, la cause en devait être attribuée à l’habitude où elles sont de ne s’allier qu’entre elles. Esquirol explique de cette manière la fréquence de l’aliénation mentale et de son hérédité dans les grandes familles de France et d’Angleterre. On ne saurait évidemment nier l’importance de cette cause, mais il faut remarquer que la consanguinité ne porte en elle-même aucun principe nuisible à la génération, et qu’elle ne produit des effets fâcheux que lorsqu’il existe au préalable chez les consanguins des tares graves et des germes de dégénérescence.
Il semble donc nécessaire d’en revenir à l’explication psychologique et d’attribuer aux influences morales, aux troubles fonctionnels de l’intelligence et de la sensibilité engendrés, par le milieu, et à la transmission par l’hérédité de cet élément de dégénérescence, la disparition rapide et fatale des classes privilégiées.
Ce qui est vrai des classes privilégiées l’est à plus forte raison des familles princières. La dynastie du grand Cyrus finit avec Cambyse, un fou furieux. Alexandre le Grand, malgré son génie — et en cela, comme nous le verrons plus loin, il ne fait pas exception à la règle — était, dit-on, atteint de frigidité et mourut dans un état mental voisin de la folie. Il était si peu maître de ses fureurs qu’il tua toute sa vie, depuis son cousin Amynthas jusqu’à Clitus et Parménion. Arrhidée, son frère, était imbécile. Philippe, son père, joignait à de grands talents des tares psychiques nombreuses : il était perfide, féroce et de moeurs infâmes.
« L’histoire des Séleucides, dynastie royale de Syrie, n’est qu’une longue suite d’excès en tout genre, de débauches, de cruautés, de crime et de folie. Les Lagides égyptiens vont encore plus loin dans la folie et le crime. Jusqu’au petit royaume de Pergame qui se donne le luxe de rois débauchés, cruels et fous [3]. »
La première dynastie des empereurs romains commence par Auguste et finit par Néron, monstre de débauche, parricide et fou, en passant par Caligula, l’épileptique furieux et par Claude, l’imbécile.
Caligula était contrefait, avec un front énorme. Il n’était sain ni d’esprit ni de corps, dit Suétone. Il était épileptique de naissance. Après huit mois de principat, il est atteint de fureur maniaque avec délire des grandeurs. L’histoire de ses épouvantables écarts est assez connue pour que nous n’ayons pas à y insister. En dehors de ses accès de folie, il était excentrique, fantasque, sexuel acharné et astraphobe au point de se cacher sous son lit quand il entendait le tonnerre. Julie, fille d’Auguste, son aïeule, comptait parmi ses enfants un névropathe stérile mort d’une maladie nerveuse, une fille célèbre par ses impudicités et ses débauches, et un imbécile.
Claude était microphale et prognathe, avait une figure repoussante animée de tremblements convulsifs, le bras droit presque paralysé, une démarche chancelante et ridicule. Il avait les accès de rage des idiots, leur gloutonnerie répugnante et leur passion effrénée pour l’acte sexuel. Insensible aux souffrances et avide des spectacles, il avait le plus grand plaisir à assister aux tortures et aux exécutions et à faire égorger au cirque tous les gladiateurs vaincus. Antonia, sa mère, avait eu de très nombreux enfants morts en bas âge, et les trois qu’elle avait sauvés étaient le père de Caligula, une fille débauchée, adultère et empoisonneuse, et l’empereur Claude !
Parmi les dynasties modernes, aucune n’a échappé à la loi fatale de la dégénérescence.
« Plus la position sociale d’une branche de la famille est élevée, fait observer le Dr Jacobi qui a si bien étudié l’histoire biologique et psychologique de la plupart de ces familles, plus rapidement cette branche dégénère, s’abâtardit et finit par la stérilité et les cas de mort prématurée, heureuse encore si elle échappe à la folie et au crime. Aussi voyons-nous continuellement les branches cadettes et bâtardes se substituer aux branches aînées et légitimes et monter au trône à l’extinction de ces dernières. Mais une fois placées dans les mêmes conditions, ces branches parcourent le même cercle de transformations pathologiques, aboutissent au même résultat et quittent la scène de l’histoire en cédant la place à d’autres dynasties, lesquelles, à leur tour, sont fatalement condamnées à descendre encore, et toujours, la pente pathologique. »
Étudions rapidement avec le Dr William W. Ireland [4], l’une des plus glorieuses lignées de l’Europe, la famille royale d’Espagne. Le chef de la première dynastie des rois d’Espagne fut Jean II de Castille, prince d’une intelligence faible et mal équilibrée ; sa femme, Isabelle de Portugal, devint aliénée à la fin de ses jours.
Leur fille Isabelle épousa Ferdinand le Catholique. De leurs enfants, l’un, don Juan, est mort jeune ; un autre, Marie, reine de Portugal, eut un fils qui ne lui survécut que d’un an ; une autre épouse le roi d’Angleterre et a un fils mort au berceau et une fille, Marie Tudor, surnommée à cause de sa férocité l’Hyène du Nord, laquelle mourut sans enfants ; enfin Jeanne, contrefaite, d’une pauvre intelligence, qui mourut folle. Cette dernière, qui avait épousé l’archiduc Philippe d’Autriche, donna le jour à Charles-Quint.
Charles-Quint prouva une fois de plus que la folie et le génie sont proches parents. Il eut une enfance arriérée ; il était bègue et fut épileptique jusqu’à son mariage. D’un caractère peu scrupuleux, en même temps que d’un mysticisme outré, il avait des accès de mélancolie, et mourut l’esprit touché. Il était gourmand, buveur et goutteux dès l’âge de trente ans. Il descendait par son père de Charles le Téméraire, devenu fou à la suite de sa défaite par les Suisses.
Le frère de Charles-Quint, Ferdinand, empereur d’Allemagne, eut un fils mélancolique et un autre, Rodolphe II, connu pour son excentricité et son hypocondrie.
Charles-Quint eut deux bâtards : Don Juan d’Autriche, grand capitaine, mais esprit chimérique et maladif qui ne laissa pas de postérité ; et Marguerite, gouvernante des Pays-Bas, célèbre par son esprit et son courage, mais masculine de goûts et d’allures, aimant la chasse, le vin, et ayant la goutte.
De sa femme légitime, Isabelle de Portugal, il eut Philippe II, fanatique, mélancolique, esprit bizarre, sensuel, libertin, cruel, éminemment névropathique, surnommé le Tigre du Midi, et mort à peu près fou.
Philippe II, quatre fois marié, eut de Marie de Portugal sa cousine, le malheureux don Carlos, contrefait, bossu, le front bas, n’ayant parlé qu’à cinq ans, impuissant et incapable de toute culture intellectuelle. Il mourut à vingt-trois ans, dans la prison où on l’avait relégué. De sa quatrième femme, Anne d’Autriche, sa nièce, Philippe II eut quatre enfants morts en bas âge, et Philippe III, maladif, apathique, sans caractère, incapable.
Philippe IV, fils de ce dernier, était incapable et aussi faible d’intelligence et de caractère que son père. De ses nombreux enfants, la plupart succombèrent en bas âge : l’une, Marie-Thérèse, femme de Louis XIV, était à moitié imbécile. L’autre, Charles II, imbécile, rachitique, épileptique et impuissant, laissa s’éteindre la dynastie dont il était le dernier rejeton.
Et nous n’avons, dans cette énumération, passé en revue que les principaux personnages de cette famille. La liste eut été autrement longue si nous en avions examiné un à un tous les membres.
Nous allons, en nous bornant de même aux principaux personnages, faire d’après le Dr Jacobi une revue rapide de quelques-unes des plus puissantes dynasties d’Europe avant le dix-huitième siècle.
En l’espace de quatre siècles, l’Angleterre use six dynasties de rois, des Plantagenets aux Oranges. Les Lancastres s’éteignent après avoir passé par l’épilepsie avec Henri IV, la folie et l’imbécillité avec Henri VI, la débauche avec Henri V, la mort prématurée et la stérilité avec les autres membres de la famille. Les Yorks disparaissent dans le crime avec Edouard IV et Richard III, tous les deux assassins de leurs familles, ce dernier étant bossu, boiteux et paralysé d’un bras.
Puis viennent les Tudors ; sur les sept enfants d’Henri VII, cinq meurent en bas âge. Henri VIII son fils est un personnage « névropathique, cruel, sanguinaire, lascif et dévot, cupide et prodigue, entêté et versatile » [5]. De ses six mariages il n’eut que trois enfants : Edouard VI, mort à dix-huit ans ; Marie, fanatique, sanguinaire et féroce, l’hyène du Nord ; et Elisabeth, esprit brillant sous certains rapports, mais vain, futile, violent et colérique. Bien que par suite d’une infirmité des organes sexuels, elle dût se condamner à la continence, elle manifestait un érotisme bizarre, se plaisant à allumer les hommes, en étalant à leurs regards la nudité de sa gorge et de son nombril. Elle mourut dans un accès de mélancolie avec stupeur.
Parmi les Stuarts, Jacques Ier est faible d’intelligence, bouffon, pédant, débauché, objet de dérision pour son entourage ; Charles II est inintelligent, ignorant, plongé dans une débauche crapuleuse, atteint d’idiotie morale et d’épilepsie ; il est frappé de folie passagère à la fin de sa vie. Jacques II est imbécile et sexuel ; Charles-Edouard le Prétendant ne put jamais apprendre à lire et mourut fou et paralysé.
La famille de Valois monta au trône de France avec Philippe VI, petit-fils de Philippe le Hardi. Tous ses enfants moururent en bas âge, sauf Philippe d’Orléans, dont la postérité s’éteignit à la deuxième génération, et Jean le Bon dont la descendance nombreuse disparut en grande partie en peu de temps.
Les descendants directs de ce dernier furent Charles le Sage, dont le fils, Charles VI, fut fou. Charles VII, fils du précédent, également fou, mourut de faim par crainte du poison.
Louis XI, fils de Charles VII, est un singulier mélange de grands talents et de tares psychopathiques. Cruel, bizarre, hypocondriaque, superstitieux, obsédé, tremblant devant la mort, il succomba à la suite d’accidents cérébraux répétés. Charles VIII, son fils, fut stérile, et avec lui s’éteignit la branche aînée.
La branche cadette prend le pouvoir avec Louis XII et s’éteint aussitôt.
La branche suivante commence avec François Ier ; les enfants de ce dernier furent : François, dauphin, mort à dix-neuf ans ; Henri II dont le fils, François II, scrofuleux et faible d’esprit, meurt à seize ans ; Charles IX, atteint de contractures et de tics convulsifs, qui meurt fou à vingt-quatre ans, épuisé de débauches ; Henri III, névropathe, efféminé, incestueux et pédéraste mort à trente-sept sans enfants.
Avec Henri IV commence la dynastie des Bourbons. Il eut seize enfants, tant légitimes que bâtards : aucun n’hérita de ses talents. Gaston d’Orléans était traître, lâche, adonné à tous les vices crapuleux. César et Alexandre de Vendôme se livrèrent dès leur enfance aux débauches les plus honteuses. Louis XIII est bègue, faible, impuissant, hypocondriaque, mélancolique, dénué de tout sentiment affectif.
Avec Louis XIV, la race se relève ; mais ce prince laisse une postérité lamentable ; morts nombreuses en bas âge, vices infâmes, excentricités, ivrognerie, maladies cérébrales, imbécillité.
Le grand Dauphin, le seul de ses enfants légitimes qui ait laissé de la postérité, est « absorbé dans sa graisse et dans ses ténèbres », selon Saint-Simon, et semi-imbécile, est frappé d’apoplexie à trente-neuf ans. De ses trois enfants, le duc de Bourgogne, bossu, contrefait, boiteux, prognathe, sexuel, ivrogne, colérique, dévêt et scrupuleux, meurt à vingt-neuf ans ; le duc de Berry, imbécile, succombe a vingt-huit ans ; le duc d’Anjou, qui sous le nom de Philippe V fonde la branche des Bourbons d’Espagne est d’une sensualité bestiale et d’une indolence extrême. Il finit par tomber dans une imbécillité complète, et cède le trône à ses fils, Louis Ier qui meurt à dix-sept ans sans postérité, puis Ferdinand VI, mélancolique, fou, mort sans enfant.
Le duc de Bourgogne, fils du grand Dauphin, eut trois enfants : deux morts au berceau, et Louis XV, encore un sexuel. Ce dernier a six filles, chez qui on trouve la dartre, la scrofule, l’épilepsie, la dépravation et l’inceste, dont l’aînée seule s’est mariée ; et un fils, le Dauphin, mal né, mal conformé, lourd, bizarre, excentrique, demi-fou, demi-imbécile. Marié deux fois, le Dauphin eut neuf enfants dont quatre morts en bas âge. Des cinq autres, Louis XVIII, Clotilde et Elisabeth moururent sans enfants ; Charles X eut deux fils, l’un mort sans postérité, l’autre n’ayant qu’un fils stérile (le comte de Chambord) ; enfin Louis XVI eut deux fils morts jeunes et une fille morte sans enfants.
Quant aux dynasties plus récentes, elles n’échappent pas à la loi fatale, et sur ce point les connaissances du lecteur nous dispenseront d’entrer dans d’inutiles détails.
Si nous poursuivions notre démonstration, nous verrions que ce ne sont pas seulement les familles princières et les races aristocratiques, mais encore les peuples privilégiés qui semblent obéir à la loi fatale de dégénérescence. Il est d’usage, en désignant le groupe des nations qui marchent à la tête de la civilisation, de dire : la vieille Europe. L’Europe n’est peut-être pas encore bien vieille, mais elle est tout au moins dans son âge mûr, et le jour viendra où, comme tout ce qui subit l’évolution de la vie, il lui faudra faire place aux jeunes.