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Psychanalyse, philosophie et poésie

Le Médian : vid-a-vie

Unifier, identifier, intensifier, sacrifier, authentifier, inspirer

Date de mise en ligne : samedi 5 janvier 2008

Auteur : Aurélien MARION

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Le Médian : vid-a-vie.

« […] Si l’on change la fleur qui fane pour la fleur invisible du rien créateur, c’est tout l’objet a qui se transforme en "plus de jouir", en abondance, richesse et créativité. C’est à partir du rien que tout peut bifurquer. » — (Guy Massat)

Unifier : voilà la principale fonction de l’Imaginaire, au niveau conscient. Chez Kant, déjà, il est question d’un entre-deux, nécessaire à l’union d’instances infusionnables. D’abord, au sein même de l’‘analytique transcendantale’, il convient de trouver comment l’entendement peut former la matière ‘esthétique’ qu’est la représentation sensible. La synthèse du conceptuel et de l’objectal n’est possible que par l’unification, de la fonction imaginaire. Cette dernière permet l’esquisse, comme dynamisme représentationnel d’une matière formée. L’opération en question est un ‘schématisme transcendantal’ dans le sens où le schème est condition de possibilité a priori de l’unité « onto-phénoménologique » (Baas). Spatial pour les concepts empiriques (permettant la stase des perceptions -‘représentations accompagnées de sensation’), le schème est d’abord temporel, permettant l’unité de la conscience. Mais ce n’est pas tout : au-delà de la connaissance, l’Imaginaire a une importance primordiale dans la ‘dialectique transcendantale’. Ce sont en effet les Idées, en tant que nouménales (c’est-à-dire inconnaissables) qui rendent possible l’unification phénoménale, ce sont elles qui permettent à la raison d’envisager la ‘Nature’ (ensemble de tous les phénomènes) à partir d’inconditionnés absolus, de points d’origines. Ces ‘foyers imaginaires’ créent de l’illusion transcendantale (‘Schwärmerei’), certes, mais surtout, ils régulent nos connaissances et nos croyances. Dans le premier cas, le médian est nécessaire pour connaître ; dans le second cas, il est nécessaire pour croire. L’entre-deux relie deux instances (le réel et le discursif, en l’occurrence) mais il permet aussi de donner sens face à l’absence de connaissances. À ce niveau-là, le médian ordonne et structure notre « vivant », c’est-à-dire la nécessaire réalité, empreinte de mort dont l’inconscient a besoin pour se « ressourcer ». Il serait tentant de prendre le schème comme métaphore de l’‘objet a’, ou d’en faire des équivalents selon la dimension psychique. Mais l’invention lacanienne n’a ni la même essence, ni la même fonction, ni la même puissance. En fait, s’ils peuvent être superposables, l’‘ob-jet’ a (jaillissement inobjectivable, jet mis en jeu) n’en est pas moins le pivot indispensable à tout psychisme, et donc, à toutes représentations. Seul le langage permet l’entendement (par la discursivité — donc les signifiants — des concepts) et seul le réel permet l’intuition (sensible). Entre les deux, l’Imaginaire synthétise et réalise. Mais ce n’est pas aussi simple. Ainsi, chez Lacan, la ‘dit-mension symbolique’ est le lieu de l’Autre, c’est-à-dire du réseau syntagmatique, forme structurant l’inconscient. Ce « filet langagier » est toujours-déjà ‘barré’ par un manque, les trous du réel. Ici, la structure inconsciente fait bord à l’impossible. Du coup, le Sujet-du-désir, représenté par un signifiant pour un autre, est condamné à errer ‘épithuménalement’ (d’un objet du désir à l’autre, pour reprendre le néologisme de Baas), dans un ‘dis-cours’ (‘discurere’ = courir en tous sens) visant à boucher les trous par l’ob-jet a. Cela montre que dans l’inconscient aussi, l’Imaginaire est nécessaire au Sujet. L’inconditionné absolu est ici la Chose (‘das Ding’ freudiennement ‘lacanisée’), en tant qu’origine réelle du désir et donc de la jouissance. Métaphore du corps de la mère, la Chose est transcendantale dans le sens où elle est condition de possibilité a priori du Sujet. Elle n’est pensable qu’en tant que ‘présence d’une absence’ symbolique, fond du trou inconnaissable mais indispensable. C’est pour cela que l’errance de bords en bords, oscillant toujours et encore entre réel et symbolique, ne peut être suspendue qu’avec un « médian créateur » : l’ob-jet a. Mais il nous faut alors comprendre comment le nœud R-S (réel-symbolique) permet l’avènement de cet ob-jet a, quel est le statut de ce dernier, et, de quelle manière il rend l’Imaginaire possible. Pour cela, un détour par la différence primordiale de la loi avec la morale et donc de la jouissance avec le désir, est intéressant. Chez Kant, la morale dépend de l’injonction a priori de la raison. C’est la ‘volonté bonne’, rationnelle et ‘apathique’ (indépendante de la sensibilité) qui fait du Sujet l’auteur de la loi rationnelle (injonction), l’exécuteur de cette loi (selon l’‘impératif catégorique’, inconditionnel, de non-contradiction) et le sujet de cette loi (assujetti à) en tant qu’être nécessairement sensible. Sade reprend la même logique à la différence qu’il change l’idéal de Bien en idéal de Jouissance. Cet ‘impératif sadien’ (Lacan) a le mérite, non seulement de montrer la limite du rationalisme kantien, mais surtout de cerner l’erreur amalgamant morale et loi. En effet, l’impératif kantien omet la division subjective (due au nœud R-S), origine même de la raison. L’impératif sadien, quant à lui, révèle la primordialité de la jouissance comme fondement de la loi mais éclipse toute morale (et tout désir) derrière le fantasme d’un rapport direct entre Sujet et jouissance, sans médiation imaginaire. C’est ainsi que Lacan peut mettre en exergue que seul l’ob-jet a permet la morale car il cause le désir, à partir de la (loi de la) jouissance. L’impératif dépasse le rationalisme en tant qu’il est inconscient, et dépasse la jouissance en tant qu’il est né d’une ‘plus-value’ de cette dernière. De fait, l’ob-jet a est d’abord un ‘plus-de-jouir’, extimité d’un Sujet à la limite de la jouissance, sans être encore désirant. En fait, c’est le fantasme qu’originera l’ob-jet a pour soutenir le désir, synthétisant alors le réel de la Chose et l’imaginaire de l’épithumène, grâce au symbolique, par le biais du phallus (que métaphorise le ‘poinçon’ du mathème fantasmatique). De son côté, Merleau-Ponty essaye de démêler, par une phénoménologie perceptive, le nœud R-I, c’est-à-dire (en termes merleau-pontyens) le ‘sentant’ du ‘sensible’, pour ainsi revenir à la construction imaginaire antérieure à la distinction du Sujet et de l’objet. C’est d’abord avec son chiasme affirmant que le corps est sensible en tant que Sujet sentant (dans le corps) mais que le corps est sentant en tant que Sujet sensible (dans la ‘chair’). Nous pourrions aussi écrire ce rapport de la réalité du corps (I) au réel du corps (R) qu’éprouve toujours-déjà le Sujet par l’affirmation : « mon cher (chair) corps est à é-corps-cher (chair) ». Cela permet d’illustrer le fait que le croisement/la ‘réversibilité’ du corps et de la chair, donc du réel et de l’imaginaire, n’est autre que l’ob-jet a. Mais le nœud est plus qu’un chiasme, il est un ‘entrelacs’ : insertion du sentant dans le sensible et incorporation du sensible dans le sentant. On peut aussi bien dire, en termes kleiniens, ‘projection’ et ‘introjection’. Double découpe d’une bande de Möbius, « l’entrelacement chiasmique » du corps (I) et de la chair (R) révèlent l’extimité de l’ob-jet a : à la fois au plus intime du corps et au plus extrême de la chair, il permet le nœud, l’union, et, la distinction. De lui partent Sujet et objet, jouissance et désir, être et avoir. Ainsi, le médian n’est pas seulement ce qui relie, mais c’est aussi ce qui distingue.

Identifier : voilà la fonction originaire de l’Imaginaire, au niveau inconscient. Il convient de décrire, ainsi, le processus de création de l’ob-jet a, de construction de l’Imaginaire, et, de transformation du Sujet, afin d’éclairer ce qui rend possible le nœud R-I à partir du nœud R-S. Pour cela, trois axes : la ‘fission’ merleau-pontyenne, sa traduction (et son dépassement) en termes lacaniens, sa réalisation en termes de mythe, de communauté et de liberté, enfin. Ainsi, chez Merleau-Ponty, sensible et sentant ne peuvent advenir que par ‘déhiscence’, c’est-à-dire par une déchirure laissant échapper une distinction. Ici, ce sera fondamentalement le Sujet et l’objet qui seront révélés par la fission, par la ‘réversibilité’ de l’entrelacs chiasmique du corps et de la chair. Si l’on admet, avec Baas, que la chair peut s’assimiler à la Chose (au moins topologiquement), alors la déhiscence pourrait se traduire en une réversibilité du besoin en jouissance (par la demande - symbolique) et donc, à la limite, en un jaillissement du réel (un reste). En fin de compte, l’ob-jet a révélé par la déhiscence n’est possible comme soutien de l’Imaginaire que parce qu’il y a ‘dédoublement’ (Baas) : en-deça, il y a un manque nécessaire, un rien qui rend possible. L’Imaginaire du Sujet, l’appréhension de son corps comme objet, est révélée par l’ob-jet a mais est permise par le plus-de-jouir. Celui-ci permet la construction du médian (forme), celui-là en permet sa créativité (matière). Toutefois, le plus-de-jouir est déjà un ob-jet a (en puissance, en tout cas) car celui-ci est plus générique : le bonus du plus-de-jouir est à la fois déductible et antérieur à l’ob-jet a comme manque, perte ou trace. Si l’ob-jet causant notre désir est toujours lié imaginairement aux orifices pulsionnels, correspondant aux quatre ‘objets partiels’ — sein, excréments, voix et regard — (rapport R-I), le plus-de-jouir, en tant que ‘rien’, est le point d’ouverture originant pulsions, désirs et fantasmes, à partir de l’absence révélée par l’Autre (rapport R-S). La pulsion n’obtient jamais entière satisfaction et l’épithumène n’évanouit pas totalement le désir car la jouissance, en tant qu’interdite, se limite par l’effet d’écran du manque originel : le plus-de-jouir transforme le Sujet-de-la-jouissance en Sujet-du-désir. Il conviendra alors de montrer la fonction primordiale du poinçon (dé-)liant Sujet barré et ob-jet a dans le mathème du fantasme : trace du manque phallique, dans l’identification, puis trace du surplus orgastique, dans l’intensification. Mais pour mieux comprendre la complexité du passage de l’origine à la cause du médian, il est nécessaire de rappeler que le plus-de-jouir, en tant que ‘reste de la perte de la Chose’ est éphémère (car immédiatement transformé en ob-jet a) et même « effet-mère » (car trace de la mère réelle). Le plus-de-jouir permet l’avènement du Sujet-du-désir alors qu’en tant qu’ob-jet a il permet l’ouverture aux objets du désir : il y a d’abord protection (face à la jouissance -R) et création d’un écart (I) entre le trou et le bord, puis il y a déchirement du désir (entre le besoin et la demande) et synthèse de la Chose (R) avec les épithumènes (I). Donc, d’une manière générale, le a de l’ob-jet symbolise le vers (et le commencement) du jaillissement (plus-de-jouir) puis l’union (mais pas la fusion) de l’a priori et de l’a posteriori (‘schème du désir’ dira Baas). On peut aussi bien dire qu’en tournant autour du rien, le reste changera le trou en tour, par déplacement d’R (comme la négativité d’une Psyché transformée en positivité par la tour qui lui parlait !) : mais comment préciser cet air (ère) du changement ? Comment passe-t-on de l’angoisse (peur du rien) au point du désir ? Comment penser le passage du ‘pré-empirique’ à l’Imaginaire, et a fortiori de l’inconscient au conscient ? Si, de Kristeva à Allouch, les réponses diffèrent, il n’en reste pas moins que c’est par la création de l’Imaginaire que le Sujet peut s’identifier. Kristeva divise la phase identificatoire du Sujet désirant en trois stades, sans pour autant résoudre l’énigme désir-jouissance. Allouch en fait de même, mais en permettant d’éclairer ce mystère. En fait, les deux approches sont complémentaires, et, en se chevauchant, créent une diachronie du médian en quatre stades. Kristeva a le mérite de mettre en exergue le stade ‘narcissien’ où le vide « érothanatique » se positive par la tension créée entre le père imaginaire (aimant) et la mère réelle (ce que Kristeva nomme l’‘ab-jet’ — mère abjecte car défaite des besoins par la demande). Ce stade ouvre, comme la déhiscence merleau-pontyenne, l’espace propre du psychisme, distinguant Sujet et objet, temps et espace, être et avoir, et fondamentalement, jouissance et désir. Mais ces distinctions ne sont encore qu’‘en puissance’, dans la mesure où la création du médian n’est encore que structurale. Cette naissance de Psyché, avant qu’elle ne se mette à créer de l’Imaginaire, peut être assimilée à l’avènement de la « nade » (Lacan) dans le sens où l’inconscient, en tant que 0 (R), est l’Un créant le Deux (donc le Trois) par l’écart creusé avec le 1 (S). Ce stade ressemble également à ce que Derrida nomme « différance » dans le sens où ce qui diffère crée la différence (le temps et l’espace se distinguent). Peut-être se rapproche-t-on aussi de la « commissure de l’être » (Baas), comme si les lèvres étaient cette structure permettant à l’être d’advenir, et, de l’« hypostase » lévinassienne de l’« il-y-a » en un ‘hic et nunc’ succédant au néant, mais alors juste avant que le ‘je’ ne prenne véritablement possession de l’être. Enfin, force est de constater que ce stade est un éveil (un peu comme le « Satori » zen mais de manière moins achevée, comme une conscience apparaissante). La ‘parousie’ babélienne où les bords (S) et les trous (R) étaient dans un non-rapport, le langage ne parvenant pas à recouvrir l’impossible, se déchire sur une distance ‘tentant’ d’identifier Sujet et objets. Le deuxième stade est le fameux « stade du miroir » lacanien où se fonde le ‘corps propre’ et la ‘conscience’ narcissique, à partir d’un ‘Moi idéal’ (I) désigné par l’‘Idéal du Moi’ (S), dans un ‘trait unaire’. Ici apparaît le corps ‘sentant’, par incorporation de l’« organe du langage » (Lacan). En fait, le chiasme merleau-pontyen dépend de la réussite de ce stade alors que l’entrelacs est permit par l’ouverture du stade précédent. Mais il y a à ce stade une perte fondamentale, un manque primordial : le phallus (encore imaginaire) fait trou, il est ce rien d’où va découler toute la suite (Allouch). Kristeva clôt classiquement la phase identificatoire du Sujet désirant par l’essentiel stade ‘œdipien’ où l’enfant va distinguer la jouissance du désir, la loi de la Loi et l’interdit de l’impossible. En effet, la jouissance de la mère imaginaire commandée par le Nom-du-Père (S) interdit la jouissance de la Chose (forcément unique), créant une perte, par la répétition. Cette loi de la jouissance instaure le phallus comme signifiant et crée un reste qui deviendra cause du désir, la Loi supplantant alors la loi. Mais le désir de la Chose étant impossible, le reste sera ob-jet a comme « trace de la trace », permettant la synthèse fantasmatique. Ainsi, l’ob-jet a dépend du plus-de-jouir, trace permettant à Allouch d’expliquer le passage du Sujet-du-désir au Sujet-de-la-jouissance.

Intensifier : voilà la fonction de l’Imaginaire, permettant à l’inconscient de se nourrir du conscient pour que le désir puisse devenir plaisir. C’est ce qu’Allouch articule en trois stades, ignorant le narcissien (le ‘pré-psychique’ étant déjà admis) mais y ajoutant celui de la puberté. Le médian s’est construit, identifiant le Sujet : ce n’est qu’alors qu’il déploiera toute sa puissance créatrice. Pourtant, l’origine d’une ‘intensification du plaisir’ remonte à la présence de l’absence, celle du phallus, lors de l’expérience du miroir. C’est à partir de ce trou dans l’Imaginaire que le phallus n’aura de cesse d’influer sur l’ob-jet a. C’est encore le phallus qui est condition de l’antéros, disparité fondant le ‘non-rapport sexuel’ et permettant la réversibilité merleau-pontyenne. « Élision du réel », le blanc de la jouissance phallique est ce qui permet l’identification imaginaire en ‘Moi idéal’. Le phallus est alors le potentiel ‘point d’assentiment’, trace de la jouissance de la Chose en tant qu’interdite, il fait tenir le niveau fantomatique de l’Imaginaire, celui qui erre toujours-déjà en-deça du désir. Il a une teneur mortifère (comme le fantôme) car il est soutenu par le Symbolique, du fait du trait unaire. Ainsi, la version ‘antérotique’ du ‘stade du miroir’ allouchien prend en compte l’ob-jet a : il est ce qui permettra au Sujet de ne pas oublier que la construction imaginaire dépend d’abord du phallus, il est la trace de la perte de jouissance, il est clé de voûte du fantasme, permettant, lors du dernier stade, celui de la puberté, de passer du ‘tu’ moïque au ‘je’ érotique. En fait, c’est la répétition de la jouissance (au niveau su stade œdipien) qui génère le plus-de-jouir à partir de l’écart (I) créé par une perte d’intensité comme « suppléance de l’interdit de la jouissance phallique » (Lacan). C’est le point de déhiscence d’où le plus-de-jouir jouera sur l’ob-jet a comme reste du désir impossible. Les quatre objets partiels découlent de la séparation du Sujet à la Chose alors que le plus-de-jouir, en tant que « -Phi de a » (ob-jet a entaché de l’absence du phallus, sommet du graphe de l’‘Amourir’ — Lacan), découle de la ‘sépartition’ (idem). Ici, on comprend bien que le ‘lieu de l’Autre’, celui de l’angoisse, est nécessaire au ‘point du désir’, celui de la synthèse érotique. Ainsi, la demande orgastique, le passage du Sujet-du-désir au Sujet-de-la-jouissance : le stade pubertaire (dernier stade identificatoire du Sujet), est toujours liée à l’angoisse castratrice du niveau fantomatique de l’Imaginaire. Mais ce que permet justement ce niveau, c’est l’intensification du plaisir, par le fantasme. En effet, le mathème de ce dernier dépend du poinçon qui est le phallus en tant que limite à la jouissance mais aussi en tant que puissance créatrice, en tant que rien permettant le « changement d’ob-jet a » (Allouch). Le plus-de-jouir (comme rapport du poinçon à l’a) permet le passage du niveau fantomatique au niveau fantasmatique, en nourrissant l’Imaginaire, en l’enrichissant, en y mettant du jeu. Celui-ci n’est pas seulement « ludico-fantasmatique » ou « érotico-initiatique », il est aussi (surtout ?), la mobilité symbolique, l’écart créé par le langage de la jouissance, les signifiants du non-rapport sexuel (S-R). Pornographique ou non, quand le discours touche à ce qui l’origine, il intensifie le plaisir en créant le jeu du plus-de-jouir. La recherche de l’origine phallique, lors de la puberté, est ce qui permet de faire advenir le plus-de-jouir comme puissance ‘aléthique’ du phallus (à opposer au ‘léthé’ de l’oubli), celui-ci pouvant alors créer du jeu, par l’intensification de l’Imaginaire (fantasme), par changement d’ob-jet a et par initiation érotique. En fait, c’est le rapport du Réel au Symbolique qui a pu construire le médian, le rendant identificatoire alors que c’est le retour du Symbolique au Réel qui permet d’instruire le médian (grâce au plus-de-jouir), le rendant « intensificatoire ». De fait, « le fantasme est ce par quoi le désir condescend au plaisir » (Lacan), dans le sens où le Sujet désirant peut jouir grâce au jeu d’un médian toujours en mouvement. La mythologie renchérit : née d’un inceste (‘non-castus’= non pur, sale), Aphrodite est à l’origine de la castration (par le Temps, ‘Cronos’) de son père (fils de sa mère, la terre), le ciel. « La castration dans l’inconscient, c’est la capacité de séparer et d’unifier, c’est ce par quoi on devient créatif, sans tache et sans souillure, déculpabilisé et serein. C’est la puissance de la parole qui engendre la satisfaction et la richesse. » (Massat) : voilà le parcours phallique magnifiquement résumé ! C’est pourquoi Aphrodite est une allégorie de l’Imaginaire. Retour au mythe : Aphrodite naquit de la mousse ‘spermatique’ recouvrant la mer (où le sexe du Ciel, tranché, tomba). « Aphros signifie écume. L’écume c’est de la mousse et la mousse est une forme figurée de la richesse. » (Massat) : cette écume est l’Imaginaire permis par l’absence originaire de phallus, elle est la richesse fantasmatique permise par l’ob-jet a en plus-de-jouir, elle est la puissance d’apparaître, aphrodisiaque. Cette Beauté fascinante est « l’agonie qu’exige de nous la Chose pour qu’on la rejoigne » (Lacan), c’est-à-dire le Réel qui rappelle le Symbolique à lui. Si l’Aphros métaphorise le poinçon du fantasme, c’est parce que le fantasme est toujours vaporeux, comme de la mousse rendant le désir indistinct, mais intensifiant le plaisir. Cependant, Aphrodite sera jalouse de Psyché car seule cette dernière a le pouvoir de modifier l’Imaginaire, de créer un changement d’ob-jet a (le phallus dépend de l’Autre et non l’inverse). On comprend, ici, que le stade narcissien correspond à l’union incestueuse du ciel et de la terre, d’une part, et à la naissance de Psyché (comme transformation du monde), d’autre part ; le stade du miroir s’illustre par la naissance d’Aphrodite ; le stade œdipien est celui de la jalousie d’Aphrodite envers le succès de Psyché. Le stade pubertaire, enfin, est celui de l’amour d’Eros et de Psyché : nœud du réel et du symbolique, cet amour engendrera la possibilité, grâce à l’union finale à Aphrodite, déclarée par Zeus (formule canonique du plus-de-jouir), du passage du Sujet-du-désir au Sujet-de-la-jouissance, par intensification du plaisir : c’est la naissance de Volupté. Mais la puissance de l’ob-jet a ne s’arrête pas au désir, et encore moins à l’inconscient. Ainsi, Allouch montre qu’en épargnant le ‘sacrifice de soi’ (satisfaction érotique stoppée par le fantasme), l’ob-jet cause-du-désir en tant que ‘bout de soi’ fonde un ‘trésor commun’ à tous. Dès lors, chacun fantasme de retrouver son bout mais il est impossible de le distinguer parmi les autres, d’où la fondation d’une communauté sur le non-partage, sur un sacrifice épargné (du soi) mais un sacrifice réalisé (du manque). C’est ainsi que la jouissance permet la communauté, qui elle-même, par le changement d’ob-jet a, permet la jouissance. « Le plus-de-jouir est toujours là, il s’agit de savoir pour qui » (Lacan) : créateur, joint jouissance/désir, mais aussi inconscient/conscient, et ainsi, pour revenir à Kant, commencement de la liberté. En effet, après avoir vu que c’est ce rien qui manquait à la morale kantienne, nous le retrouvons pourtant sous-jacent à la volonté rationnelle : l’effet de la volonté libre ‘commence dans la série des phénomènes’ (Kant), donc dans le temps (conscient, I), mais la décision ne peut qu’être atemporelle (inconscient, R). Or, pour comprendre cette origine ‘inconditionnée’ de la liberté, il convient de s’apercevoir que le pouvoir de la raison dépend du passage du ‘nouménal’ au ‘phénoménal’, de l’inconnaissable à la réalité : ce passage ne peut qu’être ouvert par ce ‘bout de soi’, jamais identifié mais permettant la liberté de chacun, dans une communauté, d’où une morale basée sur le respect du rien. Cette idée de liberté (comme toutes ‘Idées’), est ainsi, en tant que foyer imaginaire unifiant le conscient, ce qui donne sens à l’absence de connaissance, c’est-à-dire la trace consciente de la trace inconsciente d’un manque, et donc aussi limite imaginaire : le schème de l’ob-jet a, l’esquisse de la fleur du rien, l’Un du signifiant, le ‘Ptyx’, « Aboli bibelot d’inanité sonore » (Mallarmé). En tant qu’origine de l’Imaginaire, le médian est ce qui identifie (grâce au plus-de-jouir -RSI), en tant qu’action de l’Imaginaire, le médian est ce qui intensifie (grâce à l’ob-jet a — SRI), en tant qu’évanouissement de l’Imaginaire dans le conscient mortifère, le médian est ce qui unifie (grâce à l’Idée -RIS). Pour qu’au final, l’inconscient ait, comme le dit Guy Massat, « plus de vie ».

« Nous les parlants (les séparés), nous appelons âme notre distance au monde et le désir de la combler. Âme est le nom du rien ouvert entre le monde et nous, l’aura in-signifiante des choses infusée dans la langue et la hantant d’une vacuité imprenable par le sens. » (Christian Prigent).

Sacrifier : le meurtre de la Mère, et au-delà, de la langue maternelle (puis sociale/institutionnelle/communicationnelle), est un choix nécessaire que seul l’Imaginaire ‘père-met’. Ce refus volontaire de l’habituel non-rapport entre le Réel et le Symbolique est la condition sine qua non de la liberté, et a fortiori, de l’Art. Sacrifier la Mère est un choix psychotique, c’est-à-dire une ‘extrémisation’ de l’entrelacement du Symbolique à l’Imaginaire, créant/soulignant un vide, porté par « ce qui fait tenir » (Prigent) : l’ob-jet a. Ainsi, le passage de l’atemporel à la décision — au choix — n’est possible que par la bifurcation langagière (du R-S au S-R), elle-même permise par la médiation du plus-de-jouir. Faire Art revient à dépasser la mère symbolique (l’‘outre-mère’, dira J.-L. Nancy) tout en agissant (dans le langage) toujours déjà en rapport à elle. Les deux premiers stades de la phase identificatoire (construction des espaces propres au psychisme puis au corps) sont (au moins symboliquement) transformés par le choix du père (I) face au « pire » (Lacan) dans un nouveau rapport au monde, celui exprimant notre liberté (asociale). Nous prenons ici à témoin nombres de grands écrivains ayant écrits ‘contre’ leur Mère (Joyce, Lautréamont, Hölderlin, Rimbaud, Prigent etc. : les exemples ne manquent pas !) afin de s’étranger (« Étrangez-vous à vous-mêmes » conseillait encore récemment Kristeva à certaines femmes) narcissiquement dans une ‘boule de langue’ enroulant le Symbolique dans l’Imaginaire. Il s’agit, après la séparation réelle (la naissance) d’un second divorce (une renaissance) : la première prise de distance vis-à-vis de la mère avait, par la mise au monde, créer un médian imaginaire ayant (principalement) pour double fonction de nous protéger (du monde) en adoucissant le Réel (en régulant la conscience) et de nous identifier (au monde) en soutenant le désir, et même en nous permettant de ‘plaisirer’ (Lacan), c’est-à-dire de passer du Sujet-du-désir au Sujet-de-la-jouissance ; le sacrifice de la mère symbolique remet perpétuellement en question ces actions dans le « Has-Art » (« Le hasard aime l’art, l’art aime le hasard » disait déjà Aristote) de l’angoisse puis du Sublime. Mais ‘ex-céder la langue maternelle’ (Prigent) met avant tout l’écriture en question — et ainsi le rapport de l’écrit au langage — car le mur du symbolique tend à nous séparer du monde. Que se passe-t-il donc entre notre être-au-monde et notre être ‘parlé’ (Lacan) ? Ce rapport du Symbolique à l’Imaginaire est en fait subordonné à l’Âme, instance dérivant de notre « être-là » (Martin Heidegger). En effet, nous admettons, avec Prigent, que ce qui anime (‘Âme’ vient du grec « anemos », puis du latin « anima ») l’espace nous séparant du monde tout en nous y réduisant (cet espace de rapport R-I si bien décrit par Merleau-Ponty, cf. plus haut) — notre finitude mais notre possible liberté — est (justement) l’Âme, c’est-à-dire un vide dévoilé par l’ob-jet a. « Rien n’est nommé, rien n’est aimé et rien n’est animé que par le vide » (Valère Novarina) : le problème est que, justement, cette vacuité est continuellement coupée par un rien l’aliénant au mur langagier, celui séparant nécessairement l’Inconscient du conscient. De fait, comme nous l’avons vu précédemment, l’ob-jet a ne peut être animé qu’en tant que plus-de-jouir, et c’est justement celui-ci qui soutient le mur nous séparant tout en conditionnant notre passage de l’état psychotique à l’état artistique, par la liberté. Transparent (c’est-à-dire — avec Baas — ‘condition de l’apparaître des phénomènes’ ; mais aussi, éveil « kenshique » de l’Âme — tradition extrême-orientale), ce mur est l’ « animêtre » (ce qui permet à notre rapport au monde de toujours déjà devenir) qui rend possible la lettre — par le trait unaire — en oblitérant le semblant comme « os du langage » (Lacan). Développons : si l’esprit — comme le rappelle Novarina — repose sur la même racine que la respiration/le souffle (le grec « pneuma », en l’occurrence), alors, il est ce qui permet de réaliser la vie du corps, contrairement à l’âme qui serait à comprendre comme réalisation de la vie psychique (peut-être est-ce justement comme cela qu’il faut entendre l’‘entéléchie seconde’ dont parle Aristote) ; cette différence nous ramène à la différance du narcissien au narcissique. L’âme n’est ainsi que l’avatar du vide permis par le rapport du père aimant (I) à la mère réelle (‘ab-jet’) et le mur est la trace laissée par le trait unaire et développée par le plus-de-jouir (lui-même issu du phallus imaginaire, trou dans le miroir). Comme « objet métonymique du manque à être » (Lacan) — donc du désir —, l’ob-jet a soutient l’âme fantasmatiquement alors que le plus-de-jouir fonde fantomatiquement le mur du préconscient permettant à l’ob-jet a de devenir « objet métaphorique de l’amour » (Kristeva), en cristallisant le fantasme. Nous comprenons ainsi que le rapport S-I interfère nécessairement avec le rapport R-I, car la liberté permettant la création artistique s’appuie sur l’écrit (donc le mur) et l’être-au-monde (donc l’âme). Cela éclaire alors la nécessité de « ne pas céder sur son désir », c’est-à-dire de refuser l’emprise symbolique de la Mère, d’abord en s’appuyant sur le père aimant, ensuite, en sacrifiant cette Mère (S) pour un Nom-du-Père étranger (et pour qu’il ne reste que la Mère imaginaire voilant, évanouissant la Chose -R) : d’une part, « irriter » (Prigent), d’autre part, « en sortir par le dedans » (idem), c’est-à-dire provoquer la Mère (S) en l’artificialisant — en faisant art, d’où la nécessité du mur à traverser contre (donc avec) elle — (danger du passage ‘borderline’ : de l’aliénation psychotique à l’excès névrotique) et ainsi prendre conscience de notre « être-à-la-mort » (Heidegger) en euthanasiant notre ‘être-à-la-mère’. Quand il y a un ‘homme à la mer(e)’, la meilleure chose à faire est de lui donner un ‘re-père’ : ainsi, l’écrit père-met d’être ‘non-dupe’ que l’âme erre. De fait, l’amer doit veiller à ce que le « non-dupe erre » (Lacan) et si « l’écrit n’est pas à comprendre » (idem), c’est aussi pour tuer la Mère (et ainsi redevenir dupe !). Perpétuer ce sacrifice est à chercher, comme le dit Lacan, dans la traversée de l’Achéron (fleuve de la mort), pour subir une ‘métempsychose’ (réincarnation) — donc, « met en psychose » comme le fait remarquer Massat —, celle qui, du rapport du mur (S) à l’âme (I), angoisse. Contre la culpabilité, la ‘peur du/de rien’ (définition de l’angoisse, commune à la psychanalyse et à la philosophie) doit se changer en acceptation de notre mortalité, c’est-à-dire en prise de conscience (en aperception ?) de notre liberté (d’où le passage par le préconscient du mur, mais nous y reviendrons). Ainsi, le fameux « nique ta mère ! » est à comprendre comme symptôme (jet de réel) de l’ « opacité carcérale » (Prigent) que les jeunes ‘en difficulté’ cherchent à briser : ‘niquer’, c’est à la fois baiser et tuer. Sacrifier l’aspect communicationnel/social en faisant art (‘tuer’) et jouir de ce meurtre (‘baiser’) : cela ne traduit rien d’autre que le besoin d’une liberté, au-delà de tout problème adolescent (cf. passage du Sujet-du-désir au Sujet-de-la-jouissance). En outre, si le ‘mur du vide’ (préconscient) permet la lettre, c’est encore insuffisant pour ‘faire art’ : il y faut aussi la parole (ce qui fait jouir) et donc l’âme. Il devient, de fait, évident que notre liberté de ‘parlêtre’ dépend du passage de l’inconscient au conscient, et donc, du rapport matricide que notre langage (S) entretient avec le monde (I). Tuer la mère en se libérant artistiquement et pouvoir en jouir en animant notre être-au-monde : voilà l’étrange « art-mur » nous protégeant à la fois d’un Autre déifié (comme une Madone) et d’un vide aliénant (dans le règne de l’image).

Authentifier : comprendre l’impact de l’imaginaire pour arriver à une réduction dialogique et diachronique. L’âme met en évidence les trois compréhensions du Temps ; le mur souligne l’intrication des trois niveaux de langage : il s’agit alors de revenir à ce qui est propre à chacun de ces aspects pour pouvoir transformer librement notre Imaginaire. Nous allons envisager le rapport du temps au langage (donc, foncièrement S-I) en trois étapes : la construction du mur, sa traversée et son action sur l’âme (en même temps que celle de cette dernière). La genèse du mur est purement symbolique, c’est-à-dire langagière, et donc au lieu de l’Autre. L’inconscient est structuré par le réseau de signifiants — induisant la fission du (des) ‘Signifiant(s)-Maître(s)’, de l’essaim/S1, parmi les autres, hors du chaos (R) — bordant le vide (R-S). Le réseau syntagmatique engendre des signifiés, au niveau conscient, leur rapport créant de la signification et leur écart donnant lieu au sens. Seulement, tout discours (sauf celui de l’inconscient, justement) s’appuie sur du semblant, c’est-à-dire que la formation d’un mur symbolique répond à la nécessité de communiquer. Quand un signifiant écrase un signifié — la barre du réel les séparant s’évanouit alors —, plus aucun sens ne peut passer et la signification devient tautologique. Il convient alors de parler de « sens blanc » (Lacan), donc de semblant originant le discours. La barre d’un réel éclipsé représente en fait le plus-de-jouir là pour soutenir le semblant, et ainsi créer un mur de vide, mais un mur obligatoire à toute vie sociale (et à toute liberté, en fait). Nous comprenons, dès lors, que « le meurtre de la mère c’est le signifiant en tant qu’il ne reste que 0, autrement dit 0-reste » (Massat). En effet, l’exemple d’Oreste tuant sa mère (Clytemnestre) est sans doute le meilleur pour montrer à quel point la réduction à l’authenticité du discours inconscient est nécessaire à la liberté (artistique), d’autant qu’Oreste a été inspiré par sa sœur Electre (lumière allant au-delà de l’Imaginaire). Ce mur, il faudra donc le traverser pour repartir du non-sens, et ainsi faire art (du R-S au S-R). Mais ce mur est d’abord un médian rendant compte du passage de l’inconscient au conscient, c’est pourquoi il est celui du langage préconscient. Pour bien saisir sa portée, il est aussi intéressant de prendre pour références le mur des quantas de Max Planck -cette limite de la logique à partir de laquelle la contradiction et l’équivoque sont inévitables (car le vide s’altère nécessairement)- et le « Pi-Kouan » de Bodhidharma -ce mur du vide lui ayant permis de fonder le bouddhisme ‘zen’-. Là où ça se complique, c’est lors de la création de l’écrit, visant la traversée du mur en faisant os au langage. Certes, le semblant, révélé par l’unique substance possible, la jouissance (soutenu par le plus-de-jouir, en l’occurrence), permet de faire tenir l’écrit. Mais pour comprendre le passage du signifiant à la lettre, il nous faut revenir au trait unaire — dérivé de la théorie du moine Shitao, de ‘l’unique trait de pinceau’ —. À l’origine, ce trait vient de l’Autre, créant l’Idéal du Moi ; ici, alors que le phallus imaginaire du ‘Stade du miroir’ est devenu ce qui fonde l’écrit, le trait unaire devient pouvoir de vie/de mort dans le langage, c’est-à-dire origine de l’écrit par la lettre inscrivant le non-rapport du réel au symbolique, préconsciemment, dans le son. Faire art, c’est avant tout, effacer le silence du signifiant par le souffle d’une solitude : celle du non-savoir. De fait, l’écrit reste inerte (mort et donc incapable de libérer) si la parole — par le souffle transformant le signifiant en son — n’est pas là pour renvoyer à la jouissance (ici, le préconscient, celui du son avant tout, est le médian permettant le passage du R-S au S-R) : « là où ça parle, ça jouit, et ça sait rien ». L’écrit ‘n’est pas à comprendre’ car il est à dire et à entendre, donc à jouir : cette jouissance est celle qui évanouit l’angoisse de la finitude et ainsi témoigne de notre liberté (de la traversée du mur, du meurtre de la mère). Entre le signifiant et le ‘savoir’ (dépendant du sens), il y a ce passage du vide à la vie permise par la sublimation, c’est-à-dire ce qui désexualise l’angoisse en art — qui se trouve juste en-deça (sub-) de la limite imaginaire-, puis, rendue possible par la voix, cette dernière incitant à jouir d’un non-savoir agissant sur l’âme (devenant ainsi « jouis-sens » -Lacan) : « qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (idem) -le passage du signifiant au son (grâce au souffle) reste oublié (léthé) derrière la révélation de la voix, son ‘mi-dire’ de la vérité (aléthèia). C’est la voix qui donne sens à la sublimation, à la traversée du mur : c’est elle qui nous libère, nous livrant à l’âme et donc à l’imaginaire. Ainsi, alors que la lettre transforme le signifiant sur le mur du semblant et que le souffle en fait jaillir un son pour donner vie au vide permettant à l’être de devenir au monde par l’âme (passage de l’inconscient au préconscient), la voix tue/libère en produisant l’essence de la conscience qu’est le sens, toujours déjà représentationnel. L’être du Sujet est alors désigné dans le temps, par l’articulation d’un savoir questionnant l’inconscient, par le préconscient. En effet, l’âme se soutient temporellement, entre la trivalence canonique ‘passé-présent-avenir’ et le flux générateur du temps préconscient. Nonobstant le temps quantitatif (année, jour, heure etc.) -dérivé d’une objectivation purement fonctionnelle-, il s’agit de comprendre les rapports du temps représentationnel comme contenu de conscience (confondant « la perception de la durée et la durée de la perception »-Françoise Dastur — à cause d’un rapport Sujet-objet non effacé et d’un sens — temps linéaire- instantanéisant/ponctualisant le temps) — celui des (res)souvenirs, des projets et du présent évanouissant- au temps imaginaire comme forme continue (structurant la conscience, ce niveau temporel est celui décrit par Edmund Husserl comme « intentionnalité longitudinale », dans la croissance perpétuelle ‘préobjectale’, enroulant « rétention, impression et protension » -idem- immuablement). Mais en prenant pour exemple le son, où chaque instant re-structure le temps à chaque instant, Husserl décrit un temps ‘autoconstitutif’, c’est-à-dire soumis à une altération itérative de la présence à l’absence du présent, sans prendre en compte les aléas du hasard : c’est pourquoi ce temps est justement préconscient, nécessaire à l’animation de l’Imaginaire (et au passage libertaire de l’inconscient au conscient) mais occultant l’advenir du présent au futur antérieur par la « tuchê » (Aristote) du pur devenir. Ce temps husserlien peut être compris comme ‘destin de l’âme’ mais ne repose en fait que sur la ‘différance’ d’un Has-Art dépendant de la jouissance, c’est-à-dire de l’a-temps. Effectivement, le « temps authentique » (Heidegger) — donc ‘animaginaire’ — dérive directement de la mort car cette dernière influe depuis toujours dans/sur la vie : Thanatos est à la fois antérieur et postérieur à Eros (cf. Freud). « Pulsation temporelle » (Lacan), l’inconscient structure/révèle le réel par l’essaim (S1) de signifiants en permettant tychiquement à l’être de devenir. Seule la « disposition » (Heidegger) dans le « logos » (idem -à prendre au sens héraclitéen d’un discours irrationnel, contre Husserl) permet au Sujet de s’authentifier car c’est l’angoisse de l’être-à-la-mort qui, par réduction diachronique, ramène à l’atemporel de la jouissance. Ainsi, la libération artistique est nécessaire à la prise de conscience et à l’acceptation de notre mortalité (finitude), recréant l’authenticité temporelle par animation de l’être via le préconscient, pour aboutir à la ré-jouissance. Langue et « danse » (donc, art) « articulent et composent du temps » (Aïcha Liviana Messina) : c’est le langage qui structure chaque niveau temporel (bien que l’a-temps soit aléatoire) -car c’est lui qui permet à la mort d’hanter la vie, ne serait-ce qu’avec l’aspect fantomatique soutenu par le plus-de-jouir et soutenant l’imaginaire temporel- et c’est l’art qui (re)compose éternellement l’éclipse du présent (gérant ainsi « ab-sens » — Lacan — et présence d’un temps issu du réel). L’inconscient propose du présent. Le mur préconscient pose le temps. La mort (l’angoisse) le pause. La vie (l’art) en dispose (« Le présent est un instant qui a eu de la chance. » disait déjà Rabbi Haïm de Volozine). Quant à l’âme, elle est la ruse de la jouissance : c’est le vide dont use l’inconscient (par le plus-de-jouir) pour prendre conscience de la vie, pour authentifier la liberté. Le temps représentationnel est historique. Le temps imaginaire est phénoménologique. Le temps mortifère est authentique : il est un vide médiant vie et mort.

Inspirer : l’aura du réel hante, en tant qu’immanence, le sens (I) généré par le mur fantomatico-sonique, afin d’ex-tatiser/d’animer l’« accorps » sign(ifi)é par la jouissance érotisée. Ouverte par éclipse du signifiant, l’âme (I) est le vide faisant halte au réel : elle incarne fantasmatiquement l’inspiration artistique/‘métempsychotique’, par l’emphase du rien (R). L’inspiration est ainsi le passage - par le médian du sublime — transformant l’impuissance de la parole face au réel (R-S) en impossible devenu corps (S-R) : l’enrichissement/le jeu de l’imaginaire devient possible grâce à la libération d’un « faisceau de marques » (Prigent) matérialisant les « lumières du corps » (Novarina). Faire art, c’est passer d’une jouissance à une autre — par changement d’ob-jet a —, d’un sens à l’autre — par métempsychose —, d’un temps à l’autre — par le meurtre de la mère — afin d’éviter le « blablabla » (Lacan) d’un destin ou d’un habitus (cf. Bourdieu) structurant toute société. C’est ainsi que la communauté du rien se crée corporellement : « le corps d’un homme est l’œuf de sa mémoire des traces » (Prigent). Et, comme « on ne fait pas de poésie sans casser d’œufs » (idem), la métempsychose artistique agit nécessairement sur ces traces, transformant le « mystère de l’inconscient » (Lacan) par la traversée d’un ‘nouvel’ imaginaire. En fait, il s’agit de transformer « lalangue » (idem), soumise à la contingence des signifiants, en ‘corps’ (art), soumis à la nécessité culturelle des « signes extorqués au réel » (Prigent). Pour Lacan, la nécessité se définit d’un « ne cesse pas de ne pas s’écrire » ce qui revient à une écriture éternelle/universelle de l’impossible. « L’art fait tomber » (Novarina) toutes les lois, sauf celles de l’inconscient (« l’œil qui absorbe tout, le trou auquel ne peut échapper que le rien » — Massat) : la loi de la jouissance permet à l’âme d’inspirer un « imagin-art », corps respiré (soufflé) et libérateur -kénose éparpillant tout dogmatisme symbolique- ; la Loi du désir « enfflâme » érotiquement dans l’intensification (I) du passage ‘pubertaire’ au « Sujet-de-la-jouissance-et-du-désir » dans un Amour « plaisirant » où volupté, lyrisme et concupiscence cohabitent. C’est ici que l’on touche à l’extrémité de l’inspiration, celle de l’épithalame (et pis, t’as l’âme !) : « parler d’amour est en soi une jouissance » (Lacan) et « le plus grand plaisir qui soit après amour, c’est d’en parler » (Louise Labé) signifient que le voile imaginaire se métamorphose (dans une infinie dialectique de vie et de mort) au gré du ‘has-art’ (R-S-…-S-R défiant toute fatalité symptomatique). Ici, le médian -liberté d’une respiration animant un corps, du cri d’Amour au râle d’agonisant, liberté d’une voix incompréhensible- ne se contente pas de changer le vide en vie, il donne les clés du savoir, du bonheur et de la morale. Mais les portes sont des pertes, toujours. Du « ça-voir » parce que « dans l’amour, ça sait » : en Amour, nous croyons d’abord à son être, et celui-ci devient par l’animation d’un savoir (S2 rendu possible par la solitude dans l’écrit), celui de créer par la parole. Par exemple, l’aimée, « on la dit-femme, on la diffâme » : inspiration libérant du carcan du doute, et ainsi, savoir divin. Pourtant, « on pourrait dire que plus l’homme prête à la femme de le confondre avec Dieu, c’est-à-dire ce dont elle jouit, moins il hait, moins il est, moins il aime » (Lacan). Dieu est un pivot séparant (au moins ici) le savoir du bonheur, et, la jouissance typiquement féminine — de l’Autre en tant que Dieu — est un « acmédian » (acmé médian) stoppant l’imaginaire (donc le fantasme) de l’Amour. Novarina insiste sur le fait que ‘Dieu’ est l’anagramme de ‘Vide’ (car à l’origine, le ‘u’ et le ‘v’ étaient identiques) : on se rend alors compte — en étudiant maintes ‘définitions’ de l’un et de l’autre — qu’ils sont probablement, aussi, synonymes. D’ailleurs, si on a longtemps cru que la Nature avait ‘horreur du vide’, c’est sans doute en pensant (inconsciemment) que Dieu devait y être incompatible (matérialisme scientifique). Pourtant, le panthéisme (et notamment Spinoza) mettaient déjà sur la voie : Dieu est en toute chose. Aujourd’hui, la science (et notamment la physique quantique) acquiesce : le Vide est en tout. Ainsi, comme nous avons vu plus haut, le vide est à la fois ce qui limite et ce qui permet l’imaginaire, mais il est aussi (inconsciemment) dans toutes représentations : Dieu, en tant qu’imaginaire absolu (image souveraine — d’où l’interdit de l’icône, dans certaines traditions) est une nécessaire médiation entre vie et mort, point à franchir, pour se libérer, par l’âme (parole animant l’écriture du vide — S) et par l’esprit (corps soufflé artistiquement dans la parole — R). La jouissance de l’Autre est donc jouissance extrême, ‘panimaginaire’ (divine), mettant fin à tout médian (évanouissement ‘paroutique’) : réel (vie) et symbolique (mort) sont face-à-face. En Amour, seule la jouissance phallique est possible car il s’agit toujours d’un parfait déséquilibre créateur d’images (de sens) : réel absolu, « l’amour fait des trous » (Charles Pennequin) dans le symbolique pour y faire advenir de l’être/de la haine. « Wo es war, soll ich werden » disait déjà Freud : ‘là où le ça était’ (celui du ça-voir), ‘le je doit advenir’ (celui de l’Amour). Le ‘ça-voir divin’ consiste alors à comprendre les dangers/les possibles générés par le vide : « le savoir est ce qui s’articule » (Lacan) en dénouements (nous sommes des « nouages produits par la poussée du vide » -Massat) mais c’est aussi « une énigme » (idem), celle du couple (« est-ce deux ? » — S2). Résoudre l’énigme (solutionner tout problème), c’est atteindre le Bonheur (total de « toutes les inclinations » — Kant ; cf. aussi Œdipe !) dans le passage désir-jouissance : « plaisirer » dans un « faire l’Amour » (l’unique point où ce n’est pas lui qui nous fait ! — point en quoi il y a nécessairement initiation), rencontre d’ob-jets a (donc impossibilité d’un bonheur propre, sans l’autre -partage eidétique) permise par le plus-de-jouir, seul cas où le rien est tout (réalisation de l’Homme). La Trinité chrétienne est ainsi un bel exemple de borroméisme (Dieu/Vide=I — père de l’imaginaire —, Saint-Esprit=R — lien donnant vie au corps —, Jésus/Messie=S — parole, verbe se changeant en verve pour sauver l’homme) exprimant ce Bonheur (équilibre tychiquement acquis dans le déséquilibre absolu de l’Amour — Amen peut s’écrire ‘a-men’, c’est-à-dire ob-jets a réalisant les hommes !). Reste que l’imaginaire, en tant que médian libérateur, peut aussi mener à un point d’extrémité strictement opposé à la jouissance de l’Autre (point R-S : vie de la femme), celui de la morale (point S-R : mort nécessaire à l’humanité). Si l’éthique est davantage à comprendre comme relation intersubjective (rapport à l’autre et à l’être), la morale, en tant que telos de « l’homme rationnel », est une victoire de l’homme par/sur l’imaginaire : suicide (régénérateur) de l’inconscient. Kant base la morale sur la « bonne volonté », c’est-à-dire la « volonté d’agir par devoir » : accomplissement rationnel, le ‘devoir’ est un respect pour la loi, c’est-à-dire « ce qui doit être absolument ». Mais si la morale se basait uniquement sur le ‘bien’ de la volonté, on pourrait (c’est ce que montre Sade) la baser sur la loi absolument nécessaire (et apathique) de la jouissance (le « souverain bien » pourrait être phallique). Le fait est que la morale dépend de la liberté, et donc de la ‘métempsychose’ : l’impératif catégorique de la jouissance doit en fait être subordonné à la liberté, donc à une volonté autonome : bonne et psychotique. La jouissance est un inconditionnel irrationnel originant la morale : c’est le plus-de-jouir qui, en permettant la libération psychotique, anime la raison dans l’imaginaire. Ainsi, en dernier lieu, inspirer, c’est autonomiser la volonté grâce à l’âme vidant l’imaginaire de ses traces de réel (éclipse phallique) : le rien (plus-de-jouir), pour aboutir à la morale, ne conserve que la réalité d’une psychose devenue rationnelle (donc temporelle). L’âme est donc cette ‘poussée du vide’, « eau » libérant notre psychisme par la « trifurcation » (Massat) vitale d’un imaginaire médiant — par le rien, toujours — la jouissance phallique et le désir (jusqu’au bonheur, par l’Amour), médiant ‘lalangue’ et l’art (jusqu’au sublime et dans l’angoisse, par la mort de la mère), médiant la jouissance de l’Autre et le savoir (jusqu’à la morale, par la temporalité de la volonté). En tant qu’animation de l’imaginaire, le médian permet le sacrifice de la mère, l’authentification libertaire et l’inspiration humanitaire. Pour que nous, parlêtres, puissions « en tant qu’erreurs errantes » (Prigent), choisir — malgré tout — notre vie.

P.-S.

Texte inspiré par : Emmanuel Kant – Fondements de la Métaphysique des Mœurs ; Maurice Merleau-Ponty – Le visible et l’invisible, Martin Heidegger – Être et Temps ; Bernard Baas – Les cahiers philosophiques de Strasbourg T. 4 ; Jacques LacanÉcrits, Séminaires : X L’Angoisse au XXII R.S.I. ; Julia Kristeva — Histoires d’amour ; Jean Allouch — Le sexe du maître ; Guy Massat — Séminaires : RSI ou pire… et Psychanalyse & Mythologie ; Valère Novarina — Lumières du Corps ; Françoise Dastur — Husserl, des mathématiques à l’Histoire ; Christian Prigent — L’Âme et L’Incontenable…

Rédigé au mois d’avril-mai 2007.

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