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Fêtes et Coutumes populaires

Noëls de France

par Charles Le Goffic

Date de mise en ligne : dimanche 23 décembre 2007

Charles Le Goffic, « Noëls de France », Fêtes et Coutumes populaires, Éd. Armand Colin, Paris, 1911, pp. 141-154.

Noëls de France.

« Au gui nouveau ! Au gui fleuri ! »

Voilà qu’il retentit une fois de plus à nos oreilles, l’appel des vendeurs ambulants de mistletoe. Pendues à un gros bâton de frêne ou de bouleau, les jolies touffes vertes du viscum album balancent au pas du marchand les fines opales de leurs baies, Noël est proche.

« Au gui nouveau ! Au gui fleuri ! »

Et c’est un peu de l’âme de la forêt, un peu aussi de l’âme du Passé, qui revit dans ce naïf appel du petit détaillant. Ainsi nos aïeux, jadis, s’en allaient par les rues criant l’antique Aguilané, corruption probable d’Eguinaned (le blé germe) ou, suivant d’autres, d’Acquit l’an neuf, dont le sens est plus aisé à entendre. Le gui parisien nous arrive de Meudon, de Chaville, de Verrières : il appartient à qui veut le cueillir. Les errants du pavé le savent et, confiants dans la tolérance de l’administration domaniale, ils se font une ressource, décembre venu, de la cueillette du joli végétal.

On vend bien du gui, pendant la semaine de Noël et du Jour de l’An, au pavillon des Halles ; mais ce n’est plus là du gui parisien. Importé par chemin de fer, il arrive de Normandie et de Bretagne ; il n’a point poussé sur les peupliers, comme le gui parisien, mais sur les pommiers, dont il est pourtant un dangereux parasite. Vainement, nos professeurs d’agriculture mettent-ils en garde contre ses ravages les cultivateurs normands et bretons : le gui s’obstine ; et il est vrai que les bénéfices de sa cueillette compensent largement le mal qu’il fait aux arbres. Ce n’est pas seulement sur Paris qu’on l’expédie : l’Angleterre en fait une consommation prodigieuse. De Granville et de Saint-Malo partent chaque hiver, à destination de Southampton et de Londres, des chargements complets de gui : 90000 kilos pour Granville, davantage encore pour Saint-Malo, qui tient la tête de l’exportation. Cargaisons féeriques ! Voiliers et steamers de rêve ! On comprend qu’ils aient tenté les poètes, et l’on chanterait volontiers avec l’un deux, Charles Frémine, ces flottilles odorantes et fleuries,

Qui s’en vont dans le mystère,
Dans le brouillard et les frimas.
Porter aux Normands d’Angleterre
La parure de leur Christmas…

Le gui a, du reste, un concurrent redoutable dans un autre végétal d’hiver, auquel on l’associe de plus en plus dans la décoration des frairies noélesques : je veux parler du houx.

Cette iliacée n’a pas d’histoire ; elle ne joue pas, comme le gui, un rôle important dans nos traditions nationales. Les druides ne la coupaient pas, avec une faucille d’or, la sixième nuit du solstice d’hiver, la « nuit mère », et les eubages ne la recevaient pas dans un drap de lin d’une blancheur immaculée. Mais le houx, si son passé manque de lustre, n’en est pas moins un fort aimable arbrisseau, dont les feuilles d’un vert sombre, lisses et comme vernissées, surtout les baies d’un rouge vif, font un contraste à souhait pour les yeux avec le pâle feuillage et les baies laiteuses du gui.

L’OFFICE DE NOËL
AU MOYEN ÂGE.

C’est cette opposition, vraisemblablement, qui a déterminé sa vogue. Sur les 175 espèces de houx connues, une seule habite la France, l’ilex aquifolium, au tronc droit, chargé de feuilles épineuses et persistantes, qui s’accommode des terrains les plus ingrats. Il vit en liberté dans nos forêts, où il atteint quelquefois huit et dix mètres de haut ; mais on le cultive aussi en buisson dans nos jardins. Ses applications sont fort variées : de sa seconde écorce, on tire la glu ; l’ébénisterie recherche son bois, qui prend au polissage la teinte de l’ébène ; avec ses jeunes rameaux, souples et résistants à la fois, on fabrique des manches de fouets et des houssines ; enfin, avec ses feuilles, que l’ancienne médecine utilisait comme fébrifuge, on obtient des sparadraps très adhésifs.

Mais c’est surtout comme plante ornementale que le houx est apprécié. D’où vient celui qu’on vend dans nos rues aux alentours de la Saint-Sylvestre ? Un peu de toutes les régions, des forêts du Morvan et de Bretagne, des boqueteaux normands, du Jura, des Vosges, même de la banlieue parisienne. Les Halles en reçoivent chaque matin de pleins chargements, que se disputent les petits détaillants du pavé. Je causais certain jour, dans la rue Montmartre, avec une brave femme dont l’éventaire roulant était ainsi tout pavoisé de houx sombre aux éclatantes baies corallines.

LE GUI.

« Une belle botte, monsieur, toute fraîche et toute fleurie !…
 Combien ?
 Deux francs. »

C’était un peu cher ; mais mon interlocutrice m’expliqua que Noël était proche, qui déterminait annuellement une hausse considérable de ce joli végétal.

« Nous l’achetons nous-mêmes en gros, sur le carreau des Halles, 1 fr. 25, 1 fr. 50 la botte… Et il y a les déchets, les baies qui se détachent, les feuilles qui perdent leur vernis... Après l’Épiphanie, monsieur, je vous donnerai la même botte pour quinze sous. »

Mais le gui, le houx, ne sont pas les seules plantes noélesques. Comment oublier encore le sapin ? Il a toutes les dimensions, ce sapin de Noël : il est tantôt un géant et tantôt un nain ; il tient dans un petit pot grand comme le pouce et, d’autres fois, il pourrait abriter toute une famille à son ombre. Mais, énorme ou minuscule, artificiel ou naturel, il porte toujours les mêmes fruits étranges : des joujoux, des sucreries, des oranges, des gâteaux, et il est tout illuminé par des cordons de lanternes vénitiennes. Là où il y a des enfants, soyez sûrs qu’il y a un arbre de Noël. Encore est-il bon de remarquer que, pour répandue qu’elle soit aujourd’hui, cette coutume des arbres de Noël était à peu près ignorée chez nous (sauf dans le Berry) avant la guerre de 1870. C’est à l’Alsace que nous l’avons empruntée, et il y a quelque chose de touchant dans cette adoption par toute la France d’une coutume restée purement locale jusqu’alors et qui évoque pour nous la chère province perdue. À l’arbre de Noël s’attache, d’ailleurs, le souvenir du grand Klaus, bien connu, lui aussi, des anciennes familles alsaciennes.

« Toc ! Toc !
 Qui frappe à la porte ?
 C’est moi, le grand Klaus, patron des petits enfants sages, qui leur apporte un sapin tout chargé de bonbons et de jouets et qui réserve aux méchants une dégelée de coups de gaule… »

Et l’huis bâillait tout large, et mein Herr Klaus entrait avec sa longue barbe de dieu polaire, ses sourcils embroussaillés, sa robe de futaine, sa hotte et son sapin. Klaus, en Alsace, est le petit nom d’amitié du vénérable évêque de Myre, saint Nicolas. Les enfants ouvraient de grands yeux, se serraient peureusement contre leurs mères, et la poignée de genêts que brandissait le bon saint leur communiquait un effroi salutaire. C’est tout ce que voulait mein Herr : le rôle de croquemitaine lui convenait assez peu et il ne l’acceptait qu’à son corps défendant. Combien il préférait les cris de joie et les claquements de mains qui succédaient à l’émotion paralysante du premier moment, quand, de sa hotte vidée sur le parquet, sortaient, pendus aux branches du fatidique sapin, les beaux polichinelles, les sacs de pralines et les ménageries d’arches de Noë !

En Lorraine, il reprenait son nom français et faisait sa tournée accompagné du père Fouettard. Mon ami René-Marc Ferry se souvient de l’y avoir rencontré déambulant au crépuscule par les rues pleines de neige.

« Je revois encore sa barbe blanche, écrit-il, sa mitre et sa crosse, les durs feuillages qu’il tenait dans ses mains croisées et qui brillaient sur la bure de son manteau ; mais il avait aussi un sac plein d’amandes et de raisins secs, et sa voix était douce. Hélas ! à côté de lui, son compagnon, son serviteur, le père Fouettard, portait des verges de bruyère et prononçait des paroles sévères dont l’à-propos étonnait les esprits enfantins. »

Saint Nicolas est un peu parent du bonhomme Noël : leurs physionomies du moins se ressemblent et leurs fêtes ne sont séparées que par un léger intervalle. Et, à mesure que l’année perdait de son caractère religieux, qu’on restreignait le nombre des fêtes chômées, il arrivait qu’on ne sentait plus la nécessité d’un dédoublement de cérémonies : c’est ainsi que le grand Klaus s’effaça peu à peu devant le vieux Noël.

Mais, si saint Nicolas nous a brûlé la politesse, son sapin magique a survécu. Il est, avec le gui et le houx, l’élément décoratif par excellence des veillées noélesques. C’est rarement un arbre, le plus souvent une branche fichée dans une caisse en bois, avec un peu de mousse au pied. Et il se fait, chaque année, de ces branches de sapin, un trafic considérable. Magnifique puissance de la tradition ! Noël est vieux comme le monde : avant de devenir une fête chrétienne, il fut, chez les Celtes nos pères, la grande fête de la germination. Et le gui, le houx, les branches de sapin, qu’on vend par les rues de ce Paris sceptique et gouailleur, mais si candide au fond, attestent la persistance du sentiment ancestral. Le nom même de Noël vient du latin novellum, qui nous a donné novel, nouvel, nouveau. Sol novus, qu’on retrouve dans l’office de Noël, fut longtemps le nom du 25 décembre. Et les vieux cantiques consacrent à leur tour cette étymologie :

Hâtons-nous de nous rendre
Près du soleil nouveau

Mais que nous font les savants et leurs étymologies ? Ne songeons qu’à la fête qui vient, à la jolie fête traditionnelle qui a provoqué et qui provoque encore d’un bout de la France à l’autre tant de coutumes charmantes, tant de manifestations d’une si délicate mysticité. Glissons, si vous voulez, sur les plus connues, telles que la coutume des souliers que les enfants déposent dans les cheminées ; ne nous attardons pas non plus à la coutume des bûches de Noël. L’usage en est fort ancien pourtant et s’est pieusement conservé dans nos campagnes. Sans l’énorme souche brasillante, un réveillon se pourrait-il concevoir ? Le fait est que tous les foyers, ce soir-là, ont leur clair feu de bois, ceux mêmes qu’on n’alimente d’habitude que de fougères, de goémons ou de bouses de vache séchées.

Longtemps à l’avance, en Bretagne, vous voyez les pauvres errer dans les cépées ou le long des talus plantés d’arbres, en quête de cette souche morte abandonnée, kef Nedelek, la bûche de Noël, dont les charbons éteints jouissent de propriétés merveilleuses. En Normandie non plus, point de bonne veillée sans une grosse chouque de hêtre ou d’ormeau flambant à grand bruit sous le haut chambranle de la cheminée, tandis que cuit autour d’elle, dans leurs chopines à fleurs, le flip cher aux gosiers cauchois, mélange de cidre doux, d’épices et d’eau-de-vie. Ailleurs, dans le Bessin, par exemple, la bûche de Noël s’appelle tréfoué, du vieux mot roman tréfoir, que nous rencontrons dans notre langue dès le XIIIe siècle ; en Provence elle s’appelle lou cacho-fio et on l’aspergeait trois fois de vin avant de l’allumer en disant :

Dieu nous fasse la grâce de vivre l’an qui vient !
Si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins !

Que de jolies légendes, que de contes émouvants ou gracieux, sont nés là, parmi les flammèches d’or du kef, de la chouque, du tréfoué et du cacho-fio ! S’ils s’interrompent un moment de prendre leur essor, c’est qu’à l’extérieur des pas se sont fait entendre dans la nuit et qu’une rumeur de voix grossissantes, sur un mode de plain-chant, est venue jusqu’aux réveillonneurs.

Place aux petits mendiants de la grande frairie décembrale ! Noël est leur fête par excellence. Il y a encore quelques villes de l’Ouest où on les voit rôder de maison en maison, clamant l’Aguilé. Une baguette de saule écorcée aux doigts, ils frappent à l’huis pour demander leur part du festin. De fait, leur besace ne tarde pas à s’emplir, non de croûtes de pain, de reliefs abandonnés, mais de beaux et bons gâteaux de fine farine blutée exprès à leur intention. Cet usage des gâteaux est répandu dans toute la France. Aucune de nos provinces n’en a le monopole. Sous vingt noms différents on les retrouve : dans les apognes de Nevers, les cochenilles de Chartres, les bourrettes de Valognes, les cornabœux du Berry, les cogneux de Lorraine, les cuigns de Bretagne, les aiguilans de Vierzon, les hôlais d’Argentan et les quénioles de la Flandre.

À Rouen et aux environs, on les nomme aguignettes. Le gentil vocable que celui-là !

Aguignette,
Miette, miette,
J’ons des miettes dans not’ pouquette,
Pour nourrir vos p’tites poulettes !…

Passez, au soir tombant, le 24 décembre, dans la rue Grand-Pont et la rue de la Grosse-Horloge, vous n’ouïrez partout que ce refrain. Il est poussé par de petits pèlerins qui brandissent au bout de leurs bâtons des lanternes vénitiennes frappées d’un R. F. en grosses lettres rouges. Ne faut-il point marcher avec son temps et, pour fêter Noël, ces mioches n’en sont-ils pas moins de bons républicains ? Et, d’ailleurs, que voit-on, je vous prie, sur ces aguignettes rouennaises, honneur et gloire des neulliers de Darnetal, de Sotteville et de Maromme ? Un coq, le fier gallinacé national, emblème du peuple souverain !

Ainsi fraternisent sur une galette, comme ils devraient fraterniser dans l’esprit public, le présent et le passé, le progrès et la tradition.

Il est encore une de nos provinces où la veillée de Noël revêt un caractère bien pittoresque : c’est la Flandre. Le réveillon s’y appelle l’écriène. Mais l’écriène est surtout propre aux paysans. Figurez-vous, avec M. Ernest Laut, une salle basse, pavée de larges dalles en pierres bleues, meublée d’armoires et de huches aux ferrures luisantes et, dans cette salle, sous le vaste rabatiau de la cheminée, une trentaine de personnes, hommes, femmes, enfants, assises en cercle sur des quéyères autour d’un grand feu de sarments. Les femmes tricotent, font du crochet, rassarcissent des bas ; les hommes tirent de leurs courtes boraines d’âcres bouffées blondes ; la table, devant la fenêtre, est déjà encombrée de petits bols prêts à recevoir le moka. Et, cependant que l’odorant liquide s’égoutte dans la cafetière, un des invités, le plus ancien, qui est quelquefois aussi le mieux disant, se met à conter d’une voix chevrotante quelque belle histoire du temps passé, du temps que les bêtes parlaient et que les poules avaient des dents.

Même chez les mineurs des grands districts houillers, dans ces plaines enfumées et tristes où les corons, que surplombe le haut beffroi de la fosse, s’alignent en files monotones le long des routes et des canaux, la vigile de Noël, si nous en croyons M. Laut, a gardé quelque chose de sa primitive douceur. La maison, pour la circonstance, a été nettoyée de fond en comble ; la table récurée à la brosse et au savon, les cuivres frottés, le carrelage lavé à grande eau. On réveillonnera cette nuit avec du boudin et des quénioles, sorte de galettes dorées, fleurant bon le froment et les œufs frais, et sur leur panse arrondie, comme sur un coussin, étalant un joli Jésus de sucre rose. Si le ménage est à l’aise, on achètera même un sapin de Noël coupé dans la forêt voisine et aux branches duquel on suspendra des jouets à bon marché, des bâtons de guimauve et des oranges. Il faudra voir la frimousse extasiée des bébés à leur réveil. Cris de joie, battements de mains, charivari délicieux, plus doux au cœur des parents que toutes les musiques et toutes les harmonies !…

Décidément, sur ce sol béni de la vieille France, aux quatre aires de l’horizon, en Gascogne comme en Lorraine, dans le Dauphiné comme en Bretagne, cette nuit de Noël n’est qu’une succession de merveilles. Étonnez-vous après cela qu’elle ait donné naissance à toute une littérature spéciale et que, parmi les productions de la muse populaire, il n’en soit point qui approche pour l’étendue et l’importance de cette branche du folklore national !

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après le texte de Charles Le Goffic, « Noëls de France », Fêtes et Coutumes populaires, Éd. Armand Colin, Paris, 1911, pp. 141-154.

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