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Alexandre Cullerre

Anomalies de l’instinct sexuel

Les frontières de la folie (Ch. VIII, §. I)

Date de mise en ligne : mercredi 12 décembre 2007

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Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VIII, §. I : « Anomalies de l’instinct sexuel », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 255-264.

CHAPITRE VIII
SEXUELS

—  — —
I
ANOMALIES DE L’INSTINCT SEXUEL

Nous avons signalé chez les dégénérés héréditaires l’existence fréquente d’anomalies dans la conformation des organes sexuels ; les anomalies, les aberrations et les perversions de l’instinct et de la fonction génésiques ne sont pas moins fréquentes chez les mêmes individus et constituent un des chapitres les plus intéressants de la psychologie morbide.

Une anomalie fréquente est l’excitation sexuelle prématurée. On en trouve dans les auteurs de nombreux exemples.

Parent-Duchatelet rappelle l’histoire d’une petite fille de quatre ans dont le cynisme naïf et les habitudes déréglées stupéfiaient ceux qui l’approchaient. Marc cite une enfant de huit ans atteinte de fureur génitale. On doit à Zambaco l’observation de deux petites filles d’une dépravation inouïe. Lasègue a vu des enfants contracter des habitudes vicieuses à l’âge de deux ans et même de dix-huit mois.

Magnan rapporte l’histoire d’une fille de sept ans, née d’une mère névropathe et d’un père alcoolique, qui n’avait d’autre préoccupation que de satisfaire ses mauvais instincts et qui déjouait, pour arriver à ses fins, les précautions les plus intelligentes.

Il ne s’agit pas, dans tous ces faits, d’habitudes vicieuses acquises, mais d’une excitation spontanée du centre génito-spinal, provoquant par une sorte de réflexe les manoeuvres organiques. Ainsi que Lasègue l’a judicieusement observé, l’enfant qui se livre à cette habitude n’est pas comme tous les autres : « il est moins intelligent, il apprend moins vite, il fait peu de progrès dans ses études, sa mémoire est infidèle, son caractère est bizarre ; en un mot, il manque évidemment quelque chose à son développement cérébral. » [1] Ce besoin instinctif n’existe pas seulement chez les enfants, mais chez les adultes ainsi que le démontrent certaines observations et en particulier la suivante [2] :

Une vieille psychopathe de soixante-douze ans était, depuis sa première jeunesse, sujette à des troubles nerveux et à des impulsions de diverse nature. Remarquant chez elle certains mouvements bizarres, comme spasmodiques, de la région moyenne du corps et des membres inférieurs, Je lui en demandai la cause, et voici quelle fut sa réponse : « Dès l’âge de quatre ou cinq ans, — je ne sais comment cela m’est venu, me dit-elle, car personne ne me l’a appris, — j’ai ainsi pris l’habitude de ces mouvements qui me procuraient un sentiment très vif et très particulier de plaisir. Depuis cette époque, malgré la honte que m’inspire cette pratique, je n’ai jamais pu m’en débarrasser complètement. »

Une seconde catégorie comprend certains individus chez qui l’orgasme vénérien se produit spontanément sans provocation aucune.

Une psychopathe lucide que j’ai soignée pour une névropathie générale, survenue à l’occasion de la ménopause, était prise plusieurs fois par jour de gonflement du ventre et de douleurs analogues à celles de l’accouchement, auxquelles succédaient sans transition des spasmes qui la jetaient dans la confusion et lui inspiraient des scrupules désolés. [3]

Magnan [4] cite le cas d’une dame de trente-cinq ans, musicienne distinguée, mais névropathe, gastralgique, mal équilibrée. Depuis douze ans, elle était en proie, par périodes, à un éréthisme qui ne cédait que très difficilement aux ablutions froides.

Le même auteur donne encore l’observation suivante : Il s’agit d’un névropathe de cinquante-cinq ans, que j’ai eu l’occasion de voir avec M. Bouchard ; ce malade sourd, et fils de sourde, a un frère et une soeur tous deux durs d’oreille et aliénés mélancoliques. Depuis plusieurs années il est torturé par un priapisme qui le force à passer hors du lit une partie de ses nuits. Il éprouve constamment une sensation de chaleur aux lombes et à la verge. Après un sommeil très court, il est réveillé par une érection douloureuse qui l’oblige à se lever et qui parfois résiste aux lotions et aux lavements d’eau froide. Il reste debout, se lamentant, parcourant de long en large la chambre, puis quand l’organe est moins turgescent, il s’installe sur un fauteuil canné, les jambes élevées à l’aide d’un coussinet parvient ainsi à goûter quelquefois quelques heures de repos.

Les approches sexuelles, rares ou fréquentes, n’ont aucune influence sur cet état indépendant aussi de toute action morale.

Enfin dans un dernier groupe prennent place les individus qui présentent une exagération permanente des appétits sexuels.

Une paysanne, dont l’observation citée par Marc [5] appartient à Alibert, avait éprouvé dès l’adolescence une exagération de l’appétit sexuel qui l’avait conduite à un abus extraordinaire des pratiques solitaires. Tombée peu à peu dans une profonde hébétude intellectuelle, elle avait été transportée à l’hôpital Saint-Louis. Dans le délire plus effréné, elle offrait le scandale perpétuel d’une sorte de mouvement automatique, qu’elle n’était point maîtresse de réprimer, malgré les violents reproches qu’on lui adressait. Un autre phénomène vint frapper notre attention ; chez elle, les extrémités supérieures, comme les bras, les mains, la tête et la poitrine, offraient un état de maigreur digne de pitié ; mais les hanches, le bas-ventre, les cuisses et les jambes étaient d’un embonpoint remarquable. Ce qui causa surtout notre surprise, dans un accident aussi étrange, c’est que les forces sensitives s’étaient exaltées et, en quelque sorte, concentrées dans l’intérieur de l’organe utérin, au point que la vue seule d’un homme suffisait pour déterminer en elle un spasme voluptueux des parties de la génération : toutes les impressions quelle éprouvait venaient retentir dans ces organes ; la main de toute personne qui n’était pas de son sexe, posée dans la sienne, elle en avait la sensation dans le vagin. Plus tard, la vue des élèves qui l’entouraient, même la seule exploration de son pouls, suffisait pour produire le spasme voluptueux.

Cet appétit exagéré peut coïncider avec une intelligence parfaitement lucide, mais viciée pourtant par le phénomène de l’irrésistibilité, à ce point que ceux qui le ressentent n’hésitent pas à compromettre leur honneur, leur famille et leur position sociale pour satisfaire leurs désirs.

On doit à Trélat la curieuse observation suivante [6] :

Il s’agit d’une femme d’une stature ordinaire mais d’une forte complexion, ayant une expression de physionomie très convenable, beaucoup de politesse dans les manières, une grande retenue dans le maintien. Interrogée, elle répond parfaitement à toutes les questions, se met à l’ouvrage et travaille, malgré ses 67 ans, avec autant d’activité que de perfection. Pendant quatre ans pas une parole obscène, pas un geste, pas le plus petit moment d’agitation, pas de mouvement d’énervement ; elle est parfaite tant qu’elle est enfermée, mais absolument incapable d’user de sa liberté. Toute sa vie, dès son jeune âge, elle a recherché les hommes ;- jeune fille elle les provoquait.

Du caractère le plus docile, le plus aimable, le plus enjoué, rougissant quand on lui adressait la parole, baissant les yeux toutes les fois qu’elle se trouvait en présence de plusieurs personnes, aussitôt qu’elle était parvenue à se trouver seule avec un homme elle était subitement transformée, relevait ses jupes et l’attaquait avec une énergie sauvage. Ses parents la marièrent, dans l’espoir de mettre un terme à ses désordres. Le mariage ne fut pour elle qu’un scandale de plus : elle aimait son mari avec rage, mais elle aimait avec une rage égale tout homme avec lequel elle parvenait à être seule. Devenue grand-mère, elle continuait le même genre de vie. Un jour elle fit entrer chez elle un petit garçon de 12 ans, mais dès qu’elle voulut lui faire des attouchements obscènes, l’enfant prit la fuite et alla tout raconter à son frère, qui monta dans la maison désignée par le plaignant et battit cette femme à outrance. Pendant cette scène le gendre survint, et avant qu’on eût le temps de lui rien dire, se mit du côté de celui qui fustigeait sa belle-mère.

L’âge n’a point tempéré le feu qui la dévorait, plus elle commettait d’excès, plus elle avait d’éclat et d’embonpoint, plus elle avait de fraîcheur.

Elle était veuve, ses enfants l’avaient reléguée hors des barrières où ils lui servaient une rente. Étant devenue vieille, elle était obligée de rétribuer les hommages qu’elle se faisait rendre, et comme la petite pension qu’elle recevait était insuffisante pour cet usage, elle travaillait avec une ardeur infatigable, pour se payer un plus grand nombre d’amoureux.

Après avoir séjourné quatre ans à la Salpêtrière, elle mourut d’une hémorragie cérébrale.

La même excitation sexuelle se rencontre chez des hommes.

Un vieillard [7] qui mourut aliéné et dont le fils épileptique était doué lui-même d’un appétit génésique extraordinaire, était irrésistiblement poussé plusieurs fois par jour aux rapprochements sexuels. Il lui arrivait, même ayant des convives à sa table, d’emmener sa femme au milieu du repas pour se livrer au coït. Riche et propriétaire d’un grand domaine, il avait établi dans ses fermes des relais d’amour, ayant fait de ses fermières autant de maîtresses qui se prêtaient à tous ses désirs. Pris sur la fin de sa vie de manie aiguë avec délire obscène, et fureur d’onanisme, il ne tarda pas à succomber.

Un de nos malades, héréditaire atteint de troubles intellectuels intermittents, a manifesté à diverses reprises une véritable fureur génitale. Un officier de police, chargé de faire une enquête sur son état mental, écrivait en style superlatif : « Ce malheureux ne laisse ni trêve ni repos à sa pauvre femme qui n’en peut plus. Chez lui, il y a plus que de la passion, il y a de la rage. La nuit dernière, il a été avec elle un nombre incommensurable de fois ; et ce matin, il l’a menacée de l’éventrer parce qu’elle ne pouvait plus supporter ses exactions ! » Cet individu est toujours psychopathe, mais n’a plus de fureur génésique.

Ce faits, manifestement empreints d’un cachet maladif, ne doivent pas être confondus avec la lubricité et la salacité du vice. Beaucoup des victimes de l’instinct sexuel exagéra déplorent leur infirmité et ce n’est que lorsqu’ils sont en proie au délire de la folie, qu’ils s’en montrent les complices.

À l’opposé de l’hyperexcitation sexuelle, on rencontre la frigidité et l’impuissance. Il est fréquent de rencontrer, parmi les dégénérés héréditaires, des individus absolument dénués d’appétit génésique. Nombre de raisonnants, selon Legrand du Saulle, qui sont en apparence bien constitués, mais qui ont une voix flutée et eunuchoïde sont dans ce cas.

Il y a, dit-il, à Bicêtre, un sieur D… né à Paris, âgé de 33 ans, sans profession, ancien soldat, qui descend directement de trois générations d’aliénés : 1° Sa bisaïeule maternelle a été atteinte de folie puerpérale et elle est morte jeune à la suite d’accidents cérébraux mal définis ; 2° son aïeule maternelle, qui a toujours passé pour avoir un caractère extrêmement bizarre, est décédée à la suite d’un délire ambitieux dans un établissement d’aliénés du département de la Manche. Elle se croyait reine. Le mari de cette femme (aïeule maternelle de D…) était mélancolique et obsédé par des idées de persécution, par la crainte d’être trompé et par la peur de la mort. Il s’est tiré un coup de fusil, après avoir donné certaines instructions dans une lettre dernière, s’être fait une légère blessure et avoir signé avec son sang ses adieux au monde ; 3° sa mère atteinte du délire des persécutions, avec hallucinations de l’ouïe, du goût et de l’odorat, craintes d’empoisonnement et refus fréquent d’aliments, est morte à l’âge de 35 ans à la Salpêtrière. Elle avait eu cinq enfants, trois succombèrent au berceau ; un autre, devenu sourd très jeune, était irascible, violent, indiscipliné, vicieux, et a disparu. Le dernier enfin est celui qui nous occupe.

D…, élevé dans une petite école, placé à treize ans comme domestique chez un marchand de vin, préoccupé déjà de la crainte de devenir fou, abandonne au bout de quelques mois sa place et son patron ; est arrêté comme vagabond et remis à son père. Un jour, après un accès de colère, il tente de s’empoisonner avec des allumettes chimiques. Il avait alors un peu plus de quatorze ans. Il est placé à Bicêtre et il y reste trois ans et demi. Employé à divers métiers, ne se plaisant nulle part et n’étant bon à rien, il s’engage dans le 71e de Ligne, est traduit en conseil de guerre pour insubordination, condamné à un an de prison, puis, à l’expiration de sa peine, incorporé dans le 96e de Ligne. Là, à la suite de plaisanteries de la part de camarades mal avisés, il s’emporte et met son uniforme en lambeaux. Traduit de nouveau devant un conseil de guerre, il est acquitté pour cause d’aliénation mentale et placé à l’asile de Bourg, où il reste huit mois. De retour à Paris, arrête pour vagabondage, placé à Bicêtre, transféré à Saint-Alban, il s’évade au bout de quatre ans et revient à pied du département de la Lozère à Paris, en mendiant tout le long de sa route. Après beaucoup de péripéties, il est dirigé sur l’asile de Ville-Evrard, refuse de s’alimenter, est nourri pendant quelques jours à l’aide de la sonde oesophagienne, finit par obtenir sa sortie, recommence sa vie aventureuse, se fait arrêter un peu partout et rentre enfin à Bicêtre.

D… est peu intelligent, calme, lucide, raisonnable, bon travailleur. Il est dépourvu de spontanéité, d’initiative et de volonté, et il est incapable de se diriger. Il analyse sa situation avec une justesse frappante et ne délire jamais. Lorsque je lui reproche de ne point vouloir recevoir les visites de son père, il me répond invariablement : « Cet homme-là a causé tout mon malheur en épousant une fille, qui était fille et petite-fille de fous ; s’il avait fait un autre mariage, je ne serais pas à Bicêtre. Je ne lui pardonnerai jamais de m’avoir fait naître avec une aussi mauvaise cervelle et je ne veux pas le voir. Dites-lui que je suis sa victime et qu’il me laisse tranquille. On est bon pour moi ici et cela me suffit. »

D… est fort, vigoureux, assez bien conformé, un peu polysarcique. II est affecté depuis l’âge de dix ans d’une hernie inguinale droite. Les organes génitaux sont bien développés et ne laissent en apparence rien soupçonner qui soit extra-physiologique. D… est cependant privé de tout désir vénérien, n’a point d’érections, n’est point sujet à des rêves lascifs et n’éprouve jamais de déperditions séminales pendant son sommeil. Il rapporte qu’il en a eu plusieurs fois, lorsqu’il avait dix-sept ou dix-huit ans et que cela s’est absolument passé. Il n’a jamais recherché la fréquentation des femmes, loin de là. Étant soldat, il a été entraîné trois ou quatre fois par des camarades dans des maisons de tolérance, mais il ressort nettement de tout ses aveux qu’il n’a point eu de rapports sexuels normaux et complets. Quant à la masturbation, elle lui est inconnue. D… est impuissant et stérile. Il représente, lui compris, quatre générations d’aliénés et est incapable de se reproduire [8].

De même qu’il existe des individus atteints d’une façon intermittente d’éréthisme génésique ; de même, il en est qui, sans être impuissants, sont frappés de frigidité intermittente sans l’intervention d’une cause psychique. Tel cet étranger, examiné par Charcot et Magnan, appartenant à une famille de névropathes, qui, à certaines périodes, sans fatigues préalables, sans causes physiques ou morales appréciables, se trouvait impuissant à toute approche sexuelle. Il en avait conçu un tel chagrin qu’il avait résolu de se suicider. Un de ses frères, marié et père de six enfants, déclara être absolument dans les mêmes conditions, et avoir, de tout temps, été obligé de subir les caprices de ses organes.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM d’après l’ouvrage de Alexandre Cullerre, Les frontières de la folie, Chapitre VIII, §. I : « Anomalies de l’instinct sexuel », Éd. J.-B. Baillière et fils, Paris, 1888, pp. 255-264.

Notes

[1Lasègue, Études médicales, t. II. Paris, 1884.

[2Cullerre, Nervosisme et névroses. Paris, 1887.

[3Observation personnelle.

[4Annales méd.-psych., 1883.

[5C. H. Marc. De la folie considérée dans ses rapports avec les questions médico-judiciaires.

[6Résumée par Ball, Encéphale, 1887, et La folie érotique. Paris, 1888, page 6ç. (Petite bibliothèque médicale).

[7Observation personnelle.

[8Legrand du Saulle, Annales méd. psych., 1876.

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