Psychanalyse-Paris.com Abréactions Associations : 8, rue de Florence - 75008 Paris | Tél. : 01 45 08 41 10
Accueil > Mots-clés > Auteurs > Jacques-Joseph Moreau de Tours

Jacques-Joseph Moreau de Tours

Jacques-Joseph Moreau (de Tours)
Henri Ey, « Jacques-Joseph Moreau (de Tours) », Préface à l’ouvrage de J. Moreau de Tours, Du Hachisch et de l’aliénation mentale, Éd. Fortin, Masson et Cie, Paris, 1845.

Jacques-Joseph MOREAU est né à MONTRESOR (Indre & Loire), et à son origine tourangelle il dut de s’appeler MOREAU (de Tours), nom sous lequel il s’est illustré. Il fit ses études secondaires à Tours et ses études de médecine à l’École de Médecine de Tours où il fut l’élève de BRETONNEAU. Nommé interne à Charenton (1826) il y travailla auprès de ROYER-COLLARD, puis d’ESQUIROL qui « frappé de la vivacité de son intelligence et de sa curiosité d’apprendre le prit en affection [1] ». Après avoir présenté sa Thèse (le 6 juillet 1826) sur les Monomanies, concept qu’il devait toujours et sans cesse combattre, il devint, en 1840, médecin de Bicêtre. Là il trouva, nous dis SEMELAIGNE, un terrain de discordes « bien propre à exciter son ardeur » en y rencontrant LEURET. Contre cet apôtre de la « Psychiatrie morale » de ce temps il ne cessa de rompre des lances. C’est entre 1836 et 1840 qu’il accompagna un malade d’ESQUIROL en Orient pendant trois ans. Il parcourut ainsi l’Égypte, la Nubie, la Palestine, la Syrie, ces terres d’Asie Mineure qui sont les pays des « Haschichins ». Depuis lors, écrit-il lui-même dans les premières pages du fameux ouvrage « Du Haschich et de l’aliénation mentale » [2], « les effets du Haschich ont été pour moi l’objet d’une élude sérieuse, persévérante. Autant que j’ai pu et de toutes manières (un grand nombre de confrères que je pourrais nommer ici me rendent ce témoignage), je me suis efforcé d’en répandre la connaissance dans le public médical... » Les effets du chanvre indien devaient, en effet, lui fournir la méthode et la vérification de sa conception de la folie, du délire identique au rêve. C’est sur ce thème, qui renvoie naturellement au problème de l’organisation des rapports du cerveau et de la pensée, que J. MOREAU (de Tours) devait développer sa psychopathologie dans de multiples mémoires et discussions [3]. Il mourut en 1884, continuant jusqu’au bout de fréquenter régulièrement la Salpêtrière tandis que « courbé par l’âge il avait conservé, nous dit SEMELAIGNE, la vivacité de l’intelligence, et l’ardeur de la jeunesse ». Contemporain de BAILLARGER qu’il rencontrait souvent et de Hughlings JACKSON qu’il ne connut jamais, il est le pionnier de cette conception organo-dynamique de la Psychiatrie qui, précisément, devait trouver dans les travaux du XXe siècle sur la Psychopharmacologie et sur la Neurophysiologie du rêve et du sommeil l’éclatant écho de ses géniales intuitions.

MOREAU de Tours est le Psychiatre qui a porté, jusqu’à ses plus extrêmes limites, la thèse de l’identité du rêve et de la folie, idée qui n’a jamais cessé de flotter au travers de la diversité des pensées, des cultures et des religions des hommes. Il est bien vrai, en effet, que si l’homme ne portait pas en lui la possibilité de rêver, comme la béance de son désir de fantastique et les moyens de se fabriquer un envers irrationnel du monde, il est bien vrai que s’il ne portait pas en lui ce rêve ii ne deviendrait jamais fou. Pour MOREAU de Tours, le délire en tant que modèle de la maladie mentale est identique au rêve, car il est comme celui-ci secondaire à une désorganisation de l’être psychique qu’il appelait l’état primordial du délire [4]. C’est pourquoi la plus importante de nos premières éludes (Études n° 8, « Le rêve fait primordial de la psychopathologie ») [5], nous l’avons dédiée à ce Maître incontesté et incontestable de la Psychiatrie moderne.

C’est sur l’expérience sur le Haschich, cette première forme des « Model Psychoses », des « Psychoses expérimentales », que tant d’auteurs de nos jours tentent de provoquer par les substances hallucinogènes ou psychosomimétiques (Mescaline, L.S.D.), c’est sur cette première et décisive expérimentation sur l’état primordial du délire engendré par cette drogue, que MOREAU de Tours a fondé et vérifié son hypothèse pathogénique. Tout ce que l’on a observé, décrit, expérimenté ou commenté depuis, est largement dépassé par ses profondes et géniales réflexions. Car ce n’est pas seulement en tant que précurseur des manipulations expérimentales des « expériences psychédéliques » qu’il doit être connu, mais surtout pour l’énorme travail de son esprit sur ces petites morts de l’esprit que sont les ivresses délirantes provoquées par les « phantastica ». Le lecteur qui pourra prendre connaissance des textes où sont richement décrites ces expériences ne devra pas manquer à ce sujet d’en compléter la merveilleuse poésie par la somptuosité des descriptions de G. de CLÉRAMBAULT [6]. Il se convaincra que, depuis lors, ni cliniciens, ni poètes ne sont pas descendus plus loin dans « ses gouffres », ne sont pas montés plus haut dans la contemplation des « images ».

L’assimilation pure et impie de la folie et du rêve n’est cependant possible en thèse psychopathologique générale que si, après FREUD, le rêve est considéré comme une manifestation de l’inconscient dépendant d’un certain état d’inconscience (celle du sommeil ou des états crépusculaires de la conscience des psychoses aiguës) qui n’est lui-même qu’un cas particulier de la désorganisation de l’être conscient [7]. Si celui-ci, en effet, se décompose pour tomber dans l’imaginaire onirique sous l’influence du haschich ou du sommeil et constitue un état primordial de délire, une expérience délirante et hallucinatoire identique ou analogue à celle du rêveur, il peut aussi se désorganiser selon une autre modalité. C’est précisément cette nouvelle dimension que j’ai tenté d’introduire en Psychiatrie en me référant, bien sur, à tous nos grands classiques, aux profondes et si mal connues études de Karl JASPERS sur la notion de « processus ». L’état d’inconscience du Délire chronique n’est pas, en effet, purement et simplement analogue ou identique au rêve ; il représente un bouleversement des rapports Inconscient-Être conscient qui sans être radicalement différent de l’état d’inconscience des Psychoses aiguës - et parfois en l’impliquant même - représente essentiellement, non pas une déstructuration du champ de la conscience, mais une désorganisation de la personnalité. J’ai eu l’occasion en 1966 au Congrès Mondial de Psychiatrie à Madrid de développer longuement ce point de vue, comme pour rendre un hommage plus profond encore aux géniales intuitions de MOREAU de Tours, à l’auteur du « Haschich », mais aussi à l’auteur des Mémoires moins connus de 1855, véritable charte de la Psychiatrie scientifique.

Henri EY

Notes

[1Éloge de J. MOREAU (de Tours) par A. RITTI le 25 Avril 1887. On consultera sur sa vie, SEMELAIGNE, « Les pionniers de la Psychiatrie française », tome I, pp. 294-301.

[21 volume de 431 pages, édité â Paris à la librairie de Fortin, Masson & Cie, 1845.

[3« De l’identité de l’état de rêve et de la folie », Annales Médico-pyschologiques, 1865, I, 365-4O8 - et « Du délire au point de vue pathologique et anatomopathologique », Académie impériale de Médecine, 8 mai 1855.

[4Cf. à ce sujet l’étude que nous avons publiée en 1947 (Annales Médico-psychologiques, II, p. 225), sur l’importance capitale de la théorie « organico-dynamique » de MOREAU de Tours. Car, bien entendu, nous n’avons pas attendu le développement de la psychopharmacologie pour en prévoir l’importance et l’urgence dans la théorie et la pratique psychiatriques.

[5Études psychiatriques, tome I, Éd. Desclée de Brouwer.

[6Le Délire chloralique. Ann. Méd. Psychol., 1909, in Œuvre, tome I.

[7Cf. mon livre « La Conscience », 2e édition, P.U.F., 1968.

Partenaires référencement
Psychanalyste Paris | Psychanalyste Paris 10 | Psychanalyste Argenteuil 95
Annuaire Psychanalyste Paris | Psychanalystes Paris
Avocats en propriété intellectuelle | Avocats paris - Droits d'auteur, droit des marques, droit à l'image et vie privée
Avocats paris - Droit d'auteur, droit des marques et de la création d'entreprise