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Prosper Jolyot de CRÉBILLON

Un dessein si funeste, s’il n’est digne d’Atrée, est digne de Thyeste

Atrée et Thyeste (Acte 5)

Date de mise en ligne : samedi 11 juin 2005

ACTE 5
 Scène 1

Plisthène.
Thessandre ne vient point, rien ne l’offre à mes yeux ;
tout m’abandonne-t-il dans ces funestes lieux ?
Tristes pressentiments que le malheur enfante,
que la crainte nourrit, que le soupçon augmente ;
secrets avis des dieux, ne pressez plus un cœur
dont toute la fierté combat mal la frayeur.
C’est en vain qu’elle veut y mettre quelque obstacle ;
le cœur des malheureux n’est qu’un trop sûr oracle.
Mais pourquoi m’alarmer ? Et quel est mon effroi ?
Puis-je, sans l’outrager, me défier d’un roi
qui semble désormais, cédant à la nature,
oublier qu’à sa gloire on ait fait une injure ?
L’oublier ! Ah ! Moi-même, oublié-je aujourd’hui
ce qu’il voulait de moi, ce que j’ai vu de lui ?
Puis-je en croire une paix déja sans fruit jurée ?
Dès qu’il faut pardonner, n’attendons rien d’Atrée.
Je ne connais que trop ses transports furieux ;
et sa fausse pitié n’éblouit point mes yeux.
C’est en vain de sa main que je reçois un père ;
tout ce qui vient de lui cache quelque mystère.
J’en ai trop éprouvé de son perfide cœur,
pour oser, sur sa foi, déposer ma frayeur.
Je ne sais quel soupçon irrite mes alarmes ;
mais du fond de mon cœur je sens couler mes larmes.
Thessandre ne vient point : tant de retardements
ne confirment que trop mes noirs pressentiments.

Scène 2 : Plisthène, Thessandre.

Plisthène.
Mais je le vois. Eh bien ! En est-ce fait, Thessandre ?
Sur les bords de l’Euripe est-il temps de nous rendre ?
Pour cet heureux moment as-tu tout préparé ?
De nos amis secrets t’es-tu bien assuré ?

Thessandre.
Il ne tient plus qu’à vous d’éprouver leur courage ;
je les ai dispersés, ici, sur le rivage ;
tout est prêt. Cependant, si Plisthène aujourd’hui
veut en croire des cœurs pleins de zèle pour lui,
il ne partira point : ce dessein téméraire
pourrait causer sa perte et celle de son père.

Plisthène.
Ah ! Je ne fuirais pas, quel que fût mon effroi,
si mon cœur aujourd’hui ne tremblait que pour moi.
Thessandre, il faut sauver mon père et la princesse ;
ce n’est plus que pour eux que mon cœur s’intéresse.
Cherche Théodamie, et ne la quitte pas ;
moi, je cours retrouver Thyeste de ce pas.

Thessandre.
Eh ! Que prétendez-vous, seigneur, lorsque son frère
semble de sa présence accabler votre père ?
Il ne le quitte point ; ses longs embrassements
sont toujours resserrés par de nouveaux serments.
Un superbe festin par son ordre s’apprête ;
il appelle les dieux à cette auguste fête.
Mon cœur, à cet aspect qui s’est laissé charmer,
ne voit rien dont le vôtre ait lieu de s’alarmer.

Plisthène.
Et moi, je ne vois rien dont le mien ne frémisse.
De quelque crime affreux cette fête est complice ;
c’est assez qu’un tyran la consacre en ces lieux ;
et nous sommes perdus s’il invoque les dieux.
Va, cours avec ma sœur nous attendre au rivage ;
moi, je vais à Thyeste ouvrir un sûr passage.

Scène 3

Plisthène.
Dieux puissants, secondez un si juste dessein ;
et dérobez mon père aux coups d’un inhumain.

Scène 4 : Atrée, Plisthène, gardes.

Atrée.
Demeure, digne fils d’Aerope et de Thyeste ;
demeure, reste impur d’un sang que je déteste.
Pour remplir de tes soins le projet important,
demeure, c’est ici que Thyeste t’attend ;
et tu n’iras pas loin pour rejoindre, perfide,
les traîtres qu’en ces lieux arme ton parricide.
Prince indigne du jour, voilà donc les effets
que dans ton âme ingrate ont produits mes bienfaits !
à peine le destin te redonne à ton père,
que ton cœur aussitôt en prend le caractère ;
et plus ingrat que lui, puisqu’il me devait moins,
l’attentat le plus noir est le prix de mes soins.
Va, pour le prix des tiens, retrouver tes complices ;
va périr avec eux dans l’horreur des supplices.

Plisthène.
Pourquoi me supposer un indigne forfait ?
Est-ce pour vos pareils que le prétexte est fait ?
Vos reproches honteux n’ont rien qui me surprenne,
et je ne sens que trop ce que peut votre haine.
Aurois-je prétendu, né d’un sang odieux,
vous être plus sacré que n’ont été les dieux ?
à travers les détours de votre ame parjure,
j’entrevois des horreurs dont frémit la nature.
Dans la juste fureur dont mon cœur est épris...
mais non, je me souviens que je fus votre fils.
Malgré vos cruautés, et malgré ma colère,
je crois encore ici m’adresser à mon père.
Quoique trop assuré de ne point l’attendrir,
je sens bien que du moins je ne dois point l’aigrir,
dans l’espoir que ma mort pourra vous satisfaire,
que vous épargnerez votre malheureux frère.
Le crime supposé qu’on m’impute aujourd’hui,
tout, jusqu’à son départ, est un secret pour lui.
Sur la foi d’une paix si saintement jurée,
il se croit sans péril entre les mains d’Atrée :
j’ai pénétré moi seul au fond de votre cœur ;
et mon malheureux père est encor dans l’erreur.
Je ne vous parle point d’une jeune princesse ;
à la faire périr rien ne vous intéresse.

Atrée.
Va, tu prétends en vain t’éclaircir de leur sort ;
meurs dans ce doute affreux, plus cruel que la mort.
De leur sort aux enfers va chercher qui t’instruise.
Où l’on doit l’immoler, gardes, qu’on le conduise,
versez à ma fureur ce sang abandonné,
et songez à remplir l’ordre que j’ai donné.

Scène 5

Atrée.
Va périr, malheureux, mais, dans ton sort funeste,
cent fois moins malheureux que le lâche Thyeste.
Que je suis satisfait ! Que de pleurs vont couler
pour ce fils qu’à ma rage on est près d’immoler !
Quel que soit en ces lieux son supplice barbare,
c’est le moindre tourment qu’à Thyeste il prépare.
Ce fils infortuné, cet objet de ses vœux,
va devenir pour lui l’objet le plus affreux.
Je ne te l’ai rendu que pour te le reprendre,
et ne te le ravis que pour mieux te le rendre.
Oui, je voudrais pouvoir, au gré de ma fureur,
le porter tout sanglant jusqu’au fond de ton cœur.
Quel qu’en soit le forfait, un dessein si funeste,
s’il n’est digne d’Atrée, est digne de Thyeste.
De son fils tout sanglant, de son malheureux fils,
je veux que dans son sein il entende les cris.
C’est en toi-même, ingrat, qu’il faut que ma victime,
ce fruit de tes amours, aille expier ton crime.
Je frissonne, et je sens mon âme se troubler ;
c’est à mon ennemi qu’il convient de trembler.
Qui cède à la pitié mérite qu’on l’offense ;
il faut un terme au crime, et non à la vengeance.
Tout est prêt ; et déja, dans mon cœur furieux,
je goûte le plaisir le plus parfait des dieux.
Je vais être vengé, Thyeste, quelle joie !
Je vais jouir des maux où tu vas être en proie.
Ce n’est de ses forfaits se venger qu’à demi,
que d’accabler de loin un perfide ennemi ;
il faut, pour bien jouir de son sort déplorable,
le voir dans le moment qu’il devient misérable,
de ses premiers transports irriter la douleur,
et lui faire à longs traits sentir tout son malheur.


Scène 6 : Atrée, Thyeste, gardes.

Atrée, bas.
Thyeste vient ; feignons ; il semble, à sa tristesse,
que de son sort affreux quelque soupçon le presse.
haut.
cher Thyeste, approchez : d’où naît cette frayeur ?
Quel déplaisir si prompt peut troubler votre cœur ?
Vous paraissez saisi d’une douleur secrète,
et ne me montrez plus cette âme satisfaite
qui semblait respirer la douceur de la paix :
ne serait-elle plus vos plus tendres souhaits ?
Quoi ! De quelques soupçons votre âme est-elle atteinte ?
Ce jour, cet heureux jour est-il fait pour la crainte ?
Mon frère, vous devez la bannir désormais ;
la coupe va bientôt nous unir pour jamais.
Goûtez-vous la douceur d’une paix si parfaite ?
Et la souhaitez-vous comme je la souhaite ?
N’êtes-vous pas sensible à ce rare bonheur ?

Thyeste.
Qui ? Moi vous soupçonner, ou vous haïr, seigneur ?
Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qu’ici j’atteste,
qui lisent mieux que vous dans l’ame de Thyeste.
Ne vous offensez point d’une vaine terreur
qui semble, malgré moi, s’emparer de mon cœur :
je le sens agité d’une douleur mortelle ;
ma constance succombe ; en vain je la rappelle ;
et, depuis un moment, mon esprit abattu
laisse d’un poids honteux accabler sa vertu.
Cependant, près de vous, un je ne sais quel charme
suspend dans ce moment le trouble qui m’alarme.
Pour rassurer encor mes timides esprits,
rendez-moi mes enfants, faites venir mon fils ;
qu’il puisse être témoin d’une union si chère,
et partager, seigneur, les bontés de mon frère.

Atrée.
Vous serez satisfait, Thyeste ; et votre fils
pour jamais en ces lieux va vous être remis.
Oui, mon frère, il n’est plus que la Parque inhumaine
qui puisse séparer Thyeste de Plisthène.
Vous le verrez bientôt ; un ordre de ma part
le fait de ce palais hâter votre départ.
Pour donner de ma foi des preuves plus certaines,
je veux vous renvoyer dès ce jour à Mycènes.
Malgré ce que je fais, peu sûr de cette foi,
je vois que votre cœur s’alarme auprès de moi.
J’avais cru cependant qu’une pleine assurance
devait suivre...

Thyeste.
Ah ! Seigneur, ce reproche m’offense.

Atrée, à un garde.
Qu’on cherche la princesse ; allez, et qu’en ces lieux
Plisthène, sans tarder, se présente à ses yeux.
Il faut...

Scène 7 : Atrée, Thyeste, Eurysthène, gardes.

Eurysthène apporte la coupe .

Atrée.
Mais j’aperçois la coupe de nos pères :
voici le nœud sacré de la paix de deux frères ;
elle vient à propos pour rassurer un cœur
qu’alarme en ce moment une indigne terreur.
Tel qui pouvait encor se défier d’Atrée
en croira mieux peut-être à la coupe sacrée.
Thyeste veut-il bien qu’elle achève en ce jour
de réunir deux cœurs désunis par l’amour ?
Pour engager un frère à plus de confiance,
pour le convaincre enfin, donnez, que je commence.
il prend la coupe de la main d’Eurysthène.

Thyeste.
Je vous l’ai déja dit, vous m’outragez, seigneur,
si vous vous offensez d’une vaine frayeur.
Que voudrait désormais me ravir votre haine,
après m’avoir rendu mes états et Plisthène ?
Du plus affreux courroux quel que fût le projet,
mes jours infortunés valent-ils ce bienfait ?
Eurysthène, donnez ; laissez-moi l’avantage
de jurer le premier sur ce précieux gage.
Mon cœur, à son aspect, de son trouble est remis ;
donnez. Mais cependant je ne vois point mon fils.
il prend la coupe des mains d’Atrée.

Atrée.
à ses gardes Il n’est point de retour ? à Thyeste Rassurez-vous, mon frère ;
vous reverrez bientôt une tête si chère :
c’est de notre union le nœud le plus sacré ;
craignez moins que jamais d’en être séparé.

Thyeste.
Soyez donc les garants du salut de Thyeste,
coupe de nos aïeux, et vous, dieux que j’atteste.
Puisse votre courroux foudroyer désormais
le premier de nous deux qui troublera la paix !
Et vous, frère aussi cher que ma fille et Plisthène,
recevez de ma foi cette preuve certaine.
Mais que vois-je, perfide ? Ah ! Grands dieux ! Quelle horreur !
C’est du sang ! Tout le mien se glace dans mon cœur.
Le soleil s’obscurcit ; et la coupe sanglante
semble fuir d’elle-même à cette main tremblante.
Je me meurs. Ah ! Mon fils, qu’êtes-vous devenu ?

Scène 8 : Atrée, Thyeste, Théodamie, Eurysthène, Léonide, gardes.

Théodamie.
L’avez-vous pu souffrir, dieux cruels ? Qu’ai-je vu ?
Ah, seigneur ! Votre fils, mon déplorable frère,
vient d’être pour jamais privé de la lumière.

Thyeste.
Mon fils est mort, cruel, dans ce même palais,
et dans le même instant où l’on m’offre la paix !
Et, pour comble d’horreurs, pour comble d’épouvante,
barbare, c’est du sang que ta main me présente !
ô terre, en ce moment, peux-tu nous soutenir ?
ô de mon songe affreux triste ressouvenir ?
Mon fils, est-ce ton sang qu’on offrait à ton père ?

Atrée.
Méconnais-tu ce sang ?

Thyeste.
Je reconnais mon frère.

Atrée.
Il fallait le connaître, et ne point l’outrager ;
ne point forcer ce frère, ingrat, à se venger.

Thyeste.
Grands dieux, pour quels forfaits lancez-vous le tonnerre ?
Monstre, que les enfers ont vomi sur la terre,
assouvis la fureur dont ton cœur est épris ;
joins un malheureux père à son malheureux fils ;
à ses mânes sanglants donne cette victime,
et ne t’arrête point au milieu de ton crime.
Barbare, peux-tu bien m’épargner en des lieux
dont tu viens de chasser et le jour et les dieux ?

Atrée.
Non, à voir les malheurs où j’ai plongé ta vie,
je me repentirais de te l’avoir ravie.
Par tes gémissements je connais ta douleur :
comme je le voulais tu ressens ton malheur ;
et mon cœur, qui perdait l’espoir de sa vengeance,
retrouve dans tes pleurs son unique espérance.
Tu souhaites la mort, tu l’implores ; et moi,
je te laisse le jour pour me venger de toi.

Thyeste.
Tu t’en flattes en vain, et la main de Thyeste
saura bien te priver d’un plaisir si funeste.
il se tue.

Théodamie.
Ah ciel !

Thyeste.
Consolez-vous, ma fille ; et de ces lieux
fuyez, et remettez votre vengeance aux dieux.
Contente, par vos pleurs, d’implorer leur justice,
allez loin de ce traître attendre son supplice.
Les dieux, que ce parjure a fait pâlir d’effroi,
le rendront quelque jour plus malheureux que moi ;
le ciel me le promet, la coupe en est le gage ;
et je meurs.

Atrée.
À ce prix, j’accepte le présage :
ta main, en t’immolant, a comblé mes souhaits,
et je jouis enfin du fruit de mes forfaits.

P.-S.

Tragédie en cinq actes, représentée pour la première fois en 1707.
 Texte établi par Abréactions Associations d’après la tragédie de Prosper Jolyot de CRÉBILLON, Atrée et Thyeste, publiée aux Éditions Didot, à Paris, en 1818.

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