Psychanalyse-Paris.com Abréactions Associations : 8, rue de Florence - 75008 Paris | Tél. : 01 45 08 41 10
Accueil > Articles de psychanalyse > Tout se joue dans l’Inconscient ?

Métapsychologie

Tout se joue dans l’Inconscient ?

Intervention au « Salon du livre psy » organisé par Psychanalyse Magazine (Espace Reuilly : 28 novembre 2004)

Date de mise en ligne : samedi 9 avril 2005

Auteur : Guy MASSAT

Mots-clés : , ,

Tout se joue dans l’inconscient parce que tout se joue dans la parole et que l’inconscient est parole. Des mots nous contrôlent dans le conscient : nous répondons tous à notre nom etc., et puis, d’autres mots nous déterminent, soutient la psychanalyse, dans l’inconscient. Ces deux dimensions de la parole se font la guerre. Elles s’affrontent en des conflits interminables dont nous faisons les frais. Les psychanalystes sont ceux qui donnent plus de valeur aux paroles de l’inconscient qu’à celles du conscient, au moins dans le secret de leur cabinet. Nous allons brièvement examiner les choses d’abord du côté du conscient avant d’envisager ce qui se joue dans l’inconscient.

L’inconscient c’est la vie, la conscience c’est la mort

Nous sommes. Nous sommes par conscience d’être, c’est ce qu’on dit depuis Parménide, depuis l’aube de la philosophie. “L’être est, et le non-être n’est pas”. Nous sommes tellement habitués à être par conscience d’être que “la question de l’être est tombée dans l’oubli” comme l’a authentifié Heidegger dans son célèbre “L’Etre et le temps”. Mais, la désubstantialisation de la matière par la physique moderne ne nous autoriserait-t-elle pas à quelque renversement ? Et si c’était le contraire ! C’est-à-dire : Le non-être est et l’être n’est pas ? Puisqu’il n’y a plus de chose, selon la science quantique, n’y aurait-il plus que du “parlêtre” ? On pourrait en faire le pari. On pourrait développer la thèse qu’il n’y a jamais que de la parole, toute vérité ne pouvant être vérité qu’en étant dite. Quoi qu’il en soit, lorsque nous examinons l’existence à la lumière de la conscience, nous constatons - comme maints philosophes n’ont pas manqué de l’argumenter - que le fait d’exister, dans la perspective du conscient, n’est qu’une bien triste affaire. Une triste affaire qui ne couvre même pas les frais qu’elle nécessite puisqu’ici tout se trame dans la souffrance pour finir par la vieillesse, la séparation, la maladie, la mort et l’oubli. En bref, l’homme naît, se développe et meurt, et ses œuvres périssent tôt ou tard quelle que soit leur importance, en fin de compte toujours relative. Et comme chacun le sait, par le vécu de sa propre expérience, on se donne, en toute raison, beaucoup de mal dans l’existence pour bien peu de résultats. De plus, quand ces résultats s’avèrent plus ou moins satisfaisants, il se montrent, en même temps, au même moment, douloureusement éphémères. Toute constante est inexorablement inconstante. Certes, on ne peut nier que nous sommes parfois heureux. Mais le plus grand bonheur - et le moindre d’ailleurs -, semblent devoir être payés impérativement par de plus grands malheurs. Aucun banquier sérieux n’investirait de capitaux sur une entreprise de ce genre. Si toute conscience d’être, si toute conscience est conscience de quelque chose, cette chose, cet être, est immanquablement arrimé au chant du bouc qu’on amène au boucher, c’est-à-dire au tragique. Comme l’a formulé Schopenhauer : l’existence n’est qu’un étrange pendule qui balance de la souffrance à l’ennui et de l’ennui à la souffrance et qui ne s’arrête que sur la confusion des deux [1]. D’où, le paradigme magistral du philosophe Hégésias (quatre siècles avant notre ère) : puisqu’on ne peut se maintenir dans le bonheur et que nous sommes bien trop souvent malheureux, balayons notre conscience du monde, des choses et de nous-mêmes, soyons de bons économistes, de bons économistes de nos pulsions secrètes : “suicidons-nous tout de suite !”

Nous saisissons bien, tous et parfaitement, la profondeur sans fond de la raison raisonnante de cet implacable argument. Pourtant par une obstination curieuse, nous ne l’appliquons pas. Pourquoi ? La raison gouverne le monde, soutenait Hegel. Alors pourquoi ne renonçons-nous pas à la vie que la conscience révèle, dévoile, démontre, explique et résout en tant qu’affaire qui ne couvre jamais ses frais ? La conscience lorsqu’elle est parfaitement consciente d’avoir conscience d’être conscience, la conscience thétique de soi, se déchire en quelques lucides éblouissements pour nous faire voir que la vie est une histoire désastreuse en continuelle faillite, en perpétuel ratage. Et pourtant, nous remarquerons que ni Hégésias ni Schopenhauer, ni les autres, ne se sont suicidés... Comme nous ! Qu’est-ce qui se passe ? Les êtres vivants seraient-ils masochistes, ou débiles, ou les deux à la fois ? Manquerions-nous de lucidité ? Ne serions-nous que des marionnettes commandées par un sadique ? Serions-nous drogués, hallucinés, scotomisés ? Pas du tout. On se demande parfois pourquoi on vit ? Pas de réponse, jamais de réponse, et pourtant on vit ! On vit très bien. En dépit de toute raison, nous vivons, nous sommes en vie, tenus, portés en vie par l’inconscient. L’inconscient c’est la vie. L’inconscient c’est la vie alors que la conscience c’est la mort. La conscience est la mort puisque ce qui la caractérise est le savoir de sa mort. Et quand elle ne représente pas la mort, la conscience prend les masques du totalitarisme, de l’intégrisme, du scientisme, des dogmatismes aveugles, sous lesquels, comme chacun finit tôt ou tard par le savoir, il ne se tient jamais personne. À la réflexion, puisque nous devons inexorablement mourir ne sommes-nous pas déjà morts ? Vous êtes conscients de vous-mêmes ? Donc vous êtes morts ! Ceci n’est pas d’ailleurs sans présenter certains avantages comme celui par exemple dont on peut se servir pour ponctuer la finalité de la psychanalyse à savoir l’extinction de cette souffrance, de cette souffrance si obstinée, si particulière que ni les choses du corps ni celles de l’esprit ni les progrès sociaux ne parviennent à résoudre. Cernée de toutes parts par la mort, notre conscience s’agite et pense trop. Et cependant, rien n’est plus facile que de vivre : il n’y a qu’à se laisser aller, se laisser aller sans vecteur. “Quand j’ai faim, je mange et quand j’ai sommeil je dors, le fou se rit de moi, le sage me connaît” dit Lin tsi, un moine chinois... En outre, il est inutile pour vivre de savoir pourquoi. C’est ce que dit, par exemple, le chant éternel de Silésius : “La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, elle ne se soucie pas d’elle même. Elle ne demande pas si on la regarde”.

Il y a bien longtemps, Zénon d’Elée, en se plaçant strictement du point de vue de la conscience thétique, en tira ses fameuses conséquences : Achille, le rapide Achille, n’arrivera jamais à rattraper la tortue, puisque pour parcourir une distance il lui faut, en toute intelligence, en toute logique, d’abord en parcourir la moitié, puis la moitié de cette moitié et ainsi de suite. Et, dans cette même perspective, aucune flèche n’atteint jamais sa cible. L’être parménidéen est une sphère immobile et obscure, la capitale de la peur (le désir inavouable). Heureusement, Diogène, à la même époque, prouvait le mouvement... simplement en marchant.

Toute conscience n’est jamais qu’une bulle dans le champagne de l’inconscient

L’intelligence de l’inconscient n’est pas celle du conscient. Comme Freud le dit dans “Pulsions et destins des pulsions” : “La censure va de l’Inconscient au Conscient et non l’inverse”. C’est-à-dire que grâce à la censure de la conscience par l’inconscient nous sommes en vie. L’inconscient attaque sans cesse la forteresse du conscient par des lapsus linguae ou calami, des actes manqués, des oublis et autre cheval de Troie.

Les psychanalystes, nous semble-il, n’insistent plus assez sur ce conflit existentiel entre l’Inconscient et le Conscient. Cependant que le plus modestes des êtres vivants réussit en quelque sorte - moins brillamment certes, mais aussi implacablement et aussi sûrement qu’Emmanuel Kant - sa propre critique de la raison pure. Et nous saisissons par là tout l’intérêt de la psychanalyse, qui est, stricto sensu - les mots énonçant eux-mêmes ce qu’ils disent - la libération (analyse, analusis, en grec, signifie libération), la libération “du souffle vital”, psyché. Que peut bien être psyché, le souffle vital ? C’est le contraire de l’esprit : “Tout le psychisme est inconscient” dit Freud. Le souffle vital est la dimension de l’inconscient. Et ce souffle vital est essentiellement parole, il s’incarne en paroles.

L’affaire n’est pas si nouvelle que ça. Ou plus exactement, on peut constater qu’elle est très ancienne et en même temps prévalente à toute contemporanéité, à la simple condition, que ce soit avec l’œil de Freud, avec le regard psychanalytique, qu’on interroge le passé en le bouclant par la parole. La psychanalyse parle aussi le Grec. Psychanalyse, en effet, est un mot grec composé de deux notions prestigieuses : libération et souffle vital. Examinons par exemple, si vous le voulez bien, l’adage vétéran qui était inscrit, nous raconte-t-on, sur le fronton du temple de Delphes. Il serait l’œuvre de la poétesse Phémonoé, à qui l’on doit la métrique de l’hexamètre, dont les rappeurs d’aujourd’hui continuent de cristalliser à leur insu l’extime qui désigne à la fois le plus proche et le plus lointain. Cet adage, connu de tous, c’est le fameux Gnosis séauton “connais-toi toi-même”. Cet impératif ne maintient pourtant sa véritable signification qu’à la lumière de l’inconscient. Car, si le “connais-toi toi-même” ne s’adressait qu’au conscient, il ne ferait pas littoral, il ne marquerait aucune frontière. Il resterait forclos. En effet, chacun ne sait-il pas qui il est, dans le conscient ? Ne connaît-il pas son nom, son sexe, son adresse, et jusqu’au code de sa porte ? Personne ne se confond dans le conscient avec un autre, ni grand ni petit. Mais, lorsque nous transportons la question dans les vecteurs de l’inconscient, elle se reboucle sur de tout autres abîmes. Qui suis-je ? demande Œdipe, doutant d’être le fils du roi de Corinthe, Polybe, et de la reine Péribée. Qui suis-je ? Et l’oracle de la Pythie Phémonoé répond par cette schize, cette coupure : tu es ton désir inconscient à savoir : tu tueras ton père et tu épouseras ta mère ! Rien de moins que le complexe nucléaire de toutes les névroses, ne cesse de conclure Freud.

De même, l’autre adage de Delphes Méden agan : “Rien de trop” se présentifie par une tout autre tournure dès qu’il se repère non pas du conscient mais de l’inconscient. Dans le conscient “rien de trop” n’embraye que sur la modération, ou pour faire court, sur l’ennui et la médiocrité. Ne pas trop boire, ne pas trop manger, pas trop de ceci, pas trop de cela, ne jamais s’aventurer hors du consensus social ordinaire. Un Indien à qui Jean Cocteau faisait remarquer qu’il fumait peut-être “un peu trop”, l’épingla par cette formule : “un peu trop c’est juste assez pour moi !” Il n’y a “rien de trop” dans l’inconscient. L’excessif n’y est pas insignifiant. L’excessif s’y peut changer en son contraire et vice-versa.

L’inconscient absorbe tout. Les rêves y deviennent réalité. Les mensonges, vérités, et les contradictoires y sont enfin possibles. Il est l’hospitalité sans condition. On ne trouvera sur aucune planète de région aussi hospitalière que l’inconscient. Nous y trouverons le rêve, l’illusion, les épiphanies du fantasme, finalement tout ce qui compte dans la vie, tout ce qui fait l’appât de la parole et les beautés de l’apparence. Et comble du comble, rien n’y est obligatoire. La castration est la limite, la limite qui fait coupure. La limite est créatrice parce qu’elle est la bifurcation dynamique de la parole. Mais l’inconscient reste à jamais inconnaissable en tant que stase. Et sur ce que nul ne peut saisir quiconque peut mentir comme le font si bien les religions et les sciences quand elles se présentent en médiateurs de l’inconscient. La psychanalyse, elle, ne s’appuie sur aucun objet médiateur, elle ne s’immerge que dans la parole. La psychanalyse est sans médiation. Elle plonge directement l’analysant au cœur de la parole abrupte, la parole de l’inconscient et l’inconscient de la parole. Elle est acheminement vers la parole.

Mais si l’inconscient est parole, il n’est pas la parole ordinaire ou la parole savante. Il est une parole qui échappe au contrôle de la conscience. Que la conscience tente de le refouler cela ne l’empêche nullement de faire retour sous des formes inattendues et de s’exprimer par la souffrance. La parole qu’est l’inconscient parle sous des apparences diverses. Elle parle dans ce que nous disons comme dans ce que nous taisons. Elle parle quand nous sommes éveillés, elle parle quand nous dormons, elle parle quand nous rêvons. Elle parle sans cesse, même quand nous ne proférons aucune parole et que nous ne faisons qu’écouter ou que nous nous abandonnons à ne rien faire et même à ne rien écouter. Elle parle avec le silence, dans le silence, avant le silence. Elle parle sans qu’elle ait besoin des organes de la phonation et de l’audition. Ce sont eux, en toute rigueur, qui ont besoin d’elle pour être exprimés. C’est donc une parole qui ne se nourrit que d’elle-même comme le serpent qui ne vit qu’en changeant de peau ou ce serpent mythologique qui ne pouvait vivre qu’en s’absorbant lui-même. Ainsi l’inconscient parle dans tout ce qui est né, créé, formé, mais aussi dans ce qui n’est pas né, ni créé ni formé, sinon comment y aurait-il tout ce qui ne fait qu’apparaître ?

Quand la conscience qui croit tout calculer - ce qui la rend si sûre d’elle même -, s’interroge sur la parole, si elle lui cherche un fondement, un concept, une base qui satisferait sa demande, sur quoi débouche-t-elle ? Si sa demande est sérieuse elle ne peut déboucher que sur l’abîme, l’abîme sans fond, le trou tourbillonnant dans le réel de l’inconscient. Aussi la voit-on se rassembler avec terreur sur cette tautologie : “C’est la parole qui parle”. “Cette parole qui quand elle sonne n’est plus la voix de personne”. Et voilà la conscience en suspens d’incrédibilité au-dessus du vide autant que son courage la rend capable de ne pas s’éloigner de ce qu’elle prononce. Que faire au-dessus du vide ? Y sauter ? Va-t-on s’y perdre ? Non pas, car quand nous sautons dans cet abîme du réel qu’est l’inconscient, nous ne tombons pas comme dans une chute, au contraire, nous sommes propulsés vers des hauteurs d’où se déploient toutes sortes d’histoires plus extraordinaire les unes que les autres.

Autoriserons-nous à scinder le mot “parole” ? On peut le rompre comme un tome en “pas” et en “rôle”. Le mot “pas” désigne le mouvement et “rôle” a pour étymologie roue. Une roue se définit par son roulement. Mais à la différence d’une roue matérielle, c’est une roue qui, même à l’arrêt, ne cesse encore de rouler. Et à quelle vitesse roule-t-elle ? L’inconscient est cette parole qui va plus vite que le temps qu’il constitue, comme il constitue tous les phénomènes qu’il produit pour en faire absorption. La parole est ainsi ce qui échappe par nature à toute explication de sa nature. Et cette ignorance, cette docte ignorance, il vaut mieux la protéger que de la dissimuler par quoi que ce soit. C’est ce que conseillait déjà Héraclite : “Amathéin, aménon kruptein” (frag.95). Cette ignorance, la nôtre, “notre ignorance, il vaut mieux la protéger”. L’inconscient a-t-il besoin de la psychanalyse ? Il n’en a pas besoin. La psychanalyse en revanche a besoin de l’inconscient hors duquel elle ne serait qu’une aimable plaisanterie qui ne pourrait résister à la moindre critique épistémologique.

Toute science se définit par son objet. Et l’objet de la psychanalyse, on l’appelle “l’objet petit a”, l’objet cause du désir, l’objet qui parle du désir. Seulement voilà, “ce n’est pas un objet du monde”, dit Lacan, ni du monde de l’esprit ni du monde des corps. Par un tour de passe-passe, les détracteurs de la psychanalyse font croire que l’esprit est l’inconscient, que c’est pareil, puis, ils réfutent la psychanalyse comme mauvaise théorie de l’esprit. Et ils croient étourdiment que la messe est dite. La méthode des associations libres n’a pas pour fonction de sonder l’esprit, évidemment, mais au contraire d’explorer l’inconscient. La psychanalyse est le seul lieu où chacun peut dire ce qu’il a à dire, le seul lieu où il n’est pas contraint de dire ce qu’il devrait dire au nom de ceci ou de cela. L’inconscient libérateur, l’impermanence créatrice, la parole impertinente, on s’en sert continuellement sans qu’on puisse en faire des objets mesurables et statiques. Comment pourrait-on connaître la flèche qui vole ? Puisque dès qu’on l’arrête pour l’examiner, elle ne vole déjà plus. Les concepts freudiens et lacaniens ne sont valables, comme leur vocabulaire, que dans la dimension de l’inconscient. Hors de ce champ ils deviennent ridicules. La psychanalyse ne peut se réduire ni à la chimio-analyse ni à la socio-analyse, ni à la politique et encore moins à leur amalgame. Le corps n’est pas l’esprit, qui n’est pas l’inconscient qui n’est pas le corps, bien que ces trois hypostases soient dynamiquement nouées ensemble. Une utopie des sciences consiste à croire que les neurosciences arriveraient, dans leurs admirables avancées, à modifier tant soit peu la conception que la psychanalyse a de l’inconscient.

Enfin, pour conclure, je vous propose une métaphore : la psychanalyse - celle qui ne s’occupe que de l’inconscient -, se distingue de la psychiatrie et de la psychologie parce que pour elle toute conscience n’est jamais qu’une bulle dans le champagne de l’inconscient.

Partenaires référencement
Psychanalyste Paris | Psychanalyste Paris 10 | Psychanalyste Argenteuil 95
Annuaire Psychanalyste Paris | Psychanalystes Paris
Avocats en propriété intellectuelle | Avocats paris - Droits d'auteur, droit des marques, droit à l'image et vie privée
Avocats paris - Droit d'auteur, droit des marques et de la création d'entreprise