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Théodore FLOURNOY

Sur l’auteur du roman martien

Des Indes à la planète Mars (Chapitre V- §IV)

Date de mise en ligne : mercredi 14 juin 2006

Mots-clés : , ,

Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

CHAPITRE CINQ
Le cycle martien

IV. SUR L’AUTEUR DU ROMAN MARTIEN

Les remarques générales que suggère le cycle martien différeront assurément selon qu’on y voit une révélation authentique des choses de la planète Mars, ou une simple fantaisie de l’imagination du médium. Je laisse aux partisans de la première hypothèse, s’il s’en trouve, le soin de tirer de toutes ces communications les conséquences qu’elles comportent relativement à l’écart de civilisation de l’humanité de là-haut, et me borne à leur souhaiter que la découverte de quelque autre méthode d’investigation - de préférence pas médianimique - vienne sans trop tarder confirmer d’une façon indépendante la justesse de leurs déductions. En attendant, je crois devoir m’en tenir à la seconde supposition, et demander au roman martien des renseignements sur son auteur plutôt que sur son objet.

Cet auteur inconnu me frappe par deux ou trois points.

1. D’abord il fait preuve d’une singulière indifférence - à moins que ce ne soit de l’ignorance - à l’égard de toutes les questions qui préoccupent à l’heure actuelle, je ne dis pas seulement les astronomes, mais peut-être encore davantage les gens du monde un peu teintés de vulgarisation scientifique et curieux des mystères de notre univers. Les canaux de Mars, en toute première ligne, les fameux canaux avec leurs dédoublements temporaires plus énigmatiques même que ceux du Moi des médiums ; puis les bandes de culture supposées sur leurs bords, la fonte des neiges autour des pôles, la nature du sol et les conditions de la vie sur des territoires tour à tour inondés et brûlés, les mille questions d’hydrographie, de géologie, de biologie qu’un naturaliste amateur se pose inévitablement au sujet de notre proche planète - de tout cela, l’auteur du roman martien ne sait rien, ou n’en a cure. Comme ce n’est certainement pas le scrupule de nous en faire accroire ni la peur de se tromper qui l’arrête, puisque ces sentiments eussent été aussi naturels dans le domaine linguistique où l’on verra qu’ils ne l’ont point retenu, j’en conclus que vraiment les problèmes des sciences physiques et naturelles n’existent pas pour lui.

Ceux de la sociologie ne le tourmentent pas beaucoup plus ; car bien que les gens prennent presque toute la place dans les visions martiennes et y fassent volontiers la conversation, ils ne nous renseignent aucunement sur l’organisation civile et politique de leur globe, les beaux-arts ou la religion, le commerce et l’industrie, les rapports des peuples entre eux, etc. Les barrières des nations sont-elles tombées comme on l’a supposé, n’y a-t-il plus là-haut d’autre armée permanente que celle des travailleurs occupés à l’exécution et à l’entretien de ce gigantesque réseau de canaux de communication ou d’irrigation ? Esenale et Astané n’ont pas daigné nous en instruire, non plus que du féminisme et de la question sociale. Il semble bien ressortir de divers épisodes que la famille est comme chez nous à la base de la civilisation martienne ; cependant, nous n’avons aucune information directe et détaillée sur ce point, non plus que sur l’existence possible d’autres formes de degrés de culture dans le reste de la planète. Inutile d’allonger. Il est évident que l’auteur de ce roman n’éprouve aucun souci proprement scientifique, et qu’en dépit de sa préoccupation initiale de répondre aux désirs de M. Lemaître (voir p. 139), il n’a pas le moindre sentiment des questions que suscite de nos jours, en tout esprit cultivé, la seule idée de la planète Mars et de ses habitants probables.

2. Si au lieu de reprocher au roman martien ce qu’il ne nous donne pas, nous tentons d’apprécier à sa juste valeur ce qu’il nous donne, en prenant pour terme de comparaison les choses connues d’ici-bas, nous sommes frappés de deux points que j’ai déjà touchés plus d’une fois en passant : l’identité foncière du monde martien, pris dans ses grands traits, avec le monde qui nous entoure, et son originalité puérile dans une foule de détails secondaires. Voyez, par exemple, la fête de famille (p. 169). Sans aucun doute, on y salue le vénérable Astané par une caresse dans ses cheveux au lieu d’une poignée de mains ; les jeunes couples dansent en se tenant non par la taille, mais par l’épaule ; les plantes d’ornement n’y appartiennent pas à nos espèces connues ; les trombones des musiciens ont un couvercle et donnent des sons flûtés, etc. ; mais, sauf ces insignifiantes divergences d’avec nos us et coutumes, dans l’ensemble et comme ton général, c’est absolument comme chez nous. Il y a moins de distance entre les moeurs martiennes et notre genre de vie européen qu’entre celui-ci et la civilisation musulmane ou les peuples sauvages.

L’imagination qui a forgé ces scènes d’intérieur ou de plein air avec tout leur décor est remarquablement calme, pondérée, attachée au réel et au vraisemblable. Elle ne se permet d’innover que dans la mesure où les merveilles de notre industrie nous ont habitués à ne plus nous étonner de ce que nous ne comprenons pas d’emblée. Le « miza » qui roule sans moteur visible, sur un chapelet de boules, n’est ni plus ni moins extraordinaire pour un spectateur non initié que tant de véhicules imprévus qui sillonnent nos routes. Les globes colorés placés dans l’épaisseur des murs des maisons pour éclairer les rues, rappellent fortement nos lampes électriques, bien que, paraît-il, ils n’en soient pas. La machine à voler d’Astané sera probablement bientôt réalisée, sous une autre forme sans doute : mais, hormis les constructeurs, qui s’inquiète de la forme ou du principe d’une nouvelle invention et oserait déclarer a priori qu’elle est impossible ? Les ponts qui disparaissent sous l’eau pour laisser passer les bateaux (texte 25) sont, sauf pour un technicien, aussi naturels que les nôtres, qui arrivent au même résultat en se levant en l’air. Et ainsi de suite. À l’exception des « pouvoirs évocateurs » d’Astané, emprunt évident aux idées spirito-occultistes, et qui, d’ailleurs, ne concernent que Mlle Smith personnellement et ne figurent dans aucune scène martienne, il n’y a rien sur Mars qui dépasse ce qu’on obtient ou peut attendre des ingénieurs d’ici-bas.

Pour créer du nouveau et de l’inédit, l’auteur de ce roman s’est donc tout simplement inspiré de ce qui se voit d’étonnant dans nos rues et de ce que les enfants inventent d’eux-mêmes. C’est une bonne et sage petite imagination de dix à douze ans, qui trouve déjà suffisamment drôle et original de faire manger les gens de là-haut dans des assiettes carrées avec une rigole pour le jus, de charger une vilaine bête à un oeil unique de porter la lunette d’Astané, d’écrire avec une pointe fixée à l’ongle de l’index au lieu d’un porte-plume, de faire allaiter les bébés par des tuyaux allant directement aux mamelles d’animaux pareils à des biches, etc. Rien des Mille et Une Nuits, des Métamorphoses d’Ovide, des contes de fées ou des Voyages de Gulliver ; pas trace d’ogres, de géants ni de véritables sorciers dans tout ce cycle. On dirait l’oeuvre d’un jeune écolier à qui on aurait donné pour tâche d’inventer un monde aussi différent que possible du nôtre, mais réel, et qui s’y serait consciencieusement appliqué, en respectant naturellement les grands cadres accoutumés hors desquels il ne saurait concevoir l’existence, mais en lâchant la bride à sa fantaisie enfantine sur une foule de points de détails, dans les limites de ce qui lui paraît admissible d’après son étroite et courte expérience.

3. À côté de ces innovations arbitraires et futiles, le roman martien porte, en une foule de ses traits, un cachet nettement orientai sur lequel j’ai déjà souvent insisté. Le teint jaune et les longs cheveux noirs d’Astané ; le costume de tous les personnages, robes chamarrées ou de nuances vives, sandales à lanières, chapeaux plats et blancs, etc. ; les longues tresses des femmes et les ornements en forme de papillons de leur coiffure ; les maisons aux formes bizarres tenant de la pagode, du kiosque, du minaret ; les couleurs éclatantes et chaudes du ciel, des eaux, des rochers et de la végétation ; les lacs aux bords découpés s’avançant en minuscules promontoires garnis d’espèces de campaniles (voir fig. 13 et 14), etc. ; tout cela a un faux air japonais, annamite, chinois, hindou, je ne sais quoi encore, tout à la fois. Il est à noter que cette empreinte d’Extrême-Orient est purement extérieure, ne porte que sur la partie visuelle pour ainsi dire de tout le roman, et ne pénètre aucunement jusqu’aux caractères et aux moeurs des personnages. C’est comme si l’écolier dont je parlais tout à l’heure, ayant vu quelques photographies ou gravures coloriées de ces contrées lointaines, mais sans rien savoir encore de précis sur les coutumes de leurs habitants, avait conservé dans l’oeil une impression confuse de tout cet ensemble de formes et de tonalités si différentes de celles de nos pays, puis s’était amusé à répandre ce vernis superficiel d’exotisme sur les images du monde nouveau qu’on le chargeait de créer, de manière à lui donner un aspect aussi original que possible.

Tous les traits que je viens de relever chez l’auteur du roman martien, et bien d’autres, peuvent se résumer en un seul : son caractère profondément enfantin. Il faut la candeur et l’imperturbable naïveté de l’enfance, qui ne doute de rien parce qu’elle ignore tout, pour se lancer sérieusement dans une entreprise telle que la peinture prétendue exacte et authentique en tous points d’un monde inconnu, ou pour s’imaginer qu’on réussira à donner le change simplement en travestissant à l’orientale et en saupoudrant de puériles bizarreries les faits courants de la réalité ambiante. Jamais une personne adulte, moyennement cultivée et ayant quelque expérience de la vie, ne perdrait son temps à élaborer de pareilles sornettes - Mlle Smith moins que toute autre, intelligente et développée comme elle l’est dans son état normal.

Cet aperçu provisoire sur l’auteur du cycle martien trouvera sa confirmation et son complément dans les chapitres suivants, lorsque nous aurons examiné la langue martienne, dont j’ai fait abstraction jusqu’ici.

P.-S.

Texte établi par PSYCHANALYSE-PARIS.COM à partir de l’ouvrage de Théodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars. Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Éditions Alcan et Eggimann, Paris et Genève, 1900.

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