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L’État et moi

Nous avons un fumeur dans le quartier

par Alex. Cistelecan

Date de mise en ligne : samedi 22 octobre 2005

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Article paru dans le n° 805 (9-15 Août 2005) de Revista 22 (Bucuresti, Romania), sous son titre original roumain : Avem un fumator in cartier (L’État et moi).

Nous avons un fumeur dans le quartier
(L’État et moi)

Pour un regard un tant soit peu entraînant dans le sport de la suspicion, les motifs de persécution médico-étatiques dirigée contre les fumeurs sont évidents : a) le détournement et le rabaissement du niveau de dialogue social (ce texte en fait la preuve) ; b) dans le cadre strictement alimentaire, l’occultation du vrai problème, à savoir que personne ne mange plus de nos jours seulement de la viande, ou purement et simplement des pommes de terre, ou n’importe quoi d’autre, mais plutôt quelque chose que nous préférons ne pas savoir. Dans la cuisine non plus il n’existe pas de victimes innocentes [1] ; c) le fait de biffer une nouvelle étape de l’histoire (déjà vénérable) de la bio politique mondiale, étape qui dépasse le stade classique de l’eugénisme nazi par un changement de niveau du discours idéologique : de la métaphore à la littéralité. La justification ne passe plus par le mythe, mais par le positionnement sévère de l’indicateur vers sa propre transparente radiographie. Aujourd’hui la police sait, elle ne croit pas ; d) et enfin, aspect lié directement au précédent : le maintien forcé du sujet dans un état de culpabilité paralysante, aspect qui s’explique le plus rapidement par le recours à la Critique de la Violence de Benjamin (où la culpabilité n’est pas un concept étique-religieux mais un contexte qui ne tient que de la sphère du droit et où, par conséquent, l’affranchissement de la culpabilité - l’apparition du messie - est, en fait, un affranchissement de la loi et du droit), ou par le recours aux développements ultérieurs apportés par Agamben (ou la culpabilité ne se réfère pas à la transgression, c’est à dire à la détermination du licite et de l’illicite, mais au simple fait d’être en vigueur de la loi au simple fait de se référer à quelque chose [2], et où, par conséquent, « tant qu’il existe l’État, il n’existe pas de liberté » / Engels et autres/)

Pour le moment cependant, l’État m’est entré dans les toilettes. Et il contrôle ma respiration. Preuve que les mesures bio politiques contemporaines soutenues par l’armée des blouses blanches tiennent de la pure idéologie, est incarnée et fournie précisément par le nouveau hygiénico-alimentaire correcte : là où nous aurions attendu la réapparition d’Apollo lavé de tous les déchets de notre monde, est survenue, en réalité, l’obésité comme symptôme de notre époque, le corps qui sort de ses limites, s’épandant à l’infini. En attendant, le tabac, le café, l’alcool, et même le cannabis ont été comme le diable, toujours au voisinage de l’homme, vieux camarade dans l’histoire de ses souffrances, alors que le cancer est une maladie propre à l’époque : un symptôme à elle. Dans les mots de Baudrillard, l’individu devient « la métastase cancéreuse de son propre code génétique ». La situation reflète, en fond, on ne peut plus clairement, la théorie lacanienne sur la nature du discours de la science, autrement dit la forclusion du sujet à son intérieur : car le sujet scientifiquement correcte, produit en Amérique, semble ne pas être que la pose res extensa, inentravée par la négativité de res cogitaux : où sautant à un autre niveau lacanien, aujourd’hui il n’existe que le pur sujet de l’énoncé - l’image de l’homme promue par les médias et l’idéologie, la philosophie de l’imaginaire (tellement à la mode aujourd’hui), la psychanalyse jungienne etc. - d’où manque la dimension du sujet de l’énoncé. Pas des formes sans fond mais un fond sans forme. Comme l’écrit Adorno identifiant dans la santé standardisée même de l’époque sa maladie mortelle, face à ses champions de l’hygiène et ses marathoniens du bon sens, il n’en faut pas beaucoup pour que leur vivacité alerte et leurs forces débordantes fassent qu’on les prenne pour des cadavres bien préparés à qui on a caché la nouvelle de leur propre décès. « Tous leurs mouvements ressemblent à des réflexes d’êtres dont le cœur s’est arrêté » [3].

L’espace publique est devenu fast-food. De même que le pouvoir politico-médiatique exerce aujourd’hui son hystérie [4] au nom d’idéaux scientifiques froids, dépourvus de toute passion - et précisément de ce fait d’autant plus agressifs - de même dans l’espace public les discussions sont désinfectées de prime abord de tout résidu idéique dangereux ne laissant leur place qu’aux idéologies minimaliste de l’écologisme et du multiculturalisme, dont le slogan est « ne faisons pas de vagues ». Tranquillement. Nous jouissons coupablement. Jadis nous doutions de la capacité de « faire face à la vie » et de l’heureuse maturité d’une jeune génération versée à la bohème. À quoi devrait-on s’attendre cependant d’une juteuse génération pour qui l’espace public veut dire une agglomération de fast-food, et les beuveries sont remplacées par un surdosage d’hamburgers. « Mange ton Dasein ». Les motifs des succès planétaires des fast-foods ne doivent pas être cherchés loin : il est vrai que, par rapport au vieux restaurant ils veulent dire mal bouffe, au même prix, service au coude à coude, relation impersonnelle (pas de pourboires), des garçons anonymes (malgré un badge sur la poitrine) : mais précisément pour ces motifs le fast-food s’est imposé : sur le visage du client brusque on lit ce que Freud décrivait ainsi dans l’analyse de L’Homme aux rats : « on remarque sur son visage une expression complexe et bizarre, expression que je ne pourrai traduire autrement que par l’horreur d’une jouissance de lui ignorée ». Ce qui nous conduit au vrai problème : la passivité de l’opinion publique, la sage réconciliation avec laquelle le citoyen d’aujourd’hui assiste à la répétition de sa privation de liberté. Trouver encore aujourd’hui un fumeur qui ne soit pas submergé par la culpabilité de fumer est une véritable performance. Jusqu’à il y a pas longtemps était valable le syntagme selon lequel « les sociologues commencent à parler misérablement et les misérables commencent à parler comme des sociologues ». Aujourd’hui la réconciliation a fait un pas, final, vers soi et pour soi, et les misérables parlent de nouveau misérablement, mais pas de manière immédiate, mais reproduisant l’ordure sociologique dictés par les appareils idéologiques de mise au pas. « La fumée tue ». Mais qui vit ?. « La fumée produit de l’impuissance ». Mais qui pense encore à ça ? [5] « les fumeurs meurent prématurément ». Est-ce que quelqu’un meure à temps ? ou enfin plus élégant, l’argument de la bien séance : « quand tu fumes, ceux qui sont près de toi, les honorables fumeurs passifs inhalent une quantité de fumée au moins double ». Bien sûr, évidemment, en dernier le recours à la haine et à pousse-toi que je m’y mettes est le plus efficient : la chèvre du voisin est un problème que chacun doit résoudre, à la fin, par des travaux manuels. La production et la commercialisation de la culpabilité pose marquée par une nouvelle étape, finale (?), et dans l’évolution du statut de la police : de façon parallèle avec l’évolution du spectacle de Débord, nous avons eu la police concentrée (le modèle classique de la souveraineté) et la police diffuse (chacun est flic pour l’autre : le modèle des états communistes ; ou tous sont des flics pour chacun : le modèle de la police médiatique des états démocratiques) : aujourd’hui, enfin, nous assistons à l’apparition de la police intégrée entre le sujet et soi-même. Un nouvel état d’exception s’institue et un nouveau camp de concentration ferme ses portes dans mes toilettes. Voir le mythe des opératrices téléphoniques [6].

Fumeurs de tous les pays, gare à vous ! Arrive, enfin, les Américains avec leur armée de spécialistes. « Jesus and his lawyers are coming back » [7]. Comme le messie de Kafka : le jour d’après quand ne persiste plus que le mal de tête. Le principe suprême de la psychanalyse lacanienne affirme qu’il n’existe pas de rapport sexuel : ce qui dans la vie se traduit que toute situation de désir est comme une victoire par défaut de présentation. On dit qu’au comble de la jouissance Adorno entend des sabots de nazi dans le couloir, le Surmoi casqué pénètre dans la chambre en criant : « Que se passe-t-il ici ? », et toi tu penses déjà à autre chose.

Voir en ligne : Avem un fumator in cartier (L’État et moi)

P.-S.

Texte traduit du Roumain par Paul PAPAHAGI.
 Les mots en italiques sont en français dans le texte ; les soulignés sont de l’auteur.

Notes

[1et sur le nouveau statut ontologique de la matière mis en lumière par les grands E on n’a pas encore assez écrit : une matière paradoxale artificiellement produite qui coûte moins que la gratuité elle-même de la matière, que son physis même.

[2Georgio Agamben Homo Sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Giulio Einaudi, Torino, 1995, p. 32

[3Th. W. Adorno. Minima moralia, fragment 36

[4Le sujet hystérique est celui qui bombarde littéralement le maître de questions au sujet de son identité symbolique : c’est un sujet qui résiste au nom du reste - objet a - à l’identification que propose le discours du maître. Une loi (et un pouvoir hystérique - un discours du maître qui est en même temps un discours de l’hystérique, donc une nitschèenne morale de l’esclave - est une loi qui reste en vigueur comme une forme vide de la loi, dépourvue de contenu et le sujet politique de ce pouvoir, la vie nue, devient immédiatement loi : une écriture qui a perdu son sens et reste en vigueur devient immédiatement vide - c’est à dire la vie vécue en bas du Château ou du Procès kafkaïen. Cf. Georgio Agamben, Op. Cit., p. 57-71.

[5saisissons ici la « littéralité » avec laquelle s’accomplit une prophétie lacanienne, à savoir la théorie de l’instance symbolique : si en psychanalyse lacanienne, le père symbolique, le Nom du père est une métaphore dont « l’assomption » permet la sortie heureuse du complexe oedipien et, par conséquent, la solution de la dialectique serait avoir (le phallus), bref : la puissance, alors aujourd’hui la métaphore paternelle, comme métaphore, devient littérale. Le Nom-du-Père symbolique, devient ce qu’il a toujours été : une formule génétique : un signifiant. Plus lacanien on ne pouvait pas.

[6Le mythe des opératrices téléphoniques. Dans l’éternel département de Vaslin a eu lieu le fait divers suivant : une citoyenne désireuse de parler à sa mère téléphone itérativement au numéro de celle-ci sans qu’il lui soit répondu. Quand, enfin, au sixième essai, disons, la mère appelée répond au téléphone, le dialogue prend une tournure de plus en plus vociférante en marge de ces deux énoncés antagonistes. La fille : « j’ai déjà appelé environ 5 fois, mais personne n’a répondu ». La mère : « impossible j’étais à la maison ». La discussion devenant électrique a été solutionnée de manière heureuse par l’intervention live d’une voix sur le fil : « c’est comme elle dit madame, elle vous a déjà appelé car c’est moi qui ait fait la liaison ». Les opératrices téléphoniques représentent, sans doute, dans l’apparence même de leur modeste condition, un motif philosophique extraordinaire : celle de la communicabilité interrompue, de la médiation en chair et en os. Un vrai démon socratique. Dans la sphère des moyens purs il est (ce motif philosophique, ce démon socratique), selon ce que l’on sait d’Agamben,, en même temps la possible alternative au système, et le domaine le plus investi par lui. La solution du problème de l’opératrice téléphonique semble être le dédoublement, sa multiplication : laissons les opératrices parler entre elles.

[7Jésus et ses avocats reviennent (N.d.T.).

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