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Névrose obsessionnelle au féminin ?

Lacan, Bouvet et la mascarade féminine de Joan Rivière

Date de mise en ligne : samedi 4 février 2006

Auteur : Paul PAPAHAGI

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Introduction - Quelques traits de structure chez l’obsessionnel

Selon Lacan, le futur obsessionnel est un enfant dont la demande est insupportable pour l’entourage. Il demande une petite boîte. Là où, pour Maurice Bouvet, la psychose reste menaçante pour l’obsessionnel en raison des symptômes parapsychotiques que l’on y rencontre, type dépersonnalisation, sentiment d’étrangeté, etc. Lacan est d’accord avec les auteurs qui voient une incompatibilité entre les deux affections. « C’est très, très, très rare. Personnellement, je ne l’ai jamais vu dans ma pratique, Dieu merci », nous assure-t-il.

Dans son articulation, Lacan se réfère à Freud, selon qui, il y a chez l’obsessionnel défusion précoce entre instinct de vie et de mort. À un stade précoce, les tendances destructrices se détachent, l’installant dans une subjectivité très particulière.

Le futur obsessionnel demande une petite boîte de rien du tout et c’est intolérable pour les parents car cette demande a le caractère d’une condition absolue, affirme Lacan, qui est propre au « désir en tant que tel ». Cette demande aboutit de façon implacable à la destruction de l’Autre, ce qui fait tout le drame de l’obsessionnel, car de cet Autre, il en a le plus grand besoin pour exister. C’est cette négation de l’Autre qui rend le désir de la petite boîte si intolérable. C’est ce qui explique la contradiction profonde entre l’obsessionnel et son désir. Une des spécialités de l’obsessionnel, c’est l’escarpolette entre projection et introjection, à ceci près que pour Lacan, la projection est imaginaire alors que l’introjection est symbolique.

Faute de pouvoir comme l’hystérique s’identifier au petit autre imaginaire, l’obsessionnel sur la voie de son désir va rencontrer le signifiant phallique et cela, de mille manières, comme si un champ de champignons était ce qu’il y avait à traverser, cette chasse aux champignons étant pour lui une condition pour la subsistance de son être hors du point d’appui du désir de l’Autre, cher à l’hystérique.

L’œuvre de Freud, selon Lacan, nous montre le sujet humain en train de se constituer comme Je dans l’acte de la parole. Le sujet obsessionnel est assurément dans une position problématique par rapport à l’Autre, qui est menacé de mort par son désir.

De quoi parlera un obsessionnel « tout venant » lorsqu’il rencontre un psychanalyste ? D’empêchements, d’inhibitions, de craintes, de doutes, d’interdictions. Ce n’est que par la suite, lorsque l’analyste aura fourni à cet obsessionnel quelques clefs, qu’il lui confiera ses fantasmes, dans ce qu’ils ont de plus envahissants, de captivant, d’absorbant voire d’engloutissant, nous dit Lacan.

On peut dire que l’obsessionnel demande sans cesse à l’Autre la permission de désirer ce qui le met par rapport à cet Autre dans une grande dépendance qui n’est pas sans impliquer le refus (Versagung, Freud). « Le pacte est refusé sur fond de promesse », dit Lacan.

Tout comme l’hystérique, l’obsessionnel a besoin d’un désir insatisfait, à ceci près que chez lui, cela passe par un désir interdit entièrement versé sur le compte de l’Autre. Son agressivité est doublée par la crainte de rétorsion de l’Autre, d’où le camouflage très compliqué auquel se livre l’obsessionnel.

L’altruisme et l’oblativité qui caractérisent le nec plus ultra de la maturité génitale, sont en fait homogènes à un fantasme obsessionnel. La culture obsessionnelle occupe le haut du pavé des structures ipéistes et se résume au moins partiellement à un endoctrinement. Si l’analyste a un savoir, il n’a rien à savoir sur ce que son analysant a à lui dire.

La grande illusion de l’obsessionnel consiste à ce que l’Autre consente à son désir. Et de s’exalter à cet adage « ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit ».

Mais l’obsessionnel se montre infatigable dans ses manigances pour attirer l’autre dans ses rets. Il va imaginer toute une gamme d’exploits pour obtenir la permission de l’Autre. Et ils réussissent très, très brillamment, nous confie Lacan, dans cette tâche. Toutefois, dans l’exploit obsessionnel, dont l’Autre n’a rien à dire, occupé qu’il est par son Autre à lui, il y a quelque chose d’irrémédiablement fictif. Décidément, comme s’exprime Schreber, c’est un « rude lapin ». Sa visée à lui, l’obsessionnel, est le maintient de l’Autre.

Là où l’hystérie est mensonge (jeu de mot en prime) pour dire la vérité, l’obsessionnel dit la vérité qui aime en songe. D’où son souci du verbal, de la récapitulation, de la falsification aussi. Il n’y a pas de véritable danger de mort dans l’exploit à la mode obsessionnelle, contrairement à Isabelle Eberhardt (Cf. Écrits intimes). C’est sous le regard de l’Autre que se déroule l’exploit obsessionnel comme nous l’allons voir dans un des rêves de la patiente de Bouvet, mais j’anticipe.

Lorsqu’il revient dans le séminaire L’Angoisse (1962-1963) sur ce même article, ce n’est pas sans ajouter un détail croustillant. Je cite Lacan : « C’était au temps, déjà éloigné, où nous avions déjà reçu la visite de quelques enquêteurs. Phyllis Greenacre, qui en faisait partie, me fut l’occasion d’observer un bel acting-out, à savoir la masturbation frénétique à laquelle elle se livra devant mes yeux, d’une petite pêcheuse de moules, netsuke japonais, qui était en ma possession, et qui en porte encore les traces, je parle de cet objet. » Bien entendu, il s’agit d’un exploit, qui plus est, sous le regard de l’Autre, et en quête de cette fameuse permission.

I. - La patiente de Joan Rivière était une obsessionnelle

Que le cas clinique qu’utilise Rivière pour illustrer la mascarade féminine soit une névrose obsessionnelle de femme n’est pas pour déplaire à Lacan et ce, d’autant plus que l’auteur de cet article n’est pas dupe de la structure de sa patiente. Exploit et crainte de rétorsion de l’Autre son en effet au rendez-vous. À la crainte d’avoir commis un impair répond la compulsion d’attirer l’attention d’une figure paternelle. La séduction prend ici la valeur d’un sacrifice propitiatoire.

Il y a également le voile sur cette séduction qui témoigne de ce que la symbolisation est passée par là. Il y a également l’ambivalence où revendiquer la supériorité sur cette figure paternelle ne l’empêche pas d’en solliciter les faveurs. Prévalence du phallus et du fantasme à visée destructrice de l’Autre témoignent du désir actif et du privilège conféré au phallus en tant que signifiant et véritable point de capiton marquant un point d’arrêt dans le glissement du signifiant sur le signifié.

Je cite Joan Rivière : « L’analyse dévoile que la coquetterie et ses œillades compulsionnelles - dont elle était à peine consciente jusqu’au moment où cela devint évident dans son analyse - s’expliquaient ainsi : il s’agissait d’une tentative inconsciente pour écarter l’angoisse qui résulterai du fait des représailles [1] qu’elle redoutait de la part des figures paternelles à la suite des prouesses intellectuelles [2] » ; et plus loin « ainsi, le but de la compulsion [3] n’était pas simplement de se faire rassurer en éveillant chez l’homme des sentiments affectueux à son égard ; mais elle cherchait surtout, en prenant le masque de l’innocence, à assurer son impunité. Cela constituait une inversion compulsionnelle de son fonctionnement intellectuel [4] ; les deux aspects réalisant la double action “d’un acte obsessionnel [5] ». L’extrême dépendance à l’Autre en tant que parole ne l’empêche pas de « Versagen » cet Autre du fait de la visée de son désir. Ne manque pas cette façon de dire la vérité au service du mensonge dont je parlais plus haut. Ce n’est pas le même type de dérobade que chez l’hystérique dont la position par rapport à l’Autre est moins problématique. Là où, dans l’hystérie, le sujet s’identifie au petit autre pour prendre appui sur le désir de l’Autre, cet appui manque dans la névrose obsessionnelle et à la place, nous retrouvons ce signifiant privilégié qu’est le phallus.

Il m’est venu de mettre en parallèle ce cas de Rivière avec un cas de la pratique de Lacan, ce qui n’est pas fréquent dans son enseignement. Cela se trouve dans la leçon intitulée La femme, plus vraie et plus réelle, du séminaire de 1962-1963 sur L’Angoisse (p. 219-220).

La patiente lui dit cette phrase qui ne cesse pas de l’étonner à propos de son mari : « peu importe qu’il me désire, pourvu qu’il n’en désire pas d’autres ». Détruire, dit-elle, aurait dit Duras, mais non sans montrer que la tumescence n’est pas le privilège de l’homme. Un gonflement vaginal apparaît chaque fois que dans son champ surgit n’importe quel objet, tout à fait étranger en apparence à « l’espace sexuel ». Mais déjà cette phrase, qui étonne Lacan, n’est-ce pas une demande de mort de l’Autre ?

Cette femme va s’évertuer à substituer, à son regard à elle, celui de son analyste : « le regard, le mien, est insuffisant pour capter tout ce qui est à absorber de l’extérieur. Il ne s’agit pas de me regarder faire, il s’agit de faire pour moi ». C’est comme si elle lui disait : « voyez comme je suis forte, mais avec vous je deviens une faible femme ».

La condition absolue du désir émane avec une certaine candeur de sa parole : « je m’efforce à être toujours vraie avec vous. Je n’écris pas de roman avec vous. Je l’écris quand je ne suis pas avec vous. » Allusion à un sien amour de jeunesse où à l’occasion d’une correspondance, au plein sens du terme, elle servit à cet étudiant dont elle était éprise « un tissu de mensonges ». Et elle ajoute : « Je créais fil à fil un personnage, ce que je désirais être à ses yeux, que je n’étais d’aucune façon. Ceci fut, je le crains, une entreprise purement romanesque, et que je poursuivis de la façon la plus obstinée [6]... »

II. - Commentaire du cas de Maurice Bouvet

a) Bouvet en contrôle avec Lacan ?

Non, Bouvet n’a pas été en contrôle avec Lacan, contrairement à Perrier, qui était un analysant de Bouvet. Lacan se passionne pour cet article de 1950 : Incidences thérapeutiques... déjà cité plus haut, au point de s’en occuper de façon détaillée dans la dernière partie de la leçon sur La signification du phallus dans la cure, puis dans les deux dernières leçons de son séminaire Les formations de l’inconscient (1957-1958).

Rappelons la rivalité Lacan-Bouvet suscitée par l’Encyclopédie Médico-Psychologique, où la cure-type avait échu à Bouvet, Lacan étant relégué aux variantes. Et Lacan de riposter en affirmant qu’il n’y a pas de cure-type.

Pour Bouvet, fidèle au précepte de l’identification à l’analyste, une femme peut « procéder à une nouvelle identification féminine, cette fois sur la personne de l’analyste ».

Je cite Bouvet cité par Lacan : « ... peu après que le désir de possession phallique, et corrélativement, de castration (qui n’est pas pour Bouvet une opération symbolique témoignant d’une confusion des registres) de l’analyste, est mis à jour, et que de ce fait les effets de détente précités ont été obtenus, cette personnalité de l’analyste masculin est assimilée à une mère bienveillante. Cette assimilation ne demande-t-elle pas que la force essentielle de l’agressivité anti-masculine se trouve dans la pulsion destructive initiale dont la mère était l’objet ? »

Selon Lacan, toute la direction de la cure repose sur cette interprétation d’un désir de possession phallique corrélatif d’un désir de castration de l’analyste qui serait présent chez le sujet. Je cite Lacan : « C’est une femme de cinquante ans, bien portante, mère de deux enfants, exerçant une profession paramédicale. Elle vient pour une série de phénomènes obsessionnels qui sont d’ordre commun - obsession d’avoir contracté la syphilis - , et elle y voit je ne sais quel interdit sur le mariage de ses enfants auquel elle n’a pu, quant à son aîné, s’opposer, obsession d’infanticide, obsession d’empoisonnement, bref, toute une série d’obsessions banales dans les manifestations obsessionnelles chez la femme ».

Un point retient tout particulièrement l’attention de Lacan. Ce sont les obsessions à thèmes religieux. Si la névrose obsessionnelle est paradigmatique sur un point précis pour Lacan, c’est qu’elle constitue comme une visite guidée du champ du symbolique, le sujet s’efforçant d’éviter toute déviation par rapport au bord imaginaire où il se situe résolument, ce qui lui facilite cette position contrite étant que ce bord est défendu du champ du symbolique, qu’il traverse par le champ de l’inhibition. Bien entendu, il s’agit de distinguer bord symbolique et champ symbolique. L’hystérie est, elle aussi, un voyage dans le symbolique, mais sur un bord, ce qui rend le phénomène de coupure plus tranchant.

Le sens serait la jouissance commune aux névrosés. Revenons néanmoins aux obsessions à thème religieux pour mettre en lumière que pour cette patiente catholique, le corps du Christ est présent dans l’hostie, à ceci près qu’à la place de l’hostie surgissent les organes génitaux masculins sans qu’il s’agisse, précise Lacan de phénomènes hallucinatoires (la structure est au centre de l’attention de Lacan).

Un détail de l’observation ne manque pas d’être épinglé par Lacan : la mère de la patiente fut la seule à être impliquée dans l’éducation catholique sur le mode de l’obligation et de la contrainte. Refoulement et retour du refoulé s’impliquent naturellement à l’instar de ce que l’Écriture révèle « comme une tâche qui remonte avec le temps à la surface ».

b) Névrose obsessionnelle et religion catholique

Si pour cette catholique, le Christ est le verbe incarné, la totalité du verbe, alors il n’est pas étonnant que vienne se substituer ce signifiant privilégié du symbolique, à savoir le phallus, qui désigne l’effet du signifiant sur le signifié. Les organes génitaux masculins se placent devant l’hostie tout comme le rond du symbolique dans le nœud borroméen se situe devant le rond de l’imaginaire. C’est la substitution au rapport du sujet avec le verbe incarné de ce signifiant privilégié qui fait effet, marque, blessure de l’ensemble du verbe. Bien entendu, cette substitution, proton pseudon, dirait Freud, constitue le symptôme comme métaphore.

L’évocation de la blessure révèle que le symbolique en tant que bord porte la cicatrice de la castration qui peut apparaître dans le phantasme hystérique. Car la langue de l’obsessionnel n’est qu’un dialecte de la langue de l’hystérique.

Un rêve de transfert de la patiente inaugure ce que Lacan appellera plus tard la demande de mort adressée par l’obsessionnel à l’Autre :

Elle écrase la tête du Christ qui ressemble à celle de l’analyste. Quatre Christs dans un magasin de pompes funèbres (l’obsessionnel, affirme Freud, se situe du côté des croque-morts) lui font éprouver plaisir et angoisse à l’idée qu’elle marche sur leurs verges. Le Christ est là encore identifié à l’Autre de la parole. Identifié au crucifix (Christ et crucifix ne sont pas sans allitérer), qui en l’occasion se trouve être le phallus, il devient la blessure du Verbe.

La patiente reproche à l’analyste de ne pas pouvoir s’acheter des souliers dont l’analyste ne peut pas ne pas repérer la valeur phallique qui passe par le talon servant à écraser la tête du Christ, s’aperçoit Lacan. Il suit pas à pas la programmation dans ce voyage au pays de la parole obsessionnelle, rectifiant dans l’être ce qui est du côté de l’avoir. Non, cette femme n’a pas le désir d’être un homme. Car ce n’est pas la même chose de désirer le phallus et de désirer être un homme.

L’idée de séduire les hommes, pour les faire souffrir après, lui fait plaisir, alors que l’hystérique fait la même chose, mais en toute duperie, si je puis dire.

Quant au père de la patiente, il se révèle moins compter pour la mère qu’un premier amour platonique... mensonge sur un premier amour qui n’est pas sans évoquer l’étudiant de l’observation de Lacan.

La mère de la patiente, plus intelligente que le père, est l’objet d’une adoration qui n’est pas sans rappeler la Dame de la jeune homosexuelle de Freud. La patiente peut dire que « toute personne s’immisçant dans cette union avec la mère était l’objet de souhaits de mort, ainsi que le démontrera un matériel important, soit onirique, soit infantile, relatif au désir de mort de la sœur ». On peut se demander si tout comme chez Freud, il n’y a pas chez Bouvet un fantasme de mère immaculée qui est absent de l’observation de Rivière, et pour cause.

Etre l’objet du désir maternel est un désir d’apparition précoce chez cette patiente, affirme Lacan. Il situe résolument la question de ce sujet comme être ou ne pas être le phallus, souvenez-vous de la procrastination de Hamlet qui trouve sa solution dans le trou béant de la tombe d’Ophélie par le truchement d’un petit autre (Laerté).

Comme une rivière creuse un défilé, Lacan trouve dans la dialectique du désir et de la demande de quoi creuser le fameux roc de la castration de Freud. Là où l’homme ne peut avoir le phallus que sur le fond de il ne l’a pas, la femme ne l’a pas sur fond de elle l’a, car autrement, comment ce penisneid la rendrait-il « littéralement enragée » ?

Ce n’est que si l’analyse fait réaliser au sujet qu’il n’est pas le phallus que la question de l’avoir ou pas peut se poser. L’image phallique est une impasse imaginaire qui se résout par l’action du signifiant dans la cure.

Inversement, le fétichiste à l’aide d’un objet extérieur va soutenir que la femme l’a sur fond de elle ne l’a pas. Est-ce que cette obsessionnelle sous transfert fomente une idée analogue ? Lacan le laisse entendre apparemment dans ce scénario (fantasme ?) en deux temps qui consiste à susciter le désir des hommes pour les laisser sur leur faim ; idée qui, il est bon de le rappeler, lui fait plaisir. Si, pour elle, le phallus signifie le désir de l’Autre, il s’agit qu’elle le soit dans le semblant, à ceci près qu’il est plus difficile pour une femme de soutenir ce semblant malgré la mascarade féminine, qui a pour visée de cacher les manigances phalliques derrière le voile des récits de Shéhérazade...

Lacan va critiquer l’interprétation de Bouvet du côté de l’avoir car il y a divergence « entre être l’objet du désir de l’Autre et avoir ou pas avoir l’organe qui en porte la marque. »

Pour être l’objet de son désir, il faut détruire ce qui occupe cette place, il faut écrabouiller l’organe génital masculin. Si seulement elle pouvait s’apercevoir que l’homme n’est pas plus le phallus que la femme, son agressivité à l’égard de son mari n’aurait plus lieu d’être et elle pourrait réaliser que cette demande de mort se retourne contre elle. Le traitement devrait lui montrer : « tu es toi même ceci que tu veux détruire, pour autant que toi aussi tu veux être le phallus ».

La réponse de Bouvet est tout autre. Il se propose d’offrir son phallus d’analyste, moyennant quoi la patiente conserve ses obsessions, l’angoisse en moins. Mais aussi, un prêté pour un rendu, en fin d’analyse, la patiente va obtenir que son fils aîné, celui qui lui avait échappé, fasse une analyse et on peut se demander si ce don, qui ressemble au don de son corps à la science, n’est pas une manière de sauvegarder son manque mis en danger par cette direction altruiste de la cure. L’essentiel n’a pas été touché, remarque Lacan.

Dans la leçon qui s’intitule Une sortie par le symptôme, avant dernière du Séminaire sur les Formations de l’Inconscient, Lacan avouera que ce qui l’anime est moins un désir polémique, ce qui en soi est stérile, qu’un désir de coucou, d’asseoir sa propre théorie au lieu de l’Autre, car c’est de ce lieu qu’elle lui vient. « Le sujet reçoit de l’Autre son propre message, en sens inversé », comme il se plaît à l’affirmer. Alors, qui contrôle qui ? Question que je vais laisser sans réponse. Je cite Lacan :

« Notre critique ne part jamais de la seule observation considérée comme un compte-rendu de fait, mais des interrogations de l’auteur lui-même... ».

Lacan trouve même dans l’article de Bouvet des remarques concernant le non aboutissement de ce qui était visé.

Tout le comportement du sujet porte la marque structurale de la névrose envisagée comme un mode de passage de l’autre à l’Autre. Telle est l’action obsessionnelle, un geste comme dans la chanson de Rolland qui a la valeur d’une parole, entièrement cryptographique. Une parole de l’inconscient dont le sujet lui-même reste barré. Chaque fois qu’il y a parole véritable, l’Autre comme lieu est invoqué.

Nous constatons qu’au moment de ce séminaire, Lacan est encore prisonnier de l’intersubjectivité, cette marque de son analyse avec Loewenstein qui lui fait parler de l’Autre de l’Autre situé à l’étage supérieur de son graphe du désir. Ce ne sera plus le cas lorsque dans son Séminaire sur L’Angoisse, il introduira son objet a cause du désir et non spécularisable, se substituant au petit autre dans le mathème du fantasme. Et par la série des « Y’a pas » : y’a pas de vrai sur le vrai, pas de transfert sur le transfert en passant par les quanteurs de la sexuation, il aboutira aux quatre discours et au nœud borroméen. Si le discours de l’inconscient est articulé, il n’est pas tout articulable à cause du reste qui fait obstacle, cet objet petit a en cause dans le désir de l’analyste dont le cernage aboutira à la Proposition du 9 octobre 1967 sur La psychanalyse d’École. Que d’anticipation !

Le sujet est autre chose qu’un soi-même, ou le self de Winnicott qui par le biais de faux self va l’entraîner du côté du lapsus de l’acte qui est une autre sortie que celle par le symptôme qui occupe Lacan lors de cette leçon.

Si la névrose constitue un au-delà du franchissement de la métaphore paternelle qui rend possible la symbolisation du désir de la mère, dans la psychose, la parole de l’Autre ne passe pas par l’inconscient mais l’Autre, en tant que lieu, parle sans cesse au sujet, ce dont a rendu compte Schreber. Je cite Lacan : « Les formes de la psychose, depuis les plus bénignes jusqu’à l’état extrême de dissolution, nous présentent un pur et simple discours de l’Autre, venant se scander ici, en S(A), sous la forme d’une signification ». Ce qui fait l’étrangeté de cette signification, c’est qu’elle ne renvoie pas à une autre signification.

Reste que ce phallus garde un côté énigmatique au point que la jouissance qui lui est attachée, la jouissance phallique, dite par Lacan, « hors corps », est une jouissance anomalique, parasitaire et que son érection suivi de détumescence lors des premières pollutions peut constituer le point de départ du déclenchement de certaines paranoïas, au point que la paranoïa pourrait se dire paraphallique en ceci que le phallus symbolique qui a été forclos fait retour dans le réel. Rappelons que la privation constitue un manque réel d’un objet symbolique, le phallus symbolique (Fi) ou Nom du Père. Ce nom du père est troué et dans ce trou, réel, vient se loger le symptôme. Le bord réel constitue la limite du champ du phallus symbolique qui comporte le père du nom et le père nommant.

Primitivement, le rapport de l’être humain avec le phallus a fait l’objet d’un culte, dit Lacan. Son métaphorique passage au signifiant qui rend possible le repérage du sujet dans le désir de l’Autre, où le sujet a à trouver la place de son propre désir.

L’obsessionnel en proie à une primordiale défusion des instincts se donnera pour tâche de détruire le désir de l’Autre, ce qui ne constitue en rien une absence du désir de l’Autre, comme chez le psychotique, mais sa dénégation, son refoulement, alors que chez le psychotique, où à la place du désir de l’autre se déchaîne la jouissance de l’Aure, jouissance du corps, jouissance qu’il ne faut pas. L’annulation porte chez l’obsessionnel sur le signifiant, le retour de ce qui a été annulé se faisant dans le symbolique, car ne peut être annulé que ce qui a été déjà affirmé. C’est la « bejahung » de Freud (Verneinung). Il s’agit de faire le tri entre ce qui doit être conservé ou annulé. Le désir de l’obsessionnel est équivalent à l’annulation du phallus. « Je suis à la place même que le phallus occupe dans l’articulation signifiante » est l’horizon à atteindre par le sujet et le sens du Wo es war, soll Ich werden freudien. La place du phallus est en S(A).

C’est donc sur la place forte de son moi, véritable fortification à la Vauban, que l’obsessionnel se situe pour tenter d’épingler son désir. Le sujet met en place l’idéal du moi (I), une image plus forte que lui-même, en tant que forme phallique. Faute de se repérer sur le désir de l’Autre, obsessionnel est réduit à se repérer sur le phallus, véritable furet qui se dérobe sans cesse.

La patiente de Bouvet va passer d’un temps où elle ne peut pas parler à un autre, où elle ne veut pas parler car au niveau de la parole, elle se refuse. Si elle ne veut pas parler, c’est en raison de la présence de l’Autre de la parole. Le phallus est par elle situé du côté d’une puissance dont elle a besoin.

Le fait qu’en fin d’analyse, la patiente offre ce fils, qui lui fait peur, à l’analyste fait office d’acting out montrant à l’analyste qu’il aura été à côté de la plaque.

Freud a montré que la petite fille fait l’équivalence entre le don symbolique du phallus et l’enfant. Cet enfant, dans le cas de cette obsessionnelle, est à la place de ce qui n’aura pas été élaboré en analyse au lieu du symbolique. L’analyste aura facilité le mécanisme de l’obsession, donnant son aval au fantasme d’incorporation phallique, aboutissant à une ivresse de puissance et d’altruisme.

Dans le compte rendu de cure, Lacan repère la pluriprésence du phallus. L’envie de pénis n’explique pas tout, le phallus apparaît à plusieurs endroits.

La demande de mort s’articule avec la difficulté de parler et c’est elle qui fait obstacle au discours obsessionnel. Cet obstacle se présentifie sous la forme de reproches ou d’injures :

« Je connais assez bien les médecins pour savoir qu’entre eux, ils se moquent des malades. Vous êtes plus instruit que moi. C’est impossible à une femme de parler à un homme. »

Notons la note de prestige que constitue la référence à l’instruction et la dimension de blessure que prend la parole. Mais cette note persécutive qui est présente aussi chez Dora, comme le fait remarquer Lacan dans le Séminaire sur La relation d’objet n’en fait pas un fait de structure. Nous restons dans la névrose.

L’impasse qui en résulte est un mouvement d’escarpolette qui témoigne de la duplicité de ce qui enferme le sujet dans l’impasse névrotique. La demande de mort implique la mort de la demande. Le désir de l’obsessionnel s’exprime sous la forme d’une verneinung (d’une dénégation). Cela concerne le désir agressif dépréciatif à l’égard de l’analyste. Si le désir est dénié, d’où vient la culpabilité ? Il convient de distinguer la culpabilité et l’incidence de la loi : en effet, la culpabilité n’est en rien référée à la loi, nous dit Lacan. Ce n’est pas la loi qui fait le pêché, comme le pensait naïvement Saint Paul. Il a fallu l’analyse pour montrer que la culpabilité ne vient pas de Dieu ou de la loi, mais des dix commandements en tant qu’ils constituent les lois de la parole. C’est à la structure de l’Autre qu’est imputable l’équivalence entre la demande de mort et la mort de la demande.

Souvenez-vous de l’Homme aux rats ; ce qu’il livre en premier à Freud, ce sont les commandements « Tu donneras l’argent à B sinon... ça arrivera », « Tu te trancheras la gorge ».

Évidemment, des commandements, Schreber en sait quelque chose, à ceci près que chez l’obsessionnel, ça reste « voilé ».

Quant à la culpabilité, elle se manifeste à l’approche d’une demande interdite. Si le commandement n’est pas respecté, s’installe le sentiment de culpabilité qui est à distinguer de l’angoisse diffuse.

La demande de mort s’accompagne de la mort du désir en référence au commandement : « Tu ne tueras point ».

C’est au niveau du désir que tout ce qui se fait jour, dénié ou pas, comporte son halo de culpabilité.

C’est en raison de la référence à la penisneid que le surmoi primitif maternel est appelé surmoi féminin. Ce surmoi primordial est imputable aux premières demandes du sujet à l’Autre que Lacan appelle les articulations vagissantes du besoin. Le bébé pleure : on le met à la mamelle alors qu’il pourrait avoir froid ou mal au ventre. Dès l’origine, l’au-delà de la demande où se constitue le désir, est présent. Winnicot utilisait un abaisse langue brillant pour constater les hésitations du nourrisson à s’en emparer, témoignant d’un surmoi précoce. La demande est d’abord demande d’amour qui symbolise l’Autre et distingue l’Autre réel, capable de donner la satisfaction, de l’Autre symbolique qui se signale par sa présence ou son absence (jeu de la bobine relié par Freud à l’absence / présence de la mère).

La menace de la perte d’amour est homogène à, ce qui plus tard, s’organisera en lois de la parole. Cela explique qu’un nourrisson n’est pas obsessionnel dès la première tétée alors que dès cette première tétée, une anorexie du nourrisson peut se déclarer. L’anorexie est plus précoce que la névrose obsessionnelle.

En tant que demande articulée, elle ne vise pas l’autre imaginaire, mais l’être symbolisé de l’Autre. C’est du fait que : porter atteinte à l’Autre, c’est se porter atteinte à soi-même, que la demande de mort est la mort de la demande.
 ?La « polyprésence » du signifiant phallus dans les symptômes de la névrose obsessionnelle confirme l’incidence du signifiant sur le vivant.

En quoi le penisneid de cette patiente explique-t-il sa crainte d’avoir contracté la syphilis, la même que chez l’obsessionnel mâle ? Le sujet obsessionnel a, au plus haut point, le souci des conséquences de ses actes dans l’ordre libidinal, alors que l’agressivité reste camouflée.

La patiente a le même usage de ce signifiant privilégié que chez l’homme obsessionnel. Par le truchement de son fils aîné, elle se vit comme dangereuse. En cela, nul penisneid ne constitue le point d’arrêt. C’est au niveau de son fils que son phallus se situe, où il cristallise la même obsession que chez l’homme.

Chez cette patiente, le lien puissant mère-fille que l’observation met en évidence ne se retrouve pas seulement au niveau de la névrose obsessionnelle. C’est dans l’ambiguïté entre agressivité et puissant attachement que se situe l’équivalence entre la demande de mort et la mort de la demande.

La demande de mort est portée par la mère et s’exprime sur l’infortuné mari, brave brigadier de gendarmerie qui, privé de l’objet d’amour que semble avoir été pour lui sa femme, retourne sur lui le souhait de mort qui vise l’objet aimé et perdu (« l’ombre de l’objet tombe sur le sujet », dit Freud dans Deuil et mélancolie). La demande de mort est présente à la génération antérieure. Elle est médiatisée du côté de la patiente (car elle serait psychotique sinon, alors qu’elle ne l’est pas), et s’exerce directement entre sa mère et son père, à qui il ne reste plus d’autre alternative que de retourner sur lui l’agression.

Devant un tribunal, le procureur dit « Je demande la mort » : pas au sujet mais à un tiers oedipien, le juge, ce qui est appelé le penisneid de la patiente ; c’est le signifiant du danger de la survenue du désir dans le contexte de cette demande.

c) Migration du signifiant phallique

Dans ce qui suit, Lacan repère le déplacement du phallus à travers les obsessions.
 ?La crainte de mettre des aiguilles dans le lit des parents, qu’il qualifie de jolie obsession, présentifie un désir de piquer la mère, non le père. Désir qui est éprouvé comme dangereux et coupable.

Il en va autrement dans l’obsession religieuse où le phallus se projette devant l’hostie. Pour Lacan, le christianisme se montre propice à servir de moule aux obsessions, alors qu’il avoue avoir peu d’expérience de l’obsession dans l’Islam. Comment les musulmans s’en tirent-ils ? La médiation de la demande de mort se situe du côté de la parole de Shéhérazade en passant par sa sœur et permettant à cet infortuné roi l’accès à la paternité. La parole introduit la métaphore paternelle comme substitution du désir de la mère, elle introduit du père.

Lacan trouve que la religion chrétienne est culottée. Cette solution qui consiste à faire supporter par le Dieu incarné qui s’est fait Verbe, contient la fonction de signifiant. Pas étonnant pour Lacan que le phallus vienne se substituer au Christ.

Le rêve où la patiente écrase la tête du Christ identifie l’analyste au phallus en tant qu’il incarne pour le sujet, dans le transfert, l’effet du signifiant, avec comme conséquence une certaine détente. Le phallus se situe au niveau de S(A) alors que dans le premier exemple, il était du côté du fantasme (S<>a).

Ce n’est pas un hasard si le trajet du phallus entraîne une phallicisation de la patiente elle-même, qui se traduit par l’un des plus fréquents fantasmes oniriques, où l’un des seins est un phallus ou alors ce phallus s’installe entre les seins, ce qui donne à ces derniers la valeur de témoins, à ceci près que comme vous l’allez voir dans un autre rêve, le témoin reste la mère. Cette présence polyphallique évoque à Lacan la Diane éphésienne dont le corps est fait d’un ruissellement de seins.

D’un autre ordre est l’incidence du phallus dans le rêve qui suit. Je cite :

« Je fais réparer mes chaussures chez un cordonnier puis je monte sur une estrade de lampions bleus, blanc, rouges, où il n’y a que des hommes. Ma mère est dans la foule et m’admire. »

Ce rêve indique lui-même un rapport d’exhibition devant la mère et non pas devant les porteurs de phallus. Comme ces petits autres bleu, blanc, rouge, elle n’est pas sans l’avoir. C’est un fantasme compensatoire, nous indique Lacan.

Toutes les interventions de l’analyste visent à rendre le phallus légitime, ce qui revient à lui apprendre à aimer ses obsessions. Les obsessions persistent mais la culpabilité est tombée. Par son action autorisante, l’analyste disjoint les obsessions de la demande de mort, ce qui légitime le fantasme, ce qui s’accompagne à la fin du traitement par un feu d’artifice d’exaltation et d’effusion narcissique (la fin de l’analyse selon Balint).

L’analyste, lui, ne s’illusionne pas, qui parle d’un transfert où l’Œdipe est fortement pré-génitalisé et il conclut à un inachèvement extrême, loin de la solution du genital love.

Quant à l’interprétation de l’agressivité, paradoxalement elle est absente dans cette observation et selon Lacan, on gagnerait à mettre à sa place la demande de mort.

Enfin, la leçon se termine sur un supplément au commandement : « Aime ton prochain comme toi-même », car « toi-même, tu es, au niveau de la parole, celui que tu hais dans ta demande de mort, parce que tu l’ignores » ; avec une articulation possible sur le « Wo es war, soll Ich werden » freudien.

Conclusion

Au temps du Séminaire sur les Formations de l’inconscient, Lacan nage dans les eaux de l’intersubjectivité, avec pour corollaire le père en position d’Autre de l’Autre. Nous savons que Lacan s’est départi de cette position, non sans la ré-évoquer à l’occasion du Séminaire sur L’Acte analytique, le reliant à son transfert à lui, Lacan, sur son analyste.

Notes

[1Souligné par Paul Papahagi.

[2Souligné par Paul Papahagi.

[3Souligné par Paul Papahagi.

[4Souligné par Paul Papahagi.

[5Souligné par Joan Rivière.

[6Souligné par Paul Papahagi.

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