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Mythopologie

Narcisse et Arsenics

« Méditation botanique »

Date de mise en ligne : jeudi 23 janvier 2003

Auteur : Guy MASSAT

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Comme on peut le schématiser par le Borroméen, le regard se distingue de l’œil et de la vision, même si ces trois fonctions sont nouées ensemble. Oublieux de ces distinctions nous risquons de nous perdre dans un brouillard confusionnel et de rater l’essentiel de la libido scopique, c’est-à-dire le regard. Le regard est-il intérieur ou extérieur ?

Sur le tore, comme le montre Lacan, l’extériorité périphérique et l’extériorité centrale ne constituent qu’une seule région. De toute façon on ne se voit pas d’où on se regarde et si l’on croit s’y voir ce peut être la folie et la mort. Folie, agressivité et narcissisme refoulé sont coextensifs.

Qu’est-ce que le regard ? Le regard bien sûr peut être vision mais il peut être aussi audition, senteur, saveur, tactilité, esprit et inconscient. Quand nous touchons, quand nous sentons, quand nous voyons, est-ce nous qui touchons, sentons, voyons ou est-ce la chose qui nous touche, nous sent ou nous voit ?

L’homme, nous dit Lacan, peut dire :

« je suis celui qui sait que je suis », mais il ne sait pas qui est « je » !

Le regard relève du temps qui d’une manière certaine est cannibale et en toute façon transformatif. Un regard ne se voit pas, pas plus que le temps ne peut se mesurer lui-même. Si l’on imagine désorbiter un de nos yeux de manière à ce qu’il voie l’autre bien en face, œil observant l’œil, on ne verra pas le regard mais seulement un globe oculaire, une pupille, la prunelle et la cornée, les périphéries du regard, en quelque sorte. Prunelle se dit pupilla ou pupa en latin, c’est-à-dire poupée. C’est sur l’œil de la mère, sur sa pupille, sur la transparence de la cornée que se reflète comme sur un miroir le nourrisson qui tête. Il voit son image mais ne sait pas encore si c’est lui. Toute odyssée commence par ce stade du miroir. Sans doute n’y a-t-il de regard que celui du temps vécu. Les globes oculaires sont pareils à des cailloux (psephos), soutenait Artémidore d’Ephèse. Et qui a raison des pierres les plus dures, sinon le temps ? « L’homme ne vit que pour apprendre à regarder », dit Plotin. Regarder quoi ? Que tout est impermanent, que toutes les formes sont vides, que tout est troué, ou est-ce parce que tout est impermanent, parce que tout phénomène est fait de trous et de vide qu’il y a du regard ?

Regarder quoi ? que rien ne perdure, ni bonheur ni malheur, que c’est un Autre qui regarde pour nous et qui n’existe pas, que le vide est la seule puissance capable de se nier elle-même pour se surpasser ? À ce moment, fait remarquer Claudel dans « Le Partage de midi » : « Il ne faut pas comprendre, il faut perdre connaissance ».

Narcisse est un chasseur, nous rapporte la mythologie, un chasseur comme l’est le temps. Ce chasseur, tel les fils de Chronos, sera avalé par un regard dont il ne sait pas qu’il est le sien. C’est que la conscience immédiate de soi ne peut se réfléchir sans s’anéantir. La flèche de Zénon ne peut se saisir qu’en étant autre que ce qu’elle était, c’est-à-dire arrêtée. Dans cette histoire l’image change le regard en piège mortel. L’image veut être regard et le regard se fait image dans une illusion statique qui exige notre mort pour qu’on la joigne.

Regard, selon une piste étymologique, signifie « serf », esclave en latin. Il arrive que nous soyons l’objet-esclave d’un regard et même de notre propre regard. Chacun en a fait l’expérience. Le principe de non-contradiction n’existant pas dans l’inconscient le regard dans cette dimension peut se croire le gardien voluptueux du coït qui l’engendre. Il peut s’identifier à l’enfant qu’on désire que notre père nous fasse et simultanément à l’enfant qu’on voudrait faire à sa mère. Il peut soutenir que père et mère sont frère et sœur, comme le ciel et la terre, comme Ouranos et Gaïa, et que nous ne soyons en profondeur que le fruit d’un mystérieux inceste. C’est l’auto-érotisme primaire. Ici pas d’ensemble stable, tout est sans cesse divisé, morcelé en séquences toujours plus partielles jusqu’à ne plus coïncider qu’avec le néant. Ces pulsions partielles ressemblent aux racines aquatiques des bulbes de Narcisse qui jouissent chacune d’elle-même pour son propre compte, indépendamment des autres. On ne peut pas objectivement observer ce stade, dit Freud, mais on se doit d’en imposer l’hypothèse par un raisonnement récurrent. Ce n’est qu’avec le bulbe du narcisse que les racines s’unifient en un objet unique comme les pulsions partielles se regroupent dans le corps qu’elles constituent. « Ce rapport érotique où l’individu se fixe à une image qui l’aliène à lui-même, c’est l’énergie et c’est là la forme d’où prend origine cette organisation passionnelle qu’il appellera son moi » ( Lacan « Ecrits »
p 113). C’est le Narcissisme primaire.

Toutes les versions d’un mythe constituent la trame du même mythe, comme l’a montré Lévi-Strauss. Cela peut se schématiser par le nœud du fantasme qui peut changer de présentations, apparemment plus compliquées les unes que les autres, sans pour autant cesser d’être le même nouage (« Encore » p 123). Dans la version béotienne du mythe c’est la pulsion agressive qui est particulièrement illustrée. Celle de N… comme Narcisse… Haine comme Narcisse… Haine de l’autre et haine inconsciente de soi. Parce que je m’aime plus que personne je hais l’Autre et le temps qui me tue.

Il y avait une fois un chasseur nommé Narcisse qui était aimé par un autre chasseur Ameinias. Narcisse ne le supportait pas et le repoussait sans cesse. Il lui inspirait tant de mépris qu’un jour il lui fît envoyer une épée. Mais qu’est-ce qu’aimer ? On aime ce que l’autre demande, fusse notre propre destruction. Le désir d’Aménias se confondit alors avec la demande de l’Autre. Il prit l’épée et se tua devant la porte de Narcisse en invoquant la vengeance des dieux. Quelque temps plus tard Narcisse, désirant boire à une source, fut arrêté par le reflet de son propre regard à travers l’épaisseur des eaux : « J’aime ce que tu aimes Ameinias, Garnd Autre, c’est-à-dire moi-même et je m’aime plus que tu ne peux m’aimer. Ce n’est pas toi qui m’auras, c’est moi qui m’aurais même si je dois en mourir » et, tentant de se saisir lui-même, Narcisse disparut dans les eaux.

Cela ne s’appelle-t-il pas s’aimer jusqu’à la haine de soi ? Pythagore disait que le souffle vital, psyché, est « originellement fou à cause de la naissance ». C’est que la naissance est un trouble sexuel insondablement énigmatique pour tout sujet. Le sexuel n’étant qu’une certaine disposition au trouble. Que peut désirer l’Autre, sinon ma mort ? « …ce que le sujet trouve en cette image altérée de son corps, explique Lacan, c’est le paradigme de toutes les formes de la ressemblance qui vont porter sur le monde des objets une teinte d’hostilité en y projetant l’avatar de l’image narcissique, qui, de l’effet jubilatoire de sa rencontre en miroir, devient dans l’affrontement au semblable le déversoir de la plus intime agressivité » ( « Ecrits » p.809).

Toute zone érogène est un bord fermé - un trou et un bord - enseigne Lacan. Le nœud borroméen pourrait se dire le nœud gomorrhéen, de Gomorrhe, puisqu’il n’est fait que de trous et de bords, comme le résume la vulve des femmes. Sur les bords du lac ou de la source où disparût Narcisse apparut la fleur qui incarne son nom. Elle comporte des racines blanches, aquatiques, un bulbe noir, de longues tiges vertes qui poussent en sens contraire au-dessus de l’eau, puis un petit faisceau de rameaux et des fleurs blanches odoriférantes. Toutes ses parties nous aident à distinguer les différents niveaux du concept de narcissisme en psychanalyse : Les racines blanches figurent les pulsions hétérogènes, discontinues, discordantes, se succédant sans liens entre elles, dans la mouvance des eaux de la détresse originelle. Chaque racine, telle une pulsion partielle, semble ne jouir que d’elle-même, pour son propre compte, indépendamment des autres, figurant l’autoérotisme originaire. Puis c’est le bulbe qui, lui, représente le narcissisme primaire, c’est-à-dire le corps se constituant comme premier objet libidinal. Le bulbe rassemble en une sorte d’unité toutes les racines, pareil à l’individu en voie de développement unifiant en une seule formation ses instincts sexuels. C’est comme un investissement permanent
du corps sur lui-même alimentant la dynamique des pulsions du moi et des pulsions sexuelles. Souvent Freud assimile l’autoérotisme et le narcissisme primaire. C’est que racines et bulbe se trouvent tous deux sous l’eau. Au-dessus, hors de l’eau, dans la réalité, s’épanouissent la tige, pénis ou clitoris, comme on voudra, première libido d’objet, puis les rameaux de l’idéal du moi, narcissisme secondaire, et enfin la fleur de la sublimation. Narcissisme primaire et secondaire seront essentiels à l’analyse économique de l’inconscient.

Qui dira à quel point la botanique est éloquente ? Il se trouve que le bulbe du Narcisse, c’est-à-dire l’oignon, est un toxique. Il produit le tétanos, maladie caractérisée par la rigidité générale. Le « moi » serait-il un poison tétanique ? En tout cas les psycho-rigides manquent d’aménité. Dans le moindre de ses effets le bulbe agit comme un purgatif ou un vomitif violent. Les médecins de l’antiquité, Pline, Galien et Diocoride en avaient signalé la nocivité. Ils disaient même qu’il convenait de prendre garde en les manipulant d’avoir les mains indemnes d’écorchures afin d’éviter quelque empoisonnement. Et nul n’ignore aujourd’hui à quel point les blessures narcissiques activent, dans l’inconscient, la haine et le ressentiment.

Le bulbe empoisonneur et l’image tétanisée de Narcisse, sont décrits de manière circonstanciée dans la version d’ Ovide. Dans ce récit, Narcisse est le fils du dieu-fleuve Céphise, particulièrement fécond, et de la jeune nymphe-rivière Liriopé. Narcisse naît du mouvement des eaux. Un fœtus n’est-il pas constitué de 97 % d’eau ? Et « d’où viennent les enfants ? - C’est la cigogne qui apporte les enfants qu’elle est allée chercher dans l’eau… Je connais un enfant de trois ans, rapporte Freud, qui, ayant obtenu une telle explication, avait disparu, au grand effroi de sa nourrice : on le retrouva au bord du grand étang du château où il s’était dépêché d’aller pour observer les enfants dans l’eau » ( Freud, « La vie sexuelle », p.17).

Dès que Narcisse fut né, la jeune nymphe Liriopé alla interroger le fameux devin Tirésias sur le destin de sa progéniture. Tirésias pouvait lire dans le passé, le présent et l’avenir le sort auquel étaient soumis les êtres animés. Autrefois, parce qu’il avait découvert le savoir des serpents, il avait été métamorphosé en femme puis en homme. Ainsi possédait-il l’expérience intime des deux sexes. Mais il était aveugle. Ses yeux avaient été arrachés par la fureur d’Héra. Un triste jour, en effet, où Zeus et Héra se questionnaient pour savoir qui du mâle ou de la femme éprouvait le plus de jouissance dans l’acte sexuel, ils décidèrent, ne pouvant se mettre d’accord, de consulter le célèbre voyant. Tirésias leur expliqua, sans hésiter puisqu’ils s’agissait d’êtres divins, que si la jouissance d’amour se composait de dix parties, la femme en avait neuf et l’homme une seule. Voir révéler si brutalement le grand secret de son sexe mit Héra dans une telle colère qu’elle arracha de leurs orbites les globes oculaires de Tirésias. Zeus, pour le dédommager, lui accorda le privilège de vivre neuf générations humaines et de conserver son don de prophétie (c’est-à-dire son regard sur le destin et le nouage des pulsions).

Concernant Narcisse, Tirésias annonça à Liriopé et Céphise que l’enfant vivrait longtemps pour peu « qu’il ne se regardât pas ». Car le désir de se voir est toujours un ratage. Se regarder c’est voir un autre. Le temps réel ne peut se compter lui-même, et le temps chronométrique ne mesure que des phénomènes relatifs les uns aux autres.

Dès l’âge de seize ans, Narcisse, qui était très beau, fut l’objet de passion d’un grand nombre de jeunes filles, de nymphes et de jeunes gens. Une nymphe, en particulier qui s’appelait Echo était si amoureuse de lui qu’elle répétait tout ce qu’il disait. Un jour Narcisse cria :

« Cocamus ! » (Réunissons-nous !)
 « Cocamus ! » répondit Echo (coïtons !)

Mais au moment où elle voulut enlacer Narcisse celui-ci la repoussa avec dédain. Devant tant de méchanceté, tant de mépris, Echo désespérée se retira au fond d’une forêt, et cessa de manger jusqu’à ce qu’il ne restât plus d’elle que la voix et les os. Ses os se transformèrent en rochers et sa voix devint ce phénomène de réflexion du son qui se répète quand il est renvoyé par un obstacle et qu’on appelle désormais écho. Ainsi arrive-t-il que les plus belles paroles se perdent dans des angles morts et se réduisent à devenir plus sourdes que des objets. « Quand le moi adopte les traits de l’objet, explique Freud, il s’impose pour ainsi dire lui-même au ça comme objet d’amour, il cherche à remplacer pour lui ce qu’il a perdu en disant : « Tu peux m’aimer moi aussi, vois comme je ressemble à l’objet » (Freud, « Le moi et le ça » p 242).

Donc, tout le monde ayant été odieusement méprisé par Narcisse, les jeunes gens et les nymphes implorèrent Némésis, « la vengeance qui condamne les abus ». Cette déesse, dont Phidias fit une célèbre statue, les entendit et fit en sorte qu’un jour de grande chaleur, après une chasse, Narcisse se penche sur une source afin de se désaltérer. Némésis faisait mouvoir les eaux de telle façon qu’on aurait dit un miroir. Narcisse s’aperçut, se trouva si beau qu’il fut fasciné et tomba amoureux de cette illusion sans corps, de cette figure qui n’était pourtant que de l’eau. Comment suspendre le charme de cette précipitation identificatoire qui semblait persister dans la transparence du courant ? Que voyait-il exactement ? L’objet petit a ? Quel éclat de l’objet petit a ? Peut-être le visage fluide qu’il avait avant sa naissance à l’instant originaire où ses parents, le fleuve et la rivière, s’enlaçaient. Quel était notre visage avant notre naissance ? Ovide note que Narcisse aperçut dans son regard celui de l’insaisissable éclat de Dionysos. En tout cas, tétanisé par l’apparence de lui-même, sans autre volonté que celle de se voir, médusé, Narcisse disparut dans l’extase d’une hypnose suicidaire. On pense à ces oiseaux que des serpents fascinent jusqu’à se qu’ils se laissent avaler, sauf qu’ici, Narcisse est à la fois l’oiseau et le serpent. Il s’aimait en quelque sorte plus que les autres ne l’aimaient. Et à vouloir ainsi leur mort par dépassement c’est la sienne qu’il atteignit. On peut être à soi-même sa propre méduse.

À la place où Narcisse disparut on vit apparaître la fleur qui désormais porte son nom. Ovide rapporte encore que dans l’au-delà, sur le Styx, dans l’eau noire du fleuve des enfers, Narcisse cherche encore la fascination de son propre regard. Mais celui que nul ne voit et qui séjourne partout ne peut être autre que le temps, réel qui ne se reflète pas.

Si l’oignon du Narcisse est un poison la fleur est en revanche dotée de propriétés thérapeutiques. Elle est antispasmodiques, calmante et sédative, efficace contre l’asthme, contre la coqueluche et diverses affections nerveuses : « Infusion : 1 à 2 g de fleurs par verre d’eau bouillante à absorber dans la journée par cuillerées à soupe » ( in « Larousse des plantes qui guérissent »). Au narcissisme de haine, le bulbe, s’oppose donc le narcissisme de paix, la fleur.

La version du mythe que rapporte le géographe Pausanias correspond, à sa manière, aux propriétés apaisantes des fleurs de Narcisse. Selon Pausanias, Narcisse avait une sœur jumelle qui lui ressemblait en tout point. Les deux adolescents étaient très beaux et s’entendaient en toutes choses. Ils s’adoraient. Cependant au cours d’une chasse, la jeune fille mourut accidentellement. Narcisse en ressentit une douleur immense, un deuil insupportable. Or un jour, apercevant son propre reflet dans une source Narcisse crut apercevoir sa sœur jumelle. Cela eut pour effet immédiat d’alléger son chagrin. Bien qu’il sût parfaitement qu’il ne s’agissait pas de sa sœur, Narcisse prit dès lors l’habitude de la regarder dans l’eau des sources et des lacs pour apaiser sa tristesse et se consoler de sa disparition, comme avec des photos aujourd’hui nous nous consolons de pertes irremplaçables.

La beauté est la limite du tragique, enseigne Lacan dans « L’identification », c’est le point à partir duquel « l’achose » insaisissable nous verse son euthanasie. « La beauté est l’agonie qu’exige de nous la Chose pour qu’on la joigne ». Peut-on y résister ? Le beau, est à écrire « eaub, poursuit Lacan,… pour rappeler que le beau n’est pas autre chose que l’eaubscène ». Obscenus, en latin mauvais présage : la beauté est un plaisir qui meurt.

Narcisse est un phénomène qui doit être dépassé. Le dépassement est le contraire du refoulement. Pour dépasser le complexe il est nécessaire de l’exprimer en toutes ses parties. Les arsenics sont nécessaires aux fleurs de narcisse et à leur au-delà. Dans « Pour introduire le Narcissisme » ( in « La Vie Sexuelle ») Freud cite ces vers de Henri Heine qui illustrent comment la maladie se montre finalement en faveur des forces créatrices :

« C’est bien la maladie qui fut l’ultime fond
De toute la poussée créatrice ;
En créant je pouvais guérir,
en créant je trouvai la santé »

Au-delà de la fleur il y a la déhiscence libératrice. La déhiscence est un terme de botanique désignant la délivrance des semences lorsque la fleur est parvenue à maturité. Lacan, comme Merlau Ponty, parle de cette « déhiscence vitale constitutive de l’homme… qui fait luire à nouveau la notion héraclitéenne de la Discorde, tenue par l’Ephésien pour antérieure à l’harmonie (Ecrits p.116).

Le narcissisme est le processus d’une économie pulsionnelle inconsciente, en soi insaisissable. Cependant au narcissisme succède toujours l’apparition d’une fleur. Fleur de l’inconscient ou fleur du mal ne semblent-elles pas nous appeler à une certaine méditation botanique ? Le corps, l’esprit et l’inconscient ne sont-ils pas noués ensemble en cette sorte de fleur qu’est le nœud borroméen ?

Par quelle méditation pourrait-on arriver à s’aimer soi-même jusqu’à se dépasser ?

En s’inspirant très librement de textes très anciens comme le Satipatthana-sutta (L’établissement de l’attention) qui d’après le Bouddha permet en sept jours d’atteindre l’état d’Arahant, c’est-à-dire à un état mental libre de toute entrave, nous pouvons nous essayer, avec quelque profit, à ces méditations libératrices.

Méditation sur la respiration :

« J’aime mon inspiration et mon expiration… J’aime quand j’inspire lentement… J’aime quand j’expire rapidement… J’aime quand je fais une longue inspiration... J’aime quand je fais une longue expiration… J’aime quand je fais une courte inspiration… J’aime quand je fais une courte expiration… J’aime toute ma respiration… J’aime quand se calme ma respiration...

Méditation sur les positions du corps :

De plus, j’aime mon corps dans toutes ses positions… J’aime ma position assise… J’aime ma position debout… J’aime ma position couchée… J’aime telle ou telle position de mon corps.

Méditation sur les activités du corps :

De plus, j’aime mon corps en activité… J’aime quand je vais et quand je viens… J’aime quand je regarde devant moi ou autour de moi… J’aime quand je mange... J’aime quand je bois… J’aime quand j’urine… J’aime quand je défèque… J’aime quand je me lève… J’aime quand je m’assois... J’aime quand je me couche… J’aime quand je dors… J’aime quand je m’éveille… J’aime quand je me lève… J’aime quand je porte tel ou tel vêtement… J’aime quand je parle… J’aime quand je me tais...

Méditation sur les composants du corps :

De plus, j’aime tous les composants de mon corps… J’aime mes cheveux… J’aime mes poils... J’aime mes ongles… J’aime ma peau… J’aime ma graisse… J’aime ma chair… J’aime mes muscles… J’aime mes tendons... J’aime mes os... J’aime ma moelle... J’aime mon cervelet... J’aime mes hémisphères cérébraux... J’aime mes globes oculaires... J’aime mon nez... J’aime mon mucus... J’aime ma bouche... J’aime mes dents... J’aime ma langue... J’aime ma salive... J’aime mon cou… J’aime mon larynx… J’aime mes bronches… J’aime ma plèvre... J’aime mes poumons... J’aime mon cœur... J’aime mes artères... J’aime mes veines... J’aime mes vaisseaux... J’aime mon sang... J’aime ma lymphe... J’aime mon système lymphatique... J’aime mon diaphragme... J’aime mon estomac... J’aime mes reins... J’aime mon pancréas... J’aime ma rate... J’aime mon foie... J’aime mon mésentère... J’aime mes intestins... J’aime mes excréments... J’aime ma vessie... J’aime mon urine... J’aime mes parties génitales... J’aime mes diverses excrétions...

Méditation sur les quatre éléments

De plus, j’aime en moi les quatre éléments : J’aime en moi l’élément solide... J’aime en moi l’élément liquide... J’aime en moi l’élément gazeux ... J’aime en moi l’élément chaleur...

Méditation sur les sensations :

De plus, j’aime mes sensations… agréables… désagréables… ou neutres... J’aime mes sensations physiques agréables… J’aime mes sensations physiques désagréables... J’aime mes sensations physiques ni agréables ni désagréables... J’aime mes sensations mentales agréables... J’aime mes sensations mentales désagréables... J’aime mes sensations mentales ni agréables ni désagréables... J’aime mes sensations inconscientes agréables... J’aime mes sensations inconscientes désagréables... J’aime mes sensations inconscientes ni agréables ni désagréables...

Méditation sur l’esprit :

De plus, j’aime mon esprit... J’aime mon esprit quand il est passionné... J’aime mon esprit quand il est libre de passion... J’aime mon esprit quand il est haineux... J’aime mon esprit quand il est libre de haine... J’aime mon esprit quand il est égaré... J’aime mon esprit quand il est libre de tout égarement... J’aime mon esprit quand il est distrait... J’aime mon esprit quand il est recueilli… J’aime mon esprit quand il s’élève… J’aime mon esprit quand il s’abaisse... J’aime mon esprit quand il est grand… J’aime mon esprit quand il est sans grandeur… J’aime mon esprit quand il est concentré… J’aime mon esprit quand il n’est pas concentré... J’aime mon esprit quand il est libéré... J’aime mon esprit quand il n’est pas libéré...

Méditation sur les cinq sortes d’entraves :

De plus j’aime quand je suis en proie au désir sensuel... J’aime quand je ne suis plus entravé par le désir sensuel... J’aime quand je suis en proie à la méchanceté… J’aime quand je ne suis plus entravé par la méchanceté… J’aime quand je suis en proie à l’inertie et à la torpeur... J’aime quand je ne suis plus entravé par l’inertie et de la torpeur... J’aime quand je suis en proie à l’agitation, au remord et au regret... J’aime quand je ne suis plus entravé par l’agitation, le remord et le regret… J’aime quand je suis en proie au doute... J’aime quand je ne suis plus entravé par le doute...

Méditation sur les agrégats :

De plus, j’aime la matière qui me compose… son apparition… sa disparition… J’aime mes sensations… leurs apparitions… leurs disparitions… J’aime mes perceptions… leurs apparitions… leur disparitions… J’aime mes formations mentales… leurs apparitions … leurs disparitions… J’aime mes formations inconscientes… leurs apparitions… leurs disparitions. J’aime ma conscience… son apparition … sa disparition.

Méditations sur les nouages sensoriels :

De plus, j’aime mes yeux et j’aime les formes et les couleurs… J’aime les liens qui naissent à cause d’eux… J’aime quand ces liens sont coupés. …J’aime mes oreilles et j’aime les sons... J’aime les liens qui naissent à cause d’eux… J’aime quand ses liens sont coupés... J’aime mon nez et j’aime les odeurs… J’aime les liens qui naissent à cause d’eux… J’aime quand ces liens sont coupés... J’aime ma bouche et j’aime les saveurs... J’aime les liens qui naissent à cause d’eux... J’aime quand ces liens sont coupés... J’aime mon corps et j’aime ce qu’il peut toucher... J’aime les liens qui naissent à cause d’eux... J’aime quand ces liens sont coupés... J’aime mon esprit et j’aime les idées… J’aime les liens qui naissent à cause d’eux... J’aime quand ces liens sont coupés... J’aime mon inconscient et j’aime les objets de l’inconscient... J’aime les liens qui naissent à cause d’eux… J’aime quand ces liens sont coupés… J’aime ma conscience et j’aime les objets de conscience… J’aime les liens qui naissent à cause d’eux… J’aime quand ces liens sont coupés…

Méditations sur les sept facteurs d’éveil :

De plus, j’aime l’épanouissement complet de l’attention à moi-même… J’aime l’épanouissement complet de l’examen des lois de moi-même… J’aime l’épanouissement complet de mon énergie… J’aime l’épanouissement complet de ma joie... J’aime l’épanouissement complet de mon bonheur... J’aime l’épanouissement complet de ma concentration... J’aime l’épanouissement complet de mon imperturbabilité...

Cette introspection est seulement pour la connaissance, simplement pour la réflexion sur le narcissisme inconscient.

« Est considéré comme correct, dit Freud dans son dernier ouvrage « Abrégé de psychanalyse » (p. 5), tout comportement du moi qui satisfait à la fois aux exigences du ça, du surmoi et de la réalité, ce qui se produit quand le moi réussit à concilier ces diverses exigences ».

Il n’est donc pas facile de s’aimer soi-même. Et tant qu’on s’aime mal on n’aime pas les autres. C’est que le moi n’est que la somme de ses identifications successives, ce qui implique qu’il est toujours un autre pour lui-même. Au fond il n’est qu’imaginaire et éphémère comme une fleur.

Tout sujet est divisé. Il est divisé par une barre qui lui interdit l’accès direct à la vérité de son désir, comme le suggère l’étymologie du caractère chinois « zen ». L’analyse n’a donc pour fonction que de révéler le discours inconscient qui n’épanouit sa puissance que sous les discours imaginaires et par delà les discours symboliques.

On ne sera pas sans remarquer sur les fresques romaines que Narcisse n’est jamais penché sur son image. N’est-ce pas parce que, comme dit Freud, « le moi est une projection mentale de la surface du corps… à la surface de l’appareil mental. » (Le Moi et le ça ») ?

Le tableau de Salvador Dali « La métamorphose de Narcisse » (1937) illustre, selon Freud, cette instance mouvante en perpétuelle réalisation qu’est le moi.

Dans cette oeuvre nous voyons que Narcisse, à gauche, n’est pas courbé sur son reflet mais sur son sexe, fascinus, en latin : « voit-on le sexe qu’on ne le voit pas », parce que la sexualité est subvertie par le langage. Nul miroir ne mime celui qui s’y reflète. Narcisse semble ici dans son ombre s’échiner à chercher des noises à son identité, tandis que dans la partie droite du tableau, plus éclairée, selon la volonté de l’artiste, on voit la fleur éponyme et son bulbe tenus par une main de puissance indifférente aux fourmis de la médiocrité. Mais dans cette partie, le bulbe du narcisse s’est métamorphosé en œuf : l’œuf des forces vitales. Le poison s’est métamorphosé en médicament, pharmacon ! Non plus bulbe de mort mais bulle de métamorphoses, comme si la mort produisait la vie. Les Gaulois, nous apprenait Jules César, disaient : « nous sommes fils de la mort ». On aperçoit, à droite du tableau, l’échiquier des stratégies, à gauche, les nus de la volupté, au centre, la route des possibles, tandis que dans un coin un chien, une des figures du surmoi, ne s’acharne plus que sur quelque charogne.

C’est à Londres que Freud, sur les instances de Stéphane Zweig, reçut de Dali en personne le tableau « La Métamorphose de Narcisse ». C’était le 19 juillet 1938. L’œuvre produisit sur Freud une profonde impression. Il en fut littéralement conquis. On en trouvera le témoignage dans « la correspondance entre Freud et S.Zweig » (Paris, Rivages, p 123,129 ) : « Vraiment il faut que je vous remercie d’avoir amené chez moi le visiteur d’hier. Car j’étais jusque-là enclin à considérer les surréalistes qui semblent m’avoir choisi pour saint patron, comme des fous absolus (disons à 95%, comme pour l’alcool) ».

« La Métamorphose de Narcisse » est le premier tableau obtenu entièrement d’après l’application intégrale de la méthode « paranoïaque-critique » des surréalistes. Selon Dali, la paranoïa fonctionnait comme une hallucination susceptible d’activité créatrice logique. La méthode pouvait être utilisée pour l’apparition d’images doubles ou d’un « délire raisonnant ». J. Lacan y vit immédiatement l’instrument qui manquait à la théorisation de son expérience clinique en matière de paranoïa.Il allavoirDalipour s’en faire expliquer les principes.

Commentaire de Dali sur son tableau :

« Si l’on regarde avec un léger recul et une certaine « fixité distraite », la figure hypnotiquement immobile de Narcisse, celle-ci disparaît progressivement, jusqu’à devenir absolument invisible. La métamorphose du mythe a lieu à ce moment précis, car l’image du Narcisse est transformée subitement en l’image d’une main qui surgit de son propre reflet. Cette main tient au bout de ses doigts un œuf, une semence, l’oignon duquel naît le nouveau Narcisse-la fleur. A côté, on peut observer la sculpture calcaire de la main, main fossile de l’eau tenant la fleur éclose. Pour la première fois, un tableau et un poème surréalistes comportent objectivement l’interprétation cohérente d’un sujet irrationnel développé. La méthode paranoïaque-critique commence à constituer le congloméré indestructible des « détails exacts » que Stendhal réclamait pou la description de l’architecture de Saint-Pierre de Rome, et ceci dans le domaine de la plus paralysante poésie surréaliste. Le lyrisme des images poétiques n’est philosophiquement important que lorsqu’il atteint, dans son action, à la même exactitude que les mathématiques dans la leur. Le poète doit, avant qui que ce soit, prouver ce qu’il dit.

Premier Pêcheur de Port Lligat : « - Qu’est-ce qu’il a ce garçon à se regarder toute la journée dans la glace ? Second Pêcheur : « - Si tu veux que je te dise (baissant la voix) : il a un oignon dans la tête ». « Oignon dans la tête », en catalan, correspond exactement à la notion psychanalytique de « complexe ». Si l’on a un oignon dans la tête, celle-ci peut fleurir d’un moment à l’autre, Narcisse ! Narcisse, comprends-tu ? La symétrie, hypnose divine de la géométrie de l’esprit, comble déjà ta tête de ce sommeil inguérissable, végétal, atavique et lent qui dessèche la cervelle de la substance parcheminée du noyau de ta proche métamorphose. La semence de ta tête vient de tomber dans l’eau. L’homme retourne au végétal par le sommeil lourd de la fatigue et les dieux par l’hypnose transparente de leurs passions. Narcisse, tu es si immobile que l’on croirait que tu dors. S’il s’agissait d’Hercule rugueux et brun, on dirait : - « Il dort comme un tronc dans la posture d’un chêne herculéen ». Mais toi, Narcisse formé de timides éclosions parfumées d’adolescence transparente, tu dors, comme une fleur d’eau. Voilà que le grand mystère approche, que la grande métamorphose va avoir lieu. Narcisse, dans son immobilité, absorbé par son reflet avec la lenteur digestive des plantes carnivores, devient invisible. Il ne reste de lui que l’ovale hallucinant de la blancheur de sa tête, sa tête de nouveau plus tendre, sa tête, chrysalide d’arrière-pensées biologiques, sa tête soutenue au bout des doigts de l’eau, au bout des doigts de la main sensée, de la main terrible, de la main coprophagique, de la main mortelle de son propre reflet. Quand cette tête se fendra, quand cette tête se craquèlera, quand cette tête éclatera, ce sera la fleur, le nouveau Narcisse, Gala "mon narcisse"… »

De Gala, son épouse, Dali disait aussi qu’elle était sa « Gradiva » (voir Freud « Délires et rêves dans la Gradiva de Jensen »). La Gradiva est la femme qui réussit la guérison psychologique du héros. On peut trouver assez facilement une photo de Salvador Dali, sortant de l’eau avec ses moustaches hyperboliques au bout desquelles pointent des fleurs de narcisse.

Concernant la sublimation, on raconte, dans les Annales de la Transmission de la Lampe, texte chinois du 11ème s., que le Bouddha sur le Pic des Vautours dans un sermon sur l’essence de son enseignement ne proféra pas une seule parole et se contenta de dresser sa main qui tenait une fleur. La fleur du vide, la fleur du temps en expansion infinie par où s’éteignent toutes les pulsions.

Comme dit la psychanalyse, il y a aussi des interprétations sans paroles.

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Métamorphose de Narcisse Nœud RVŒ Tore (Regard & Vision) Portrait de Guy Massat
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