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La paranoïa Schreber

Moritz Schreber

De 1808 à 1851 : l’arbre « gênes et a » logique

Date de mise en ligne : samedi 31 janvier 2004

Auteur : Christophe BORMANS

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Ce texte est un résumé de la quatrième séance du séminaire sur « La Paranoïa Schreber ».

Paul Schreber était très au fait de sa généalogie. Il le dit très clairement dans ses Mémoires, notamment au chapitre VI, lorsqu’il dit que “On” s’adressait à lui pour lui “dire que par le passé avait vécu un autre Daniel Paul Schreber, intellectuellement bien plus doué” que lui. Il rétorque alors à ce moment-là aux voix :

“Comme il n’y a jamais eu d’autre Daniel Paul Schreber que moi dans la généalogie de la famille, que je connais parfaitement, je me crois justifié de considérer que ce Daniel Paul Schreber-là n’est autre que moi-même quand je suis en possession de mes nerfs au complet” (D. P. Schreber, 1903, p. 43 ; trad. fr., p. 73).

Reconnaissons-là, dans ce “On”, toute la voix du Surmoi contre lequel le Moi de Paul lutte désespérément. Nous sommes dans cette lutte, plongé au cœur de la psychose au sens où Freud la définit. Dans la névrose, le Ça lutte contre le Surmoi, tandis que dans la psychose, on a l’habitude de dire que le Ça lutte contre la réalité extérieure. Mais quelle est cette réalité extérieure ? Dans la psychose également, le Ça lutte contre le Surmoi, mais la différence est que le Surmoi n’y est pas reconnu par le sujet. Il est projeté et c’est ce Surmoi qui constitue la réalité extérieure. Témoin, bien entendu, le “Luder” qui s’adresse à Schreber dans sa fameuse vision d’Ahriman : ce “Jouisseur” qui lui est adressé par le Surmoi qui erre entre les Royaumes de Dieu (Gottesreiche) et “l’arrimage aux terres” :

“Ici [dans la névrose, dit Freud], le reproche a été reconnu comme bien fondé et, à fin de compensation, la valeur que la scrupulosité s’est acquise dans l’intervalle sain préserve maintenant d’accorder croyance au reproche qui fait retour comme représentation de contrainte. Dans la paranoïa, le reproche est refoulé sur une voie qu’on peut désigner comme projection, tandis qu’est érigé le symptôme de défense de la méfiance envers d’autres ; ici la reconnaissance est retirée au reproche, et, comme à fin de rétorsion, il manque alors une protection contre les reproches faisant retour dans les idées délirantes” (Cas de Mme P..., dans S. Freud, “Nouvelles remarques sur les névropsychoses de défense” [1896], Œuvres complètes, volume III, PUF, Paris, 1989, pp. 121-146).

Et en effet, Paul Schreber connaissait parfaitement bien, comme il le dit, la “généalogie de la famille”, parce que les Schreber en général, et nommément le père et le grand-père de Daniel Paul, avaient tenu grand soin de leur ascendance.
Le père de Moritz, Johann Gotthilf Schreber, avait établi en 1812 un document manuscrit intitulé “Staummbaum” - autrement dit un arbre généalogique -, dans lequel il qualifiait ses ancêtres d’éminents lettrés. Et en effet, au XVIIe et XVIIIe siècles, les Schreber faisaient partie de la grande bourgeoisie intellectuelle (conseiller, bourgmestre, avocat, recteur, etc.) et l’histoire de famille Schreber semble associée à l’histoire du Royaume de Saxe elle-même.
En 1852, soit seulement quarante ans après son père, Moritz compléta le fameux “Stammbaum”, document malheureusement resté introuvable - “malheureusement”, puisque c’est certainement celui-ci que Paul a dû étudier.

Gotthilf Schreber

Gotthilf est né en 1754. Son père, Daniel Gottfried Schreber (1708-1777), était professeur d’économie politique à Leipzig. Il avait eu un premier mariage, duquel était né un premier fils, Johann Christian Daniel Schreber (1739-1810), qui fit sa thèse de doctorat sous la direction de Linné, et qui devint professeur de sciences naturelles à Erlangen. Aujourd’hui, un monument lui est dédié dans le parc de l’Université.

Mais peu après la naissance de Johann Christian Daniel, sa mère meurt. Daniel Gottfried Schreber épouse alors en secondes noce, Henriette Philippine Rosenkranz, et c’est de cette union que naquit, en 1754 Gotthilf Schreber, le père de Moritz Schreber.

Gotthilf avait donc quinze ans de moins que son illustre demi-frère. Cinq ans plus tard, la mère de Gotthilf accouche d’un deuxième enfant, Benedikt, et meurt deux ans après, en 1761, Gotthilf n’a alors que 7 ans. Un arbre généalogique établi en 1932 par G. Friedrich Schreber (arrière petit-fils de Moritz), indique entre guillemets la cause de sa mort de la Mère de Gotthilf : “fièvre et hystérie”.

De 12 à 18 ans, Gotthilf Schreber vit en pension dans une école, à Rossleben, dont son oncle est recteur. À 18 ans, il revient à Leipzig, chez son père, et s’inscrit à l’université, où il s’intéresse essentiellement au droit. Son père meurt alors qu’il n’a que 22 ans, et il ne semble pas pouvoir s’opposer à ce que son demi-frère d’Erlangen fasse d’après lui, “main basse” sur l’héritage, les frères du second mariage ne touchant quasiment rien. Gotthilf, qui semble alors plongé dans un état dépressif, réussit tout de même à se placer chez un avocat, puis à se faire une clientèle personnelle.

En 1802, à l’âge de quarante-sept ans, Gotthilf Schreber épouse Friederike Grosse, qui a alors une vingtaine d’année.
 Le 15 octobre 1808 naît Moritz Schreber.
 En 1812, naît un “petit frère”. Moritz a quatre ans. Mais ce second fils, qui s’appelle Gustav [1], meurt à la fin avril 1816.

À l’âge de sept ans, Moritz demeure donc enfant unique. Il semble vivre une enfance et une adolescence heureuses, et être très proche de ses parents.

Son père, Gotthilf, meurt en 1837, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, non sans avoir légué à sa descendance, un court texte de seize pages, écrit de sa main en date de 1830, intitulé : “Kurze Geschichte meines Lebens” (Brève Histoire de ma vie).

Han Israëls, qui a découvert le manuscrit, nous dit que les seize grandes pages qui le composent sont remplies “de toutes sortes d’apitoiements” sur lui-même et “d’une interminable énumération des divers maux qui accablèrent le bonhomme au long de son existence : ophtalmie chronique, pleurésie, un “mauvais pied” qui l’immobilisa chez lui pendant trois mois, fièvre typhoïde et j’en passe”, dit-il, ce qui nous permet de penser que nous avons affaire-là à un hypocondriaque du style le plus pur.

À père hypocondriaque, fils médecin : Moritz SCHREBER

Moritz Schreber fait toute sa scolarité à Leipzig à la “schola civica urbana”. À l’âge de dix ans, il entre au collège Saint Thomas, un collège d’enseignement secondaire paraît-il réputé. Il en sort à l’âge de dix-sept ans et s’inscrit, le 23 septembre 1826, à la faculté de médecine de l’université de Leipzig. C’est là qu’il rencontre le professeur W.A. Haase, son futur beau-père.

Le 3 novembre 1826, il sollicite une bourse et deux ans plus tard, le 3 septembre 1828, Moritz Schreber obtient son baccalauréat en médecine. Il sollicite alors une nouvelle bourse, en 1828, afin de terminer ses études. Cette dernière n’est pas n’importe quelle bourse, puisqu’elle porte le nom “bourse Famille Schreber”, ayant été fondé en 1600 à Oschatz, par un certain Wolfgang Schreber. L’administration de cette bourse avait ensuite échut à la municipalité.

Moritz Schreber pose donc sa candidature, remporte le concours, obtient la bourse et le 29 septembre 1829, celle-ci commence à lui est versée pour une période de trois ans. Le 15 octobre 1831, il reçoit sa première validation de l’Ordre des médecins et commence à pratiquer la médecine dans les hôpitaux, comme assistant. Le 12 juillet 1833, il soutient sa thèse de doctorat (rédigée en Latin) sur un remède anti-inflammatoire pour les bronches.

Pour parfaire sa formation, Moritz Schreber s’engage alors immédiatement comme médecin personnel au service d’un aristocrate russe : le barine Stakovitch, dont les terres se situent près de Tchernigov, en Ukraine, dans la région de Kiev.

Stakovitch voit son médecin une ou deux fois par jour et, le reste du temps, Moritz le passe à visiter les lieux touristiques des régions où il se trouve. En compagnie de Stakovitch, Moritz Schreber se rend dans de nombreuses villes d’eaux d’Allemagne et de Russie centrale et méridionale et, à plusieurs reprises, effectuent de longs séjours à Dresde.

Rappelons à cet égard que c’est lorsqu’il est nommé à Dresde, que Paul va véritablement être assailli par la seconde maladie. De sorte que, outre la charge qui lui incombe, le lieu de la nomination de Paul, Dresde, n’est pas in-signifiant. Et Moritz Schreber semble en effet s’être particulièrement plu à Dresde. C’est d’ailleurs de Dresde, en septembre 1833 et en septembre 1835, qu’il écrit à ses parents deux longues lettres que Han Israëls a retrouvées. « À la lecture de ces lettres, écrit H. Israëls, la figure du père de Moritz se confirme : Gotthilf devait bien, comme nous l’avions pressenti à la lecture de la Brève Histoire de sa vie, être un de ces hommes qui se lamentent continuellement sur leurs misères physiques. Son fils lui écrit en effet : " Pour ce qui est de vos douleurs, cher père, pourquoi ne vous frictionneriez-vous pas tous les soirs avec un peu d’eau-de-vie de blé ? (...) Je vous supplie une fois de plus, cher père, de ne pas manquer de me tenir au courant dans chacune de vos lettres de l’état de votre pied, et de votre santé en général " » [2].

En 1836, Moritz Schreber rentre dans sa ville natale. À l’automne, il s’installe comme médecin et enseigne à la faculté de médecine de l’université de Leipzig en tant que Privatdozent. Il le restera jusqu’en 1854.
Notons que c’est dès cette date, 1836, autrement dit dès le début de sa carrière médicale et professionnelle, que Moritz Schreber commence une activité qui jamais ne le quittera, bien au contraire : l’écriture. Dès 1836, en effet, Moritz Schreber se met à la rédaction de son premier livre, “Das Buch der Gesundheit” (Livre de la santé) qu’il publie deux ans plus tard, en 1838.

C’est cette même année, en 1838, que Moritz Schreber demande la main de Pauline Haase, la fille de son ancien professeur, lequel vient de décéder, un an plus tôt, en 1837, la même année que le père de Moritz.

Rencontre avec Pauline Haase

Louise Henriette Pauline Haase était en effet la fille de Wilhelm Andreas Haase, un des maîtres de Moritz Schreber, et qui plus est, le Recteur de l’université de Leipzig. Pauline était donc d’un milieu plus aisé que celui de Moritz Schreber. Du côté de son père, le grand-père Haase était déjà professeur de médecine, et du côté de sa mère surtout, la famille Wenck était une ancienne famille fortunée de Leipzig [3] : châtelains, ils possédaient deux vastes domaines seigneuriaux que la mère de Pauline avait reçu - pour une grande part - en héritage. Au début du XIXe siècle cependant, les Haase faisaient désormais partie des milieux intellectuels.

Née le 28 juin 1815, Pauline avait vu le jour prématurément, une semaine après la bataille de Waterloo : l’annonce de la victoire et les réjouissances qui s’en suivirent (arrosées au punch, disait-elle) avait semble-t-il précipitées l’accouchement de sa mère.

Pauline Schreber était née à la Fürstenhaus, la maison des Haase, dans le quartier de la Boule Rouge, où Goethe logea la première année qu’il passa, tout jeune étudiant, loin de sa famille. Il était arrivé à Leipzig à la Saint-Michel 1765, pendant la foire. C’est ce qu’il nous décrit dans Poésie et Vérité, que Freud commentera en son temps :

« C’était la foire à Leipsick lorsque j’y arrivai (...) mon attention fut surtout attirée par les Orientaux aux costumes étranges, par les Polonais et les Russes, et surtout par les Grecs, dont j’allais souvent admirer les nobles figures et les vêtements distingués (...). Je trouvais (...) selon mon cœur certains édifices, qui, donnant sur deux rues, et renfermant tout un petit monde dans de vastes enclos, bâtis autour jusqu’au ciel, ressemblaient à de grands châteaux ou à des moitiés de ville. Je logeai dans un de ces étranges quartiers, à la Boule Rouge, entre l’ancien et le nouveau Newmarckt. Le libraire Fleischer, durant la foire, y habita deux jolies chambres situées sur une cour assez animée ; je les occupai ensuite pour un prix modéré. Comme voisin de chambre, j’avais un théologien, instruit à fond dans sa science, intelligent, mais pauvre et ayant les yeux fort malades, ce qui l’inquiétait beaucoup pour l’avenir (...). Notre vieille hôtesse était bienfaisante pour lui, aimable pour moi, empressée pour les deux » [4].

La Société Goethe de Leipzig demanda d’ailleurs à Pauline de situer l’emplacement exact des fenêtres, pour y apposer une plaque commémorative, visible aujourd’hui encore.

Pauline (qui avait deux frères et deux sœurs) aimait les livres et aimait à fréquenter le milieu artistique et intellectuel du Leipzig de cette époque. Elle manquait rarement, paraît-il, un concert au Gewandhaus [5], qui était devenu à partir de 1835 et sous l’impulsion de Mendelssohn, nous dit Nicole Sels, le centre musical de l’Allemagne. Schumann en personne y dirigeait souvent l’orchestre. Ces artistes et intellectuels fréquentait eux-mêmes la maison familiale des Haase à la Boule rouge.

Le mariage avec Moritz Schreber eut lieu le 22 octobre 1838, en l’église Saint-Nicolas de Leipzig. Au début 1839, le jeune couple occupe un appartement près du vieux théâtre de Leipzig, et c’est dans cet appartement que le 27 juillet 1839, naît le premier enfant : Gustav. Un an après naîtra Anna, le 30 décembre 1840. Puis la mère de Pauline meurt en 1841 et la famille emménage au 22 de la rue du Cimetière Saint Thomas. C’est là, que le 25 juillet 1842, naît Paul Schreber.

Au début des années 1840, Moritz Schreber a atteint la trentaine : il est médecin praticien, Privatdozent à l’Université, il a déjà écrit un ouvrage de médecine, il est marié et père de famille. À cette même époque cependant, il sollicite lui-même sa nomination à un poste de professeur extraordinaire. Mais celle-ci lui est refusée et l’on imagine aisément sa déception.

La Clinique Orthopédique

En 1839, Moritz avait été introduit par son beau-père - juste avant qu’il ne meure -, à la Société médicale de Leipzig, où il avait été admis comme Membre. C’est là qu’il avait rencontré Ernst August Carus, qui était de dix ans son aîné.

Ernst August Carus avait étudié la médecine à l’université de Leipzig, puis s’était installé médecin de campagne. Mais de santé fragile, il dut abandonner sa pratique et obtint, lui, un poste de professeur extraordinaire à l’Université de Leipzig.

Comme activité d’appoint cependant, le Dr Carus possédait un dispensaire chirurgical privé, une sorte de clinique orthopédique dans laquelle il accueillait surtout des indigents, qui venaient trouver réconfort et quelques soulagements à leurs infirmités. En 1844, August Carus est nommé professeur en titre à Dorpat [6].

Moritz Schreber saute alors sur l’occasion et reprend la Clinique orthopédique la même année. Très vite il s’emploie au renouvellement des installations : il se rend à Paris, en compagnie d’un mécanicien, pour se procurer le dernier cri des mécaniques orthopédiques, et il entreprendra par la suite (1844, puis 1846), deux voyages d’étude (Belgique, Angleterre, France, Italie et Suisse) pour parfaire sa formation dans ce domaine.

La clinique orthopédique se trouvait au 15 de la Burgstrasse. Schreber la transféra tout d’abord au 4 de la Königstrasse, où était son domicile, puis, au retour d’un voyage d’étude, il entreprend en 1846, l’année du décès de sa mère, de construire une énorme bâtisse qui lui servira de clinique et d’habitation, à la porte de la ville : la porte de Zeitzer.

Les Schreber emménagent en juin 1847 [7] ; Paul Schreber a quatre ans.

Initialement, la maison était hors les murs de Leipzig : l’adresse en était Vor dem Zeitzer Thore 2 (hors la porte de Zeitzer, no 2) [8].

La maison, et surtout la clinique on l’aura compris, était très bien équipée. On a une description des lieux, qui date de 1861, de l’année de la mort de Moritz Schreber :

Au rez-de-chaussée : le gymnase (spacieux, chauffé) avec son vestiaire. Le gymnase est du dernier cri :
 4 barres parallèles, 3 barres fixes, 2 échelles de suspension, 1 échelle dorsale, 1 échelle de corde, 1 paire de cordes à nœuds, 1 paire d’anneaux, 1 plate-forme tournante (décrite dans la Kinesiatrik), 1 grand pas de vis pour les mouvements de manivelle, 2 chevaux d’arçons, 1 échelle spirale type Delpech, 1 suspenseur de Gilson, 1 extenseur de Kunde à huit bras, 1 carrousel à 4 rayons, et bien sûr, des haltères de différents poids et des bâtons de toutes longueurs.
 Le sol du Gymnase est recouvert de terre battue ou de tannée, afin d’éviter le plus possible la poussière et d’améliorer la qualité de l’air pour l’appareil respiratoire des gymnastes (selon un rapport d’inspection, rédigé en 1856).
 Au sous-sol : la salle de bains également chauffée, avec la douche, le bain-pluie et la douche à jet vertical.

Au 1er étage :
 À l’est : l’appartement de l’associé de Schreber, le Dr Schildbach, qui y loge avec sa famille.
 Au sud : le salon et le dortoir des pensionnaires.
 À l’ouest : deux petites chambres dont l’une avec cabinet attenant pour ceux des pensionnaires souhaitant ou nécessitant une chambre séparée.

Au 2e étage : Les appartements de Herr Doktor Schreber.

Un grand jardin entourait la maison.

La plupart des affections traitées à la Clinique orthopédique du Dr Schreber étaient des malformations de la colonne vertébrale (252 cas traités de 1844 à 1852), mais on y soignait aussi d’autres maux : paralysies musculaires, rhumatismes, etc.

Le traitement orthopédique consistait essentiellement en mouvements de gymnastique. La méthode se situait entre l’orthopédie traditionnelle (qui porte l’accent sur le travail aux appareils) et une méthode thérapeutique inspirée de la gymnastique suédoise - chaque patient s’exerçant avec un assistant. Le débat de la gymnothérapie à l’allemande (qui avait les faveurs de Schreber) et de la gymnastique suédoise aboutira, en 1858, à une brochure dans laquelle on voit Schreber croiser le fer avec un partisan de la discipline nordique (“Streitfragen der deutschen und schwedischen Heilgymnastik”).

La méthode est décrite abondamment et en détail par Schreber lui-même dans la plupart de ses livres, notamment dans son “Kinesiatrik oder die Gymnastische Heilmethode”, publié en 1852. Ce livre, comme la plupart de ses ouvrages consistent essentiellement en des explications, figures à l’appui, d’une profusion d’exercices de gymnastique, avec l’indication des affections auxquelles ils sont spécifiquement destinés.

La Clinique orthopédique du Dr Schreber recevait non seulement des patients externes, mais également des internes. Les pièces d’habitation réservées aux pensionnaires ne permettaient d’accueillir tout au plus que 7 enfants [9]. Les jeunes pensionnaires devaient être issus de familles aisées, puisqu’en 1861, le prix de la pension complète était de 75 thalers par trimestre (avec un éventuel supplément pour chambre particulière), soit 300 thalers par an [10]. Pour les externes, le prix d’une cure d’un trimestre pouvait varier de 4 à 36 thalers, et une séance de deux heures de gymnastique hygiénique coûtait 2 thalers.

Le Dr Moritz Schreber tenait ses consultations le matin entre 9h. et 10h., et l’après-midi de 15h. à 16h.

Il semble que Moritz Schreber souhaitait avant tout garder le nombre des patients dont il avait la charge dans les limites des dimensions d’un cercle familial et, nous dit Han Israëls, il était paraît-il très scrupuleux et méfiant à l’égard de tout ce qui aurait pu passer pour du charlatanisme...

Méfiant à l’égard du charlatanisme, peut-être, mais tout de même... Pourquoi Schreber fait-il construire pareille bâtisse aux dimensions colossales pour l’époque, alors que comme le souligne à juste titre H. Israëls, “rien ne nous permet de dire qu’il accorda un intérêt quelconque à l’orthopédie avant cette date”, et que d’autre part, sa situation financière personnelle ne semblait pas lui permettre d’envisager une si vaste opération commerciale ?

D’abord, on sait qu’il avait été boursier pendant toute la durée de ses études, et l’on sait également que les revenus d’un Privatdozent sont assez faibles, Freud en saura quelque chose une trentaine d’année plus tard [11]. Certes, Moritz Schreber exerçait parallèlement la médecine dans une ville, Leipzig, qui comptait alors déjà 40 000 habitants. Mais en début de carrière, à l’époque, cette activité n’assurait qu’un revenu modeste. La preuve en est que Moritz Schreber réduit considérablement sa clientèle de médecin généraliste lorsqu’il reprend la clinique orthopédique en 1844, puisqu’il ne recevait plus que deux heures par jour.

En fait, le mystère s’éclaircit si l’on émet l’hypothèse qu’à la mort de sa mère, Pauline hérite d’une fortune considérable. En effet, la mère de Pauline meurt en 1841 [12]. Les Schreber déménagent aussitôt dans un appartement plus spacieux, et Moritz propose sa candidature comme professeur. C’est à la suite de cet échec, que Pauline et Moritz durent s’entendre pour investir l’héritage dans la clinique orthopédique, même si Moritz Schreber n’avait fait montre d’aucun intérêt particulier pour l’orthopédie avant que cette “occasion” - cette vieille clinique - ne s’offre à la vente. En était-il de même pour la Gymnastique ?

La Gymnastique

Après la défaite de la Prusse face à Napoléon en 1806, la gymnastique avait été interdite en Saxe, car elle passait pour subversive en raison de ses connotations nationalistes (elle s’exerçait, la plupart du temps, avec des chants patriotes). Après l’ère napoléonienne, elle symbolisa la régénération nationale, mais elle était encore tenue pour subversive en Saxe dans les années 20. Quelques clubs de Gymnastique s’étaient formés, notamment à Leipzig, mais ces clubs étaient secrets, et les jeunes garçons pratiquaient la gymnastique (le mercredi ou le samedi après-midi) sur des terrains à la périphérie de la Ville. La « troisième mi-temps » était arrosée de bière brune, de danses, de chansons à boire et de chants patriotiques.

C’est bien dans ce contexte patriote et anti-Napoléonien, que Moritz avait été élevé. Dans sa Brève Histoire de sa vie, le père de Moritz se complait à décrire les épisodes de la Bataille des Nations, qui se déroula à Leipzig en 1813, et où Napoléon fut battu a plate couture pour entamer ensuite la campagne de France. La ville de Leipzig avait été bombardée et dévastée par les Russes, les Prussiens et les Suédois. Une épidémie de typhoïde s’était déclarée et Gotthilf raconte la mort d’un malade dans sa propre maison. Il y raconte la détresse, l’inquiétude et l’horreur de cette bataille. Anna Schreber a elle-même décrit les souvenirs que son père se plaisait à raconter à ses enfants. Notamment, comment en 1813, âgé de cinq ans, il avait accompagné son propre père (Gotthilf) sur le champ de bataille “pour y ramasser des balles et autres souvenirs de guerre”.

Lorsqu’il était au collège, à l’intérieur de l’établissement (l’école Saint Thomas), un club de gymnastique clandestin s’était formé. Entrés en 1826 à l’université, les membres du club s’affilièrent par la suite aux Jeunesses étudiantes (Burschenschaft) et ils y poursuivirent avec ardeur leurs activités gymniques. On ne sait pas si Moritz Schreber avait adhéré au club de gymnastique, mais il circule néanmoins des petites histoires sur les années d’étudiant de Moritz Schreber, histoires selon lesquelles il serait arrivé chétif à l’université, pour en ressortir, quelques années plus tard, avec une solide stature de body-builder dirait-on aujourd’hui, bref, pratiquant la culture physique, et peut-être la gymnastique...

En 1840, cependant, la culture physique avait été réintroduite dans certaines écoles et un petit groupe avait commencé à se réunir régulièrement pour pratiquer la gymnastique, cette fois-ci officiellement. Tous les matins, en effet, Moritz Schreber se levait et allait rejoindre dès six heures, une douzaine d’honorables citoyens de Leipzig pour faire sa gymnastique dans un jardin de la ville. Nous avions là entre autres : le Dr Schreber, le professeur Biedermann (professeur de philosophie) et le professeur Bock (professeur de médecine). C’était-là les futurs fondateurs de la Société de gymnastique de Leipzig, et c’est pourquoi Moritz Schreber passe pour être le véritable inventeur de la gymnastique médicale.

En juillet 1845, la Société de gymnastique de Leipzig est créée : elle regroupe une vingtaine de personnes et Schreber est élu au comité directeur. Le 26 août 1845, une grande manifestation est organisée à la Maison des chasseurs (Schützerthaus). Biedermann, Bock et Schreber avaient prononcé leurs discours devant un public de plusieurs centaines de personnes, lesquels avaient été suivis de démonstrations de gymnastique sur le terrain.

Les mois suivants, une polémique autour de la Société de gymnastique éclate dans les colonnes du Leipziger Tageblatt (le journal local). Des arrières pensées politiques sont imputées à la Société. Moritz Schreber répond anonymement dans les colonnes du même journal :

“[...] Il n’est pas vrai, comme certains veulent pourtant l’insinuer, que, sous le couvert de culture physique, des démagogues s’entraînent, dans une quasi-clandestinité et d’une manière subreptice, en vue d’un complot contre l’État. Rien de pareil, au grand jamais, j’en apporte le démenti catégorique” (Leipziger Tageblatt, 27 novembre 1845).

À la fin de l’année (1845), le club compte 187 membres regroupant essentiellement des avocats, professeurs et intellectuels, des commerçants et artisans, et des étudiants.

Le 27 mars 1846, Moritz Schreber succéde à Biedermann à la présidence de la Société. Le 14 juillet 1846, le Président Schreber précise, “en réponse à une question écrite du gouvernement au Conseil”, que la Société de Gymnastique de Leipzig ne poursuit “aucun objectif annexe quel qu’il soit” [13]. Le 30 octobre et 1er novembre 1846, le Premier Festival saxon de gymnastique se déroule en Allemagne et la Société de Leipzig y délègue deux de ses membres, dont son Président : Moritz Schreber.

Sous la Présidence Schreber, la Société de gymnastique entreprend, en 1847, la construction d’un gymnase, sur la base d’une subvention annuelle accordée par la Ville et de souscriptions privées. Le gymnase est inauguré le 12 août 1847, et le Président Schreber y va de son petit discours. Le 2 août 1848, le Président Schreber adresse une note au ministère, pour information : “la Société compte 770 membres au total ; en son sein existe une chorale qui en compte 30, une équipe de gymnastique défensive [14] qui comprend 80 personnes et une escouade de 180 membres (lutte contre l’incendie et secouristes)” [15]

“770 membres”, “Complot”, “aucun objectif annexe quel qu’il soit”, “Gymnastique défensive”, “escouade” de lutte, le mouvement est-il réellement aussi dénué d’engagement politique ?

Moritz (Ormuzd) Schreber et la Politique

En fait, le “noyau dur” du petit groupe, les fondateurs de la Société de Gymnastique, s’était également engagé politiquement. Dans la seconde moitié des années 1840, Biedermann, le premier, devient conseiller municipal de la ville de Leipzig, et Bock et Schreber le suivent dans cette entreprise. Moritz Schreber fut conseiller de 1846 à 1851. Il siégea d’abord comme remplaçant, puis de 1847 à 1850, comme membre ordinaire (les conseillers étaient élus tous les trois ans au suffrage semi-direct). Enfin il fut tout de même nommé vice-président du conseil municipal de Leipzig en 1851.

Àl’époque,il n’existait pas encore de véritable système de parti. Toutefois, une fraction radicale était conduite par Robert Blum, et la fraction libérale modérée par Karl Biedermann, l’ami de Moritz, aussi bien “à la Gymnastique, qu’à la ville”, si l’on peut dire.

Mais ce n’est pas tout. Comme nous l’explique H. Israëls, depuis 1530 - date de la réunion de la grande Diète impériale convoquée à Augsbourg -, « dans l’espoir de mettre un terme aux dissensions religieuses soulevées dans l’Empire par la réformation, la Saxe avait été reconnue pays protestant » [16]. Cependant du temps de Moritz, la Prusse, où prédominaient les luthériens évangéliques, était gouvernée par une maison royale catholique. Ainsi, durant les années 1830 et 1840, Leipzig fut le théâtre de plusieurs manifestations violentes sur fond de guerre de confession. En 1848 notamment, éclate à Leipzig une véritable insurrection. Officiellement, la Compagnie de Jésus était interdite en Saxe. Or l’apparition d’un signe jésuite sur les murs d’une église catholique déclenche une émeute, alors qu’un frère du roi (le prince Johann), séjourne dans un hôtel de Leipzig (l’Hôtel de Prusse). La foule s’entasse devant ses fenêtres, mais les autorités ne réagissent pas et, pendant une semaine, la ville n’est “gouvernée” que par les assemblées qui siègent journellement sous la conduite du radical Robert Blum, partisan de la Grande Allemagne [17]. C’est la Garde civile (Communalgarde) qui est chargée de rétablir l’ordre... Or à cette époque, justement, Moritz Schreber faisait partie de cette Garde civile.

Les milices avaient été créées en 1830 dans toutes les villes de Saxe. Moritz n’y assumait peut-être pas des fonctions très élevées, mais Anna Schreber, la grande sœur de Paul, raconte - et c’est probablement-là ses premiers souvenirs d’enfance - avoir pu admirer son père dans son bel uniforme :

« À cette date, mon père faisait partie de la Garde civile. Le jour du Samedi saint, il ne rentra pas à la maison. C’en était assez pour nous faire craindre des troubles, d’autant que nous savions qu’on avait érigé des barricades au Café Français, emplacement même où le commandant Gontard fut atteint d’une balle et tué [...] Un autre souvenir que je garde de cette époque - je devais avoir huit ans [sept, en réalité] : une nuit, on nous réveilla et nous dûmes enfiler nos vêtements en toute hâte car, disait-on, les volontaires marchaient sur la ville. Ils ne vinrent pas, et nous, les enfants, trouvions très amusant ce grand rassemblement dans le vestibule au beau milieu de la nuit. Quand notre père portait l’uniforme, nous étions vraiment tout ce qu’il y a de plus fiers de lui » [18].

“Une nuit”... “Vestibule”... “Uniforme”, “l’excitation des enfants”, le père en danger de mort, cela doit tout de même faire indéniablement écho au lecteur des Mémoires de Paul Schreber. À cette époque, Moritz Schreber a précisément quatre ans. Il y a fort à parier que les hallucinations de Paul Schreber concernant ses visions d’Arhiman et d’Ormuzd, motive ce réel infantile vécut durant cette nuit, cette unique nuit de 1848. Quant à Ormuzd, ce n’est jamais que l’anagramme phonétique de Moritz comme le fait subtilement remarquer Han Israëls [19].

Pour conclure cette première partie de la vie de Moritz Schreber, revenons sur une anecdote pour le moins troublante.

Moritz Schreber, lorsqu’il était au service du Baron Stakovitch, effectua plusieurs longs séjours à Dresde. Nous avons déjà rappelé que c’est lorsqu’il est nommé à Dresde, que Paul Schreber va véritablement être assailli par sa seconde maladie. Paul fait d’ailleurs lui-même remarquer l’importance du lieu, Dresde, dans l’émergence de sa première crise d’insomnie, ne serait-ce que pour souligner qu’à son avis, une telle crise ne serait jamais advenue à Chemnitz ou à Leipzig.

Dresde fait indéniablement appel, pour Paul, au Nom-du-Père. En effet, c’est à Dresde que semble-t-il, Moritz Schreber va faire une rencontre pour le moins singulière en la personne d’un peintre : August Richter [20]. Cette anecdote est pour le moins troublante ; la voici.

Des Schreber “au grand complet”, un portrait de famille a été conservé [21]. On ne sait rien de ce tableau, rien de plus que ce que nous apprend la signature : Aug. Richter, 1851. Or la vie du peintre n’est pas indifférente.

August Richter (1801-1873) vécut la plus grande partie de sa vie à Dresde, où en 1830, il fut nommé professeur extraordinaire à l’Académie des Beaux-Arts. C’est probablement là que Moritz Schreber le rencontra. Dans ses lettres à ses parents, il mentionne du reste expressément des visites dans une “brillante galerie de peinture” de Dresde, où semble-t-il, il donnait quelques rendez-vous galants [H. Israëls, Op. cit., chap. II, p. 37.]].

À ses débuts, August Richter peignait des scènes bibliques, mais, à partir de 1835 et jusqu’à la fin de sa vie, son œuvre se compose essentiellement de dessins aujourd’hui paraît-il très recherchés, car on les dit précurseurs de l’impressionnisme. En 1839 cependant, des signes avant-coureurs de maladie mentale apparurent chez Richter. En 1845, il est relevé de sa charge de professeur, et interné au... Sonnenstein près de Pirna ! Mais Richter continua néanmoins de peindre à l’asile où on lui avait aménagé un atelier.

Or, si le portait de la famille Schreber “au grand complet” date de 1851, c’est que le tableau a été commandé par Moritz à August Richter, à l’asile même du Sonnenstein.

En outre, cette date de 1851 n’est pas anodine, loin de là, dans la vie des Schreber. Un jour de l’année 1851, en effet, alors qu’il travaillait dans son Gymnase, Moritz Schreber reçoit une lourde échelle de fer sur la tête. Quelques mois plus tard se déclarent de singuliers maux de tête que l’on s’accorde à imputer à cet accident. Mais à vrai dire personne, à commencer par Moritz Schreber lui-même, n’était véritablement persuadé que la chute de l’échelle était la cause des maux de tête [22].

Toujours est-il qu’à partir de ce moment-là, Moritz Schreber va progressivement abandonner toutes ses activités sociales (il ne voudra plus voir personne, pas même, souvent, ses propres enfants), politiques, gymniques, et même la clinique orthopédique qu’il va laisser à la charge de son associé, pour ne plus se consacrer qu’à une seule : l’écriture.

Enfin voilà, la vie de ce Moritz Schreber est tout de même pour le moins déconcertante. Voilà un homme qui devient médecin parce qu’il ne sait pas quoi faire de son père hypocondriaque. Voilà un homme qui tente de rejoindre les “éminents lettrés”, selon sa propre expression, que son père à laisser filer en héritage à son demi-frère (qui a son buste à Erlangen), en épousant la fille de son professeur, Recteur de l’Université de Leipzig. Voilà un homme qui de rage, après s’être vu refusé le statut de professeur de médecine, fait construire avec l’héritage de sa femme, une clinique orthopédique, laquelle discipline n’avait éveillé en lui aucun intérêt auparavant. Et voilà un homme enfin, qui seulement quatre ans après avoir construit ce qu’il voulait faire passer comme son grand projet, cette bâtisse colossale qu’il entreprend de construire l’année du décès de sa mère, en 1846, hors les portes de la ville, à la limite, à la frontière, à la borne de Leipzig, reçoit - c’est le clou - une échelle sur la tête, c’est-à-dire, bien sûr, un de ces appareils des plus sophistiqués qu’il a pu acheté pour mettre sa clinique au “dernier cri”. C’est un acte manqué des plus réussit, bien sûr, si l’on veut bien entendre dans cette expression de “dernier cri”, ce qui préfigure déjà les “miracle du hurlement” de son fils Paul.

Voilà un homme qui passera ensuite le reste de son temps à écrire des livres et des brochures pour vanter les mérites de quelque chose - le Gymnase, la Gymnastique, l’Orthopédie - qui l’a finalement plongé dans les affres les plus profonds, dans les plus atroces douleurs.

L’échelle, bien sûr, ça sert à grimper, à s’élever, sommes-nous tentés de dire. Certes, mais l’échelle c’est bien autre chose, comme l’a très bien mis en évidence Lacan dans son commentaire de Booz endormi. Je préfère pour ma part comparer cette échelle qui tombe sur la tête de Moritz, à cet arbre qui sort du ventre de Booz, juste après ce qui, chez Moritz, semble si bien refoulé : le sexuel. Ce chêne, cet arbre métaphorique, comparé à l’arbre généalogique si cher au père Schreber (le fameux “Staummbaum”), bref cette échelle qui lui tombe sur la tête, n’est-ce pas ici comme une métaphore manquée ?

Et Booz murmurait avec la voix de l’âme :

Comment ce pourrait-il que de moi ceci vînt ?
Le chiffre de mes ans a passé quatre-vingt,
Et je n’ai pas de fils, et je n’ai plus de femme.

Voilà longtemps que celle avec qui j’ai dormi,
Ô Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre ;
Et nous sommes encor tout mêlés l’un à l’autre,
Elle à demi vivante et moi mort à demi.

« Une race naîtrait de moi ! Comment le croire ? » dit Booz.

Eh bien si Moritz Schreber n’y a pas cru, c’est bel et bien ce que Paul, lui, son fils, a vu, a halluciné : une nouvelle race d’hommes faits d’esprit Schreber. En retour, c’est le ciel, qui a lui, lui est bel et bien tombé sur la tête.

P.-S.

Références bibliographiques :
 Han ISRAËLS, Schreber Père et fils, Seuil, Paris, 1986.
 Daniel Paul SCHREBER, Mémoires d’un névropathe [1903], traduit de l’Allemand par Paul DUQUENNE & Nicole SELS, Seuil, Paris, 1975.

Notes

[1Rappellons que Gustav ce sera le nom que Moritz Schreber donnera à son premier fils (le frère aîné de Paul), lequel se suicidera à l’âge de 38 ans.

[2H. Israëls, Schreber, Père et fils, Seuil, Paris, 1986, p. 37.

[3Précisons également que les familles Wenck et Haase avaient toujours été liées, les grands-pères de Pauline, tous deux professeurs à Leipzig, ayant effectués leurs études ensemble à l’université.

[4Traduit par H. Richelot (1844), cité par Nicoles SELS dans H. Israëls, Op. cit., note de bas de page 47.

[5La Halle au Drap

[6Aujourd’hui Tartou en Estonie.

[7La maison va demeurer le lieu géométrique de la famille bien après la mort de Moritz Schreber en 1861. Pauline y finira ses jours en 1907 et Sidonie Schreber y vivra jusqu’à sa démolition en 1915.

[8Par la suite, l’immeuble sera intégré à la Zeitzer Strasse dont il portera d’abord le no 43, puis le n° 10.

[9il semble qu’il n’y en avait en moyenne que 4.

[10Ce qui correspondait à peu près au double du salaire d’un ouvrier charpentier.

[11Les étudiants payaient eux-mêmes directement, de manière privée - privat-dozen - l’enseignant, et les enseignants qui donnaient trop de répétitions n’étaient pas bien vus.

[12Soulignons à cet égard que Paul étant né en 1842, Paul-ine devait être enceinte de Paul lorsque sa mère meurt.

[13Cité par H. Israëls, Ibid., p. 69.

[14Turnwehrmannschaft.

[15H. Israëls, Ibid., chap. IV.

[16H. Israëls, Ibid., p. 74.

[17Robert Blum sera exécuté à Vienne en 1848.

[18Cité par H. Israëls, Ibid., p. 76.

[19H. Israëls, Ibid., pp. 317-318

[20Si l’on se souvient en outre que Pauline était très férue d’art et de tout ce qui entoure les milieux artistiques, l’on accordera toute son importance à cette anecdote pour le moins étrange.

[21Il est aujourd’hui entre les mains des descendants de Moritz.

[22Il serait peut-être plus juste de rapprocher ces symptômes de l’hystérie masculine que Charcot et Freud dépeindront quelque trente ans plus tard. Cf. ce sujet l’excellent article d’Agnès SOFYIANA : Freud et Charcot.

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