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Les Signifiants de la Psychanalyse

Moi

Auto-érotisme, Narcissisme primaire & Identifications

Date de mise en ligne : vendredi 14 mars 2003

Auteur : Christophe BORMANS

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En première approche, il est très commode de comprendre le Moi comme la partie du Ça qui, à la suite de l’influence du monde extérieur a finalement fini par reconnaître le principe de réalité et a subi une modification telle, qu’elle abouti à la perception, à la conscience et à la raison. Mais il faut néanmoins très vite se défaire de l’illusion à laquelle peut conduire cette première approche : si la raison résulte de l’émergence du Moi, elle ne saurait présider à sa constitution, laquelle s’est effectuée sur un mode hautement infantile et cannibalique.

Le Ça n’obéissant qu’au seul principe de plaisir visant à prendre en charge et à satisfaire l’énergie pulsionnelle, est comme un aveugle au volant. Laissé à lui-même, ce conducteur ne tarderait pas à venir se heurter violemment aux divers obstacles du monde extérieur et se briser contre eux. Dans cette optique, il faut tout d’abord supposer l’existence de pulsions d’auto-conservation qui, corrélativement au monde extérieur et au principe de réalité, imposent au Ça une profonde modification. Le Moi va en quelque sorte servir d’yeux ou de système de perception au Ça, afin que celui-ci ne se heurte pas lamentablement aux trottoirs ou aux premiers platanes venus.

C’est de la résolution de cette équation que résulte le système de perception propre au Moi. Le Moi est une sorte d’interface entre les excitations du dehors, - monde extérieur dont il transcrit les impressions reçues - et les excitations du dedans - celles du monde intérieur qu’il perçoit - et occasionne ainsi le phénomène de la conscience. Véritable organe sensoriel de l’appareil psychique "le Moi, nous dit Freud, est la partie du Ça modifiée par la proximité et l’influence du monde extérieur, organisée pour percevoir les excitations et pour s’en défendre, comparable ainsi à la couche corticale dont s’entoure la parcelle de substance vivante" (Nouvelles Conférences, p. 108).

Alors que le Ça ne reconnaissait ni la différence des sexes, ni le temps, le Moi commence à établir cette perception et nous donne une première notion du temps. Bref, alors que le Moi semble se développer à partir de l’univers pulsionnel du Ça, il semble cependant et finalement, pouvoir parvenir jusqu’à la maîtrise de celui-ci :

" En nous servant de termes populaires, écrit Freud, nous dirons que, dans la vie psychique, le Moi représente la raison, la prudence, et le Ça les passions déchaînées " (Nouvelles Conférences, p. 108).

Le Moi semble, en première approche, avoir réussi à détrôner le principe de plaisir à l’œuvre dans le Ça, pour lui substituer le plus raisonnable principe de réalité.

Mais c’est là essentiellement un résultat, lequel ne nous dit rien sur le processus lui-même de constitution du Moi et de la pensée. Car dans la réalité psychique, le Moi n’est pas le fils de la raison mais bien son père au contraire, et un père bien peu raisonnable comme nous allons le voir. Comme Freud le souligne, "il est temps maintenant de penser au revers de la médaille" (Nouvelles Conférences, p. 108), et de saisir comment, concrètement, le Moi se différencie progressivement du Ça dont il est issu, avant de finalement venir constituer la raison et la conscience, qui semblent être ses principales prérogatives et aptitudes.

Au début, le Moi emprunte tout bonnement son énergie au Ça, et ce par une méthode ressemblant en tout point à celle de prêt à intérêt, et c’est du reste ce prêt qu’il doit rembourser par la névrose, lorsqu’il est trop chèrement acquis.

Le principal moyen, ou "manœuvre" va même jusqu’à dire Freud, auquel le Moi a recours afin de soutirer l’énergie au Ça et mener à bien ses propres projets d’investissement, est l’identification. Plus précisément, l’identification aux objets anciennement investis par le Ça :

"Un des moyens employés est, par exemple, l’identification avec des objets conservés ou abandonnés. Les investissements objectaux sont dus aux exigences pulsionnelles du ça : le moi n’a d’abord qu’à les enregistrer, mais tandis qu’il s’identifie à l’objet, il se présente à la place de ce dernier devant le ça et veut accaparer sa libido. Nous savons déjà qu’au cours de l’existence, le moi s’empare ainsi d’un grand nombre de résidus d’anciens investissements objectaux" (Nouvelles Conférences, p. 108).

Auto-érotisme & Narcissisme primaire

Si à l’origine, le Ça semblait vouloir compter sur la mère comme partie intégrante de son propre univers, élément de son propre environnement interne, il doit vite apprendre à composer avec cette dure contrainte que lui impose la réalité du monde extérieur, et notamment avec le jeu répété des présences et absences de l’élément nourricier premier. C’est avec l’objectif de minimiser ce déplaisir, qu’il en vient à condenser et déplacer les pulsions qui viennent tout d’abord se satisfaire sur le corps propre qu’il commence alors à peine à pouvoir se représenter.

De cette première contrainte, de ce premier contact avec le principe de réalité du monde extérieur, résulte deux conséquences essentielles. D’abord que le Moi est intimement lié à la dimension imaginaire et corporelle. Ensuite qu’il est constitutif d’un stade que l’on pourrait dynamiquement, c’est-à-dire au niveau pulsionnel, qualifier d’auto-érotique ou, d’un point de vue topique, de narcissisme primaire du Moi.

C’est comme si le Ça, à la suite de sa dure confrontation au principe de réalité du monde extérieur, effectuait une dernière tentative pour se réapproprier celui-ci à l’aide du principe de plaisir, en se représentant une nouvelle maison d’accueil, capable de le protéger : l’image du corps. Le Moi est en quelque sorte la surface sur laquelle le Ça arrive à se représenter, par projection, le corps qu’il habite et qui le protège :

" Le Moi est corporel, non seulement une entité toute en surface, mais une entité correspondant à la projection d’une surface " (Le moi et le Ça, p. 237).

De sorte que si le Moi sera plus tard le représentant de la reconnaissance de la réalité extérieure, celle-ci s’opère néanmoins sur une méconnaissance première, puisqu’elle s’opère à partir d’une dernière tentative, d’un dernier coup de force de la part du Ça, pour se soumettre le principe de réalité, et plus précisément de le soumettre au principe de plaisir.

S’il est commode de se représenter le Moi comme directement issu de la réconciliation entre le principe de plaisir et le principe de réalité, force est de reconnaître qu’il est néanmoins à l’origine, constitutif d’un mode de défense contre les déplaisirs imposés par la réalité extérieure. C’est pourquoi, comme Freud le précise, "il n’existe pas entre le Moi et le Ça de séparation tranchée" (Le moi et la Ça, p. 236) et, que l’on peut qualifier le stade premier où commence à s’effectuer la séparation, d’auto-érotisme ou de narcissisme primaire.

Alors que le Moi est encore en cours de formation, la libido se trouve encore en grande partie "accumulée dans le Ça" (Le Moi et le Ça, p.260). D’un point de vue dynamique, ce stade peut être qualifié d’auto-érotique, dans la mesure où l’objet de la pulsion est la source même de l’excitation organique. Au stade auto-érotique, objet et source de la pulsion se confondent purement et simplement. D’un point de vue topique, il s’agit de reconnaître ici l’existence constitutive de la formation du moi, de ce que l’on pourrait appeler un narcissisme primaire :

" Originairement, au tout début de la vie psychique, le moi se trouve investi par les pulsions sur lui-même. Nous appelons cet état le narcissisme, et nous qualifions d’auto-érotique cette possibilité de satisfaction " (Pulsions et destins des pulsions, p. 36).

À vrai dire, une conception plus générale des processus psychiques et de la dynamique pulsionnelle devrait nous conduire à reconnaître que les destins pulsionnels premiers que sont le retournement sur le moi propre et le renversement de l’activité en passivité sont constitutifs de cette organisation narcissique première du moi. C’est à ce niveau que le Moi opère son véritable tour de force, une véritable tentative d’OPA sur le Ça.

Les identifications

Le Moi va en effet se fortifier en attirant à lui une grande partie de la libido que le Ça utilisait en fixations érotiques sur des objets, en incorporant ces objets et en s’imposant par suite au Ça, en lieu et place de ces objets. C’est là le narcissisme secondaire du Moi, en tant qu’il est "dérobé aux objets" du Ça :

" Nous plaçant à un autre point de vue, nous pouvons dire que cette substitution d’un changement du Moi au choix d’un objet érotique constitue un moyen dont se sert le Moi pour gagner les faveurs du Ça et approfondir ses rapports avec lui, en faisant preuve d’une extraordinaire souplesse, d’une grande susceptibilité à tout ce qui se passe dans le Ça. Lorsque le Moi revêt les traits de l’objet, il semble chercher à s’imposer à l’amour du Ça, à le consoler de sa perte ; c’est comme s’il lui disait : "Regarde, tu peux m’aimer : je ressemble tellement à l’objet" " (Le moi et le Ça, p. 261).

Comme Freud le précise, la transformation à laquelle nous assistons alors, va de pair avec, ou est constitutive d’une désexualisation, c’est-à-dire une renoncement aux buts sexuels antérieurs. C’est même peut-être là pour Freud, le prototype de la sublimation :

"À ce propos, il est même permis de se poser une question qui mérite une discussion détaillée, celle de savoir si nous ne nous trouvons pas ici en présence du moyen de sublimation le plus général, si toute sublimation ne s’effectue pas par l’intermédiaire du Moi transformant la libido sexuelle dirigée vers l’objet en une libido narcissique et posant à celle-ci des buts différents" (Le Moi et le Ça, p. 260).

À cette occasion, s’effectuent les premières identifications aux parents, le petit enfant ne faisant à cet égard aucune différence entre les sexes :

"Les effets des premières identifications, effectuées aux phases les plus précoces de la vie, garderont toujours leur caractère général et durable […]. Cette identification ne semble pas être la suite ou l’aboutissement de la concentration sur un objet : elle est directe, immédiate, antérieure à toute concentration sur un objet quelconque. Mais les convoitises libidinales qui font partie de la première période sexuelle et se portent sur le père et sur la mère semblent, dans les cas normaux, se résoudre en une identification secondaire et médiate qui viendrait renforcer l’identification primaire et directe" (Le Moi et le Ça, p. 242).

Mécanismes d’identification

Sous la domination du principe de plaisir à l’œuvre au sein de l’appareil psychique, le Moi va opérer une sorte de tri. Il va intégrer à sa propre représentation, les objets extérieurs sources de plaisir, et expulser hors de lui les objets intérieurs source de déplaisirs (Pulsions et destins des pulsions, p. 37). C’est à partir de ces deux mécanismes, que le Moi va trier selon le principe de plaisir : introjection et projection. Ces deux mécanismes, il les emprunte à deux pulsions premières : l’incorporer en dévorant et le rejeter en expulsant.

" Quand l’objet devient source de sensations de plaisir, apparaît une tendance motrice qui veut le rapprocher du moi, l’incorporer dans le Moi : nous parlons, dans ce cas, de l’"attrait" exercé par l’objet dispensateur de plaisir, et nous disons que nous "aimons" l’objet. Inversement, quand l’objet est source de sensations de déplaisir, une tendance s’efforce d’accroître la distance entre lui et le moi, de répéter à son propos la tentative originaire de fuite devant le monde extérieur, émetteur d’excitations. Nous ressentons la "répulsion" de l’objet et nous le haïssons : cette haine peut ensuite aller jusqu’à une propension à l’agression contre l’objet, une intention de l’anéantir " (Pulsions et destins des pulsions, p. 38-39).

Nous avons là, en effet, la source première de l’amour et de la haine qui, lors de leur première élaboration, comme Freud prend soin de bien le préciser, sont intimement corrélées.

Amour & Haine

L’on pourrait même soutenir que la haine est première et que l’amour est secondaire et constitue en quelque sorte une haine sublimée. Si à l’origine en effet, le monde extérieur est source d’excitations et donc de déplaisirs, "l’extérieur", "l’objet" et "le haï" seraient, tout au début, identiques" (Pulsions et destins des pulsions, p. 38).

Le moi narcissique, qui rappelons-le s’est construit sur la désexualisation des buts pulsionnels, s’oppose catégoriquement au monde extérieur source d’excitations. Un premier clivage entre les pulsions narcissiques ou, pulsions de conservation du moi, et les pulsions sexuelles non sublimées, s’effectue sur le mode ultérieur de la haine et de l’amour :

"L’amour provient de la capacité qu’a le Moi de satisfaire une partie de ses motions pulsionnelles de façon auto-érotique, par l’obtention du plaisir d’organe. À l’origine, l’amour est narcissique, puis il s’étend aux objets qui ont été incorporés au moi élargi et exprime la tendance motrice du moi vers ces objets en tant qu’ils sont sources de plaisir. Il se lie intimement à l’activité des pulsions sexuelles ultérieures et, une fois leur synthèse accomplie, coïncide avec la tendance sexuelle dans sa totalité" (Pulsions et destins des pulsions, p. 41).

Cependant, à ce niveau, précisons que si les pulsions du moi s’arrogent le commandement de la fonction sexuelle, elles imposent de ce fait aux buts des pulsions sexuelles, les mêmes caractères de haine. C’est pour cette raison que nous ne pouvons raisonnablement et véritablement parler d’amour et de sexualité, que lorsque celle-ci s’est pleinement émancipée de la sexualité infantile. En d’autres termes, tant que nous ne nous sommes pas défaits de notre sexualité infantile, il est bien difficile de parler d’amour et d’harmonie.

"L’emploi le plus adéquat du mot "aimer" se trouve dans la relation du moi à son objet sexuel ; cela nous apprend que l’emploi de ce mot pour une telle relation ne peut commencer qu’avec la synthèse de toutes les pulsions partielles de la sexualité sous le primat des organes génitaux et au service d la fonction de reproduction" (Pulsions et destins des pulsions, p. 40).

En conclusion, l’on pourrait presque soutenir que contrairement à la vision idyllique que nous avons laissé entr’apercevoir en introduction à ces développements sur le Moi, cette instance psychique n’est pas tant à l’origine de l’amour que constitutif de la haine et notamment de la haine vis-à-vis des excitations d’origines sexuelles. C’est ce résultat sans aucun doute surprenant, que Freud réaffirme pourtant tout au long de son œuvre. Le Moi se constitue sur le socle de la haine du sexuel, d’un rejet des pulsions sexuelles et c’est, précisément, pour cette raison, qu’il est rarement en mesure d’être le maître dans sa propre maison. Le Moi hait, déteste et "poursuit avec l’intention de détruire" nous dit Freud, tous les objets qui sont pour lui sources d’excitations :

"On peut même soutenir que les prototypes véritables de la relation de haine ne proviennent pas de la vie sexuelle mais de la lutte du Moi pour sa conservation et son affirmation" (Pulsions et destins des pulsions, p. 40).

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