Les désabonnés de l’inconscient

Avec sa charte de la psychanalyse Bernard-Henri Lévy dévoile, mais à son insu, un problème fondamental de la psychanalyse celui des désabonnés de l’inconscient. C’est quoi une charte ? - Un ensemble de règles fondamentales pour une organisation officielle, ou encore des lois constitutionnelles établies par un souverain. En l’occurrence, M. Bernard-Henri Lévy nous propose dans « Libération » du 8 janvier « une charte de la psychanalyse » dans laquelle ne figure pas - même une seule fois - le mot inconscient. C’est un symptôme. D’emblée Bernard-Henri Lévy nous dit qu’il n’a pas fait d’analyse. Donc, il nous dit sans le dire qu’il ne parle de la chose que de l’extérieur. Son talent est condamné à tourner en rond sur une surface de möbius qui n’a ni face ni dos et qui engendre du même coup cette bonne conscience paranoïaque qu’on appelle la pensée unique. On sait que la parole (celle de l’inconscient) est libre et que c’est sa force. Nous pouvons prononcer par exemple la phrase : les ronds sont carrés. C’est faux en géométrie, mais c’est vrai en topologie. Et si on ne distingue pas la géométrie de la topologie ça ne fait rien : c’est qu’on vit l’absurdité du réel, c’est-à-dire qu’on est manipulé par la passion de l’ignorance, c’est-à-dire l’inconscient en toute sa souffrance. On l’incarne, certes, mais on ne le nomme pas. C’est ce que Lacan formule dans son dernier séminaire « Dissolution » : on « le nie, le dénie, le renie ».

Si vous retirez le principe de l’inconscient de la psychanalyse vous la métamorphosez en « la plus grande foutaise du XXème siècle » pour la bonne raison qu’il vous sera impossible de savoir de quoi vous parlez. En ce sens la loi Accoyer a du bon. Elle nous oblige à préciser ce que nous faisons. Ce qui est valable dans l’inconscient ne l’est pas dans le conscient et inversement. À ne pas tenir compte de cette précaution épistémologique on ne comprendra rien à l’œdipe, au narcissisme, au sujet, au parlêtre, etc. etc. et, ce d’autant plus - car plus grande la face plus grand le dos - qu’on sera intellectuellement habile à manipuler ces termes. Au mieux, on ne fera qu’aboutir à des effets comiques.

Le 9 février 1972 Lacan introduit en psychanalyse le nœud borroméen. Qu’est-ce que l’inconscient ? C’est le nouage borroméen du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. On peut y lire, car c’est une écriture, celle de l’inconscient, les topiques de Freud, et, pour peu qu’on s’exerce à le manipuler, tous les concepts fondamentaux de la psychanalyse. Cette topologie des nœuds est en mesure d’apaiser les passions. Nous y observons que les ronds sont noués ensemble et relatifs les uns aux autres mais toutefois d’une manière suffisamment distincte pour qu’on ne les confonde pas. Il y a le corps, l’esprit et l’inconscient. Le médecin s’occupe du corps, le religieux et le philosophe s’occupent de l’esprit, et le psychanalyste de l’inconscient. Le borroméen de Lacan c’est l’Aufklarung des passions humaines. L’inconscient ne s’y définit que comme pulsation temporelle. Dans une lecture à la Georges Dumézil du nœud borroméen nous pourrions dire que Bernard-Henri Lévy se prend pour un samouraï qui voudrait défendre le pauvre paysan que serait le psychanalyste contre les méfaits du grand prêtre Accoyer. Sauf, que le psychanalyste n’est pas un paysan pour la bonne raison que, comme Lévy le dit lui-même, il ne se situe nulle part. Par ailleurs M. Accoyer n’est pas un grand prêtre, à la différence de la positon que prennent parfois certains psychanalystes.